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RAKETA : La plus ancienne manufacture mécanique russe se rêve en nouvelle marque globale

Ce n'est pas évident au premier abord, mais Raketa est aujourd'hui la seule grande marque russe à peu près connue hors des frontières de l'ancien empire soviétique. Sa nouvelle direction a réussi la première partie de son sauvetage. La manufacture a la tête hors de l'eau et des atouts industriels à faire valoir. L'heure de la reconquête a sonné, sur fond de ferveur patriotique russe... ▶▶▶ USINE DE MONTRES DE PETRODVORETSTrois siècles …


Ce n'est pas évident au premier abord, mais Raketa est aujourd'hui la seule grande marque russe à peu près connue hors des frontières de l'ancien empire soviétique. Sa nouvelle direction a réussi la première partie de son sauvetage. La manufacture a la tête hors de l'eau et des atouts industriels à faire valoir. L'heure de la reconquête a sonné, sur fond de ferveur patriotique russe...

 USINE DE MONTRES DE PETRODVORETS
Trois siècles plus tard, la manufacture est toujours là...
◉◉ Regardez bien l'affiche ci-dessus, notamment les trois personnages : à gauche, le tsar Michel Romanov, le fondateur de la lignée ; au centre, le tsar Pierre le Grand, empereur de toutes les Russies et fondateur en 1721 de la manufacture qui donnera naissance à la marque Raketa (1962) ; à droite, Nicolas II, le dernier tsar, assassiné avec sa famille par les Bolcheviks en 1918. En rouge, le griffon à la rondache du blason personnel des Romanof, qu'on retrouve sur le cadran de la montre, qui a été dessinée par Rostislav Rostislavovich Romanov, un des descendants directs des empereurs russes, pour commémorer, cette année, les 400 ans de la dynastie Romanov. Montre dont le cadran est par ailleurs directement inspiré par le style constructiviste soviétique. Pas facile à comprendre, ni à admettre si on n'est pas russe (reportage ci-dessous)...
 
 
◉◉ Cette fusion d'un siècle d'histoire russe est symbolique du nouveau destin de la manufacture Raketa, dont le premier établissement avait été fondé en 1721 à Saint-Petersbourg par le souverain Pierre le Grand, comme atelier de pierres précieuses, qui fourniront les premiers rubis naturels de l'horlogerie russe. L'établissement – qui n'a pas changé de place depuis trois siècles, en dépit de toutes les vicissitudes du XIXe siècle et du XXe siècle (fin du tsarisme, révolution bolchevique, Seconde Guerre mondiale, soviétisme, décommunisation, anarchie, poutinisme) – a fourni ensuite les pierres de synthèse de l'industrie horlogère soviétique, avant de devenir la référence internationale de cette industrie, de se spécialiser dans les montres en 1954 (montres Zvezda ou Pobeda) et d'être rebaptisée Raketa (en russe : Ракета) en 1961 – ce qui signifie « fusée » en russe (la mode était alors très gagarinesque). Au coeur des années soviétiques, 1980, la production de Raketa était d'environ 4 à 5 millions de montres par an, souvent fournies à l'Armée rouge, à la marine russe et à la population civile (sous différentes marques : Baltika, Leningrad, Mayak, Neva, Russia, Start, Svet, etc.), y compris en Europe sous la marque Sekonda (passée en d'autres mains, mais restée leader au Royaume-Uni) ou même Cornavin.
 
◉◉ Les Américains, toujours un peu paranoïaques à propos de la Russie, surtout en période de guerre froide, avaient imaginé que le nom de Raketa était une provocation à propos des missiles à têtes nucléaires soviétiques. Cette image négative à l’ouest ne s’est pas arrangée en 1976 : lorsque le gouvernement soviétique avait décidé de retirer les missiles R-16 du service, les milliers d’employés de l’Usine de montres de Petrodvorets avaient décidé de venir au travail habillés de noir pour porter le deuil en mémoire du retrait de ces missiles. Cette boutade fit la une de certains journaux soviétiques : « Les montres Raketa perdent leur grand frère le R-16 » – ce n'était effectivement pas d'un goût parfait, mais c'est, une fois de plus, difficile à comprendre si on n'est pas russe (source : Wikipedia)...
 
◉◉ À l'ombre du château de Peterhof, dont Pierre Le Grand avait fait le Versailles de la Baltique, Raketa est encore aujourd'hui la plus ancienne manufacture en activité en Russie [trois siècles sans interruption !] : c'est à Raketa (du moins à cet établissement) qu'on a confié le soin de réaliser le mausolée de Lénine (1924) ou les étoiles en rubis sur les tours du Kremlin (1935). Raketa est, objectivement, une des plus anciennes manufactures horlogères du monde [note aux puristes : il n'est pas écrit « manufacture de montre »] et c'est, de fait, la seule marque authentiquement russe restée en Russie qui puisse se flatter d'une certaine réputation internationale. La soviétisation de l'économie russe avait conduit Raketa à produire – sur des machines achetées en Suisse et pilotées par des ingénieurs suisses [d'autres usines horlogères russes étaient plutôt issues des pillages de l'Allemagne occupée] – de bonnes montres rustiques, qui valaient grosso modo les montres mécaniques qu'on faisait en Suisse dans les années 1950 et 1960. Synonyme d'aberrations économiques et d'incompétences managériales, cette même soviétisation industrielle a gelé ce parc de machines à leur niveau des années 1970, jusqu'à ce que la désoviétisation (privatisation) qui a suivi la chute du Rideau de fer commence à disperser ce patrimoine, reconvertissant une partie de la manufacture (qui employait jusqu'à 8 000 ouvriers) en fructueux investissements immobiliers (détournés par des oligarques sans foi ni loi) et dispersant une partie des machines, dont certaines ont été rachetées par des Suisses, qui les revendront ensuite une troisième fois aux nouveaux propriétaires de Raketa !
 
◉◉ Aujourd'hui, Raketa est une sorte de conservatoire industriel de l'horlogerie pré-numérique. Presque un musée de l'horlogerie mécaniue pré-électronique. Les reportages télévisées permettent de découvrir des alignements de machines, de tours et de décolleteuses à l'ancienne : tous les métiers ont miraculeusement été conservés dans ce qui reste de la grande usine des années 1980 (reportage et images dans les deux vidéos ci-dessous). Raketa produit 98 % de ses fournitures, à l'exception du verre saphir (approvisionnement en Russie) et des bracelets (également russes), mais la maison n'a pas perdu la main pour les spiraux, ni pour les cadrans. Les mouvements mécaniques restent basés sur un « tracteur » historique (le Raketa 2609N), que ses tolérances « à la soviétique » rendent particulièrement endurant : les complications restent basiques. Il faut se méfier des vrais-fausses montres Raketa et des faux-vrais mouvements Raketa qui circulent encore sur le marché : le pillage des stocks de composants a été particulièrement intensif et la réputation de Raketa a stimulé l'imagination des faussaires et des bricoleurs...
 
 
◉◉ Toutes les gloires de l'ex-Union soviétique ont porté une Raketa [et même les gloires de l'après-Union soviétique, si on croit cette image de Vladimir Poutine avec un écrin Raketa à la main : ci-dessous], mais on ne citera que le dernier venu, Mikhaïl Gorbatchev, qui n'était pas encore mannequin-vedette chez Louis Vuitton et qui n'oubliait jamais sa « Raketa Grand Zéro » dans les voyages officiels. Ce 0-3-6-9 surdimensionné est partie intégrante de l'identité Raketa sur les cadrans de la marque : on l'explique pour deux raisons. La première est l'hyperlisibilité, imaginée initialement pour les malvoyant. La seconde est l'habitude russe de décompter les séries de chiffres à partir de zéro : c'était une boutade de l'ancien secrétaire général du Parti communiste, quand il parlait de sa perestroika et de ses envies de « faire du passé table rase », comme il est dit dans L'Internationale (source : Russie Aujourd'hui)...
 
◉◉ C'est justement avec l'impression – et l'intention – de repartir à zéro que la nouvelle direction de Raketa s'est mise en place en 2009, par le rachat de ce qui restait de la manufacture – des machines, des mouvements, la marque et l'héritage – à travers le fonds d’investissement Duraine, co-dirigé par le Français Jacques von Polier et son partenaire David Henderson-Stewart. Le premier est un designer fier de ses triples racines française, allemande et russe (attaches familiales) : il a écrit quelques livres, joué dans des séries télévisées. Le second, banquier d'origine, est tout aussi fier de sa triple culture anglaise, française et russe (par tradition familiale). Russophiles comme on peut l'être quand on a du sang d'exilé russe dans les veines, ils étaient décidés à relever le défi d'une seconde vie pour la manufacture de Pierre le Grand, dans le strict respect de sa russitude, sans rien sacrifier aux démons de la globalisation et du commerce mondial obligatoire, notamment des montres faites en Chine – ce qu'on fait d'autres manufactures russes survivantes, depuis naufragées ou rhabillées en Europe avec des oripeaux russes. Ces deux quasi-quadras ont un autre point commun : ils ne connaissaient rien – mais rien de rien ! – à l'horlogerie avant de prendre les commandes de la fabrique de Petrodvorets. Depuis, ils ont appris...
 
 
 
 RAKETA
La nouvelle identité d'une fierté russe au poignet...
 
◉◉ La première mission des repreneurs – qui se partagent entre Moscou, pour le marketing et le commercial, et Saint-Petersbourg, pour la production – a été de reconstituer la force de frappe industrielle de la marque. Du moins de consolider, parce qu'il n'y manquait pas grand-chose : quelques machines ont été parcimonieusement rachetées, mais sans verser dans l'obsession de la digitalisation à outrance ou des machines à commandes numériques. Au besoin, on a remis au travail quelques retraités pour assurer la transmission de savoir-faire en voie de disparition et pour apprendre le métier aux jeunes générations. Travailler à l'ancienne, c'est travailler tout aussi sûrement, pas forcément moins vite, mais avec un peu de main-d'oeuvre supplémentaire – la Russie n'est pas en état de pénurie à ce sujet !
 
◉◉ Parallèlement à l'outil de production, il fallait maintenir en état le réseau commercial en relançant des produits de qualité à des prix acceptables  par le marché russe (exclusivement pour l'instant, mais on peut passer par la e-boutique ouverte aux non-résidents), sans trop bousculer les traditions : les icônes de la maison ont été retravaillées, avec une remontée en gamme doublée d'un effort de qualité assez spectaculaire, en privilégiant systématiquement le « Made in Russia » et en renforçant cette identité russe dans la communication, dans un grand élan fusionnel de splendeurs ex-soviétiques, d'emballements patriotiques et de références historiques absolument consensuelles en Russie, même chez les nostalgiques du communisme (la vidéo sur l'ancien monastère de Saint-Petersbourg en est un bon exemple). Il faut avouer que, côté nostalgie, l'imagerie russo-soviétique (ci-contre) a largement sédimenté dans l'inconscient collectif russe, dont elle est aujourd'hui un des piliers fondateurs. Côté mouvements, Raketa a mis au point un nouveau mouvement automatique à rotor sur la base de son « tracteur » : il est actuellement en cours de production et il a un charme « rustique » que les amateurs occidentaux de belles mécaniques pourraient apprécier. Côté montres, on est resté sur les classiques du catalogue, en reprenant inlassablement les codes de la marque et le style constructiviste de ses cadrans, mais avec des prix situés entre 200 et 800 euros (50 % de montres à quartz)...
 
◉◉ Le plus étonnant de cette stratégie de reconquête est le souci de construire, à partir de Raketa, une « marque globale », axée autour des collections horlogères de la marque, mais orientée vers l'illustration d'un nouveau life style russe, voire d'une nouvelle fashion russe, prélude au débarquement à terme sur de nouveaux marchés. Une première étape a été discrètement franchie dans la diffusion d'une nouvelle ligne de T-shirts entièrement faits en Russie : c'est marqué sur le vêtement de la créature ci-dessus (affiche pour le Jour de la Russie du 12 juin dernier), mais on trouve sur Business Montres Vision quelques vidéos promotionnelles d'une autre créature porteuse de T-Shirts Raketa. D'autres lignes de produits devraient suivre. Pour le glamour, Raketa mise sur un atout majeur, tout aussi charmeur mais sans doute un peu moins voyant : son ambassadrice n'est autre que Natalia Vodianova, actuelle fiancée d'Antoine Arnault, co-héritier de l'empire de luxe de son père Bernard. Les profits de cette collection de montres (en bas de la page) devraient aller, comme il se doit, à une fondation charitable pour les enfants russes.
 
◉◉◉ La marque ne compte encore qu'une cinquantaine de points de vente en Russie, quasiment tous hors du circuit touristique qui privilégie les achats de marques suisses : c'est ce réseau national qui permet aujourd'hui à la marque d'exploiter la bonne image et la forte notoriété qui ont été héritées des années soviétiques. Image qu'on retrouve hors des frontières : cette relative « célébrité » extra-territoriale alimente en retour une nouvelle fierté russe, Raketa étant à ce jour la seule référence internationale dans l'univers de la consommation et du life style. La tenttion de la monde et du luxe sont fortes, surtout sur un marché naturellement éduqué par les marques étrangères, mais dont l'opinion publique est travaillée par des ferments nationalistes. Tout le problème de Raketa sera désormais de désindustrialiser cette image, tout en russifiant un peu plus les produits : on aura remarqué que les cadrans son entièrement et exclusivement en russe, mais aussi que l'iconographie recycle inlassablement les poncifs de l'iconosphère russe...
 
 
 ◉◉ Il fut un temps où Raketa était, à Saint-Petersbourg, la plus grande manufacture de montres du monde, avec six millions de mouvements mécaniques réalisées chaque année sous le même toit. Si tout a été balayé sur le plan matériel dans la grande débâcle des années 1990, rien n'a été oublié sur le plan mental et culturel. Cette grandeur passée taraude les refondateurs de la marque, qui se flattent d'avoir, pour leurs montres mécaniques, un niveau d'intégration supérieur à celui de la plupart des marques internationales suisses : quand on est loin de tout, à Saint-Petersbourg, il faut tout faire soi-même ! Pas de watch valley, ni de copain sous-traitant, ni de fournisseur à proximité : la moindre vis pose problème ! Les atouts internationaux ne manquent pas : une manufacture comme on n'en trouve plus en Suisse et qui semble sortir d'un congélateur des années 1970, un parc machines qui peut désormais monter en puissance pour livrer à des marques tierces un mouvement automatique « manufacture » d'excellente facture [dès qu'on aura retravaillé les finitions élémentaires], des métiers qui ont été perdus en Suisse [notamment les spiraux-balanciers traditionnels, dont Raketa peut démultiplier sa production], des ambitions à revendre et des porteuses de T-shirts pour emballer la demande ! C'est désormais une question d'années pour que l'alternative Raketa se mette à poser des problèmes aux marques suisses d'entrée de gamme...
 
 
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