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« On vend des marges à des cons et on va les augmenter au maximum » (tribune libre de Zen)

« J’ai mal à mon ADN » : ce billet de Zen, l’administrateur de Forumamontres (premier portail horloger francophone), est à lire attentivement. Même si nous n’en partageons pas tous les arguments, Zen pose des questions essentielles et pointe du doigt des comportements devenus toxiques avec l’évolution récente des marchés horlogers. On vous laisse réfléchir là-dessus (titres et images de la rédaction)…


Les affaissements culturel et intellectuel de nos sociétés modernes font-ils oublier le sens des choses et des objets ? Une montre mécanique, en 2021, ne devrait exister que si elle est chronomètre et que les normes du COSC, désuètes pour cause de laxisme, sont dépassées. Le moins 4 secondes /plus 6 secondes ne correspond même plus aux critères chinois de fabrication des montres ! Il n'y a plus que dans la tête des sexagénaires qui pilotent le COSC que ces normes ont encore une valeur. Le sens des concours, le sens des recherches dans le secteur horloger, les grandes étapes industrielles de l'histoire l'horlogerie, les inventions les plus marquantes portent toutes sur la recherche d'une plus grande précision. Certes celle-ci a pu prendre la forme de tentatives de complications mécaniques mais avec en point de mire, « La précision ». A l'heure où toutes les marques mettent en avant leur ADN, plus aucune, sauf exception, n'a en interne de ressource pour parler de celle-ci, de la chronométrie et des concours alors que la plupart des grandes marques ont été omniprésentes sur ce sujet depuis 1860…

L'ADN d'une marque ne passait autrefois que très peu et très accessoirement par la couleur d'un cadran et la forme d'une boite, l'essence des maisons était ailleurs. C'est logique, l'originalité esthétique d'une montre de poche passait par une gravure mais guère plus. Les marques aujourd'hui misent tout sur le plus petit dénominateur commun du sens critique du public : l'esthétique ! Face à une clientèle instagrammée qui, de toutes façons, ne comprend que cela, mais sera une clientèle volatile, les marques jouent le jeu exclusif du « Waouh » et du « Ho c'est beau ! ». Les likes et les followers condamnent à la médiocrité du discours et confinent à l'insignifiance des impressions primaires. La pensée réflexe qui fait liker dans les deux secondes suivant la transmission par l'œil de l'information au cerveau se traduit par un coup de pouce qui ne résiste pas au-delà que trois à quatre secondes de mémoire vive. Au nom de l'ADN qui ne prend que trois lettres et qui est, à ce titre, un acronyme mémorisable par le plus grand nombre, les marques justifient à peu près n'importe quoi et ceci sans le moindre risque d'être contredites. Le consommateur réserve les sommations à une poussière sur le cadran, une micro-rayure sur la carrure, pardon de ce terme technique, disons la boîte, et ne voit pas que, sous le terme « silicium », on lui balance un spiral moulé à très bas prix et, sous le terme « carbone », un bout de plastique payé quelques centimes. C'est que l'ADN de l'horlogerie est de faire payer très cher un produit qui coûte peu. L'envolée de l'horlogerie vers les abimes du luxe a fait décoller les marges et les prix publics des montres sans faire bouger les prix de revient. Quel secteur économique intéressant !

En entretenant l'ignorance du public et en ne la cultivant pas en interne, les fabricants et leurs actionnaires sont passés de la communication intelligente au bullshit de marketeux quadragénaires et quinquagénaires formés chez des parfumeurs ou des lessiviers après une école de commerce prestigieuse. Ce n'est pas que les CEO soient bêtes [là n'est pas le propos], c'est juste qu'ils ne connaissent rien à l'horlogerie et que le sujet ne les intéresse pas. La conséquence est simple : « On vend des marges à des cons et on va les étirer au maximum ». Dès lors les meilleurs supports de communication sont forcément ceux qui drainent le plus grand nombre d'individus et, entre l'inculture des grandes maisons et celle de ses clients, Instagram est l'intermédiaire rêvé. Ceci n'est pas une critique, mais un simple constat. Le problème est que la part de marché qui va sur Instagram est très volatile, facilement influençable et très dépendante de l'économie. Conséquence : les ventes se cassent la figure et la notion de marque n'a plus de sens, sauf si elle représente quelque chose au plan esthétique. L'horlogerie a nourri des veaux qui, devenus bœufs, vont regarder ailleurs si l'herbe est plus verte et… elle l'est ! Moralité, les clients vont vers des produits connectés : Apple ou Garmin et surtout pas sur les montres connectées archaïques que l'horlogerie produit vainement en cumulant les bides et les méventes.



L'ADN, plus personne ne sait à quoi il correspond. C'est un peu comme lorsque, à la radio, une publicité parle de flacons de 50 « ml » – en prononçant « émelle » plutôt que millilitre ou « cc » plutôt que centimètre cube. L'inculture généralisée et le petit niveau de compréhension du public en général, ne permettent plus de parler de manière intelligible, mais il est vrai que les enseignants eux-mêmes corrigent l'orthographe des enfants en écrivant d'autres fautes d'orthographe. Du coup, l'ADN d'une marque devient une notion trouble que le CEO ne saurait lui-même expliquer. Faites le test maintenant que tous les CEO sont accessibles dans des interviews : l'effet est saisissant. Pire, au sein de la marque, chacun a sa propre définition de l'ADN de la marque : c'est dire si le niveau d'errance est total. La marque communique sur son ADN, mais ses ressources internes sont incapables d'avoir un message unifié sur ce à quoi il ressemble. Mieux encore, les agences inventent un ADN temporaire, le temps d'une campagne, qui floute toujours davantage les choses quand l'ADN d'avant-covid est différent de l'ADN d'après-covid.

La chose devient dramatique quand, face à des ventes effondrées et dans la panique, s’improvise une communication d'urgence misérable et impréparée, avec des contenus consternants et confondants. Ah, si seulement la marque avait identifié plus tôt son ADN, elle n'en serait pas à lancer un avis de recherche ! Quand les avis de « recherche enlèvement » sont lancés, c'est que le kidnapping a déjà eu lieu… Il ne manquerait plus que de faire appel au public pour déterminer quel serait le meilleur ADN et de fixer le résultat à partir du plus grand nombre de likes. L'ADN est l'essence des marques, une connaissance à placer dans son réservoir. Ceux qui y verraient un carburant n'ont qu'à aller sur Instagram…

❑❑❑❑ TEXTE ORIGINAL  : « « J'ai mal à mon ADN » (déclaration d'un fondateur de maison horlogère) – billet Forumamontres du 19 juin



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