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GPHG 2022 #11 (accès libre)
Un Grand Prix 2022 très conformiste et pas surprenant du tout, voire peut-être même pire !

En tout, vingt-et-unes récompenses ont été décernées, dont quatre doublés, mais on n’a compté que trois maisons vierges de tout prix dans ce palmarès, les autres marques cumulant déjà 108 récompenses (!) au cours des années passées. Une édition 2022 d’un GPHG plus caractérisée que jamais par son culte de l’entre-soi. Là, ça devient toxique et peut-être même mortel…


❑❑❑❑  À NOS LECTEURS : de violentes cyberattaques ont tenté de nous réduire au silence. Par qui, pour qui, pourquoi ? On vous laisse deviner ! Contre qui ? C’est évident, contre le seul média horloger qui assure tant bien que mal sa fonction de poil à gratter indépendant des pressions et des intimidations économiques. En attendant, nous avons réparé ce qui pouvait l’être, mais nous avons dû provisoirement fermer notre système d’achat à l’article, que nous sommes en train de repenser. Désolé pour les lecteurs occasionnels, mais nous avons décidé, pour compenser, de ramener à 5 francs suisses [un prix proche des 4 CHF qui était celui de chaque article] le prix de l’abonnement hebdomadaire, qui vous permet de profiter de toutes les informations pendant toute une semaine…

Une pétition de principe pour commencer : l’horlogerie traditionnelle – particulièrement suisse, mais aussi internationale – a besoin d’un événement comme le Grand Prix d’Horlogerie de Genève (GPHG), pour la notoriété de ses montres les plus créatives comme pour la renommée de ses marques et pour sa communication. Il faut donc tout mettre en œuvre pour que ce Grand Prix existe et pour qu’il prospère en gagnant toujours plus de légitimité, de représentativité et d’exhaustivité pour illustrer la dynamique globale de la créativité horlogère.

Ce préambule posé, il ne faut pas se voiler la face devant les qualités ou les défauts du GPHG. On mettra au crédit de cette édition 2022 une très intéressante approche de l’animation par des tours de magie gentiment parodique : même s’ils ont passablement ralenti la cérémonie de remise des prix, ils étaient particulièrement bienvenus et réussis – en tout cas, ils étaient plus pertinents que les animations musicales des années précédentes. On aura également apprécié les expositions en Inde, au Maroc, en Suisse et à new York : c’est excellent pour la réputation de la place suisse : on se demande bien pourquoi les services officiels de la Confédération persistent à ne pas vouloir soutenir à une échelle fédérale un GPHG qui s’impose comme un des piliers de l’économie horlogère – même si trop de grandes marques ont pris le parti de se dispenser d’y faire acte de présence (Business Montres du 6 septembre)…

Pour ce qui est des défauts, ils tiennent à l’organisation même du GPHG et à ses procédures de sélection des marques et des montres en compétition. Comme Business Montres (6 septembre) l’a déjà expliqué en pressentant à quel point le conformisme du palmarès final allait déranger la communauté horlogère, « on a présélectionné des marques plus que des montres, alors qu’il fallait faire l’inverse ». En éliminant l’hypothèse de « coups de pouce » stratégiques occultes à la présélection et en remarquant à quel point le hasard fait bien les choses pour la direction du GPHG, il faudra sans doute améliorer encore le mode de sélection des montres engagées dans le concours [avec ou sans inscription officielle], de même que leur présélection par les académiciens et, dans la phase finale, l’attribution des prix par un jury qui gagnerait sans doute à être moins endogamique (analyse Business Montres du 7 octobre) et où les voix des académiciens pèseraient beaucoup plus lourd en éliminant le biais de l’entre-soi déjà pointé du doigt ici même (Business Montres du 10 novembre).

C’est précisément cet entre-soi qui discrédite le palmarès final de l’édition 2022 et qui va générer le plus de déceptions. Alors que les grandes marques habituées du GPHG ne représentaient qu’un gros tiers des montres inscrites, nous avions pronostiqué qu’elles se tailleraient la part du lion dans les récompenses 2022, sur une base de 80 % qui ne laisserait que 20 % aux « petites marques » et aux maisons vierges de tout prix (Business Montres du 10 novembre). C’est déplorable, mais on est très loin du compte : vingt-et-un prix ont été attribués, mais on ne compte que trois « petites marques » qu’on peut qualifier de « vierges » de tout prix dans ce total – on est plus près des 90 % que des 80 %. Quatre marques habituées du palmarès ont décroché un double prix (MB&F via M.A.D. Editions, Hermès, Bvlgari et Van Cleef & Arpels). Au total, hormis les trois maisons « vierges » (Trilobe et deux créateurs indépendants : Sylvain Pinaud et François Junod), les autres prix ont été raflés par des marques qui cumulaient déjà un total de 108 prix – et même un peu plus (!) en comptant les doubles prix de cette année :

• MB&F, brillante Aiguille d’or de l’année, a vu ainsi son compteur GPHG passer de huit à dix prix…

• Van Cleef & Arpels, qui a failli décrocher sa première Aiguille d’or, a vu son compteur GPHG passer de 10 à 12 récompenses…

• Le groupe Chopard-Ferdinand Berthoud cumule à présent 12 prix, dont deux Aiguille d’or. Voutilainen de neuf à dix. Bvlgari passent de sept à neuf. Tudor de sept à huit. Seiko de six à sept. Hermès de quatre à six. Etc…

Largement anticipée par Business Montres, qui y revenait encore quelques heures avant le GPHG (Business Montres du 10 novembre), le conformisme de ce palmarès stigmatisé par son entre-soi, a bien entendu généré quelques déceptions : pourquoi autant de prix redondants sur autant de marques archi-récompensées et pas un seul prix pour DRT (le plus gros ratage !), ArtyA, Miki Eleta, Utinam, Chaumet, Théo Auffret ou Arnold & Son pour ne citer que les injustices les plus criantes ? On notera au passage que, dans ses différentes séquences consacrées au GPHG, Business Montres avait correctement pressenti et anticipé seize des vingt-et-un prix de l’édition 2022 – y compris l’Aiguille d’or pour MB&F et les prix décrochés par Grand Seiko, Krayon, M.A.D. Editions, Sylvain Pinaud ou Trilobe [nous avions également bien vu venir Tudor, Akrivia, TAG Heuer, Bvlgari, Hermès, Grönefeld, Ferdinand Berthoud, Van Cleef & Arpels et les autres]. Outre le ratage absolu pour DRT, qui méritait un prix annexe du jury (par exemple pour Dominique Renaud), on ne peut qu’être déçu par l’absence de Greubel Forsey dans ce palmarès final : il est vrai qu’une troisième Aiguille d’or aurait fait jaser. On est également déçu pour Parmigiani, qui avait cinq montres présélectionnées dans cette édition. C’est là qu’on finit même par regretter l’absence dans ce palmarès 2022 d’autres grandes références oubliées par les jurés, alors qu’elles avaient régulièrement leur rond de serviette sur scène (Vacheron Constantin, Chanel, De Bethune, Audemars Piguet, Hublot, Zenith, Piaget, etc.) : on ne serait pas mieux sorti de l’entre-soi, mais la diversité biologique du GPHG y aurait gagné…

Donc, pour conclure à chaud, le culte forcené d’une endogamie aggravée par la pratique de l’entre-soi n’ont fait qu’exacerber les faiblesses constitutives d’un Grand Prix d’Horlogerie de Genève. Business Montres reviendra par la suite sur le prix moyen de cette horlogerie récompensée : il n’est pas très câlin et il n’a pas vraiment baissé ! Peu importe : ce n’est pas cette dérive tarifaire, mais plutôt cette endogamie, manifestement plus criante cette année qu’auparavant, qui va persuader les grandes marques absentes de revenir dans la compétition. Ce n’est pas l’entre-soi manifesté par les grandes marques et les habitués de cette compétition (déjà titulaires de 108 prix) qui va pousser de nouvelles petites marques à tenter leur chance dans un concours qui ne leur laisse pas 10 % de chances de réussir. Il devient donc urgent de réformer en profondeur le règlement intérieur :

• Il faut absolument augmenter les catégories de prix qui favorisent les petites marques et qui encouragent la diversité des récompenses finales (par exemple, dédoubler la catégorie « Challenge » et la catégorie « Petite Aiguille », voire la « Joaillerie » en la segmentant plus finement par niveaux de prix, et il faut revoir la catégorie des montres sportives)…

• Il faut radicalement créer des nouvelles catégories de prix laissés à la disposition du jury, avec un droit d’auto-saisine pour des montres qui ne seraient pas inscrites dans les catégories officielles, mais qui mériteraient d’être distinguées…

• Il faut impérativement faire participer à cette compétition un certain nombre de marques non inscrites (dans une proportion raisonnable) et les récompenser au besoin malgré elles : on n’a jamais vu une marque refuser un prix, surtout s’il est d’une nature aussi prestigieuse que le GPHG et avec une telle médiatisation du palmarès [ce que les grandes marques absentes redoutent le plus, c’est l’échec, pas le triomphe !]

• Il faut à tout prix alourdir le poids du vote des académiciens dans le palmarès final – en passant du tiers à une grosse majorité, histoire d’équilibrer les possibles connivences du jury « physique » et d’éliminer les biais cognitifs que favorise l’irrationalité marketing…

Un petit dernier pour la route, en regrettant au passage que le GPHG ait oublié à ce point que le français était la langue « naturelle » et « officielle » de l’horlogerie : honte à Jean-Christophe Babin (Bvlgari), qui semble avoir oublié l’usage des sous-titres et de la traduction simultanée qu’on peut ajouter à ses interventions – dans la défense de l’identité horlogère qui fait partie de ses missions, le GPHG se doit de parler français ! Notre dernier argument serait de nature sceptique et provocatrice : après tout, si le palmarès final est à ce point concentré sur quatorze marques déjà multi-primées au cours de ces dernières années [108 prix déjà attribués dans le passé] et s'il récompense des montres aussi médiocrement disruptives, c’est peut-être tout simplement parce que ces montres sont les... meilleures de l'année ! La réussite de notre propre pronostic sur le résultat final [seize récompenses correctement pressenties sur vingt-et-un prix] tendrait à prouver cette excellence des lauréats de la soirée. Qui peut nous assurer du contraire ?

NOS SÉQUENCES PRÉCÉDENTES 

SUR LE GPHG 2022

❑❑❑❑  LE SNIPER DU JEUDI : « C’est la saison des « montres de l’année », mais certaines sont pires que d’autres ! » (Business Montres du 10 novembre)

❑❑❑❑  GPHG 2002 #10 : « Les dix montres que les jurés du GPHG ne peuvent pas se permettre de rater cette année » (Business Montres du 24 octobre)

❑❑❑❑  GPHG 2002 #9 : « Un jury dont la composition confirme l’entre-soi fatal dont souffre le GPHG, mais on n’est pas à l’abri d’une bonne surprise ! » (Business Montres du 7 octobre)

❑❑❑❑  GPHG 2002 #8 : « Une hyper-concentration du palmarès qui pose vraiment problème et qui n’a pas encore de solution réaliste » (Business Montres du 6 octobre)

❑❑❑❑  GPHG 2002 #7 : « C’est très exactement ça, le problème ! » (Business Montres du 5 octobre)

❑❑❑❑  GPHG 2002 #6 : « Nos dilections dans une présélection enfermée dans son principe d’exclusion » (Business Montres du 11 septembre)

❑❑❑❑  GPHG 2002 #5 : « On a présélectionné des marques plus que des montres — alors qu’il fallait faire l’inverse ! » (Business Montres du 6 septembre)

❑❑❑❑  GPHG 2002 #4 : « Allons-nous voir triompher les « petites marques » dans ce GPHG trop dédaigné par les ténors de la montre ? » (Business Montres du 12 août)

❑❑❑❑  GPHG 2002 #3 : « Quelques prix que les « petites marques » vont pouvoir s’offrir face aux grandes maisons archirécompensées » (Business Montres du 11 août)

❑❑❑❑  GPHG 2002 #2 : « Quelles sont les chances des « petites marques » face aux plus célèbres maisons horlogères dans les catégories reines du GPHG ? » (Business Montres du 10 août)

❑❑❑❑  GPHG 2002 #1 : « Comment des « petites marques » venues du monde entier tentent de s’approprier le Grand prix d’horlogerie de Genève » (Business Montres du 8 août)


Coordination éditoriale : Eyquem Pons


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