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STRATÉGIES D'INFLUENCE : Temps, stratégie, innovation, des paramètres-clés pour de vraies stratégies d'influence

Innover n'est pas changer de technologie, c'est avant tout changer d'état d'esprit. L'intelligence économique au service de l'innovation nous fait passer de Xénophon à Steve Jobs, qui nous ont prouvé qu'on ne pouvait être et durer en se réinventant. Des réflexions utiles face à 2014, l'année de tous les dangers...  ▶▶▶ SOFT POWER« L'intelligence économique au service de l'influence »...◉◉◉◉ Lancement pendant Baselworld, à l'Assemblée nationale (France), du livre L'intelligence économique au service de l'innovation, …


Innover n'est pas changer de technologie, c'est avant tout changer d'état d'esprit. L'intelligence économique au service de l'innovation nous fait passer de Xénophon à Steve Jobs, qui nous ont prouvé qu'on ne pouvait être et durer en se réinventant. Des réflexions utiles face à 2014, l'année de tous les dangers...

 
 SOFT POWER
« L'intelligence économique au service de l'influence »...
◉◉ Lancement pendant Baselworld, à l'Assemblée nationale (France), du livre L'intelligence économique au service de l'innovation, ouvrage collectif publié aux éditions Eyrolles. Rédigé sous la direction de Christian Coutenceau, président du groupement Technologies avancées de HEC Alumni, ce livre se fixe pour objectif de mettre nos entreprises et nos territoires en posture d'innovation permanente. Une douzaine d'experts, hommes et femmes de terrain, ont ainsi rédigé 50 fiches pratiques pour optimiser le positionnement de l'entreprise. Cette démarche d'intelligence économique intègre ici la dimension influence, avec des textes rédigés par Bruno Racouchot, qui anime Comes, une société de communication spécialisée dans l'articulation, pour les entreprises, d'une stratégie d'influence et d'un travail d'intelligence économique : c'est à lui qu'on doit notamment la conclusion du livre (ci-dessous). ◉◉ Intelligence économique, pourquoi faire ? Les entreprises – y compris les maisons horlogères suisses – ont plus que jamais besoin de se familiariser avec ces armes du soft power que leurs concurrentes européennes extra-européennes commencent à maîtriser parfaitement. Toute entreprise dotée d'une forte identité, et quelle que soit sa taille, peut en effet s'imposer comme un acteur d'influence au sein de son écosystème si elle sait s'appuyer sur ses valeurs propres. Cette capacité d'influence est même un vecteur de résistance aux mutations sociétales et aux retournements de conjoncture. Gagner les combats économiques d'aujourd'hui et de demain exige non seulement de faire preuve d'innovation, mais encore de faire évoluer nos paradigmes de pensée : on le vérifiera avec l'irruption inévitable des smartwatches dans l'écosystème horloger. ◉◉◉ Sans coercition, l'influence vise à modifier le paradigme de pensée de la cible, à modifier ses fondamentaux, par la raison ou la séduction. Pour rayonner et influer sur ceux qui nous observent, il faut avoir une identité puissante et assumée, savoir qui l'on est et où l'on va. Ce qui implique de savoir questionner et donner du sens. À rebours du fétichisme technologique ambiant, l'influence exige de la maturation, de la hauteur de vue et la maîtrise d'innombrables champs de connaissance. Elle présuppose des fondamentaux, des racines, une vision de son propre devenir, une volonté d'accomplissement de destin. Il ne peut y avoir d'influence sans stratégie. L'influence réhabilite le travail de la pensée et en réactivant le libre-jeu des idées, elle conforte et protège la logique démocratique. En s'imposant tout à la fois comme faculté de création via le questionnement ontologique et faculté d'action pure dans la guerre économique, l'influence peut légitimement apparaître comme le noble art de l'intelligence économique. ◉◉ Au-delà des aspects techniques, c'est avant tout d'un nouvel état d'esprit dont nous devons faire preuve si nous voulons gagner. En répondant à l'actuelle crise du sens, en confortant les identités, en s'inscrivant dans le temps long, l'influence permet de faire face aux nouvelles configurations. Elle permet de s'extraire du piège fallacieux du « fétichisme technologique » et de la tyrannie des chiffres qui ont pour corollaire le court-termisme et l'absence de vision. Mettre les faits en perspective, prendre de la hauteur, conduire des réflexions intelligentes, au sens premier du terme : n'oublions pas que, en latin, intellegere, signifie discerner, démêler, se rendre compte, reconnaître, mais aussi comprendre, saisir, sentir. Autant de facultés nous ramenant au réalisme et qui nous sont indispensables pour gagner en sachant nous adapter par l'innovation. ◉◉ La seule vraie question stratégique – surtout pour des entreprises horlogères qui ne vivent que de rêves et de passions, sur la base d'identités historiques et de valeurs adossées à des légitimités techniques universellement reconnues – est celle d'une capacité de transformation permanente des organisations pour rendre les rendre promptes à se positionner sur les marchés de demain. Comme le précise Christian Coutenceau, l'influence devient un levier fort pour mettre l'entreprise en posture d'innovation permanente si elle « s’appuie sur les valeurs intrinsèques, l'identité de l’entreprise. Elle est non seulement efficace mais incontournable pour se créer des avantages concurrentiels pérennes ». Surtout, « le concept d’entreprise hub [...] formalise la culture de l’écosystème qu’il faut développer à tous les niveaux en vue de créer une intelligence collective reliée à la stratégie d’influence. Nous sommes à l’aube d’un nouveau monde où l’information est disponible en quantité et où le capital immatériel fera la différence ». C'est le moment ou jamais d'avoir un coup d'avance...
 
 TEMPS & STRATÉGIE
« Innovation et intelligence économique »...
[chapitre de conclusion du livre L'intelligence économique au service de l'innovation
◉◉◉ Quand tout va vite, trop vite, il faut savoir s’arrêter. Quand tout est terre à terre et immédiat, il faut savoir s’élever. Et, dans tous les cas, s’extraire du quotidien, prendre de la hauteur, de la distance. Privilégier la vision et la réflexion pour mieux redéfinir l’action. La capacité à innover vient de notre aptitude à jeter des passerelles entre des mondes, des époques, des codes, des savoirs et des savoir-faire, à combiner des forces, à générer des synergies. Il n’est d’ailleurs pas anodin que cette démarche ait été celle du penseur auquel nous devons le premier traité d’économie en Europe. Injustement méconnu, Xénophon fut – à l’instar de Platon – un disciple de Socrate. À la jointure des Ve et IVe siècles avant notre ère, dans cette Grèce aussi mythique que fondatrice pour notre devenir européen, il a laissé une œuvre considérable1 qui nous éclaire sur la société de son temps, les rivalités de pouvoir, les enjeux géopolitiques, en vérité guère différents des nôtres. Dédaigné par les modernes, Xénophon apparaît pourtant comme un historien reconnu et un observateur scrupuleux. Il est aussi – et c’est en ce sens qu’il nous intéresse ici – le père du premier traité de fiscalité et du premier traité d’économie, économie étant entendue au sens qu’avait alors ce mot – oïkonomia – autrement dit l’art d’administrer son domaine. ◉◉◉ Homme attaché aux traditions et aux dieux de la Cité, Xénophon n’a jamais cessé d’innover, de créer, de tisser des liens entre des sphères d’activité et de réflexion qui de prime abord pourraient sembler hétérogènes. Dans l’Économique, Xénophon détaille méticuleusement les règles, pratiques et morales, qui permettent de bien gérer une exploitation agricole. Or, ces règles, il les tire avant tout de l’art de la guerre. Il sait d’ailleurs de quoi il parle. Car Xénophon n’est pas un stratège en chambre. Il a participé à la fabuleuse expédition des Dix Mille, ces mercenaires grecs partis en Asie mineure soutenir Cyrus le Jeune dans sa tentative de détrôner son frère, le roi de Perse Artaxerxès. Aventure qui tourne mal lorsque les chefs grecs sont attirés dans un traquenard et assassinés. Les mercenaires élisent alors de nouveaux chefs, parmi lesquels le jeune Xénophon, réputé pour être fin philosophe, donc sachant décor- tiquer les problèmes avec mesure et pertinence. Après une épopée, l’Anabase, qui les voit traverser maintes épreuves, les Grecs reviennent à leur port d’origine. Tout au long de la retraite, Xénophon observe les peuples, leurs us et coutumes, leurs organisations sociales et religieuses, leurs systèmes économiques et sociaux. Cette extraordinaire capacité à embrasser de larges pans de la vie humaine, il la doit tout à la fois à la philosophie et à la stratégie. Stratos Agein, en grec, c’est l’armée que l’on conduit, ou plutôt que l’on pousse en avant. L’art du commandement est donc par nature mouvement. Il s’agit d’user au mieux de sa capacité et de sa liberté d’action. En ce sens, la réflexion précède et prépare l’action. Déjà dans la Chine du VIe siècle avant notre ère, SunTzu soulignait : « Ceux des grands généraux qui se sont distin- gués parmi nos anciens étaient des hommes sages et prévoyants. Chez eux, la lecture et l’étude précédaient la guerre et les y préparaient ». On n’évolue pas là dans la sphère du technique ou du tactique, mais dans celle d’une vision, d’une perception synoptique du réel où l’on doit s’efforcer de discerner les forces à l’œuvre et réfléchir à la manière dont on pourrait les articuler au mieux, en vue d’un but donné. ◉◉ Innover, c'est d’abord un état d’esprit. Réduire l’innovation à sa seule dimension technique serait donc une erreur et, même, prendre la question par le petit bout de la lorgnette. Surtout dans une économie comme la nôtre, qui se veut être une « économie de la connaissance ». Qui veut prendre l’ascendant stratégique doit d’abord se montrer apte à maîtriser le temps et à savoir rompre avec la pensée convenue. La capacité à innover exige donc prioritairement que l’on se montre capable de penser hors des clous, ou comme le disait le philosophe Martin Heidegger, apte à emprunter des chemins de traverse. En ce sens, être en mesure d’innover constitue prioritairement un état d’esprit. Ce n’est pas une recette qui s’applique mécaniquement. Innover ressort de l’humain dans ce qu’il a de plus noble. Parce que l’acte qui aboutit à l’innovation prend d’abord sa source dans l’esprit et les jeux de l’esprit. Par intuition, sous la force des événements, dans toutes sortes d’occurrences, certains hommes vont s’éveiller à eux-mêmes, sortir des schémas convenus, croiser des champs d’investigation et de réflexion pour tenter de trouver une issue à un problème qui se pose à eux, à une question qui les taraude. À cette faculté de faire jouer l’intelligence s’ajoute une autre qualité. À savoir cette force de caractère, cette détermination sans faille qui est le propre des stratèges et leur permet d’affronter les mers de l’incertitude (R. Branche, Les Mers de l’incertitude, Éditions du Palio, 2010) et donc de décider dans l’incertitude (Général V. Desportes, Décider dans l’incertitude, Economica, 2011 – voir également le colloque organisé le 1er juin 2012 à l’École militaire par l’ENA, l’École de Guerre et HEC Paris sur le thème « Agir dans l’incertitude. Quelle place pour la vision du décideur et la prise de risque ? »). ◉◉◉◉ Innover ne se réduit donc pas à créer matériellement, comme le croit trop souvent l’homme de la rue. C’est d’abord être apte à penser autrement (A. Juillet et B. Racouchot, « Les stratégies d’influence ou la liberté de l’esprit face à la pensée convenue », Revue internationale d’intelligence économique, Lavoisier, vol. 4, janvier-juin 2012). Donc faire montre d’une capacité à appréhender le réel dans toute sa complexité et sa pleine réalité. Sans cette aptitude, on risque jusqu’à la mort. Dans la guerre économique comme dans la guerre tout court. John R. Boyd est connu dans l’art du management pour son cycle de décision, la boucle OODA, « Observation, orientation, décision, action » (« John Boyd : une réflexion toujours actuelle », revue Aetos Hebdo, n° 33, Centre d’études stratégiques aérospatiales). Pilote de l’US Air Force en Corée, il découvre que la supériorité de l’avion américain face au Mig réside dans son aptitude à exécuter certaines manœuvres plus rapidement que son adversaire. Il en tire une double leçon. D’une part, le paramètre temps est essentiel. D’autre part, c’est le facteur humain qui prévaut le plus souvent. Refusant le « fétichisme technologique », Boyd plaide pour remettre l’homme au cœur de la réflexion stratégique : « Les machines ne font pas la guerre. Le terrain ne fait pas la guerre. Les hommes font la guerre. Et ils utilisent leur intelligence. Vous devez rentrer dans le cerveau des hommes. C’est là que les batailles se gagnent ». ◉◉◉◉ Par conformisme ou par paresse, l’homme privilégie le plus souvent la banale reproduction de ce qu’il sait faire ou la simple duplication ce qu’il voit autour de lui. L’académicien René Girard a mis en lumière cette théorie du désir mimétique à travers l’ensemble de son œuvre. Bien avant lui, pragmatique, Henri Ford avait coutume de dire : « Si j’avais demandé à mes clients ce qu’ils attendaient, ils auraient répondu “un cheval plus rapide” et non une voiture. » Cette remarque était fréquemment citée par Steve Jobs, qui allait encore plus loin. « Nous misons sur notre vision et préférons cela à fabriquer les mêmes produits que tout le monde. À chaque fois, nous cherchons à réaliser un nouveau rêve. » Précisant sa pensée, il ajoutait : « L’innovation n’a rien à voir avec le nombre de millions de dollars que vous dépensez en R&D. Quand Apple a créé Mac, IBM consacrait au moins cent fois plus à la recherche et au développement. Ce n’est pas une question d’argent. Il s’agit simplement d’avoir les bonnes personnes, les bons chefs et de piger ce qui se passe » (C. Gallo, Les Secrets d’innovation de Steve Jobs, 7 principes pour penser autrement, Pearson, 2011). ◉◉◉◉ Le problème est que l’on trouve davantage de gestionnaires que d’entrepreneurs au sens propre du terme à la tête de nombre de structures, publiques ou privées ! Or la question de l’innovation se rattache intrinsèquement au thème de l’identité. Identité personnelle d’abord. Seul un dirigeant qui a un solide back-ground mental et culturel et qui dispose d’une force de caractère peu commune est à même de conduire un processus d’innovation à son terme. Steve Jobs se réjouissait d’avoir beaucoup d’ennemis, car il savait que sa forte identité suscitait rancœurs, jalousies et incompréhension. Il a su avec brio transformer cette différence en préférence, puis en adhésion. Identité structurelle ensuite. De fait, il existe souvent un parallélisme entre l’identité du fondateur et celle de la struc- ture qu’il a fondée. On le sait, une identité forte inscrit l’entreprise ou la marque dans la durée. L’identité n’est jamais figée. Elle est en perpétuel devenir. Le high end branding est là pour le prouver. Cette identité forte est en réalité la colonne vertébrale de la marque, comme l’a remarqué Jean-Noël Kapferer, professeur à HEC Paris : « Le temps ne rend pas uniquement obsolètes les produits mais le système de valeurs de la marque. ◉◉◉◉ Il faut donc savoir se réinventer : garder son ADN, mais jeter aux oubliettes des apports liés à l’histoire récente et aux contingences de marché » (in Les Cahiers de Friedland, n° 7, 2011, Le temps, variable stratégique de l’entreprise, Chambre de commerce et d’industrie de Paris). Jean-Louis Scaringella, directeur général adjoint de la chambre de commerce et d’industrie de Paris, remarque ainsi que « nous souffrons tous aujourd’hui de cette suprématie de l’urgence sur le temps de la réflexion, le temps du sens ou encore de la “réinvention”, alors que nous sommes en période de rupture » (idem).. ◉◉◉◉ C’est bien d’une vision stratégique s’inscrivant dans le long terme que nous avons besoin pour innover réellement, démarche volontaire en faveur de laquelle plaide l’économiste Jean-Paul Betbèze : « Il nous faut absolument de grands desseins. Les petits projets donnent seulement le moyen d’aviver les luttes d’influence et de partage, pour la simple raison qu’ils donnent et donneront moins à partager, ayant un horizon plus court. Ce sont seulement la fresque, la projection dans le temps long qui per- mettent d’organiser les anticipations, de se mettre en ordre de bataille, d’avancer ensemble » (idem). ◉◉◉◉ Immédiateté et tyrannie des chiffres. L’une des difficultés majeures à modifier réellement le cours des choses vient de ce que le processus de réification et d’accélération du monde se déploie sous la tyrannie du quantitatif. Et la financiarisation de l’économie a achevé de bouleverser la donne, avec des implications qui vont bien au-delà de ce que l’on imagine communément. La romancière Isabelle Sorente, férue de mathématiques, reçue major aux Mines de Paris, a parfaitement cerné l’ampleur du phénomène, qui modifie jusqu’à notre être intime : « La financiarisation des métiers, l’évaluation du travail en fonction d’un résultat à court terme, la loi du business plan et de la bottom line, l’accélération des per- formances qui règnent sur la plupart des activités humaines signifient davantage qu’une évolution économique : les conditions de notre existence ne dépendent plus d’un savoir-faire, d’un métier ni d’un projet de vie, elles ne tiennent qu’à un chiffre. Nous dépendons du calcul pour vivre. L’aliénation s’est simplifiée, fixée sur les nombres qui fixent notre sort. L’aliénation s’est transformée en addiction » (I. Sorente, Addiction générale, JC Lattès, 2011). Dans ces conditions, on peut certes apporter des améliorations à des processus déjà engagés, à des produits déjà sortis. Mais est-ce là de l’innovation au sens noble du terme ? Il est permis d’en douter. D’autant que nous sommes maintenant dans l’ère du « spécialiste ultra-spécialisé », qui ne sort pas de son domaine. Fait alors défaut la capacité à s’extraire des algorithmes pour embrasser une problématique dans sa globalité. Englués dans la technique, nous ne parvenons plus à saisir le sens des choses. ◉◉◉◉ Les risques du « fétichisme technologique ». Cette question a été l’objet de nombreuses approches dans la philosophie alle- mande. Depuis Oswald Spengler, L’Homme et la Technique (1933)2, jusqu’à Martin Heidegger, La Question de la technique (1954)3, et Jürgen Habermas, La Technique et la Science comme « idéologie » (1968)4, en passant par Ernst Jünger, Le Travailleur (1931)5. Les uns et les autres se sont inquiétés de l’accélération de notre quotidien et de la mainmise de la technique sur nos destins. Ils ont ouvert des pistes pour comprendre la nature même du bouleversement fondamental à l’œuvre dans notre monde. Une réflexion en profondeur sur la nature même de l’innovation mériterait de les prendre en compte. Il ne suffit pas de répéter en boucle et sur tous les tons qu’il faut « innover », si l’on ne se penche pas sur les racines mêmes de notre incapacité à innover, dont l’origine est peut-être à chercher dans notre faillite à penser le monde autrement. Si l’on veut redonner un élan authentique à notre pays en matière d’innovation, c’est moins sur les modalités techniques qu’il faut se focaliser que sur notre capacité à générer une dynamique globale. Cet effet final recherché ne pourra être envisagé que si l’on engage au préalable une déconstruction de la pensée convenue et que l’on se montre enfin capable d’appréhender le monde dans sa pleine réalité. Il n’y aura pas de floraison de l’innovation sans rétablissement de la pensée stratégique. ◉◉ L’absence de stratégie contribue à tous les déséquilibres. Comme le note Philippe Baumard, professeur à Stanford et à Polytechnique, « les vautours du vide pullulent : grande criminalité organisée, sociétés militaires privées, contrebandiers, sociétés de négoce, intermédiaires financiers... Ce monde “sans stratégie” n’a jamais créé autant de richesses. Il n’a, non plus, jamais créé autant de pauvreté. La mécanique du vide contamine l’économie globale, et chacune des sociétés dans son sillage » (Le Vide stratégique, CNRS Éditions, 2012). Si l’on veut enrayer ce processus, il faut non seulement réhabiliter la vision stratégique, mais encore concevoir la stratégie comme un « pouvoir transformateur » qui va conduire à un « changement d’état ». Dès lors, comme le précise Philippe Baumard, « si toute stratégie est un acte de transformation, nous entendons ici par stratégie une capacité à définir, c’est-à-dire à fixer des limites, une explication et une articulation du réel. Cette approche englobe les dimensions de pouvoir, de puissance, d’autodétermination et de contrôle ». Il ne peut y avoir d’innovation authentique, autrement dit basculement de plan, sans une stratégie clairement définie. ◉◉ Retrouver le goût d’innover : comment faire ? Ne pas subir, mais reprendre la main. Observer le réel en jetant aux orties les filtres déformants des pensées convenues. En finir avec la férule du principe de précaution poussé à l’extrême qui nous inhibe et finira par nous tuer. Réapprendre les vertus du temps long et rompre avec la tyrannie des chiffres et de l’immédiateté. S’extirper de l’omnipotence de la technique pour à nouveau faire jouer les forces de l’esprit... Telles sont quelques-unes des règles fondamentales à observer et appliquer pour qu’une renaissance viable et crédible puisse être envisagée. On l’aura compris, le triptyque « temps, stratégie, innovation » se situe à rebours des paradigmes actuels du monde contemporain. Donner ses lettres de noblesse à l’innovation, c’est d’abord revenir à l’étymologie du mot, lequel en latin signifie « renouveler ». Penser l’innovation dans une perspective métahistorique, c’est d’abord en appeler à un renouvellement de la pensée, donc de la perception du monde et de la réflexion sur celui-ci. ◉◉◉ À cet égard, il ne serait sans doute pas inutile de revenir au socle même de notre pensée européenne, à cette identité intrinsèque qui constitue un élément majeur de différenciation via l’affirmation d’une communauté de destin. Car pour les Grecs, action et réflexion sont indissolublement liées. Eux qui ont innové dans quasiment tous les domaines de la pensée et de la technique, depuis la phalange et la poliorcétique jusqu’à l’astrolabe de Ptolémée, en passant par la médecine ou la philosophie, le droit et la science politique, se défiaient d’une chose avant tout : de l’hubris, autrement dit cette démesure qui fait perdre aux hommes le sens et l’équilibre. Si nous voulons, à nouveau, être un peuple innovant, ce n’est pas en effaçant notre identité et notre passé, mais bien plutôt en assumant les mille facettes qui font la richesse de notre être propre. Alors, ce Xénophon quelque peu oublié de nos contemporains, que nous avons découvert en ouverture de ce texte, ne peut-il encore aujourd’hui s’imposer en douceur comme un modèle pour un nouveau départ ? Homme de guerre et bon père, stratège et entrepreneur, juriste et écono- miste, philosophe et logographe... il fut longtemps à travers l’histoire le prototype de l’homme beau et bon, kalos kagathos. Lui qui fut à l’origine de la floraison de bien des disciplines, précurseur dans nombre de domaines, et à ce titre innovateur de génie, pourrait peut-être se révéler comme une figure de référence pour les temps lourds de turbulences dans lesquels nous entrons...

◉◉ REMERCIEMENTS à Bruno Racouchot (Comes) et aux éditions Eyrolles pour cette reprise de la conclusion de L'intelligence économique au service de l'innovation, ouvrage collectif sous la direction de Christian Coutenceau.

 
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