> 


JEANRICHARD : Comme il faut, quand il faut et au prix qu'il faut

Trouvée dans les bagages de Girard-Perregaux lors du rachat de la manufacture par le groupe PPR, la marque JeanRichard ne savait plus trop qui elle était, ni où elle allait. Le groupe lui assigne une nouvelle mission dans sa pyramide de marques : le premier volet du repositionnement est impeccablement mené, mais les étapes suivantes restent à confirmer...   ◀▶ JEANRICHARD EN UN SEUL MOT ET SANS "R" MAJUSCULEOn change tout et on recommence (presque) tout à zéro...


Trouvée dans les bagages de Girard-Perregaux lors du rachat de la manufacture par le groupe PPR, la marque JeanRichard ne savait plus trop qui elle était, ni où elle allait. Le groupe lui assigne une nouvelle mission dans sa pyramide de marques : le premier volet du repositionnement est impeccablement mené, mais les étapes suivantes restent à confirmer...

 
 
◀▶ JEANRICHARD EN UN SEUL MOT ET SANS "R" MAJUSCULE
On change tout et on recommence (presque) tout à zéro...
◇◇◇ De mémoire de journaliste horloger, ce ne sera jamais que le quatrième repositionnement de la marque Jeanrichard [ex-Daniel JeanRichard, puis JeanRichard tout court] depuis la fin du siècle dernier. On a connu la marque, relancée il y a une douzaine d'années par Luigi Macaluso après avoir connu de multiples aléas historiques, avec un concept de luxe accessible [il s'agissait de protéger les arrières de Girard-Perregaux], puis lancée dans une étonnante course à l'armement dans la complication [à quoi rimaient les tourbillons Daniel JeanRichard ?], puis repositionnée à des prix pas vraiment accessible dans un life style "manufacture" à forte composante design [la récente collection Highlands, plutôt réussie]. De quoi donner le tournis aux détaillants, dont les rangs s'éclaircissaient sur un marché de plus en plus difficile. La marque a cependant tenu bon. Son nouvel actionnaire [François-Henri Pinault, groupe PPR] a cependant décidé de lui donner une nouvelle chance...
 
◇◇◇ Donc, on change tout, on rebat les cartes et on recommence – presque – tout à zéro : Michele Sofisti, le nouvel homme fort de l'horlogerie PPR (Gucci, Girard-Perregaux, Jeanrichard), s'est appuyé pour cette renaissance sur Massimo Macaluso, le cadet de "Gino", qui dirigeait déjà la marque et qui en reste sur le directeur général, et sur Bruno Grande, un ancien du Swatch Group revenu de l'expérience Wyler, qui sera le COO de Jeanrichard en même temps que le directeur du "private label" chez Sowind (les montres réalisées en licence pour les autres marques du groupe PPR, comme Zegna ou Bottega Veneta).
 
◇◇◇ Préambule au premier acte : le changement de nom et de logo. On écrire désormais Jeanrichard en un seul mot, en majuscules mais sans majuscule au "R" quand c'est en minuscules [la charte graphique est formelle], avec diverses coquetteries dans l'approche des lettres et leurs jambages. Le logo reste JR – ce qui est un peu contradictoire avec ce qui précède. La date (1681) est celle de la première montre connue de l'horloger Daniel JeanRichard. Cette nouvelle identité visuelle sera déclinée dans la nouvelle "atmosphère graphique" de la marque, dans les tons bruns et chauds, bois et cuir, qu'on pourra découvrir dès la fin de cette semaine à Paris, au salon Belles Montres. Le style est contemporain, cossu sans exagérer dans le luxe, assez chic pour plaire aux larges masses asiatiques sans heurter le bon goût occidental.
 
La 1681 Vintage : mouvement manufacture et petite seconde...
 
 
◀▶ L'HABILLAGE DESIGN D'UN IMPÉRATIF INDUSTRIEL
Un retour à la sincérité du contenu horloger...
◇◇◇ Dans la formalisation du concept stratégique, quelques règles de base ont été posées. Jeanrichard doit constituer une référence sur le marché du "luxe horloger accessible", à un niveau beaucoup plus accessible qu'on ne l'imaginait, puisque l'idée est d'imposer un premier prix d'accès (mécanique) à 2 500 CHF : très peu de monde sur ce créneau, largement déserté par les grandes maisons suisses obsédées par la montée en gamme. JeanRichard se battra à peu près entre Tissot et Longines, un peu au-dessous de Bell & Ross et sur un terrain que Baume & Mercier n'aurait jamais dû déserter. C'est là que Ralph Lauren aurait été dû porter ses ambitions – ce que Burberry a parfaitement compris et ce qui lui fait engranger de spectaculaires succès, notamment en Asie [on notera ici la relative analogie stylistique, fortuite mais révélatrice, entre l'offre Burberry – The Britain, ci-dessous – et les nouvelles Terrascope de Jeanrichard : le faux carré pas tout-à-fait rond reste la grande tendance du moment]...
 
 
◇◇◇ Autre élément-clé du cahier des charges initial : la nécessité de pouvoir s'adapter rapidement à des séries courtes en rationalisant les investissements industriels. L'intégration au groupe Sowind permet à Jeanrichard de disposer de son propre calibre "manufacture" (le JR 1000). Pour l'instant, l'approvisionnement chez ETA n'a pas été remis en cause. L'habillage des nouvelles collections a été repensé par favoriser la réactivité aux demandes et l'abaissement des prix de revient : le boîtier en quatre parties ("joues", carrure et "plaque" supérieure) permet de varier les plaisirs en termes de matériaux et de styles. Ainsi usiné, ce boîtier "éclaté" donne aussi plus de souplesse à la logistique et accélère le time to market, ce qui sera un atout face aux grandes séries que s'imposent les grandes marques. De nombreux autres composants d'habillage (index, chiffres, aiguilles), ont été repensés et standardisés pour créer une "banque" d'éléments où puiser pour animer les collections. Par le jeu des lunettes, des bracelets et des cadrans, on  parvient vite à une offre foisonnante, facile à différencier selon les marchés, mais tout aussi facile à identifier par le respect des codes élémentaires. Le boîtier de base a déjà été conçu pour loger de nouvelles complications (GMT, etc.) et même un chronographe...
 
◇◇◇ Pour le design de la collection de base, déclinée en Terrascope (terrain urbain), Aquascope (tendance nautique) et Aerocope (vocation plus sportive), Jeanrichard a mobilisé un star du design horloger : le fameux "Mijat" (Miodrag Mijatovic), rendu célèbre par son dessin de la Big Bang pour Hublot, mais "père putatif" de centaines d'autres montres. Un créateur de sa trempe est, en soi, la justification d'une création d'un prix du designer horloger de l'année au Grand Prix de Genève. "Mijat" est encore un élément de la filière "Biver-Omega" qui vient renforcer le réseau Sofisti, qu'il faudrait analyser en termes planétologiques pour en apprécier les attractions réciproques, les champs de gravitation et les dépendances orbitales [on le fera un jour, promis !]. Pour Jeanrichard, "Mijat" a conçu un sandwich trimensionnel, qui rappelle à la fois le concept industriel de la Big Bang et celui qui avait déployé chez Wyler (collection également dessinée par "Mijat") : sandwich latéral avec les "joues" interchangeables (on pourra également jouer avec les poussoirs du chronographe) et sandwich vertical avec les jeux de la lunette, de la "plaque" et du fond. Style général retenu : le carré cambré avec une ouverture ronde sur le cadran et une lunette relativement épaisse, ce qui est toujours utile pour créer des différenciations esthétiques. Sur un marché écrasé par le rond, le carré reste difficilement convaincant [hormis les aficionados, les amateurs hésitent toujours] et le tonneau curvex bien verrouillé par quelques marques : du coup, le "coussin" est une option originale et porteuse...
 
◇◇◇ Dans les détails stylistiques des nouvelles lignes Jeanrichard (l'essentiel sera dévoilé à Baselworld), on reconnaît une certaine "touche" italienne [la culture de base de l'équipe de direction] dans le cuir des bracelets comme dans la couleur des cadrans. Les pièces donnent une impression de bienfacture évidente, sans sophistications inutiles [parce que non perçues par le client] mais à des prix qui étonnent tellement nous avons pris l'habitude d'être rançonnés au nom du Swiss Made : à 2 500 CHF pour la Terrascope de base (mouvement ETA) et un peu plus de 5 000 CHF pour la 1681 Vintage (mouvement manufacture JR 1000 : ci-dessus), le choc de la value for money est évident. On en a pour son argent, sans que le Swiss Made soit contestable pour l'essentiel de la proposition (mouvement et composants majeurs de l'habillage). Ce qui prouve, au passage, que la direction de Jeanrichard a bien pris en compte deux facteurs. D'abord, la volonté de "sincérité" revendiquée par l'actionnaire du groupe ("François-Henri Pinault, La sincérité d'un homme pas pressé" : Business Montres du 4 septembre). Ensuite, les nouvelles attentes du marché : à condition de bien travailler distribution et communication (voir ci-dessous), Jeanrichard ne peut trouver sa place dans les vitrines qu'avec de tels prix – les seuls qui restent permis aux amateurs occidentaux, qui restent les seuls capables de créer image et légitimité pour une marque de luxe...
 
◇◇◇ Dernière composante du concept stratégique : la nécessité pour Jeanrichard de ne plus être la "seconde marque" ou la "manufacture bis" de Girard-Perregaux, mais une vraie sister-brand, dynamique et conquérante, dotée d'une personnalité autonome et d'une identité clairement distincte, active avec ses propres réseaux. La Villa Jeanrichard de La Chaux-de-Fonds fait déjà siège et musée à part. La marque bénéficiera d'un stand à part entière à Baselword, dans l'immeuble du groupe PPR (au fond, à droite du 1.0), mais avec un entrée à part [entre Gucci et Girard-Perregaux] et avec une expression originale de ses codes. La pyramide horlogère de PPR est donc facile à comprendre : à la base, Gucci ; en remontant vers le haut : Jeanrichard : à la pointe, Girard-Perregaux, avec Boucheron pour l'offre de haute joaillerie 
 
La nouvelle Terrascope (mouvement ETA) : 2 500 CHF sur cuir.
 
 
◀▶ LES DÉFIS D'UN NOUVEAU MARCHÉ TRÈS SÉLECTIF
Tout repose sur une maîtrise de la distribution et de la communication...
◇◇◇ Forte de son repositionnement produit et de ses nouveaux prix, la "nouvelle marque" Jeanrichard ne manque pas d'atouts pour débarquer sur le marché au moment précis où les détaillants indépendants commencent à peine à comprendre – ils y ont mis le temps – que leur avenir ne passait plus par les marques fortes des grands groupes (qui se restructurent autour de leur retail), mais par la dynamique créative et commerciale des marques indépendantes. Sans être réellement "indépendante", la marque Jeanrichard se présente comme telle [ce qu'elle est du fait de la culture d'autonomie des marques chez PPR], mais avec les atouts et les ressources du groupe auquel on la découvre adossée (industrialisation, distribution, communication). Cette présence d'un groupe coté, avec la pérennité apparente qu'elle suppose, est un facteur rassurant pour les détaillants. La grille tarifaire envisagée est du pain bénit pour la distribution, qui manque d'une offre indépendante et crédible dans cette gamme de prix. La maîtrise de la distribution est donc l'enjeu prioritaire pour la direction de Jeanrichard : si les bons détaillants s'y mettent, les volumes peuvent suivre et générer l'auto-financement d'une reconquête qui aurait valeur d'exemple à suivre. La demande est là : le marché attend des nouvelles marques (plus exclusives et moins surplombantes, sinon moins arrogantes) et de nouvelles raisons d'aimer des nouvelles montres. Quand on dispose du bon produit au bon prix, on peut rêver grand...
 
◇◇◇ L'autre facteur sensible sera la maîtrise de la communication. Les budgets consentis par le groupe PPR, qui possède la "culture" de l'investissement intelligent dans ce domaine, sont disponibles, mais seront-ils efficacement dépensés. La campagne de communication envisagée n'est pour l'instant pas très percutante. "A Philosophy of Life" : deux mots-valise ne sont pas un bagage conséquent pour battre la campagne. Plusieurs centaines de marques pourraient s'approprier cette expression d'une banalité consternante : où est le concept ? Où est l'idée percutante ? La pétition de principe d'une nouvelle philosophie dans l'art de vivre devrait être réservée à des marques statutaires reconnues et identifiées comme telles, ce qui n'est pas (encore) le cas de Jeanrichard : on attendait plus et plus fort d'une "nouvelle marque" – même si elle revendique trois siècles et demi de légitimité. Comme les visuels qui illustrent cette déclaration d'intention ne sont guère plus expressifs, l'impact sera faible et sans doute pas du tout à la hauteur du choc émotionnel généré par le mix produit-prix.
 
◇◇◇ Une partie de la bataille va se jouer sur le terrain des médias sociaux, dont la maison Jeanrichard est à peu près absente aujourd'hui. L'intervention d'un fameux gourou new-yorkais – l'excellent Venanzio Ciampa (The Promotion Factory) – est attendue pour doper la campagne de lancement, mais aura-t-il le doigté suffisant pour convaincre les amateurs européens – les plus exigeants et les plus compliqués à gérer – de concéder à la nouvelle proposition Jeanrichard légitimité et honorabilité ? C'est en Europe, sur les marchés traditionnels de l'horlogerie, que se crée et que s'entretient l'image des marques, condition nécessaire mais pas suffisante pour un succès commercial dans le reste du monde. Si les aficionados européens y croient et s'ils aiment, l'avenir reste à écrire. S'ils boudent ou s'ils critiquent, la route sera longue, très longue. Premier test en fin de semaine à Belles Montres, où battra le pouls de la France des amoureux de la montre : Venanzio Ciampa ne sera pas là, mais on lui racontera...
 
Un visuel qui n'a malheureusement pas été retenu pour la campagne de publicité Jeanrichard, alors qu'il exprimait idéalement l'esprit rupturiste de la proposition et sa radicalité en termes de rapport qualité perçue-style évoqué-prix exigé...
 
D'AUTRES SÉQUENCES RÉCENTES
DE L'ACTUALITÉ DES MONTRES...
Partagez cet article :

Restez informé !

Inscrivez-vous gratuitement à notre newsletter et recevez nos dernières infos directement dans votre boite de réception ! Nous n'utiliserons pas vos données personnelles à des fins commerciales et vous pourrez vous désabonner n'importe quand d'un simple clic.

Newsletter