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GPHG 2012 # 1 : Impressions finales de cette douzième édition

Il est difficile d'être à la fois au four et au moulin, c'est-à-dire sur scène pour présenter les prix et sur un clavier pour les commenter sans délit d'initié... Comme tout le palmarès était disponible en temps réel sur Internet, c'est plutôt son interprétation, vue des coulisses, qui mérite d'être éclairée...    ◀▶ GRAND PRIX D'HORLOGERIE DE GENÈVE, ÉDITION 2012100 % des gagnants ont tenté leur chance...□□□ La …


Il est difficile d'être à la fois au four et au moulin, c'est-à-dire sur scène pour présenter les prix et sur un clavier pour les commenter sans délit d'initié...

Comme tout le palmarès était disponible en temps réel sur Internet, c'est plutôt son interprétation, vue des coulisses, qui mérite d'être éclairée... 

 
 
◀▶ GRAND PRIX D'HORLOGERIE DE GENÈVE, ÉDITION 2012
100 % des gagnants ont tenté leur chance...
□□□ La qualité générale du palmarès et la bonne tenue de la cérémonie ont mis tout le monde d'accord, ou à peu près. Gabriel Tortella, co-fondateur du GPHG avec Jean-Claude Pittard, aurait aimé la séquence 2012 : il savait que les absents ont toujours tort ! Et il n'aurait pas manqué de lancer aux boudeurs que, comme à la Loterie, "100 % des marques récompensées ont tenté leur chance". Ce même Gabriel Tortella, qui en avait fait beaucoup – et même au-delà – pour "installer" le Grand Prix dans l'espace horloger genevois et pour y attirer les plus grandes marques, voulait aboutir à l'indépendance qui est à présent celle de la Fondation qui coiffe les opérations et à l'autonomie de décision qui est celle des jurés souverains. Cette douzième édition aura sans doute été la plus "propre" et la plus "intègre" depuis l'an 2000, sans ces soupçons de magouilles et de manoeuvres diplomatiques qui ont entaché bon nombre des précédents épisodes. On comprend d'autant moins les marques absentes – notamment celles qui ont participé (et gagné) dans le passé, mais qui ont préféré se retirer ces dernières années – qu'elles avaient plus que jamais leurs chances avec la notoriété de leurs maisons, l'influence de leurs dirigeants et la puissance de leurs réseaux, sans parler de la qualité de leurs produits. Auraient-elles des doutes sur l'un des quatre points précédents ?
 
□□□ Les prix décernés ont paru déconcertants tellement ils étaient inattendus. Sans révéler le secret des délibérations du jury, on peut tenter de les justifier un peu plus longuement qu'il n'était possible de le faire sur scène, où présenter trois montres en trois phrases, sans notes, relevait d'une haute voltige qui n'exonère pas de quelques erreurs. La plus visible : la confusion entre balancier et tourbillon à propos de la Legacy Machine n° 1 de MB&F. Les aficionados auront d'autant mieux corrigé d'eux-mêmes qu'ils savaient que c'était un lapsus linguae ! Cependant, un oubli dans la présentation est particulièrement regrettable, parce qu'entièrement dû au stress de cette haute voltige qui aura duré 90 minutes. Un court hommage à notre chère Dominique Baron, récemment disparue, s'avérait indispensable à l'heure des honneurs dus aux métiers d'art. C'était prévu, mais l'oubli de cette séquence relève peut-être de l'acte manqué : difficile de maîtriser une vraie émotion quand on est sur scène, en parfaite empathie avec toute la communauté de ses amis...
 
 
 
 
◀▶ LA QUALITÉ DU PALMARÈS
Vers une redéfinition claire et précise des catégories...
□□□ Prix de la montre Petite Aiguille : pour ce prix comme pour les autres, les jurés ont retravaillé, entre autres, en vue de la prochaine révision du réglement intérieur et d'une redéfinition claire et précise des catégories de prix. Axe de travail pour la Petite Aiguille : l'idée est de rendre hommage à une montre dont le prix est accessible, mais dont la qualité ne transige pas avec les règles de la bienfacture horlogère en général. Une montre raisonnable qui ait à la fois du style, de l'intégrité mécanique et du "sens". Il est toujours plus facile (relativement) de faire une belle montre quand on a un nombre d'employés supérieur à celui de sa production annuelle ou quand on peut se permettre des étiquettes à six chiffres, l'exercice étant plus risqué au-dessous de quelques milliers de francs ou d'euros. D'où le choix final de la Zenith Pilot, qui offrait un excellent compromis entre la valeur mécanique (mouvement manufacture El Primero), la fonction (lisibilité parfaite) et la légende (les montres de pilote sont une tradition chez Zenith). L'irruption de Habring2, maison horlogère autrichienne, allait dans le même sens. Même cette Foudroyante n'était pas, à proprement parler, une nouveauté 2012 [le commissaire du jury aurait d^y y veiller], ce module original de seconde centrale "morte" – additionnée de seconde foudroyante – sur base Valgranges méritait qu'on s'y attache (vidéo d'explication ci-dessous).
 
 
□□□ Prix de la montre Innovation : une catégorie dont le contenu a laissé les jurés perplexes... Concept ou design ? Super-complication ou super-complexité ? Révolution ou innovation ? Chacune des montres a été très discutée, le boîtier en verre saphir de la Richard Mille autant que l'épure stylistique de Badollet, le concept magnétique de Christophe Claret autant que le rupturisme liquido-mécanique de Vincent Perriard, et le Magic Gold de Hublot autant que le GMT revu et corrigé par Greubel Forsey. Le fait que le Mikrogirder au 10 000e de seconde (TAG Heuer) ait été basculé comme Aiguille d'or indique que la montre avait fait l'unanimité dans cette catégorie, mais la victoire finale a été très disputée entre l'Opus 12 d'Harry Winston et la H1 de HYT, qui l'a finalement emporté, de trè peu, sans que les jurés comprennent eux-mêmes ce qui a pu faire secrètement basculer le score dans la dernière ligne droite.
 
□□□ Prix de la montre Sport : les jurés ont très vite acquis la conviction unanime qu'une montre de sport doit être... sportive, c'est-à-dire portable, endurante, lisible, fonctionnelle et d'un prix qui ne soit pas ridicule. Qualités qui éliminaient les matériaux trop lourds (pas de platine !), les concepts trop fragiles, les prix trop gonflés et les cadrans trop complexes – même s'il n'y avait pas de solution idéale parmi les montres sélectionnées. Affaire de compromis, donc ! On comprend mieux ainsi le choix final d'Habring2, qui peut se permettre d'offrir un chronographe totalement innovant par son concept de rattrapante (fonction on ne peut plus sportive) à 7 200 CHF. La compétition a néanmoins été serrée entre le MikrotourbillonS (double tourbillon haute fréquence de TAG Heuer) et la Stratos Flyback Striking 10th (montre de Zenith entrée dans la légende avec Felix Baumgartner). On aura compris que le jury aimait bien les hautes fréquences, comme il l'a prouvé avec l'Aiguille d'or attribuée au Mikrogirder de TAG Heuer...
 
□□□ Prix de la montre Joaillerie et métiers d'art : encore une catégorie fourre-tout, "illisible" et piégeuse pour les marques, tellement il est impossible d'arbitrer rationnellement entre la décoration pure et le sertissage de haute lignée, deux savoir-faire hétérogènes un peu absurdement regroupés ici. Les jurés ont choisi de ne pas retenir ce qui brillait trop [ce qui disqualifiait la 5 Millions de Hublot], tout en valorisant la qualité d'exécution et à l'innovation technique, qu'on parle de sertissage ou d'émaillage – et non plus de simple virtuosité joaillière ou esthétique. La discussion technique a été poussée à un très haut niveau, mais le score final (prix accordé à l'Impériale Tourbillon de Chopard et accessits à Hermès et Chanel) prouve les hésitations du jury, tiraillé entre un tropisme naturel vers la joaillerie mécanique (Chopard) et un immense respect pour les métiers d'art, traditionnels (Chanel) ou plus contemporains (Hermès)...
 
□□□ Prix de la montre Homme : c'est une des plus attendues, mais le jury a posé les bases de ce qu'il devrait être plutôt de ce qu'il est aujourd'hui – une sorte de melting pot qui regroupe trois aiguilles, chronographes, complications et concepts. Simplicité ou complexité ? Classique ou contemporain ? Après quelques interrogations sur la "montre Homme de tous les jours" [réflexion qui laissait toute leur place aux propositions de Laurent Ferrier ou d'Urban Jürgensen, voire même d'Audemars Piguet], le choix s'est porté sur la Legacy Machine de MB&F qui s'instituait en point moyen de toutes les tendances, sans vrai tiraillement entre tradition et révolution. Les accessits accordés au légendaire Datograph de A. Lange & Söhne et au style Greubel Forsey (tourbillon 24 secondes) prouvent que la montre Homme doit tout de même en donner un peu plus, quoiqu'elle reste fondamentalement une "montre à vivre", facile à porter, avec un très haut standard de qualité d'exécution...
 
□□□ Une parenthèse sur le prix du Public, également attribué à cette LM 1 : on ne savait pas le "grand public" aussi pointu dans ses goûts, ni aussi radical dans ses options horlogères. La mobilisation des réseaux sociaux prouve sans doute l'influence du réseau MB&F, qu'on opposera ici à la puissance des marques qui se flatte de leurs centaines de milliers d'amis. C'et la loi des minorités agissantes : ne dites pas à Maximilian Busser qu'il est un bolchevik de la nouvelle horlogère (faction minoritaire capable de manipuler les foules)...
 
□□□ Prix de la montre Femme : qu'est-ce qu'une femme aujourd'hui ? Une montre pour notre mère, notre femme ou notre fille ? Les jurés – qui comptaient cette année trois femmes (grande première dans l'histoire du GPHG) – devaient-ils choisir des montres qu'ils aimeraient offrir à une femme ou se mettre à la place des femmes qui s'offriraient de telles montres. L'évolution de la discussion a très clairement privilégié la relative simplicité du design, tout en ratifiant le rôle joué par la mécanique et la nécessité d'une dimension ludique. Ainsi calé, la grille de référence ne pouvait qu'être favorable à Chanel (maîtrise et sobriété des lignes, tourbillon Giulio Papi et camélia pour effeuiller les secondes), sans toutefois oublier la Poetic Wish de Van Cleef & Arpels et la 2-Eight de Voutilainen (enfin, des belles mécaniques pour les femmes !) sur le podium final. Les diamants ne suffisent plus pour faire la différence : il faut savoir y mettre les formes, sans oublier le fond : comme les femmes des années 2010, les montres féminines contemporaines sont aujourd'hui substantielles et consistantes plus que simplement sexy, glamour ou frivoles...
 
□□□ Prix de la montre Grande Complication : par tradition, c'est la catégorie reine du concours, mais est-ce vraiment justifié ? Et qu'est-ce qu'une grande complication – dès lors qu'on s'écarte de la définition académique et strictement horlogère ? La montre la plus compliquée (Hublot Anticythère) l'était sans doute trop, mais certaines ne l'étaient pas assez (Antoine Martin, Richard Mille), quand elles ne s'étaient pas trompées de catégories (Urban Jürgensen, Van Cleef & Arpels). Restaient les répétitions minutes, toutes essayées par le jury avec infiniment de soins et d'attention, la Soprano de Christophe Claret émergeant rapidement du lot. On ne comprend pas trop ce qui a manqué à la Toric de Parmigiani, sinon un peu d'humour et de subtilité, mais c'est la Greubel Forsey Invention Pièce 2 qui l'a emporté, avec ses quatre tourbillons réinterprétés dans un goût très contemporain...
 
□□□ On ne reviendra pas ici plus longtemps sur l'Aiguille d'or attribuée au Mikrogirder de TAG Heuer, dont Jean-Christophe Babin nous a (longuement) expliqué tout le bien qu'il fallait en penser, ni sur le prix de l'horloger constructeur décerné à Carole Forestier (Cartier), qui sanctionnait la nouvelle et bienvenue féminisation du jury, ni sur le prix spécial du Jury remis à la SSC (Société suisse de chronométrie), choix non expliqué par New York, mais qui ratifie l'évolution de cette récompense vers l'hommage à une institution d'intérêt général...
 
 
 
 
◀▶ LE PALMARÈS PASSÉ AU SCANNER
Un ticket gagnant non-conformiste qui a privilégié la créativité...
□□□ La simple lecture du palmarès final prouve que ce jury – composé d'une majorité de journalistes (65 %, ce qui est beaucoup trop) – n'a pas fait preuve d'une déférence excessive vis-à-vis des grandes maisons traditionnelles, ni d'un respect diplomatique pour les canons de la bienpensance horlogère. sur les huit prix principaux, cinq – donc, une majorité – vont à des "petites marques" créatives. On ne peut pas estimer que le Mikrogirder de TAG Heuer est à proprement parler une montre "traditionnelle". Chanel reçoit son premier prix, ce qui est une forme de révolution à Genève pour une "marque de haute couture". Il ne reste donc que Chopard et Zenith pour défendre les maisons "traditionnelles". En compilant tous les podiums, la prime aux "jeunes marques créatives" est encore plus marqué : les deux apparitions de Habring2 dans cette liste, les deux de MB&F ou les deux de Greubel Forsey, sans oublier celle de Voutilainen chez les femmes, n'étant pas les moins remarquables des manifestations de cette néophilie...
 
□□□ Pour ce qui est du style des montres récompensées (prix ou accessits), on constate la même positivation d'un rupturisme plus ou moins évident [ici, TAG Heuer vient renforcer les "petites marques"], la tradition n'étant plus défendue, stricto sensu, que par A. Lange & Söhne, Zenith ou Chopard. Des maisons qui n'ont rien de traditionnel dans le champ horloger, comme Chanel (un prix, un accessit) ou Hermès (qui confirme sa nouvelle vocation horlogère, après son prix de l'année dernière) prouvent en 2012 leur nouvelle légitimité dans le paysage suisse – ce qui fait grincer quelques dents, généralement celles des absents ou des recalés ! Les jurés n'ont pas hésité à ratifier par leur choix des concepts aussi innovants que les heures "fluidiques" de HYT, les 1 000 Hz maîtrisés par TAG Heuer ou le balancier suspendu et surplombant de MB&F. L'idée d'associer une mécanique de haute précision à une montre féminine (Chanel, Voutilainen, Van Cleef & Arpels, Chopard) semble définitivement actée.
 
□□□ Si on fait le décompte des marques non-genevoises du palmarès, elles sont majoritaires dans le palmarès final [MB&F a sauvé l'honneur !], ce qui tendrait à démontrer la dé-cantonalisation du GPHG – ce dont personne ne se plaindra. Quatres marques venues du canton de Neuchâtel : ce n'est que justice. Trois pays représentés (Suisse, France, Autriche), mais pas une seule marque du groupe Richemont, alors que le groupe LVMH en aligne deux – et sept marques "indépendantes" (non intégrées) sur neuf récompensées. Ces proportions restent identiques si on tient compte de l'ensemble des podiums...
 
□□□ C'est la première fois que le GPHG rend un hommage aussi appuyé (Aiguille d'or), dès l'année de son apparition sur le marché, à un concept aussi révolutionnaire de l'hyper-haute fréquence pratiquée par TAG Heuer, en triplant cette récompense d'un reconnaissance spectaculaire de la proposition radicale de la H1 HYT [moins de six mois après son lancement à Baselworld, c'est sans équivalent dans l'histoire du GPHG : ci-dessous] et d'un nouveau prix décerné à Greubel Forsey (déjà Aiguille d'or en 2010). L'esprit de la nouvelle génération infuse lentement, mais il a franchement inspiré un jury pourtant conservateur par nature. S'il fallait définir par un seul mot l'esprit du palmarès 2012, qui est sans doute le plus "fort" depuis les origines du prix, ce serait celui d'intégrité – à comprendre dans le sens d'intégrité-honnêteté, mais aussi d'intégrité-intégralité, puisqu'on a pris en compte les qualités intrinsèques des produits sélectionnés, et non la réputation ou l'image des marques qui les signaient. 2012, l'année de la renaissance pour le GPHG ?
 
 
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GPHG 2012 # 2 : Evolutions souhaitables pour la treizième édition
(Business Montres du 16 novembre)...
 
 
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