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BUSINESS MONTRES ARCHIVES (accès libre)
On va distribuer quelques bonnets d’âne dans la catégorie design (première partie)

Histoire de désamorcer le facteur émotionnel, on va parler ici de quelques nouveautés lancées voici quatre ans – pas de quoi perturber leur commercialisation ! Les fautes sont évidentes et il faut absolument méditer sur cette discordance des temps. La suite nous a d’ailleurs donné raison pour au moins trois des quatre marques épinglées ci-dessous… Reste maintenant à se demander s’il ne faudrait pas faire la même revue de design avec les nouveautés de ce printemps 2020…


❑❑❑❑ TEXTE ORIGINAL   : Dix grossières fautes de design horloger – première partie (Business Montres du 15 mai 2016)

 BONNETS D’ÂNE #1

Dix grossières fautes 

de design horloger...

Des fautes qu’on s’étonne 

de rencontrer chez des marques 

de ce niveau (première partie)…

C’est la discordance des temps : une faute – péché mortel ou péché véniel – qu’un peu d’attention ou de résolution horlogère aurait pu corriger. Le problème est que les marques de montres, généralement si tatillonnes dans leur approche mécanique ou si minutieuses dans leur planification industrielle, ont tendance à penser qu’elles peuvent facilement se passer des seuls vrais professionnels de l’esthétique horlogère : les designers de montres ! Un peu comme si les éditeurs de littérature estimaient pouvoir s’exonérer de faire appel à des écrivains. SOS vrais designers horlogers : il y en a de moins en moins, même si les « graphistes » et les imagiers numériques tout juste sortis d’école se ramassent à la pelle – ne pas confondre les deux, c’est une question d’œil, de talent, mais aussi d’expérience et de culture. Voici quelques fautes courantes récemment constatées (par ordre alphabétique des marques concernées, et non par ordre de gravité de la faute)…

L’esthétique horlogère est un langage : c’est un système de signes, qui obéit à des règles grammaticales élémentaires, avec un vocabulaire précis, stratifié et codifié au fil des cinq siècles d’élaboration en Europe des beaux-arts de la montre et des objets du temps personnel. On connaît quelques-unes de ces règles de grammaire, même si elles sont volontiers violées par les uns ou les autres : qui saurait nier que l’exactitude est la politesse des montres ? Qui pourrait contester que la lisibilité est une exigence élémentaire ? En revanche, qui pourrait affirmer que toutes les montres des catalogues 2016 sont précises et lisibles ? Il n’en reste pas moins que cette culture « grammaticale » se perd.

Si toute la planète horlogère parle à peu près la même langue [avec quelques nuances continentales : par exemple, les Chinois et les Japonais n’ont pas la même subtilité dans la maîtrise de cette linguistique], l’ambiance est trop souvent celle d’un Tour de Babel : chacun croit qu’il parle la « bonne » langue, mais personne ne se comprend. Si tous les francophones parlent à peu près le même français et s’ils usent du même vocabulaire [avec un nombre très variable de mots utilisés], si tout le monde sait à peu près écrire, très peu ont le talent d’un Honoré de Balzac, d’un André Malraux ou d’un Patrick Modiano. C’est qu’il y a un bon et un mauvais usage de la langue, mais aussi un usage correct ou fautif de ses règles usuelles...

Par souci d’économie ou par effet pervers du tout-à-l’égo de leurs managers ivres du génie qu’ils s’autoattribuent, les marques semblent s’exonérer de plus en plus des designers horlogers, qui sont les seuls vrais spécialistes de la « langue », des codes grammaticaux et de la syntaxe esthétique de la montre. Si les états-majors veillent de plus en plus minutieusement à chaque élément de la chaîne de valeur qui aboutit à la mise d’une montre sur le marché, le maillon design reste le maillon faible. De même que tout le monde sait écrire, tout le monde n’est pas digne du prix Nobel. Un bon professionnel de la montre n’est pas forcément un designer de talent : le design d’une montre est un métier à part entière – et la plupart des plus fameux designers non horlogers s’y cassent les dents quand ils tentent une incursion sur ce terrain [très rares sont les exceptions à cette règle d’airain]. Cette évacuation progressive des designers horlogers du champ de la création est une forme de décadence contre laquelle il faut réagir…

On trouve décidément trop de « fautes d’orthographe » et de « fautes de grammaire » dans les dictées horlogères 2016. Nous en avons relevé quelques-unes, vérifiées et validées entre autres par d’incontestables designers de grand talent, en veillant à ne pas y mêler de subjectivité (« J’aime » ou « Je n’aime pasé », mais en se contentant de pointer quelques-unes des erreurs les plus grossières – étonnantes pour des marques de ce niveau. Recherche designers horlogers, désespérément [les lecteurs sont invités à nous faire part de quelques monstruosités qui nous auraient échappé]

❑❑❑❑ LA FAUTE VOLUMIQUE (Cabestan) 

Soit un mouvement génial (tourbillon trois axes), conçu par un horloger génial (Éric Coudray) pour une maison pionnière du rupturisme (Cabestan) : une triple légitimité qui devrait emporter l’adhésion ! Sauf qu’un horloger n’est pas un designer et que notre ami Éric Coudray travaille mieux les beaux concepts mécaniques qu’il ne comprend ce qu’est une belle montre – or, ce n’est pas qu’une bonne montre ! Autant la première génération des boîtiers Cabestan (la Winch, pilotée à l’époque par Jean-François Ruchonnet, auquel on peut prêter un certain sens du produit, ou la Trapezium, voire la récente Luna Nera) affichait une certaine élégance, autant cette Triple Axis Tourbillon pèche gravement contre l’esthétique : manque d’harmonie d’un boîtier lourd aux volumes disproportionnés (rapport hauteur/largeur/profondeur), à la limite de la difformité, et manque d’élégance dans le « rendu » mécanique d’un mouvement dont la très ingénieuse complexité n’est pas servie par son architecture apparente (l’image de synthèse ci-dessous améliore grandement ces défauts esthétiques)…

❑❑❑❑ LA FAUTE CONTRE L’ÉLÉGANCE (Cartier)

Qu’est-ce qui fait qu’une marque, qui a créé bon nombre des plus élégantes montres lancées depuis un siècle (depuis l’indémodable Tank jusqu’à réussite de la Drive 2016), peut ainsi se perdre dans un fatras mécanique et dans un pari horloger qui, pour être techniquement pointu, n’en est pas moins esthétiquement perdu ? Sans doute une forme d’hubris mécanique, étranger à l’ADN de la marque : une ivresse de démontrer – en insistant lourdement, comme tous les parvenus – que Cartier « sait faire » [personne ne se posait la question] et, peut-être, quelque part, une pointe de jalousie vis-à-vis de marques qui ont fait du concept mécanique leur pré carré (Richard Mille et les autres). On vous épargne les pires ratages, mais les pièces ci-dessous témoignent de cette inélégance chichiteuse et amphigourique dans la démonstration d’une complexité inutile : deux aiguilles bleues et un logo ne suffisent pas à masquer la prétention de ces montres à être ce qu’on ne demande pas à Cartier ! Heureusement, ces pièces inesthétiques et pleines de contresens ayant essuyé de retentissants bides commerciaux, elles disparaîtront vite des catalogues : Cartier a assez de jubilatoires Crash dans sa mémoire pour s’éviter d’autres crashs dans la niche d’une haute mécanique qui en fait trop pour être crédible…

❑❑❑❑ LA FAUTE CACOPHONIQUE (Chanel)

On mélange un peu tout sur un même cadran, sans trop se soucier de l’harmonie générale des formes, de la correspondance des lignes et des codes de la marque. Exemple avec l’excellente montre Monsieur de Chanel, lancée à Baselworld 2016 [nous ne revenons pas ici sur les bizarreries de son marketing et de son positionnement prix, qui relèvent d’un autre type d’analyse]. Que voyons-nous ? Une jolie série d’erreurs élémentaires (ci-dessous). Mieux vaut retourner la montre, qui propose à travers son fond saphir le plus joli mouvement mécanique de ce printemps (ci-dessous), que s’attarder son cadran, qui multiplie les erreurs élémentaires – dommage, parce que le boîtier était plutôt réussi côté volumes et proportions [on regrettera juste l’épaisseur un peu pataude de la lunette sur une montre à vocation élégante [qui aurait sans doute gagné à un réhaut plus anglé pour laisser pénétrer la lumière]. Dommage pour Chanel, qui n’a pas compris que, comme la mode masculine, l’horlogerie pour les messieurs se joue sur d’infinies variations à partir de thèmes basiques et identiques – le changement dans la continuité [la mode féminine et l’horlogerie de ces dames se jouant, au contraire, sur de faibles variations autour de thèmes perpétuellement changeants et renouvellés : la continuité dans le changement]

❑❑❑❑ LA FAUTE ANALOGIQUE (Graff)

Une marque de haute joaillerie qui ouvre une boutique place Vendôme ? Une de plus, bravo, mais n’y at-il pas une proposition plus créative pour fêter l’événement que cette montre en forme de place Vendôme, exercice octogonal déjà tenté par quasiment toutes les marques de la place Vendôme (Piaget, Chanel, Patek Philippe, Repossi et les autres), sans parler d’une bonne quinzaine d’autres maisons horlogères ? Ce n’est pas illégitime de la part de Graff : c’est tout simplement nul ! Et le résultat est consternant de banalité, qu’on évoque ici la lourdeur fautive des attaches particulièrement inélégantes du bracelet, les index patauds qui « cassent » l’originalité du logo de la marque, la couronne sans le moindre charme, les aiguilles squelettées mais dénuées de finesse, le choix d’un mouvement mécanique ridiculement petit dans une montre taillée sur 40 mm, le ratage disharmonieux du guillochage dégradé du cadran ou les couleurs trop galvaudées (brun ou bleu) de ce cadran. Même les versions serties – tout de de même légèrement plus réussies – ont du mal à nous convaincre de leur précieuse pertinence. SOS designer de talent !

❑❑❑❑ À SUIVRE  : Dix grossières fautes de design horloger – seconde partie (texte original : Business Montres du 18 mai 2016)


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