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CHOSES VUES
Du bon usage des files d’attente (dans les coulisses de la ruée sur la MoonSwatch)

Partageons quelques souvenirs d’un rendez-vous finalement très horloger, puisqu’on a pu découvrir, samedi matin, dans les files de centaines d’amateurs qui se formaient devant les boutiques Swatch de toute la planète, bon nombre d’amis de l’horlogerie. Il y avait aussi quelques malfaisants très intéressants à observer : on ne savait pas que les « racailles » issues de la diversité étaient à ce point passionnées d’horlogerie…


Sachant qu’il était probable qu’on allait assister, samedi matin, à des scènes épiques devant les boutiques Swatch [c’était annoncé par Business Montres x Atlantico dès vendredi matin : « On a remarché sur la Lune »], il était tentant d’y faire un tour aux premières lueurs du jour – l’ouverture de la boutique genevoise avait lieu à dix heures du matin, mais on savait déjà, par les réseaux sociaux, que c’était de la folie dans le monde entier. Certains amis de l’horlogerie genevoise étaient là dès cinq heures du matin, mais ils ont eu la mauvaise surprise de découvrir que les premiers acheteurs de la MoonSwatch étaient en place, devant la boutique de la rue du Marché, dès la fermeture de cette boutique vendredi soir, c’est-à-dire vers 18:30. Vers cinq heures du matin, entre 50 et 70 personnes faisaient déjà le pied de grue. On trouvera ensuite dans la file d’attente d’autres arrivants : vers huit heures du matin, deux heures avant l’ouverture, on comptait déjà près de 500 candidats à l’achat d’une seule MoonSwatch [et non de deux comme annoncé la veille]. À dix heures, un bon millier d’amateurs étaient en place, dans une file d’attente de plusieurs centaines de mètres qui se prolongeait dans quelques rues adjacentes. On voyait passer, incrédules, d’autres amis de l’horlogerie genevoise qui n’en croyaient pas leurs yeux, les plus anciens évoquant la dernière grande « émeute de la Swatch » en parlant des files d’attente pour la série des Swatch légumières, en 1991…

Certains de ces amis ont d’ailleurs préféré renoncer à faire la queue, pour acheter leur MoonSwatch aux vendeurs à la sauvette qui grouillaient autour de la tête de cette file d’attente : il s’agissait seulement de payer 700 ou 800 francs suisses une montre qui venait d’être achetée pour 250 francs suisses, alors que circulait déjà les premiers prix ahurissants proposés sur Internet – il s’agissait parfois de milliers d’euros ou de dollars ! Avant de revenir sur ces vendeurs à la sauvette, qui ont particulièrement bien travaillé ce matin-là, un mot sur les simples amateurs présents sur place : beaucoup de jeunes passionnés, assez fins connaisseurs de l’offre actuelle [encore qu’un peu naïfs sur les tenants et les aboutissants d’un marché devenu purement spéculatif] et plutôt au courant de l’actualité des montres de cette fin mars, supputant ce que Rolex ou Patek Philippe allaient bien pouvoir lancer, mais encore un peu flous sur les propositions des marques indépendantes. Disons qu’il s’agissait du « peuple de la montre », de tous ces quidams passionnés de montres et intéressés par une MoonSwatch qu’ils entendaient bien être les premiers à porter, mais pas stupides au point de n’avoir pas compris qu’il ne s’agissait pas d’une série limitée et qu’il faudrait donc revendre la leur dans les semaines à venir s’ils ne voulaient pas attendre qu’elle ait perdu de sa valeur…

Revenons donc vers la bande de jeunes gens turbulents qui avaient pris en main, dès vendredi soir, la gestion des premières places dans la file d’attente devant la plus importante boutique Swatch de Genève. Ils savaient déjà que la boutique allait disposer d’une cinquantaine de montres par couleur et qu’il n’y en aurait donc pas pour tout le monde dans cette première livraison [d’autres arrivages étant attendus pour cette semaine]. Exubérants et bien échauffés par une nuit où ils ont pu se tenir en forme avec quelques bouteilles de vodka et un nombre non précisé de pétards, ces braves entrepreneurs de la diversité – pour la plupart d’entre eux venus des cités voisines françaises d’Annemasse ou de Ville-la-Grand – étaient une bonne vingtaine. Ils avaient clairement anticipé le rush des amateurs : ils avaient compris les bonnes affaires qu’on pouvait réaliser sur le dos des moonswatchophiles les plus décidés à s’en procurer une à tout prix. Le tout était donc d’instituer, à la porte même de la boutique, un véritable poste de filtrage, avec de solides piliers pour maintenir l’ordre dans la fille et quelques choufs (guetteurs) en protection tout autour. Une liste de noms était établie pour gérer la file d’attente à leur profit, les noms enregistrés sur cette liste étant appelés, un par un, dès l’ouverture de la boutique… 

Pour les amateurs qui n’appartenaient pas à cette « bande » qui témoignait sans conteste de la belle diversité des « quartiers » aux portes de Genève, il était toujours possible d’acheter une place dans cette liste : 600 francs suisses pour avoir une chance de figurer parmi les cent premiers à pouvoir entrer dans la boutique pour y choisir la MoonSwatch de sa couleur préférée. Bien entendu, sans faire la queue mais à condition d’attendre, avec patience, à l’extérieur du « bouchon » ainsi posé devant la boutique Swatch, on pouvait aussi négocier une montre qui venait d’être achetée. Les premiers prix, dès 10:05, se situaient dans les 650-700 francs suisses, mais on est très vite monté dans les 1 000 francs suisses, au fur et à mesure que les réseaux sociaux se gonflaient de propositions internationales à ce prix et au-dessus : ces amateurs venus d’Annemasse [que les policiers appelés en renfort qualifiaient volontiers de « racailles », mais sans pouvoir faire sauter le bouchon mafieux établi à la porte de la boutique Swatch] admettaient volontiers qu’ils estimaient avoir bien gagné leur journée avec quelques centaines d’euros de bénéfice pour quelques heures de queue. Le contrôle strict des entrées a d’ailleurs permis à plusieurs d’entre eux de revenir deux ou trois fois dans la boutique [donc d’y acheter deux ou trois montres, aussitôt revendues à quelques mètres de la boutique !]

Soyons justes : il faut reconnaître, de l’avis même d’un ami horloger qui a expérimenté l’« achat » d’une place dans la liste officieuse, que ce système de filtrage, assorti d’une sorte de « taxe douanière » parallèle [payée évidemment en liquide] fonctionnait parfaitement – on a failli écrire qu’elle fonctionnait même… très honnêtement ! Il est également probable que cette organisation parallèle pour « organiser » la tête de la file d’attente [l’opération a dû prendre fin un peu avant midi, alors que plusieurs centaines d’amateurs attendaient encore de pouvoir entrer dans la boutique] a probablement évité, à Genève, des incidents violents comparables à ceux qui ont pu se produire dans d’autres métropoles à travers le monde : dans aucun pays, les forces de l’ordre n’avaient anticipé ces queues génératrices de désordres devant les boutiques Swatch. Files d’attente qui ont pu se nourrir les unes les autres : une fois épuisé le stock des MoonSwatch livrées à la boutique Swatch de la gare Cornavin [il n’y en avait, semble-il, qu’une deux petites centaines, pour 500 amateurs devant la porte], les déçus de la gare sont venus grossir les rangs de ceux qui attendent devant la boutique Swatch de la rue du Marché, au cœur de Genève. Dernière précision : il est évident que les responsables de la boutique avaient parfaitement compris ce qui se passait à leur porte, mais ils n'avaient pas les moyens de s'en prémunir…

Tout ce qui précède relève des choses vues et des conversations sur place, en particulier avec les jeunes gens qui avaient monté avec beaucoup d’intelligence ce raid horloger sur les premiers MoonSwatch livrées à Genève. Ce sont eux qui ont contribué à assécher en priorité la série des Moon (noir et gris) et la série des Mars (cadran blanc, boîtier rouge : en haut de la page), puis la série des Sun (dominante jaune, ci-dessus). Beaucoup d’amateurs non initiés ont pu constater qu’il y avait un problème à l’entrée, mais très peu ont compris ce qui se passait. C’était une jolie matinée de printemps, avec beaucoup d’agitation autour des montres en prélude à la Wonder Week de la semaine prochaine : comment ne pas se réjouir de ces turbulences ? Quand des centaines de milliers de personnes à travers le monde se précipitent sur une montre, c’est qu’il ne faut pas désespérer de l’horlogerie traditionnelle et des ses grandes marques – Omega et Swatch en sont deux !


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