> 

BYE BYE 2018 #21 (accès libre)
Les dix plus belles promesses pour 2019 (celles qu’on ne pourra probablement pas tenir)

Allez, juste pour la route, une toute dernière séquence d’adieux à l’année 2018, à l’heure des souhaits, des vœux et des promesses qu’on sait déjà difficiles ou impossibles à tenir. Un complément indispensable à nos vingt précédentes chroniques sur tout ce qu’il faudra bien retenir et oublier du millésime horloger 2018…


Il serait injuste de ne pas terminer l’année par quelques engagements forts pour 2019. L’époque est aux bonnes résolutions. Bien entendu, il y a peu de chances pour qu’on puisse tenir ces promesses qu’on se fait à soi-même ! Puisque tout le monde comprend à présent que la responsabilité des marques ne se limite pas à « vendre des montres », mais qu’elles agissent bien en amont et très en aval de cette péripétie commerciale, il serait temps de signer un nouveau contrat de confiance avec les amateurs. Sur quelles bases poser ces nouveaux dix commandements de l’horlogerie (par ordre alphabétique) ?

❒❒❒❒ CRÉATIVITÉ : un peu d’audace, que diable ! Ne plus craindre la prise de risques ! Imaginer d’autres voies créatives que l’exploration bégayante du mainstream vintage ! Oser aller où les autres ne vont pas ! Retrouver le goût puissant d’un design fort et signifiant, capable de créer la différence ! En commençant probablement par faire confiance à des vrais designers ! Les grandes heures de l’horlogerie se sont toujours inscrites dans une logique de rupture : on peut toujours en rêver pour 2019…

❒❒❒❒ ENFUMAGES : à quoi bon tout ce bullshit insincère qu’on finit toujours par repérer ? À quoi bon reculer les échéances et se mentir à soi-même sur les réalités du monde ? À quoi bon camoufler, alors qu’il se trouvera toujours un lanceur d’alerte, un journaliste sceptique ou un concurrent fouineur pour rétablir la vérité ? À quoi bon prendre ses interlocuteurs pour des billes et se décrédibiliser aux yeux de tous ? À l’époque des réseaux sociaux, l’enfumage n’est jamais payant et il réapprendre à tenir un discours de vérité : on peut toujours en rêver pour 2019…

❒❒❒❒ ÉTHIQUE : un mot qui se prononce comme « exigence morale » et « exemplarité » ! Un engagement qui se traduit par « refus de toute corruption » [celle qu’on pratique avec les médias perroquets complices comme celle qu’on entretient avec ses partenaires, fournisseurs et autres]. Un principe total qui devient convaincant quand il n’entre pas en contradiction avec les faits et les dires de la marque dès que ses interlocuteurs ont le dos tourné. Les nouvelles générations milléniales mettent la pression sur ce thème et n’hésitent plus à questionner les marques sur la consistance de leur posture : on peut toujours en rêver pour 2019…

❒❒❒❒ GRAND PRIX D’HORLOGERIE DE RÉFÉRENCE : le mot important est ici « grand », peu importe que le chapeau soit cantonal (Genève) ou fédéral (Berne). L’urgence est à la création d’un Grand Prix d’Horlogerie qui soit à la fois consistant, pertinent et référent dans le monde entier, tant par la sélection (forcément plus représentative) des montres appelées à concourir que par son palmarès final, ouvert à toute l’horlogerie internationale et à toutes les disciplines horlogères. Plus qu’une affaire de redéploiement, c’est tout simplement une question de survie – alors que l’édition 2018 a été à la fois la plus réussie sur le plan scénique et sur la qualité des montres primées. Comme quoi il ne suffit plus d’avoir le meilleur jury du monde : c’est tout le modèle économique qui est aujourd’hui à repenser…

❒❒❒❒ HUMOUR : on rêve d’une horlogerie qui retrouverait sens de l’humour et légèreté d’esprit, en prenant ses missions au sérieux sans se prendre au sérieux. Une communication qui comprendrait la satire et le second degré, tout en sachant prendre les distances qui conviennent vis-à-vis des contingences du quotidien – mais surtout en respectant l’élémentaire liberté de ton de la presse indépendante. Un établissement horloger qui ne stigmatiserait pas, par ses indignations convenues, un amusant pied-de-nez comme celui d’Édouard Meylan (H. Moser & Cie.) avant le SIHH 2018 (vidéo ci-dessous).

❒❒❒❒ RESPONSABILITÉ : comme toutes les autorités tutélaires et surplombantes, l’horlogerie n’échappera au questionnement général sur ses responsabilités sociétales et environnementales. Il faudra trouver les bonnes réponses à l’association systématique des montres de luxe aux grandes affaires de corruption. Il va falloir préparer des réponses crédibles aux pratiques d’optimisation fiscale des grandes marques de luxe [on pense ici à la mode de la facturation en Irlande ou aux remontées de profits vers les filiales néerlandaises ou luxembourgeoises, sans parler du stockage offshore ou de la « défaisance » vers les paradis fiscaux]. Il devient urgent de se préoccuper de l’impact environnemental de l’industrie horlogère : quelqu’un va un jour découvrir que la fabrication d’une seule montre de luxe pèse autant qu’une voiture de luxe sur le bilan carbone de la planète ! Responsabilité à 360° pour des marques qui pensent leur interaction sur le marché à 360° : est-ce trop demander ?

❒❒❒❒ SECOND MARCHÉ : de l’amont vers l’aval, l’appareil de production de l’horlogerie fonctionne aujourd’hui avec le mauvais logiciel de travail et les mauvaises données – ce qui n’est le meilleur gage de réussite. Côté production, que ceux qui n’ont jamais entendu parler de l’« effet coup de fouet » relisent d’urgence le rapport de Morgan Stanley, « DTC and the Bullwhip Effect » (à télécharger ICI), sur les insuffisances de la supply chain horlogère et sa propension à accumuler les stocks d’invendus aux mauvais moments. On nous jure que ça ira mieux en 2019, mais on a des doutes : tout le monde n’a pas la sagesse impavide de Rolex, ni la trésorerie de la marque, ni son équanimité (concept stoïcien d’égalité d’âme), paramètres qui auront réussi à pratiquement assécher le second marché de la marque au cours de ces deux dernières années. Tout semble démontrer que le problème majeur des années 2019-2020 sera la gestion du second marché, qu’on parle de l’« occasion », du « pre-owned » (« worn shop ») plus ou moins certifié ou du pur et simple marché gris (« parallèle ») : on estime aujourd’hui les surstocks à ce qui serait l’équivalent de deux à trois ans de « jours de vente » ! On comprend pourquoi un appareil statistique (voir ci-dessous) qui ne s’intéresse qu’au sell-in (mouvement de stock) et non au sell-out (vente effective au client final) est une fantastique incitation à la surproduction et au surstockage contre-stratégique au premier frisson de crise…

❒❒❒❒ STATISTIQUES : promis, juré, on fera mieux en 2019, sauf que les très officielles statistiques d’exportations horlogères, aussi comptablement justes qu’elles soient, sont un reflet totalement décalé du marché – on se réfère aux douze derniers mois, dans une industrie globalisée et numérisée qui réagit davantage aux douze dernières semaines, voire aux douze derniers jours ! Il existe pourtant un palliatif : merci à Thierry Huron (The Mercury Project) d’avoir inventé son Sell-Out Index (Business Montres du 10 décembre), intelligemment placé sous les auspices de Mercure, le dieu du commerce. On peut y suivre mois après mois les ventes effectives sur le terrain, à travers les données d’une dizaine de marchés majeurs. De quoi fournir aux managers un tableau de pilotage autrement plus sûr et plus performant que l’appareil statistique obsolète et désuet de la FH suisse – dont les gros contributeurs ne tiennent pas forcément à cette opération vérité sur les ventes réelles (en particulier le Swatch Group, dont les stocks d’invendus atteignent en valeur les deux-tiers du chiffre d’affaires)…

❒❒❒❒ SWISS MADE : que 2019 nous préserve des tricheurs du Swiss Made serait un des meilleurs vœux à souhaiter à l’horlogerie suisse pour l’année prochaine ! Sauf que les faussaires du label sont aussi ceux qui s’en drapent avec le plus d’ostentation. Jamais l’horlogerie « suisse » n’a recouru avec plus d’ardeur aux sous-traitants asiatiques qu’au cours de ces dernières années : qui sait que les quatre-cinquièmes des boîtiers qui habillent les vingt-quatre millions de montres Swiss Made ne sont pas fabriqués en Suisse ? On pourrait en dire autant pour les cadrans. Le jour où les réseaux chinois le découvriront, la Suisse horlogère sautera ! Le terroir contre la calculette : toute la planète comprend « Fabriqué en Suisse » quand elle entend « Swiss Made » – sauf les horlogers suisses, cramponnés à une définition purement bureaucratique et comptable de la valeur de ce Swiss Made, qui n’est plus qu’une passoire rouillée. Donc, croisons les doigts et souhaitons, pour une fois, que la vérité n’éclate pas trop vite !

❒❒❒❒ TRANSPARENCE : ce serait la meilleure des bonnes résolutions pour la nouvelle année, celle qui résumerait tous les vœux ci-dessus. Transparence de la communication des marques vers leurs différents publics, amateurs et médias compris. Transparence de l’information officielle transmise à la communauté horlogère, données statistiques comprises. Transparence des chiffres et des données sur la contribution des maisons horlogères au mieux-être collectif de la planète. Transparence des relations financières entre les marques et leurs relais médiatiques, notamment du côté des « influenceurs » qui les truandent avec avidité. Transparence à l’intérieur même des hiérarchies horlogères, alors que les plus jeunes ont envie de secouer le cocotier pour en décrocher les vieux singes qui jouent les prolongations. On a le droit de rêver, non ?

❒❒❒❒ ET, POUR BUSINESS MONTRES, une onzième et toute dernière bonne résolution : plein de bonnes informations à raconter, à décoder et à distiller pour le plus grand plaisir de nos lecteurs, avec plein de bons dessins pour commenter cette actualité sans se prendre au sérieux, plein de nouvelles marques, plein de nouveaux créateurs à rencontrer et, surtout, plein de belles montres ingénieuses, créatives et porteuses d’espoirs à découvrir…

BYE BYE 2018

Retrouvez nos précédents articles sur le bilan de l’année 2018, ses splendeurs et ses misères. Les liens pour les dix premières séquences figurent dans l’épisode #20 ci-dessous…

❑❑❑❑  #20 : Peut-on encore récompenser le CEO le plus nul de l’année et qui serait-il ? (Business Montres du 30 décembre)


Partagez cet article :

Restez informé !

Inscrivez-vous gratuitement à notre newsletter et recevez nos dernières infos directement dans votre boite de réception ! Nous n'utiliserons pas vos données personnelles à des fins commerciales et vous pourrez vous désabonner n'importe quand d'un simple clic.

Newsletter