HISTOIRE (accès libre) : Il y a 190 ans aujourd'hui, disparaissait Abraham Louis Breguet, un des pères fondateurs de l'horlogerie mécanique
Le 17 / 09 / 2013 à 05:24 Par Le sniper de Business Montres - 2015 mots
Par la pensée, nous ferons un pèlerinage vers le caveau familial des Breguet, au Père-Lachaise de Paris, histoire de nous rappeler que, né à Neuchâtel en 1747, mais disparu à Paris en 1823, Abraham Louis Breguet n'en a pas moins été le plus génial horloger français de tous les temps...
▶▶▶ ABRAHAM LOUIS BREGUETL'inventeur rupturiste de la montre moderne ◉◉◉◉ Il y a des titres qui font rêver …
Par la pensée, nous ferons un pèlerinage vers le caveau familial des Breguet, au Père-Lachaise de Paris, histoire de nous rappeler que, né à Neuchâtel en 1747, mais disparu à Paris en 1823, Abraham Louis Breguet n'en a pas moins été le plus génial horloger français de tous les temps...
▶▶▶ ABRAHAM LOUIS BREGUETL'inventeur rupturiste de la montre moderne ◉◉◉◉ Il y a des titres qui font rêver par leur association : « Membre de la Légion d'honneur et du Bureau des longitudes ». À une époque où la France ne distribuait pas la Légion d'honneur aux célébrités de la télé-réalité, c'était une distinction recherchée, mais, apparemment, Abraham Louis Breguet était tout aussi fier de son siège au Bureau des longitudes, instance scientifique alors synonyme de précision, et de sa place à l'Institut royal de France (Académie des sciences, section mécanique), où il était entré en 1816 par décret du roi Louis XVIII. La France savait alors récompenser les siens, même s'ils étaient nés à Neuchâtel, enclave prussienne entre la Franche-Comté et la Suisse romande. Abraham Louis Breguet était également horloger de la Royale, où ses chronomètres de marine étaient très appréciés. ◉◉◉◉ La petite chapelle familiale des Breguet, au Père-Lachaise, un peu de guingois dans son allée, coiffée d'un buste à l'antique dont la patine résiste aux assauts du temps, exprime à la fois la simplicité de l'homme, né dans une honorable famille de la bourgeoisie huguenote neuchâteloise [il renoncera à sa religion réformée en se mariant à l'église, en 1775 : le marqueur protestant pèse donc peu dans son parcours horloger], et la notoriété d'une lignée qui n'a plus cessé d'innover pendant deux siècles en donnant naissance à cinq générations d'inventeur (voir l'excellent site familial des Breguet, tenu par l'historien Emmanuel Breguet, qui veille toujours sur le mémoire de son ancêtre dans l'entreprise aujourd'hui entre les mains du Swatch Group). ◉◉◉◉ On ne va pas profiter du 190e anniversaire de sa disparition pour réécrire ici l'histoire de sa vie et de ses oeuvres. Une vie le nez dans les archives n'y suffirait pas : on est encore loin d'avoir tout appris [et tout compris] des travaux d'un homme qui incarne aujourd'hui la première grande révolution horlogère des temps modernes : celle de la précision mécanique et de l'ingéniosité technique. Profitons-en plutôt pour comprendre en quoi certaines étapes de son destin nous concernent directement. Breguet n'est cité comme « maître » qu’en 1784 : c'est assez tardif. On sait que ses propres « maîtres » lui reprochaient un certain défaut de maîtrise – ce qui prouve que le savoir académique a toujours du mal à admettre et à reconnaître le génie ! Si Breguet n'a pas tout inventé [en couvrant souvent de son nom des idées venues de collaborateurs de son atelier], il n'a pas non plus tout breveté : son rôle dans la mise au point des montres « perpétuelles » (ce que nous nommons à présent des montres « automatiques » ) n'est pas encore totalement éclairci. Il avait opté pour un système de masse déportée à l'intérieur du mouvement pour remonter le ressormoteur grâce aux mouvements du porteur. Il vendra la première au duc d'Orléans en 1780 et la seconde à la reine de France Marie-Antoinette, ce qui lui vaudra la clientèle de toutes les élites de son temps, ainsi que l'estime de ses confrères européens. ◉◉◉◉ Ses montres sont on ne peut plus rupturistes pour son temps : « minimalistes » et même « fonctionnalistes » (pour ne pas dire bauhaussiennes) avant l'heure, voire légèrement jansénistes, elles tranchent sur les « oignons » ornementés et les effusions baroquisantes de la décoration horlogère en vogue à la fin du XVIIIe siècle. Ses boîtes sont strictement cylindriques, avec des cannelures dans un goût néo-classique très strict, et ses cadrans dépouillés à l'extrême, avec l'acier bleui qui tranche sur l'émail glacé. Ses mécaniques sont tout aussi élémentaires dans leur architecture comme dans leurs finitions, avec une recherche systématique de cette élégance et de cette minceur qui ont toujours signé la modernité des époques conquérantes. Breguet, c'est l'horlogerie d'un premier matin du monde, quand la montre devient un objet précis, fiable, scientifique et esthétique... ◉◉◉◉ En dépit de ses convictions « éclairées », une telle cote d'amour auprès des aristocraties du siècle de Lumières ne pouvait que le rendre suspect aux « terroristes » du Comité de salut public, au point de le pousser à l'exil à Genève : un intermède qui verra ses meilleurs clients se faire raccourcir ou s'exiler, ruinés. Il en profitera pour méditer sur son art et mettre au point de nouvelles dispositions mécaniques, comme le tourbillon. Comme quoi le succès commercial n'est pas toujours – ni hier, ni aujourd'hui – une incitation à l'innovation. En revanche, la nécessité est un aiguillon : alors que sa clientèle traditionnelle s'est volatilisée et les affaires sont difficiles, Breguet revient s'installer à Paris après la Terreur et, pour financer la relance de son atelier du quai de l'Horloge [ça ne s'invente pas !], il lance la « montre de souscription » : c'est du Kickstarter (crowdfunding) 200 ans avant le web 2.0 ou – si l'on préfère – l'équivalent de la Swatch dans les années 1980 : un produit porteur d'image, doté d'une forte identité (boîtier Breguet ultra-plat, une seule aiguille) et générateur de marges préfinancé par le client. Et l'Europe se remet à acheter des montres Breguet, les anciennes cours coalisées contre la France comme les nouveaux riches de l'Empire. Ce qui donne à Breguet les moyens de mettre au point de nombreuses innovations, qui vont de la courbe du spiral qui porte son nom à la montre à tact, en passant par le système pare-chute, la pendule sympathique et toutes sortes de virtuosités que ses épigones et continuateurs reprendront [en prise avec les scientifiques de son temps, il a également joué un rôle dans la mise au point du télégraphie optique]. N'oublions pas, non plus, une incursion du côté des montres-bracelets [celle de Caroline Murat, reine de Naples, est restée célèbre] et un vif intérêt pour les pendules astronomiques... ◉◉◉◉ N'oublions pas, bien sûr, l'ingéniosité surcompliquée de la montre Marie-Antoinette, creuset de toutes les subtilités mécaniques connues à la l'époque, une montre mystérieusement commandée pour [et non par] la reine Marie-Antoinette, mise au point sous la Révolution, le Consulat et l'Empire avant d'être livrée... en 1827, sous la Monarchie, quatre ans après la mort de Breguet : les plus belles montres ont toujours été de grandes coquettes qui savent se faire attendre. La Marie-Antoinette connaîtra ultérieurement un destin romanesque : elle sera oubliée, volée, rachetée, reconstituée, retrouvée dans des conditions rocambolesques et désormais re-exposée à Jérusalem. L'horlogerie devient sublime quand elle mêle ainsi l'histoire et la technique, le crime et l'argent, l'amour et l'aventure. ◉◉◉◉ Qu'a-t-il manqué à Breguet pour ne pas être mieux reconnu par la République ? S'il fallait l'honorer à la hauteur de ses apports au renom français, la coupole du Panthéon s'imposerait : Paris se contente d'une petite rue sans charme du quartier de la Bastille. Le problème, c'est que Breguet n'a pas eu de vrais successeurs horlogers, de vrais continuateurs, de vrais élèves. Son fils, Antoine Louis, est plutôt mauvais sujet que bon horloger : ce bad boy – envoyé en apprentissage chez Arnold, en Angleterre – semble d'être contenté de profiter, en roue libre, des acquis de son père. La fée Électricité – dont Breguet avait parfaitement compris l'intérêt – a ensuire bouleversé le champ de la mécanique horlogère et les perspectives de sa précision scientifique. Surtout, Breguet n'a pas eu le temps d'écrire ni ses mémoires, ni le traité d'horlogerie dont il rêvait et dont il ne nous reste que quelques notes griffonnées et des pages non holographes dictées à son ami et second Louis Moinet [encore un géant horloger français, encore plus méconnu que Breguet !]. La France ne sait pas reconnaître les talents quand ils ne sont pas adoubés par quelques paillettes littéraires. Aujourd'hui, la cause est entendue, pour le pire plus que pour le meilleur : Breguet étant une enseigne commerciale, lui rendre hommage reviendrait à assurer la promotion d'une marque. Dommage ! ◉◉◉◉ Un dernier salut, donc, à cet Abraham Louis Breguet, sans lequel nous n'en serions pas où nous en sommes, ici et maintenant. encore dix ans à attendre pour le deux-centième anniversaire de sa disparition : espérons, pour cette échéance, un sursaut culturel côté français et un minimum de décence côté suisse. La statue du « grand Breguet » est encore modeste, alors que son ombre portée sur l'industrie des montres est immense [ci-dessous : la statuette de Breguet qui ornait l'atelier-bureau de George Daniels]...
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