LE SNIPER DU WEEK-END (accès libre)
Pourquoi Jean-Claude Biver mise sur les vaches sacrées de la Suisse pour promouvoir son low cost connecté et comment Nick Hayek s’est pris les pieds dans le tapis du chronométrage olympique
Quelques détaillants TAG Heuer triés sur le volet ont pu découvrir à Baselworld l’arme secrète de Jean-Claude Biver pour la prochaine rentrée : une Formula One connectée, dans une version low cost capable d’aller chatouiller l’Apple Watch sur le segment des 500 dollars. Le lancement en mode fast food s’annonce épatant pour une marque de luxe ! Pendant ce temps-là, le Comité international olympique découvre que personne ne chronomètre les chronométreurs officiels des Jeux…
••• LE « BIBI BURGER » PEUT-IL DEVENIR
LA NOUVELLE ARME FATALE DE TAG HEUER… (éditorial)
Il fallait bien une réplique fast food pour une TAG Heuer connectée low cost : on reste ainsi dans un registre générationnel très globish et strictement confirme au message « suisse » [mais pas « Swiss made »] que TAG Heuer va promouvoir pour sa prochaine collection de montres connectées ! Jean-Claude Biver a passé un accord avec la chaîne de restaurants fast food suisses Holy Cow (« vache sacrée ») : la prochaine Formula One connectée – dévoilée en grand secret devant une poignée de privilégiés à Baselworld – sera ainsi lancée dans la quinzaine d’établissements que compte Holy Cow entre Winterthur et Genève. Il est également question d’ouvrir pour l’occasion quatre restaurants Holy Cow éphémères à Gstaad, Verbier, St Moritz sur le glacier de la Jungfrau, cette fois pour y inviter une nuée de blogueurs asiatiques qui ne peuvent pas résister à la vue d’un glacier helvétique.
L’idée est d’organiser le lancement préalable en Suisse, de cette collection signée par une marque suisse, dans ces restaurants fast food suisses de nouvelle génération : Jean-Claude Biver a toujours été le roi du marteau qui tape inlassablement sur le même clou ! Pour l’occasion, Holy Cow créera un « TAG-Burger » – vite rebaptisé en interne « Bibi Burger » – entièrement Swiss Made, du pain aux cornichons, en passant par la viande hachée et, bien sûr, le fromage. Clin d’œil aux Montagnes neuchâteloises : le chef Philippe Chevrier, qui a supervisé la recette de ce « TAG-Burger », a prévu d’y ajouter une goutte d’absinthe et de relever le bœuf à l’ail des ours. On vous servira même du cola et de la bière purement suisses. Un événement suississime, on vous dit ! Les Américains et les Asiatiques vont adorer…
Pour Valérie Grande, qui coordonne le marketing de TAG Heuer, il s’agit de casser délibérément les codes du luxe horloger tout en faisant un clin d’œil aux nouvelles générations qui sont (seront) les clientes naturelles de la nouvelle Formula One Connected – dont on ne sait rien d’autre sinon qu’elle ressemblera à une Formula One classique et qu’elle sera positionnée pile au-dessus du prix d’une Apple Watch pour maintenir l’image premium qui s’attache à TAG Heuer [pour la technique, il semblerait que Guy Sémon ait choisi Qualcomm plutôt qu’Intel, mais ça reste encore assez nébuleux]. Holy Cow, c’est la classe sans les paillettes et le champagne des événements traditionnels de l’horlogerie : on nous jure qu’il y aura de la musique tout aussi générationnelle [c’est Pierre Biver, le fils de Jean-Claude, qui a déjà composé la playlist de ces soirées] et même des défilés de mode de jeunes créateurs qui œuvrent dans l’access luxury. Le concept global de cet événement suississime – Holy Cow compris – devrait ensuite être exporté en Europe, aux Etats-Unis et en Asie, où les… vaches sacrées n’ont jamais fait peur à personne…
Reste à savoir si l’image d’une marque de luxe, dont le prix moyen est situé autour des 2 000 dollars, peut ressortir indemne d’une immersion spectaculaire dans les vapeurs de frites et les bulles de sodas d’une chaîne de fast-food, aussi bon chic bon genre soit-elle. Quand on se souvient que d’incommodantes fumées de saucisses grillées avaient contraint les petits marquis du groupe Richemont à fuir la foire de Bâle pour se réfugier à Genève, on imagine le saut quantique que représente l’irruption du burger dans la panoplie marketing d’une marque de luxe. Certes, il vaut mieux se rapprocher des réalités du terrain pour convaincre une nouvelle tranche d’amateurs de montres connectées de passer à ce qui ressemblerait à une vraie montre plutôt qu’à un gadget électronique de poignet [c’est tout le débat autour du design très typé de l’Apple Watch, alors que les concurrents s’orientent vers le style des montres traditionnelles], mais le choix du fast food n’est-il pas too much dans sa radicalité ? Et le « Bibi burger » n’est-il pas ce pas de clerc que guettent depuis des années les jaloux contempteurs du patron des montres LVMH, éternel funambule guetté par le syndrome du « combat de trop » ?
••• QUI VA OFFICIELLEMENT CHRONOMÉTRER
LES CHRONOMÉTREURS OFFICIELS ?
Nick Hayek a eu récemment la désagréable surprise de voir débarquer une équipe d’enquêteurs du Comité international olympique (CIO) chez Swiss Timing, la société qui chapeaute techniquement toutes les opérations de chronométrage officiel pour les marques du Swatch Group – et quelques clients extérieurs. Pour une fois, ce n’était pas pour quelques pots-de-vin [souvenons du scandale des Jeux du Commonwealth en Inde, incendie parfaitement circonscrit et étouffé par Nick Hayek], mais pour vérifier que les équipements de Swiss Timing étaient bien… homologués ! Ce qui n’était pas exactement le cas : autant la moindre pompe à essence et la moindre balance de supermarché doit être officiellement contrôlée et certifiée par un organisme agréé, autant les dispositifs de chronométrage sportif échappent à toute norme de référence internationale. Personne n’étalonne les appareils qui établissent les records : les chronométreurs ne sont pas chronométrables…
Le CIO est d’autant mieux sensibilisé à ces questions que de plus en plus de compétitions et de médailles olympiques se jouent non plus à la seconde ou même au dixième de seconde, mais au millième, voire au dix-millième de seconde. La précision absolue est donc de mise, alors que les performances des sportifs tendent à se rapprocher les unes des autres : quelques exemples récents de contestation en témoignent, du côté des nageurs comme des skieurs ou de cyclistes. Faute de certification internationale par une chaîne de chronométrie indépendante et redondante, dont Swiss Timing ne serait plus qu’un des maillons, il faut s’attendre à ce que les médailles d’or des prochains jeux Olympiques d’hiver de P’yŏngch’ang (2018) et ceux d’été de Tokyo (2020) soient attribuées sur les tapis verts des tribunaux plutôt que sur les podiums sportifs.
Le défi pour Nick Hayek est à présent de faire homologuer, par une autorité quelconque mais incontestable, et sous la pression du CIO, tous les équipements de Swiss Timing, ce qui va coûter beaucoup d’argent alors que les années olympiques sont toujours un gouffre financier pour les marques du Swatch Group, d’autant moins tentées par l’exercice qu’il est toujours délicat d’évaluer le retour sur investissement de ces événements sportifs [le dernier rapport confidentiel sur l’utilité pour Tissot du Tour de France sont accablants]. D’où les rumeurs internes de « délestage » de certains sports et de concentration du marketing sur quelques opérations de référence…
••• À LA VOLÉE, EN VRAC, EN BREF
ET TOUJOURS EN TOUTE LIBERTÉ…
❑❑❑❑ VACHERON CONSTANTIN : successeur de « Charlie » Torres à la présidence de la manufacture genevoise, Louis Ferla vient de lancer une étude sur l’impact que pourrait avoir l’usage du logo en forme de croix de Malte utilisé par Vacheron Constantin depuis les années 1870. Certaines informations remontées du terrain vont état de discrètes opérations de boycott lancées par différents groupes de pression islamistes et quelques oulémas sunnites, très énervés par cette référence à une croix dont les huit pointes rappellent les croisades et blesseraient un orgueil musulman toujours à vif. Avec la réactivité des réseaux sociaux, une étincelle peut désormais mettre le feu à la plaine et piéger une marque dans une champ de mines géopolitiques…
❑❑❑❑ BREITLING : stupéfaction d’un groupe d’investisseurs chinois [racheteurs potentiels de la marque] qui visitaient le stand Breitling à Baselworld, quand ils ont découvert que l’aquarium de méduses qui coiffait l’entrée du stand n’était pas une présentation du menu qui les attendait à l’intérieur. Dans le sud de la Chine, on pénètre dans les salles de restaurant par un couloir d’aquariums et de vivariums où les convives peuvent choisir les plats de leur festin…
❑❑❑❑ GRAND PRIX D’HORLOGERIE DE GENÈVE : Arnold Schwarzenegger devrait être la prochaine guest star du jury de l’édition 2017, en plus des nouveaux jurés qui intégreront ce cénacle (quatre femmes et deux hommes, venus de trois continents)…
❑❑❑❑ BLOGOSPHÈRE (1) : homériques débats numériques à propos de la « tribune libre » de Zen (Forumamontres) concernant l’usage fatal des blogueurs par les marques (Business Montres du 31 mars). Précision pour les nuls : une « tribune libre » est, par définition, un texte libre et indépendant des choix éditoriaux du média qui les publie. Même si nous approuvons 99,9 % des propos de Zen, nous lui en laissons la paternité. Ceci posé, le succès des blogueurs à Baselworld a poussé la direction du salon à raccourcir de deux jours Baselworld, qui fermera donc ses portes le mardi au lieu du jeudi : chevaliers de l’information instantanée et de l’immédiateté médiatique, les blogueurs n’ont, de toute façon, besoin que d’une journée, voire deux pour les plus lents et les plus obtus, pour collecter les informations, compiler les clés USB et tout mettre en ligne sans attendre. Il serait donc intéressant de raccourcir encore Baselworld…
❑❑❑❑ BLOGOSPHÈRE (2) : c’est pour cette raison que la direction de Baselworld, prenant acte de la défection probable en 2018 d’à peu près tous les exposants asiatiques du Hall 4, envisage de transformer ce bâtiment en BBC (« Baselworld Blogging Center »), où les blogueurs disposeraient de mini-stands en prise directe sur les réseaux sociaux. Les marques pourraient venir y déverser, dès les premières heures du salon, leurs dossiers de presse et leurs clés USB, voire leurs montres à photographier. 4 000 blogueurs invités, logés et nourris, pour 400 marques de montres exposantes : on devrait pouvoir y arriver…
❑❑❑❑ WATCH ANISH (1) : fort du succès commercial fulgurant de son premier Watchanish magazine (quatre numéros par an au programme, mais personne n’a encore bien compris quel en était le tirage précis), Anish Bhatt (ci-dessous) s’est imposé à Baselworld comme le blogueur de l’année. La direction du salon lui a donc confié le soin de réaliser, en 2018, la série des Baselworld Daily News qui sont le « journal officiel » de la République horlogère bâloise. Moins de langue de bois, mais davantage de paillettes, de bulles et de décolletés profonds : les vestales de l’horlogerie propre sur elle n’ont plus qu’à bien se tenir…
❑❑❑❑ WATCH ANISH (2) : tant qu’à faire, et soucieuse de ne pas souffrir du moindre décalage générationnel dans le traitement de l’actualité des montres, la direction du Temps vient également de confier à l’équipe du Watchanish Magazine le soin de réaliser les prochains suppléments horlogers du groupe. Il semblerait que le charme personnel d’Isabelle Cerboneschi n’ait pas été jugé suffisamment trendy, ni les rédactionnels généralement empesés de son équipe suffisamment fun. Prochaine étape pour Anish Bhatt, actuellement en négociation serrée avec la Curie : le supplément horloger de l'Osservatore Romano, à Rome...