ROCK’N’HORL 2021 (accès libre)
Mais que cache cette soudaine passion des horlogers pour les baleines et les requins ?
Visiblement, les marques de montres préfèrent les requins et les mammifères marins aux mammifères humains. Curieux tropisme océanique, qui fait barboter la communication horlogère dans les mêmes eaux troubles de trop nombreuses marques. Au fait, c’est quoi, le message ?
Un jour, c’est Morgan Bourc’his, un pionnier de l’exploration océanique (par ailleurs champion du monde d’apnée), qui part à la rencontre des cétacés avec le soutien de la maison Tudor (la vidéo ci-dessous donne un aperçu rapide de cette superbe Quête du sauvage), un documentaire en apnée qui nous questionne, à la rencontre des grands mammifères marins, sur la place des humains dans la nature face à une vie sauvage qui peut se passer des humains. Pourquoi Tudor ? Et pourquoi pas ? La marque a depuis longtemps développé une affinité particulière avec l’univers marin : il se peut fort [très fort] que l’année 2021 soit une année spectaculairement encore plus nautique chez Tudor. Tant qu’à faire quelque chose pour la nature, autant se préoccuper des baleines…
Un autre jour, c’est Rolex qui vient nous rappeler que la marque œuvre depuis des décennies au service des océans, notamment de la cause des requins-baleines (vidéo ci-dessous), sympathiques rhincodontidae, totalement inoffensifs pour l’homme, qui sont en passe de devenir les plus hype de tous les animaux qui peuplent les océans. Pourquoi Rolex ? Et pourquoi pas ? La marque à la couronne n’a jamais caché ses affinités nautiques, notamment grâce à son programme Perpetual Planet Rolex. Tant qu’à faire avancer les connaissances sur les océans, autant que les subsides de Rolex aident à préserver ces épatants requins-baleines – et ce ne serait pas un hasard si une des nouveautés 2021 avait un rapport direct avec cet environnement océanique…
Toujours un autre jour, c’est Ulysse Nardin qui se passionne pour les requins en soutenant les missions d’Ocearch autour de la préservation des requins [rappelons que le requin a été la « vedette » d’une récente campagne promotionnelle d’Ulysse Nardin : en bas de la page] et plus généralement de la biodiversité marine. Si Ulysse Nardin préfère les requins marteau, cette passion n’est pas exclusive : on a pu le vérifier avec les montres « coquines » réalisées en hommage au dessinateur Milo Manara (Business Montres x Atantico du 1 ! janvier 2019). Autre marque très engagée pour la sauvegarde des requins marteau : Oris, qui a récemment mis en scène une série de vidéos consacrées aux requins-baleines. Soit une polarisation de la communication de la marque autour de thèmes océaniques dont les « plongeuses » Oris sont les meilleures ambassadrices – Oris restant une des marques les plus impliquées dans ce combat écologique…
Encore un autre jour, on se souviendra des efforts soutenus de Blancpain, qui a lâché les courses au volant d’une Lamborghini pour se lancer, à travers plusieurs expéditions, dans une défense éperdue des océans et de la faune marine, notamment les requins-baleines [encore !]. On a également en mémoire les exploits de Greg Norman, Omega Seamaster au poignet, dans une cage face à un grand requin blanc [Omega a également développé différentes initiatives de protection des récifs coralliens]. On ne doit pas oublier que Carl F. Bucherer se consacre de son côté à la protection des raies manta en aidant le Manta Trust, très actif pour sauver ces cousines des requins. Et ainsi de suite, en oubliant tant de marques qui s’intéressent, au moins dans le nom de baptême de leurs montres, au monde des requins...
On le voit : chez les horlogers suisses, il n’y en a plus que pour les requins et les baleines, le meilleur choix étant effectivement celui du requin-baleine, dont le nom est à lui seul un programme [même s’il n’a rien à voir, zoologiquement parlant, avec les baleines !]. Les marques de montres préfèrent manifestement les géants des mers aux humains des terres émergées. On peut déceler dans cette ruée vers l’or océanique plusieurs pulsions concomitantes :
• Il y a une vraie urgence à sauver la biodiversité, à commencer par les requins dont les hommes exterminent chaque année une centaine de millions de représentants – le plus souvent sans la moindre justification alimentaire ou industrielle. Que les marques suisses l’aient réalisé est plutôt satisfaisant…
• Personne n’a rien contre les baleines, nos très lointaines cousines restées à nager quand nos ancêtres posaient leurs pattes sur les continents. On sait aujourd’hui qu’elles sont « intelligentes », qu’elles causent et même qu’elles possèdent des « cultures » qu’elles se transmettent de génération en génération. Nous avons besoin d’elles, alors qu’elles aimeraient pouvoir se passer de nous. Il en va de même pour les requins-baleines, ces gros balourds qui doivent commencer à en avoir ras la nageoire de ces humains palmés qui viennent troubler leurs méditations nautiques…
• Le message compassionnel pour les « gentilles baleines » ou les « malheureux requins » [on pourrait en dire autant des raies dépouillées vivantes de leur peau pour alimenter les ateliers de bracelets en galuchat] est toujours payant en termes de communication : belles images dans le grand bleu, générosité manifeste des marques dans ce contexte, argumentation logique autour des montres nautiques de ces marques, etc.
• Entre nous, mieux vaut s’intéresser aux baleines et aux requins qu’aux compétitions de Formule 1, aux pilotes militaires, aux rallyes automobiles, aux jeu Olympiques ou à l’America’s Cup, qui n’apportent rien à la planète, mais qui contribuent à l’endommager !
De là à en faire trop, il n’y a qu’un pas que trop de marques franchissent en se ruant d’un même élan sur ce petit territoire et en brouillant l’une l’autre leur image dans les lumières de cette surabondance parasitaire. Requins et baleines peuvent remercier les horlogers pour les subsides qu’ils répandent aussi généreusement [c’est toujours ça de pris], mais il n’est pas certain que le message de ces horlogers soit parfaitement limpide, ni même bien compris. Et si on pensait aussi aux humains, qui auraient souvent besoin d’aide, de compassion et de d’assistance à personne en danger ?