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Les onze raisons du succès planétaire de la Swatch
Le 20 / 02 / 2017 à 08:00 Par Le sniper de Business Montres - 2277 mots
La Swatch fête cette année-là ses quinze ans. « Business Montres » n'existait pas encore, mais les montres étaient déjà dans l'actualité. Republication d'un article de Grégory Pons paru dans « Stratégies », l'hebdomadaire de la communication, pour ce quinzième anniversaire de la marque...
On pourrait aujourd'hui réécrire à peu près le même article que celui qui avait été publié par Grégory Pons dans Stratégies (3 décembre 1999), en ne changeant que les chiffres et en précisant le rôle moteur joué par les vrais « pères » de la Swatch (Ernst Thomke, Elmar Mock, Jacques Muller). On doit avoir approché, sinon dépassé les 400 millions de montres Swatch vendues. Le marché des montres a connu une révolution grâce à la Swatch, objet horloger non identifié descendu sur notre planète voici trente-cinq ans. Du coup, on peut s’interroger sur les trente-cinq prochaines années de ce concept, devenu montre, puis marque, puis groupe et enfin icône du XXe siècle horloger (relire également notre récente réédition d'un de nos articles parus pour les trente ans de la Swatch : Business Montres du 12 février)...
Quel destin pour la marque qui était la fille aînée du royaume de Nicolas Hayek, marque à laquelle le Swatch Group doit son nom et sa prospérité économique. À propos de cette fille aînée, citons un autre article de Business Montres (3 juillet 2008), quand la Swatch fêtait – ou plutôt ne fêtait pas – son 25e anniversaire : « On peut s’interroger sur les actuelles options marketing de la marque et sur son destin au cours du prochain quart de siècle… Interrogations dont on peut trouver un écho dans l’assourdissant silence qui entoure ce vingt-cinquième anniversaire et qui pourrait faire penser que la Swatch n’intéresse plus beaucoup le Swatch Group, qui lui doit pourtant tout. En fait, je suis intimement persuadé que Swatch est (avec Breguet) la marque préférée de Nicolas Hayek, mais qu'il ne sait plus trop quoi faire de sa fille aînée, ni à qui la marier (la marque n'a plus de vrai manager depuis plusieurs années). Du coup, elle commence à passer pour une... vieille fille, ce qui est un comble pour un ancien top model »…
ONZE LEÇONS DE SWATCH MARKETING
Sans la Swatch, on ne parlerait sans doute plus de l'industrie horlogère suisse. Les éléments de cette réussite commerciale - qui fait de Swatch la marque fétiche de cette fin de siècle - donnent une leçon de marketing et de communication.
••• L'identité
Personne ne sait plus si Swatch vient d'une contraction de « Swiss watch » ou de « Second watch », mais le nom est connu dans le monde entier. Sa paternité reviendrait à Franz Xavier Sprecher, qui travaillait en 1981 pour une agence de publicité de New York. Swatch se dit et se retient facilement dans toutes les langues. Aussi fort que le nom, le label : une Swatch est « Swiss Made », synonyme de qualité. Cela signifie tout simplement que la moitié de la valeur montre est réalisée en Suisse.
••• L'innovation
La Swatch est née d'un défi : faire mieux que les Japonais. Au début des années 1980, la Suisse déprime : 43 millions de montres vendues dans le monde, contre 91 millions dix ans plus tôt. Le quartz asiatique déferle. Les Suisses ripostent avec un mouvement à quartz si mince que son premier nom commercial sera « Delirium... tremens » ! Bide commercial, mais vraie innovation : les éléments du mouvement électronique sont directement assemblés sur le fond de la boîte, ce qui réduit à la fois l'épaisseur du boîtier, le nombre des pièces nécessaires et le temps de fabrication. Un consultant nommé Nicolas G. Hayek va transformer cet échec en coup de génie. Fort de cette technologie, il propose à une clientèle jeune des plastiques colorés (ça change de la montre en or de papa), déclinables dans tous les styles, avec la précision du quartz (pas besoin de remonter), à un prix défiant toute concurrence (40 francs suisses). La première collection est lancée en mars 1983 (ci-dessous). Objectif : un million de montres. Swatch en vendra 2,4 millions en 1984 !
••• La force du message
Nicolas G. Hayek a compris qu'une montre, c'est plus qu'une montre. C'est un élément du style de vie : « Swatch, c'est la provocation, la couleur, le rejet des conventions. Swatch fait la nique aux prétentieux et aux snobs. Swatch est faite pour les riches comme pour les pauvres, pour les hommes comme pour les femmes, pour les jeunes comme pour les vieux. » Objet de statut pour décalés-branchés, la Swatch s'impose comme un produit de génération.
••• Le packaging
L'injection du plastique en microparticules permet d'obtenir des boîtiers, des cadrans et des bracelets dont les couleurs flashent sans faiblir dans le temps. Cette technologie de l'injection sera appliquée au métal de la ligne Irony. Les emballages des Swatch sont tout aussi gais. Des séries limitées en rajoutent : un chapeau de paille qui se noue en aumônière pour la Leaf Pop au bracelet en paille de l'été 1994 ou un écrin doré tendu de velours rouge pour la Xmas by Xian LaX (comprenez: Christmas de Christian Lacroix). Avec Swatch, on ne s'ennuie jamais, que la montre soit ornée de dentelle viennoise (Mozart, 1989), de houppettes en fausse fourrure (Havana Puff, 1988, cotée 15 000 euros) ou de plumes exotiques (Feathers, 1997).
••• La communication
Swatch préfère communiquer par l'événement (la bâche qui recouvre la façade du Centre Georges Pompidou à Paris, par exemple : ci-dessus) plus que par le produit, dont le prix, les couleurs et les motifs sont déjà en soi une communication. Swatch était chronométreur officiel des jeux Olympiques d'Atlanta : pas de meilleure vitrine publicitaire. L'opération sera d'ailleurs reconduite en 2000, aux jeux de Sydney. Swatch fait relativement peu de publicité dans les médias, mais dépense beaucoup pour des opérations promotionnelles, qui créent une réelle connivence culturelle avec les consommateurs, sans être cependant trop cousues de fil blanc marketing: concerts (d'Urban Sax à Pierre Boulez), record du monde de vitesse en voiture solaire, manifestations artistiques (street paintings), défilés de mode, médiatisations charitables. Le tout est d'être tendance, international, donc swatchissime !
••• La variété
Une Swatch est toujours ronde : c'est la seule chose qui n'a pas changé depuis 1983. Tout le reste est livré à l'imagination du Swatch Design Lab de Milan, qui livre deux collections par an, plus un certain nombre de modèles spéciaux. On connaît des Swatch incrustées de diamants (Limelight, 1985), d'autres en tissu écossais ou en platine... Près de 2500 références ont été lancées, avec l'idée de toujours proposer une Swatch pour chacun, à chaque instant de sa vie. Rotation saisonnière des stocks, diversité des styles, effets de mode, prix écrasés et organisation savante de la pénurie (grâce aux séries limitées) se conjuguent pour stimuler la demande.
••• L'évolution
Du banal quartz au chronographe automatique, du plastique au métal injecté, de la Swatch qui fonctionne à l'énergie solaire à la Swatch Access (dotée d'une puce lui permettant d'ouvrir les portillons automatiques des téléskis dans une quinzaine de stations de sports d'hiver), de la Swatch Musi-Call de 1993 (Jean-Michel Jarre au synthétiseur) à la Swatch e-mail de 1999 (avec des mots de passe Internet intégrés), les Swatch n'ont jamais cessé d'évoluer. L'univers Swatch s'est renforcé de lunettes (opération qui s'est soldée par un échec), de téléphones, de pagers, de consoles Sega, et même d'une voiture, la fameuse et très controversée Smart. On parle d'une Swatch carte bancaire. Il existe déjà un prototype de Swatch GSM. Que vont-ils nous préparer pour l'an 2000 ?
••• La notoriété
Quand le génie horloger se marie au génie de la communication, la progéniture compte 250 millions de montres vendues dans le monde. Exploit industriel, la Swatch a toujours été un phénomène de mode. Avec Rolex, c'est la marque de montre internationalement la plus connue. Autres vecteurs gratuits de notoriété: les séries limitées (rédactionnels obligatoires dans les magazines féminins), les collectionneurs (pour le bouche à oreille), les ventes aux enchères (pour les records) et les 80 000 cibles captives du Swatch Club.
••• La disponibilité
La Swatch est sur tous les poignets. Pour y rester, le groupe multiplie les ouvertures de Swatch Stores à travers le monde. Le Swatch Timeship de New York voisine avec Hermès et Chanel : belle revanche pour la petite plébéienne en plastique que les grands de ce monde méprisaient. Paris compte déjà plusieurs Swatch Stores : on peut librement regarder, toucher, acheter, causer, regarder des vidéos, prendre son temps en découvrant l'intégralité des produits Swatch. Impossible de ne pas y trouver la Swatch de ses rêves.
••• La profitabilité
« Swatch démontre qu'il est possible de réaliser un produit de toute première qualité, à très bas prix, dans un endroit aussi cher que l'Europe, et même en Suisse, le pays le plus cher du monde », explique Nicolas G. Hayek. Le cahier des charges des premières Swatch annonçait aux distributeurs de belles marges. Le prix de revient d'une Swatch est tenu secret, mais d'aucuns l'estiment à moins de… 6 euros/francs. Pour un prix de vente moyen de 60 à 100 euros, calculez les profits. Le Groupe Swatch est ainsi très à l'aise pour financer ses investissements marketing et l'élargissement de son territoire, comme la récente acquisition de la marque Breguet.
••• La gestion de la marque
Les enchères flambent quand elles sont intelligemment entretenues. Les collectionneurs rêvent de la Kiki Picasso (1985, cotée 30 000 euros) et ils font croire au monde entier qu'une Swatch a toujours une forte valeur de revente. Mais qui dit aux amateurs qu'une Swatch de collection doit être intacte, jamais portée, dans son emballage d'origine ? Les artistes internationaux fréquentent Swatch. Vocation confirmée par l'emballage de Beaubourg ou les défilés de mode organisés pour Castelbajac (1993). Les opérations humanitaires (Unicef, lutte contre le sida, défense de l'environnement à l'ONU) donnent un supplément d'âme. Les jeux Olympiques renforcent la compétence horlogère, en plus de promotions (Boardacross Tour, snowboard, cerf-volant, beach-volley, planche à voile). Reconnaissance institutionnelle, enfin: Nicolas G. Hayek, le consultant devenu PDG de l'entreprise qu'il conseillait, est docteur honoris causa de plusieurs universités ainsi que consultant en innovation technologique pour le gouvernement allemand et pour la République française...