> 

NOS COUPS DE CŒUR DE L’ÉTÉ #01 (accès libre)
Une « plongeuse » méconnue qui a pourtant tout pour plaire : Scafograf 300 d’Eberhard & Co.

Dans beaucoup de domaines, l’été pousse aux variations du cœur et à une certaine inconstance. Comme on dispose d’un peu plus de temps libre, on se prend à commettre quelques infidélités à nos compagnes de poignet : on se risque à essayer de nouvelles montres, à tenter de nouvelles carpo-aventures. Première carte postale : quelques jours en compagnie de la Scafograf d’Eberhard & Co, une « plongeuse » qui gagne à être connue….


Quand on a été biberonné, pendant de longues années, à la Submariner de Rolex [ah, le doux souvenir de sa première belle montre, une 5513 !], déclinée et multipliée ensuite avec différents bracelets, dans différentes versions historiques, dont une Marine nationale, collectionnée avant que la folie s’empare de ces montres, on a du mal à s’imaginer avec une autre « plongeuse » à son poignet. La « Sub » ne résume-t-elle pas toutes les autres montres de ce genre et n’est-elle pas la plus « signifiante » [dans tous les sens du terme, tant pour le style personnel de celui qui la porte ou ses goûts esthétiques que pour son statut social potentiel] et la plus sémaphorique (« porteuse de sens ») de toutes ? On a donc du mal à organiser la moindre infidélité, mais tout finit par arriver : une rencontre, une occasion qui fait le larron, une nouvelle aventure, la possibilité d’une autre montre…

Bref, on va commencer par la Scafograf 300 d’Eberhard & Co., marque sérieuse s’il en est [elle est née en 1887] et qui prend toujours très au sérieux son métier d’horloger, comme l’a récemment démontré le « retour de l’Aigle » à La Chaux-de-Fonds : Eberhard & Co. a retrouvé son immeuble au centre de la métropole horlogère et permis à l’aigle Eberhard & Co qui surplombait cet immeuble de se poser à nouveau sur le toit, comme autrefois. On a pu vérifier dans le musée Eberhard & Co mis en scène dans tout un étage que le patrimoine horloger de la marque était non seulement consistant et légitime, mais aussi très intéressant pour explorer de nouveaux territoires. Dans les vitrines du musée, une Scafograf des années 1950 (ci-dessous) : les amateurs découvraient alors la plongée autonome en même temps que les montres de plongée qui allaient avec. Les codes esthétiques de ces montres prioritairement fonctionnelles n’ont pas changé : cadran de type militaire (noir mat, avec des index et aiguilles très contrastés et luminescents), « trotteuse » centrale hyper-lisible, lunette tournante unidirectionnelle en céramique, graduée pour les paliers [mais qui plonge encore en ne fiant qu’à sa montre ?], couronne vissée logée entre deux protège-couronne, étanchéité poussée [ici, 300 m en toute sécurité]. Comme il se doit, la mécanique relève ici du Swiss Made automatique – on a choisi un des « tracteurs » des usines du Swatch Group (ETA 2824-2) – ceci en attendant le mouvement « manufacture » Swiss Made qu’Eberhard & Co. a prévu de loger dans ses montres au cours des années à venir…

Par rapport aux Rolex Submariner qui sont le parangon de cette famille de montres, l’esthétique a une indéniable touche italienne [ce qui est normal, puisque la direction créative d’Eberhard & Co. se joue entre la Suisse et l’Italie], avec une élégance native qui rend cette montre de 43 mm plus « fine » que les Rolex contemporaines, qui semblent plus « épaisses » alors qu’elles ne font que 40 mm : les « cornes » de la Scafograf (21 mm) sont moins galbées, mais elles semblent plus harmonieuses. Question de proportions : s’il fallait comparer la Scafograph, c’est avec les Submariner vintage des années 1980 et 1990 qu’il faudrait opérer. Avantage technique supplémentaire de la Scafograf, qui est étanche à 300 m : une valve à hélium, dont les spécialistes affirment qu’elle ne sert à rien à cette profondeur [de toute façon, qui y descendra ?], mais ça fait très « technique chic » sur le flanc gauche de la montre, le protège-valve créant une sorte d’« oreillette » qui équilibre le protège-couronne. On ne se plaindra pas du bracelet en caoutchouc (acier en option), qui permet d’alléger substantiellement la montre et donc de la rendre plus agréable à porter au quotidien. La date à trois heures ne s’imposait pas, mais certains amateurs considèrent encore que c’est un « plus ». On comprend mieux, en la portant, pourquoi cette Scafograf – parfaitement contemporaine quoique merveilleusement vintage – a pu être couronné comme « Montre Sport 2016 » au Grand Prix d’Horlogerie de Genève…

Au poignet, la montre a de l’allure et un style qui, sans être absolument original, reste remarquable. On échappe à la banalisation des montres de plongée classiques. On l’identifie comme une montre de plongée au premier coup d’œil ; on s’aperçoit en y regardant de plus près que ce n’est pas une Submariner ; au troisième coup d’œil, on demande la marque et, après quelques minutes de storytelling sur l’histoire de la trop discrète maison Eberhard & Co., on s’exclame sur le budget nécessaire (aux alentours de 2 600-2 800 euros), qui ne relève pas de l’extorsion de fonds et qui révèle au contraire un rapport qualité-prix et un rapport image-prix de premier plan. Autant le dire comme nous le pensons : dans la catégorie « plongeuse », c’est même un des rapports élégance-ergonomie les plus intéressants du marché.

Que manque-t-il à cette Scafograf, qui ne vaudra à son porteur que des compliments ? Sans doute un peu (beaucoup) de promotion et de communication : que de marques plus notoires et plus tapageuses qu’Eberhard & Co savent en faire bien davantage avec bien moins d’atouts – mais bien plus de budgets ! Il lui manque sans doute aussi quelques « histoires » à raconter, une ou deux légendes à son actif, un vrai « récit de marque » – ce dont les marques de « niche » pour initiés et happy few manquent le plus, lors que les marques généralistes usent et abusent des « contenus » plus ou moins bidonnés. Le positionnement marketing de cette Scafograf laisse également perplexe. On le constate quand la montre passe de main en main dans un groupe de copains : si les obsédés de l’ostentation statutaire persistent à ne jurer que par la couronne de qui vous savez, si les « aspirationnels » fauchés se contentent pour l’instant d’une Ice Steel « Pepsi » d’Ice-Watch et si les technophiles subaquatiques ne croient qu’aux ordinateurs de poignet multifonctionnels, la Scafograf semble trop coûteuse pour les prolétaires et pas assez statutaire pour les bourgeois – équation tragique ! Sans doute serait-il préférable d’abaisser légèrement le prix public de cette Scafograf en le ramenant autour des 2 000-2 200 euros, en maintenant la marge par une réduction des coûts de production [il y a encore beaucoup de surqualité non perçue – parce que non perceptible – et donc inutile dans le produit] et en investissant sur la communication qui peut générer des volumes et donner à la montre la consistance statutaire qui lui manque…

En attendant, quel plaisir de porter au quotidien une montre zéro souci, fiable, endurante et précise, lisible dans la pénombre, capable d’accompagner aussi bien une chemise Lacoste qu’un blazer d’été, à la plage comme sur les pontons, en vélo comme en randonnée pyrénéenne – les ours et les murènes n’ont qu’à bien se tenir ! Quel plaisir de voir les regards des amateurs plus ou moins éclairés se poser sur la Scafograf et se demander si c’est du lard vintage ou du cochon contemporain ! Quel plaisir de n’avoir pas à assumer dans l’esprit des sots la montre de plongée pénurique du panurgique Monsieur Tout-le-Monde. La distinction dans l’exclusivité n’est pas une question de prix : il y a des « plongeuses » qu’il faut pouvoir acheter et des « plongeuses » qu’il faut savoir acheter ! Nuance sur laquelle on vous laisse réfléchir…


Partagez cet article :

Restez informé !

Inscrivez-vous gratuitement à notre newsletter et recevez nos dernières infos directement dans votre boite de réception ! Nous n'utiliserons pas vos données personnelles à des fins commerciales et vous pourrez vous désabonner n'importe quand d'un simple clic.

Newsletter