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GPHG 2022 #12 (accès libre)
Quand on vous disait que c’était peut-être pire, c’était bien plus pire que pire !

Le bilan de l’édition 2022 du GPHG s’avère bien plus lourd que prévu : à force de danser au bord du gouffre, on finit par y verser ! Et c'est grave quand on s'affiche avec 390 000 francs suisses de prix moyen ! L’art de saborder une grande idée serait-il une spécialité genevoise ?


❑❑❑❑   À NOS LECTEURS : de violentes cyberattaques ont tenté de nous réduire au silence. Par qui, pour qui, pourquoi ? On vous laisse deviner ! Contre qui ? C’est évident, contre le seul média horloger qui assure tant bien que mal sa fonction de poil à gratter indépendant des pressions et des intimidations économiques. En attendant, nous avons réparé ce qui pouvait l’être, mais nous avons dû provisoirement fermer notre système d’achat à l’article, que nous sommes en train de repenser. Désolé pour les lecteurs occasionnels, mais nous avons décidé, pour compenser, de ramener à 5 francs suisses [un prix proche des 4 CHF qui était celui de chaque article] le prix de l’abonnement hebdomadaire, qui vous permet de profiter de toutes les informations pendant toute une semaine…

Redisons-le une fois encore, envers et contre tout : il faut soutenir le Grand Prix d’Horlogerie de Genève (GPHG), ne serait-ce que parce que n’avons que lui sous la main pour donner un peu de légitimité internationale, une petite fois par an et en dépit de toutes les imperfections de ce « concours de beauté », à l’ensemble de l’industrie horlogère suisse et, au-delà, à toute l’horlogerie traditionnelle. Soutenons-le donc, mais sans renoncer à tout esprit critique, ne serait-ce que pour aider le GPHG à s’améliorer et à progresser pour se donner les moyens de ce qu’il devrait être. Si on s’y met tous, peut-être qu’on arrrivera à le sauver au lieu de jeter le bébé avec l’heure du bain…

Après nos premières réactions à chaud, à propos desquelles nous n’avons quasiment rien à redire vingt-quatre heures plus tard (Business Montres du 10 novembre), essayons d’aller un peu plus loin dans notre bilan critique d’une vingt-deuxième session qui a compilé, cumulé et démultiplié – pour le pire plus que pour le meilleur – les reproches et les objections qu’on pouvait faire aux éditions précédentes…

❑❑❑❑ L’AIGUILLE D’OR : rien ne saurait nous faire plus plaisir que cette Aiguille d’or attribuée à MB&F pour son bi-chronographe séquentiel ! Aiguille d’or que nous appelions de nos vœux (Business Montres du 11 août dernier), parce que ce n’était que justice – à ceci près que cette Aiguille d’or est venue renforcer un peu plus la dérive du GPHG vers l’entre-soi, puisque MB&F totalise désormais dix récompenses dans le cadre du GPHG. Certes, d’autres montres auraient mérité une Aiguille d’or, comme Van Cleef & Arpels, qui avait placé cinq pièces dans la présélection, ou Greubel Forsey, dont  le tourbillon 24 secondes Architecture est une des plus fantastiques « montres de l’année ». La désignation de MB&F ne fait ici qu’illustrer une autres des dérives du GPHG 2022 – ce qu’on pourrait appeler l’« aiguillage » des jurés

❑❑❑❑ JURÉS « AIGUILLÉS » : MB&F n’aurait sans doute pas obtenu cette Aiguille d’or – qu’il méritait sans la moindre hésitation – sans le renfort appuyé de ses « bons copains » au sein du jury, qu’ils soient journalistes ou détaillants (citons notamment Mike Tay, distributeur de MB&F dont il assure un gros tiers du chiffre d’affaires de la marque ; Laurent Picciotto, qui vient d’ouvrir un M.A.D. Lab dédié à MB&F à Paris ; Hind Seddiqi, qui distribue MB&F à Dubaï et qui doit assurer un cinquième du chiffre d’affaires de la marque ; etc.). Sans parler du soutien des indépendants et fidèles « amis » que Maximilian Büsser comptait dans ce jury (citons, entre autres, Felix Baumgarter, Laurent Besse, qui a été un des horlogers de référence de MB&F, ou Denis Flageollet). Ce qui fait beaucoup de soutiens, d’un grand poids, au sein du jury. Ce qu’on appellerait sans hésiter, ailleurs que dans le microcosme horloger, de gênants et troublants conflits d’intérêt. Sans doute faudra-t-il renoncer, dans les années qui viennent, à la présence de jurés trop engagés dans la distribution ou dans la connivence avec les marques qu’ils doivent départager : il faut désaiguiller le jury pour éviter de tels biais cognitifs !

❑❑❑❑ JURÉS « DÉBOUSSOLÉS » : ce qui est étonnant, c’est bien que, dans ce jury qui compte autant d’excellents professionnels de référence, personne ne se soit ému de la distorsion de réalité que constitue le palmarès final [voir ci-dessous les questions de prix, de volume et de représentativité] et son éloignement stratosphérique des réalités du marché de la montre. Comme quoi trop de talent peut aveugler les meilleurs – le mieux étant trop souvent l’ennemi du bien…

❑❑❑❑ REPRÉSENTATIVITÉ : le GPHG 2022 a couronné vingt marques [excluons le sympathique François Junod, qui incarne cependant l’équivalent d’un troisième prix de la soirée pour Van Cleef & Arpels !], maisons qui ne représentent, dans le meilleur des cas, que quelques milliers de montres pour certains marques primées (Tudor ou TAG Heuer), mais quelques centaines ou même quelques dizaines (Bvlgari, Seiko, etc.) pour l’écrasante majorité des lauréats, quand ce ne sont pas des pièces uniques ou quasi-uniques (Van Cleef & Arpels, Voutilainen, Sylvain Pinaud, etc.). On est à peu près dans les 0,001 % de la production horlogère suisse [un millième des exportations totales], avec d’autant moins de représentativité que la plupart de ces montres, même les plus accessibles en prix (Tudor, M.A.D. Editions, etc.), sont à peu près introuvables en boutique pour le commun des mortels du fait de leur succès auprès des aficionados hautement spécialisés. Un tel manque de respect des choix généraux du grand public normal laisse pantois…

❑❑❑❑ PRIX MOYEN DE L’ÉDITION 2022 : en se contentent des prix les plus bas indiqués par les marques, on en arrive à 390 000 francs suisses pour la moyenne des vingt montres récompensées. C’est le prix moyen le plus élevé depuis que le GPHG existe : on constate d’ailleurs une inflation galopante de ce prix moyen depuis des années – on s’en indignait quand il a commencé à dépasser les 100 000 francs suisses : avions-nous tort ? Ceci en admettant que la Fontaine aux oiseaux de Van Cleef & Arpels, prix de l’horloge mécanique, ne vaut « que » 5 millions : si on la tarifie aux 10 millions admis par la marque, le prix moyen dépasse allègrement les 600 000 francs suisses. On est assez loin du prix moyen des montres suisses vendues à travers le monde. Là encore, on piétine gentiment non seulement la common decency, mais aussi les attentes des consommateurs sur le marché…

❑❑❑❑ RATAGES : certains ont été spectaculaires, à commencer par la désignation de TAG Heuer comme « icône » de l’année – on aurait pu faire mieux pour les cinquante ans de la Royal Oak [quelle humiliation pour Audemars Piguet !] ou pour les soixante ans de la Navitimer Cosmonaut de Breitling [quelle gifle pour Georges Kern, qui n’avait même pas fait le déplacement !]. Ne revenons pas sur le ratage du tourbillon Greubel Forsey [aurait-on fait payer à Antonio Calce quelque obscur règlement de comptes ?] et de la fantastique montre Tempus Fugit de Dominique Renaud et Julien Tellier, vraie grande première dans l’histoire horlogère. Ne revenons pas sur l’éjection de Jacob & Co du palmarès final, ou de l’impolitesse des jurés vis-à-vis d’ArtyA, de Chaumet ou d’Arnold & Son. Ne revenons pas non plus sur l’élimination tragique, hors présélection, du Mecascape de Code41. Tout ceci fait beaucoup trop de déçus (au moins 120 marques rejetées dans les ténèbres extérieures) pour de trop rares heureux lauréats (moins d’une quinzaine), qui avaient déjà, de toute façon, engrangé 108 prix dans les précédentes éditions du GPHG…

❑❑❑❑ MYSTÈRE ET BOULE DE GOMME : certes, il était stratégiquement utile de décerner une récompense quelconque à Grand Seiko, mais on ne sait toujours pas sur quelles bases le prix de la Chronométrie a été décerné à l'« ennemi héréditaire » japonais – rappelons que le trou noir qui a failli engloutir l'horlogerie mécanique suisse à la veille de la (fausse) « révolution du quartz » avait pour origine le triomphe des Japonais de Seiko dans les concours de chronométrie organisés en Suisse. Pour cette édition 2022, les marques n'avaient pas fourni de bulletin officiel attestant de leurs performances chronométriques, alors que le règlement intérieur du GPHG (article 2.20) précise clairement que ce prix – rappelons-le, facultatif – « récompense le meilleur garde-temps en compétition se distinguant par des performances chronométriques remarquables et officiellement certifiées (norme ISO 3159) par un organisme de contrôle tel que COSC, Timelab, l'Observatoire de Besançon, etc. ». D'où la question naïve qui va en fâcher certains : quelles sont les performances chronométriques remarquables du tourbillon Grand Seiko qui a reçu ce prix de la Chronométrie et en quoi ces performances étaient-elles supérieures à celles des autres montres de précision en compétition (Ferdinand Berthoud, Akrivia, Parmigiani, Greubel Forsey, Ulysse Nardin et les autres) ? Les mystères ridiculo-diplomatiques de cette nipponnerie sont insondables. On imagine que Nicolas Hayek n'a pas arrêté de se retourner dans sa tombe en découvrant cette mise en scène d'une insigne maladresse...

❑❑❑❑ COUACS (1) : qu’il était plaisant d’entendre la « verte » Fabienne Fischer, la conseillère d’État du canton de Genève, dont elle a pris l’économie en charge, nous parler d’environnement, avant de remettre le prix de la montre iconique à… la Monaco Gulf de TAG Heuer, qui était sans doute la montre la plus… carbonée de toute la présélection et, en tout cas, la seule qui ait été aussi ouvertement dédiée à ces sports mécaniques qu’on nous assure par ailleurs si polluants – était-ce de l’irrévérencieux humour suisse ? 

❑❑❑❑ COUACS (2) : qu’il était amusant de voir le GPHG s’autocongratuler sur sa dimension internationale, précisément l’année où tout Chinois – même le plus humble ! – s’en trouvait exclu tant dans le jury que dans le palmarès. Il est douteux qu’une exposition au Maroc favorise autant les exportations horlogères que les bonnes vieilles expositions en Chine ! On aura noté qu’une petite moitié des marques lauréates étaient purement genevoises, les autres relevant plus ou moins du voisinage cantonal : pas de quoi pavoiser sur la portée internationale du GPHG [France, Japon, Suisse, Pays-Bas, c’est un peu convenu !], événement qui reste à dé-cantonaliser parce qu’il le mérite. En examinant l'origine des récipiendaires des différents prix qui ont été appelés à monter sur scène, on aura cependant noté que les Suisses de souche y étaient fortement minoritaires...

❑❑❑❑ COUACS (3) : autant nous avons apprécié, sur le moment, les intermèdes « magiques » (Business Montres du 10 novembre), autant il faut constater qu’ils ont terriblement ralenti le fil de la soirée et qu’ils en ont dilué la substantifique moelle horlogère. Il est inopportun de consacrer à ces interludes – aussi intéressants soient-ils – 15 % du temps occupé par l’événement ! Au fait, on va prendre qui, l’année prochaine, pour animer la soirée ?

❑❑❑❑ MENACES : si on écarte les dix douzaines de « petites marques » inscrites cette année, on constate que le GPHG n’est plus soutenu que par une petite vingtaine de maisons plus notoires – seize relèvent du Top 50 établi par Morgan Stanley (Business Montres du 6 septembre). C’est très peu, mais l’étroitesse d’esprit du palmarès 2022 et l’entre-soi dont il a fait la preuve choquante vont certainement aliéner quelques-uns de ces soutiens [pensez-vous réellement que Greubel Forsey, Breitling, Audemars Piguet ou Jacob & Co, voire même Bvlgari ou Parmigiani, qui pouvait espérer mieux, auront envie de revenir ?]. Un nouveau schéma semble se dessiner pour le GPHG, qui ne serait plus soutenu que par de rares marques de premier plan quoiqu’elles soient de second rang en termes économiques. A terme, c’est catastrophique ! C’est pour cette raison que nous militons pour la possibilité de faire participer à la compétition un volant de marques non inscrites officiellement, en ouvrant aux petites marques l’accès à de nouveaux prix. Supplique à la direction du GPHG : cessez de mécontenter ceux qui vous soutiennent en voulant contenter ceux qui refusent de vous soutenir !

Arrêtons-là notre passage au scanner de la soirée de ce GPHG 2022 : on pourrait finir par croire que nous lui vouons une certaine hostilité – ce qui serait une contrevérité. Il faut seulement s’inspirer de Jésus chassant les marchands du temple et rendre à Dieu ce qui est à Dieu, comme à César ce qui est à César : ce qui fera grandir le GPHG, c’est ce qu’il aura le courage d’abandonner comme mauvaises habitudes et le cran d’acquérir comme nouvelles bonnes habitudes. Là, on n’est plus dans la cosmétique pour améliorer le règlement intérieur, mais dans la chirurgie lourde : tout changer pour que rien ne change, comme disait le prince Salina dans Le Guépard ! Nous en reparlerons…

 

NOS SÉQUENCES PRÉCÉDENTES 

SUR LE GPHG 2022

Les précédents épisodes sont en lien dans la séquence #11 ci-dessous...

❑❑❑❑  GPHG 2002 #11 : « Un Grand Prix 2022 très conformiste et pas surprenant du tout, voire peut-être même pire ! » (Business Montres du 10 novembre)

❑❑❑❑  LE SNIPER DU JEUDI : « C’est la saison des « montres de l’année », mais certaines sont pires que d’autres ! » (Business Montres du 10 novembre)

❑❑❑❑  GPHG 2002 #10 : « Les dix montres que les jurés du GPHG ne peuvent pas se permettre de rater cette année » (Business Montres du 24 octobre)


Coordination éditoriale : Eyquem Pons


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