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ZENITH (accès libre)
C’est l’histoire d’un collectionneur qui n’avait jamais vraiment collectionné les montres

C’est l’histoire d’une vie, l’histoire d’une passion, l’histoire d’un destin embrasé par ces étranges et mâles objets du temps que sont les montres mécaniques, mais aussi les couteaux ou les stylos. C’est l’histoire d’une quête désespérée, celle d’un impossible amour pour une marque horlogère – Zenith. En fait, Joël Duval, dont une partie des collections personnelles sera dispersé demain à Reims, était un des derniers chevaliers de la Table ronde et son Graal faisait tic-tac. Accrochez-vous : sa quête du Graal n’est pas une histoire tranquille et apaisée…


Il est douteux qu’on atteigne demain, à quatorze heures, sous le marteau rémois d’Alban Gillet (étude Chativesle) les records battus ces jours-ci à Genève pour des montres Zenith – 480 000 francs suisse (à peu près 460 000 euros) pour le double tourbillon Zenith revu et corrigé par Felipe Pantone. Il est douteux qu’on retrouve pendant cette dispersion de Reims des 225 premiers lots de la « plus grande collection mondiale de montres Zenith », la foule numérique qui s’est pressée en ligne pendant les enchères genevoises, mais on pourra toujours suivre cette vente online ou en live sur le site de la maison d’enchères. Il est douteux, enfin, que les efforts quasi-désespérés d’Alexandre Léger – le jeune expert horloger qui porte les espoirs d’une nouvelle génération de spécialistes français – soient récompensés à la hauteur de l’ampleur des recherches effectuées pour mettre un peu d’ordre dans le « butin » horloger de la vie d’un amateur aussi passionnément amoureux des objets du temps que Joël Duval, « Zen » pour les initiés (à cause de Zenith, justement). Mais peu importe…

La disparition brutale de « Zen », au début de cette année, avait sidéré la communauté horlogère : pas lui, pas maintenant (Business Montres du 24 janvier dernier) ! Fauché à sa table de travail, chez lui, il n’avait évidemment pas préparé son départ et une des premières surprises de ses proches aura été de ne retrouver pratiquement aucune montre dans son appartement, hormis celles qu’il portait dans les jours qui avaient précédé sa disparition. On savait pourtant qu’il en avait accumulé des centaines, sinon des milliers tout au long de son parcours d’amateur, pendant trois bonnes décennies. Il avait commencé par collectionner de l’argenterie, avant de passer logiquement aux montres de poche précisément par le biais de l’argenterie et des boîtiers en argent, puis de s’intéresser aux belles mécaniques du temps passé et enfin de trouver la révélation sur son chemin de Damas, avec une histoire d’amour passionnée pour une manufacture dont il aura été l’histoire vigilant et intransigeant. On savait aussi que, songeant déjà à sa « retraite » [la limite d’âge, assez proche pour lui, est inexorable, même pour les hauts fonctionnaires territoriaux de la France provinciale], il se voyait bien en « brocanteur » spécialisée, distillant aux vrais amateurs partageant sa passion les trésors qu’il accumulait depuis trente ans.

Précision horlogère complémentaire et utile : Joël Duval était depuis 2005 le créateur, l’administrateur et l’animateur [du mot « âme »] de Forumamontres, le principal lieu de rencontre numérique de la communauté horlogère francophone [100 000 inscrits et cinq millions de messages, avec des millions d’images, à ce jour]. Un forum très « village gaulois », que « Zen » tenait d’une main de fer dans un gant d’acier, avec ce qu’il faut de cris et de chuchotements, de fureurs, de portes qui claquent, de haines recuites et de splendeurs érudites pour entretenir la légende ! Une partie du savoir de Joël Duval se retrouve non seulement dans ses posts sur Forumamontres ou dans ses articles pour La Revue des montres, mais aussi dans le livre d’histoire qu’il avait consacré à la maison Zenith du Locle (Zenith, la saga d’une manufacture horlogère étoilée, Albin Michel, 2015) et dans celui (inédit) qu’il venait de terminer sur Omega…

Où étaient donc passées les montres de « Zen » ? Cette accumulation hétéroclite, foutraque et follement sympathique tenait dans une dizaine de coffres-forts de belle contenance, dans une banque de Reims où il habitait. Des coffres-forts si densément bourrés que l’huissier qui les a ouverts lors de l’expertise a failli succomber sous une avalanche de petites boîtes de toutes sortes où Joël Duval rangeait ses trouvailles (ci-dessus), en les empilant géométriquement comme dans un jeu électronique à la Tetris [il rangeait les écrins qu’il possédait en vrac dans son « grenier »]. Des dizaines, des centaines, des milliers de montres et d’objets du temps, parfois neufs de stock, parfois patinés par les siècles, attendaient ainsi de revoir la lumière du jour. L’expert Alexandre Léger en a rapporté à l’étude Chativesle une série de grands sacs, qui l’ont obligé à louer une chambre-forte « industrielle » pour les mettre à l’abri. Il ne restait plus ensuite qu’à faire le tri, pour cataloguer – le plus souvent sans archives, ni précisions laissées par Joël Duval – cet ensemble disparate, afin d’en ordonner la dispersion en quatre vacations, dont la première se jouera demain dimanche. Un travail de bénédictin, ne serait-ce que pour ouvrir et répertorier le contenu de ces petites boîtes, qui avaient été auparavant prévues pour des bonbons, des médicaments, des lingettes pour bébés ou des échantillons : tout était bon pour stocker des trésors horlogers entassés par « Zen » dans ses coffres. En tout, de quoi composer une litanie de 1 200 objets plus ou moins horlogers, dont Alexandre Léger a pu tirer une symphonie de 800 lots horlogers…

La nomenclature de cette symphonie duvalienne tient de l’inventaire à la Prévert : ne serait-ce que pour cette première vacation consacrée à Zenith, des montres de poche d’âge, d’état et d’intérêt variables [certaines n’en sont pas moins de véritables trésors mécaniques], des montres-bracelets rares ou plus courantes, souvent méconnues, qui prennent ici de l’importance et qui retrouvent de la séduction du fait de la mise en perspective que permet cette recension et cette dispersion, qui sera la plus importante vente aux enchères jamais consacrée à la manufacture Zenith. On s’étonnera un peu, au premier abord, de la faible motivation de cette maison horlogère pour soutenir cette vente aux enchères, mais on comprend vite qu’il s’agit surtout de la vente à des amateurs de la « collection » d’un amateur, structurée par la passion plutôt que par la rationalité d’une démarche académique volontariste. Joël Duval n’avait pas l’âme d’un conservateur de musée : la poule Zenith, qui enchérira certainement sur différents lots, n’a pas forcément retrouvé ses poussins horlogers dans cet entassement dont les paillettes qualitatives sont un peu noyées dans un fatras quantitatif. C’est ce qui explique, en partie, la modération des estimations défensives de ce qui n’était pas une « collection » au sens conformiste du terme, mais une tentation presque biologique pour assumer et enrichir la mémoire vivante d’une marque.

Avec des estimations basses qui commencent à une centaine d’euros, pour des estimations hautes qui peuvent monter à 40 000 euros, on vérifiera demain après-midi si le « label Zen » – la provenance de la collection personnelle de Joël Duval – a pris de la consistance auprès des collectionneurs de la marque Zenith, dont beaucoup sont nés à cette passion sous l’amicale pression des travaux historiques de « Zen ». Les initiés pourront se faire plaisir avec certaines montres de poche, relativement rares sur le marché, comme les « Quatre saisons » inspirées par le graphisme d’Alphonse Mucha [aucune vente aux enchères n’avait jamais rassemblé ces quatre pièces en les proposant à la convoitise des amateurs : en haut de la page], ou les montres de poche en argent qui constituaient, selon ses propres dires, le « Graal » de la collection Duval. Insolite, mais non officielle quoiqu’autorisée : la pièce unique en damas réalisée par Marc Alfieri sous les auspices d’Alain Silberstein et de Stephan Ciejka, pour créer un « démonstrateur » chronographique sur base El Primero (plus haut ci-dessus). À surveiller de près : les Defy originales en boîtier octogonal, avec de magnifiques cadrans fumés que les amateurs redécouvrent trente ans plus tard chez d’autres horlogers qui s’en croient les inventeurs (plus bas ci-dessous). Pour se faire plaisir, parmi ces 225 lots, quelques montres de poche des chemins de fer et six ou sept Rainbow, certaines neuves de stock. Bref, du meilleur et parfois du pire, comme certaines horreurs qui remontent à l’époque où Thierry Nataf tentait tous azimuts de redonner du prestige à Zenith, mais, très honnêtement, il sera difficile pour tout amateur, quel que soit l’épaisseur de son portefeuille, de ne pas trouver son bonheur dans cette déconsolidation zénithale

Un dernier mot nostalgique sur la vanité de nos passions humaines, trop humaines : la marque à l’étoile (Zenith) avait fini par aimanter toute la vie d’homme de Joël Duval, mais il ne subsistera de cette passion dévorante que les montres qui ont été réservées à ses enfants et qui auront perdu beaucoup de leur âme dans quelques décennies. S’attacheront au nom de « Zen » un livre « définitif » qui ne le sera plus dans quelques années [c’est la rude loi des ouvrages historiques, vite supplantés par des « mieux disants »] et un forum horloger voué à l’obsolescence par la dure logique des réseaux sociaux qui le cornérisent année après année. Heureusement, il nous restera le souvenir d’un de ces chevaliers de la Table ronde toujours prêts à enfourcher leur destrier et à ceindre leur épée pour l’inlassable quête d’un inatteignable Graal horloger. C’est pour cette saga chevaleresque qu’on aimait « Zen » et qu’on suivra attentivement la dispersion de ce qui fut sa vie et ce qui fit le sel de son existence. Sic transit gloria mundi


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