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GPHG 2019 #18 (accès libre)
Pourquoi il ne faut pas laisser passer sans rien faire cette histoire grotesque du prix moyen à 340 000 francs suisses

Non seulement ce prix moyen est ridicule pour les dix-huit montres récompensées et pour les marques qui vont devoir affronter cette atteinte à la common decency, mais il devient dangereux pour la survie même du Grand Prix d’Horlogerie de Genève. La révision du règlement intérieur devient une urgence absolue…


Pour commencer, en refermant aussitôt la parenthèse pour se concentrer sur cette histoire hallucinante de prix moyen à 340 000 CHF, oublions un instant les anomalies criantes du palmarès 2019, globalement excellent mais assez peu pertinents dans certains choix : entre autres, le tiers des prix attribués à trois marques, le prix « Exception mécanique » attribué de façon questionnable à Genus (ce n’est pas la montre qui est en question, mais sa conformité avec le réglement intérieur), les deux prix remportés par Kari Voutilainen qui ne fait jamais qu’une grosse soixantaine de montres par an (toutes superbes, mais ça pose un souci de représentativité), le double prix auquel on a échappé de justesse pour Ming (évacué in extremis en « Révélation de l’année » au profit de Tudor), l’abus des rééditions (six des dix-huit prix horlogers sont allés à des redites plus ou moins iconiques et plus ou moins bien reliftées, ce qui pose un problème de créativité), l’extraordinaire hasard diplomatique qui a si bien fait les choses pour « dégager » la route d’Audemars Piguet vers l’Aiguille d’or, au détriment de Bvlgari, de Vacheron Constantin ou même de MB&F (là, c’est un souci d’équité), etc.. On en reparlera un autre jour, mais, en attendant, on peut toujours relire notre compte-rendu à chaud de ce GPHG (Business Montres du 8 novembre).…

Non, ce qui est vraiment inadmissible, c’est d’arriver à un prix moyen de 340 000 francs suisses pour les dix-huit montres récompensées. Ce qui revient à dire qu’on a primé des montres à peu près 150 fois plus coûteuses que la moyenne des montres vendues en Suisse : on croit rêver ! Comme le soulignait notre chronique Genevois Rien Venir (8 novembre) pour Tribune de Genève, le GPHG a même foncé dans le mur en klaxonnant de plaisir : attribuer le prix « Audace », supposé récompenser une « approche non-conformiste et décalée » de l’horlogerie, à un concept génial comme la montre AMC de la maison Urwerk, qui est affichée à 2 750 000 CHF (deux millions et sept cent cinquante mille francs suisses), c’était effectivement très… audacieux ! C’était surtout assumer, persister et signer dans l’aberration tarifaire. À croire que le GPHG a voulu faire un pied-de-nez à ses détracteurs. Quand on sait que ce Grand Prix, tel qu’il fonctionne aujourd’hui, ne distingue que des modèles qui correspondent à moins de 1/30 000e de la production horlogère suisse et à moins de 0,05 % des marques d’horlogerie actives à travers le monde, on se devrait se montrer plus précautionneux…

Il faut absolument que ce scandale cesse et que le règlement intérieur soit révisé, en urgence, pour parer à une telle dérive inflationniste, confirmé tendanciellement depuis dix ans. Cette dérive s’explique par un des maux les plus évidents de l’actuel GPHG – le fait que seules les marques formellement inscrites puissent concourir : après tout, les jurés font ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils ont sous la main, et tant pis pour le GPHG si ce jury ne dispose que de montres trop coûteuses pour établir son palmarès. Loin de nous l’idée d’écarter Urwerk en raison du prix terrifiant [sans doute justifié par de patients efforts de R&D sur de longues années], mais ce genre de pièces exceptionnelles (trois exemplaires en tout et pour tout) ne devraient entrer en compétition qu’avec des montres de même niveau, en rareté, en prix comme en singularité technique. De même, s’il est assez logique d’admettre que les montres de joaillerie sont plus précieuses, donc plus coûteuses que les montres « Challenge », il est anormal et injuste de faire s’affronter, dans la même présélection du prix « Joaillerie », une montre comme la Serpenti de Bvlgari (1,7 million de CHF) ou une Van Cleef & Arpels à 990 000 CHF [pour ne pas avouer un million ?] face à une Hublot à 78 000 CHF ou une Hermès à 58 000 CHF : ce rapport de un à quarante pour ce qui est des prix est on ne peut plus choquant et inéquitable et il induit un sérieux déviationnisme dans la vocation théoriquement rassembleuse et unitaire du GPHG…

Il convient donc de reconsidérer sans tarder tant les « catégories » officielles que la segmentation de ces catégories : Business Montres milite depuis des années pour scinder en deux, voire en trois niveaux de prix, ce prix « Joaillerie », de même qu’on pourrait le faire pour le prix « Exception mécanique », sinon pour les autres prix – n’est-il pas ridicule d’avoir un prix moyen de près de 30 000 CHF pour la présélection du prix « Plongée » qui se voulait initialement « accessible » [heureusement que la Prospex de Seiko – qui est tout sauf une vraie nouveauté de l’année – l’a emporté, même si son prix de 6 900 CHF est assez peu en phase avec l’esprit de cette catégorie]

Il est tout aussi urgent de repenser la procédure de sélection des montres en compétition, qui ne devrait pas uniquement reposer sur la bonne volonté des marques qui s’inscrivent [le plus souvent dans une logique de promotion personnelle, et non dans une démarche de démonstration créative]. On nous jure que la future Académie qui formera l’ossature du futur « grand jury » de sélection aura son mot à dire pour désigner les montres de l’année dans chaque catégorie, mais, si c’est pour en revenir in fine à ne pouvoir compter que sur la seule inscription volontaire des marques, c’est le serpent qui se mord la queue ! Il faudrait accepter, dans chaque catégorie, un certain volant de montres non inscrites ! – on entend déjà les clameurs indignées des marques inscrites, qu’il faut remercier pour leur fidélité au GPH mais qui ne sauraient résumer par cette seule inscription préalable le cœur du meilleur des montres de l’année, de même qu’ils seraient injustes qu’elles monopolisent, par la seule vertu de leur démarche administrative, le bouquet des prix décernés par le GPHG…

Il serait encore plus nécessaire que les autorités de la ville de Genève, ainsi que celles de la République et Canton de Genève, ainsi que les membres du conseil de fondation du GPHG, qu’on nous dit être « d’utilité publique » comprennent tant le ridicule dont les asperge ce prix moyen de 340 000 CHF par montre primée [même Pierre Maudet gagne moins tous les ans !] que le caractère anti-politique et anti-démocratique des budgets consacrés par ces autorités pour soutenir ce prix. Là, on marche carrément sur la tête : « Aux armes, citoyens ! » contre des subventions iniques à un prix aussi désastreusement et grotesquement élitiste !

On en est là et les marques récompensées en 2019 [tout comme celles qui ne l’ont pas été] devraient mettre la pression sur le GPHG pour éviter d’être éclaboussées à leur tour par de tels prix moyens, en augmentation spectaculaire et choquante depuis des années. Un moratoire sur les prix moyens est à présent indispensable. C’est même une question élementaire et primordiale de survie pour le GPHG...

GPHG 2019

Il n'est pas inutile de relire nos précédentes informations sur le Grand Prix d’Horlogerie de Genève : les liens pour les dix premiers épisodes sont à retrouver dans la séquence #10 ci-dessous.

      ❑    GPHG 2019 #17  : Une brillante édition 2019, avec un palmarès très intéressant mais un prix moyen totalement délirant (Business Montres du 8 novembre)

      ❑    GPHG 2019 #16  : Alors, des intuitions pour le palmarès final de ce jeudi soir ? (Business Montres du 7 novembre)

      ❑    GPHG 2019 #15  : le prix moyen des 84 montres présélectionnées a encore augmenté (Business Montres du 5 septembre)

      ❑    GPHG 2019 #14  : plus que 84 montres en compétition pour la phase finale de novembre (troisième partie : la fin de notre examen des prix mis en jeu – Business Montres du 4 septembre)

      ❑    GPHG 2019   #13  : Plus que 84 montres en compétition pour la phase finale de novembre (deuxième partie : notre examen des prix plus spécialement « masculins » – Business Montres du 3 septembre)

      ❑    GPHG 2019   #12  : Plus que 84 montres en compétition pour la phase finale de novembre – première partie : notre examen des prix « féminins » (Business Montres du 2 septembre)

      ❑    GPHG 2019   #11  : Pour quels prix hors catégories officielles les trente jurés peuvent-ils opter (quatrième et dernière partie : Business Montres du 2 août)

      ❑    GPHG 2019   #10  : Trente jurés face à un choix délicat pour départager des propositions très originales (troisième partie : Business Montres du 31 juillet)


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