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MOONSWATCH
Omega x Swatch : un coup marketing génial, doublé d’une initiative industrielle très intelligente

À la demande insistante et très pressante de nos lecteurs, qui nous réclament un avis d’expert indépendant sur cette MoonSwatch dont tout le monde parle, voici ce qu’on peut en penser, pour le meilleur est pour le pire…


C’est, à ce jour, la meilleure nouvelle des premières années de cette décennie 2020 pour l’horlogerie : on a revu dans les rues, devant les boutiques Swatch du monde entier, des files d’attente pour acheter des montres ! D’ailleurs, pas « des » montres, mais « une » montre, puisque les quantités étaient contingentées, tant pour les boutiques que pour les allocations par personne. Et c’était une montre à quartz façonnée dans un matériau composite sans prestige particulier [qui rêve d’une montre à l’huile de ricin, d’autant que l’usinage de cette « biocéramique » n’a pas toujours donné des résultats qualitatifs, comme les réseaux sociaux semblent s’en émouvoir] et clairement annoncée comme une série courante non limitée. Il est vrai que ce n’était pas n’importe quelle montre, mais un mariage étonnant et inattendu de l’iconique Speedmaster d’Omega – dont les codes esthétiques ont été respectés – et d’une Swatch en biocéramique, dont les boutiques ont été requinquées : on n’y avait pas vu une telle file d’attente devant les vitrines depuis plus de vingt ans (ne pas manquer notre reportage en direct d’une de ces files d’attente : Business Montres du 26 mars). Des files d’attente qui étaient prévisibles et que nous avions anticipé dès vendredi, en conseillant à nos lecteurs de ne pas manquer cette occasion de faire une bonne affaire (Business Montres x Atlantico du 25 mars)…

Nous n’allons pas revenir sur le phénomène planétaire qui a vu plusieurs millions d’amateurs se ruer, à la même heure, pour acheter une MoonSwatch dont ils n’avaient pas entendu parler l’avant-veille, sur les boutiques fermées faute de pouvoir y maintenir l’ordre, sur les reventes extravagantes sur Internet ou sur les premières déceptions communiquées sur les réseaux sociaux, avec des montres médiocrement finies et des problèmes de migration de couleurs. Ruée commerciale d’autant plus absurde que Swatch et Omega ont clairement annoncé la couleur en termes de volumes non limitées : voici quelques jours, lors de la publication des statistiques officielles des exportations horlogères, nous avions été intrigués par la croissance subite des montres de la catégorie « Autres matières », en baisse systématique depuis plusieurs années [c’est généralement la catégorie des montres Swatch en plastique, celle dont Nick Hayek intrigue pour qu’elle soit supprimée des statistiques pour cacher l’ampleur du naufrage de la maison Swatch]. Or, en février (chiffres publiés en mars), on constatait que les exportations de ces « Autres matières » avaient gagné + 38 %, en s’affichant nettement au-dessous des montres en métaux précieux (31,5 %) ou des montres en acier (+ 8 %). Il y avait là un mystère inexplicable, confirmé par la hausse imprévue de la valeur et du volume des montres à moins de 200 francs suisses (prix export), qui et également la catégorie dont la Swatch est la seule marque de référence. 

En fouillant un peu plus profondément dans les statistiques pour ces « Autres matières », on découvrait même que 402 000 de ces montres avaient été exportées depuis le début de l’année (ci-dessus), soit 24 % de plus que l’année dernière. Puisqu’aucun concurrent n’était en vue, un « gros coup » était donc en préparation chez Swatch, mais il était impossible d’imaginer une « collaboration » aussi poussée avec Omega ou au détournement malicieux de la « Moonwatch » en MoonSwatch : et pourquoi pas, tant qu’on y est, une Submariner de Rolex en « collab » avec Ice-Watch ?

Le « gros coup » de cette « collab » a été minutieusement préparé, dans le plus grand secret [les communicants du Swatch Group ont été soigneusement tenus à l’écart, de même que la plupart des membres de la direction du groupe], par la garde rapprochée de Raynald Aeschlimann, le CEO d’Omega, qui s’est offert dans cette aventure un incroyable « coup de pub » planétaire. Il était assez culotté de mettre dans la balance son icône Speedmaster, dont l’aura est religieusement ré-illuminée chaque année et qui reste en pleine forme aux enchères [le record de trois millions établi en 2021 reste à battre]. Et surtout d’associer à cette icône ascendante une marque aussi fléchissant que Swatch, qui n’était plus que l’ombre créative d’elle-même et qui ne nous donnait plus, depuis des années, le moindre signe encourageant de retour à ses meilleures années. Il fallait même être un peu fou pour atteler une marque comme Omega, qui gagne chaque année des centaines de millions (estimation Business Montres : pas tout-à-fait encore un milliard, mais on y vient !), à une maison comme Swatch, qui perd chaque année des centaines de millions (estimation Business Montres : entre 250 et 300 millions sans compter les pertes industrielles réparties sur d’autres postes, soit pratiquement l’équivalent du chiffre d’affaires). On notera au passage que tous les médias perroquets, qui se gardaient bien d’en dire le moindre mot, admettent à présent que cette MoonSwatch a redoré le blason de Swatch dont on nous avoue après coup qu’il s’était sérieusement détérioré ! Merveilles de la communication horlogère…

❑❑❑❑ UN COUP DE POUCE PRODIGIEUX POUR SWATCH : plus personne ne croyait à la marque et à une possible sortie de sa spirale léthargique, mais c’est bien reparti pour retrouver de la désirabilité. Quand plusieurs millions de personnes salivent pour une marque, il en reste toujours quelque chose ! 400 000 montres parties en quelques jours : même si c’est un feu de paille, c’est tout de même une centaine de millions de chiffre d’affaires. Un million de MoonSwatch vendues dans l’année, c’est pratiquement le chiffre d’affaires de toutes les Swatch en 2021. Commercialement, on efface les pertes : même si la MoonSwatch ne représente qu’un tiers des ventes de la marque, comme elle est vendue au triple du prix moyen Swatch s’y retrouve et, d’une certaine manière, « sauve » l’entrée de gamme suisse. Créativement, on retrouve un ballon d’oxygène. Patrimonialement, on recrée de la substance iconique. Concurentiellement, on repousse très loin des compétiteurs comme Ice-Watch qui avaient tendance à mordre les mollets de la marque. Générationnellement, on rajeunit singulièrement l’âge du client moyen de la Swatch : les vieux bobos se font évincer dans les files d’attente par les jeunes milléniaux, auxquels ils racontent les files d’attente du passé. Pas belle la vie des montres ? Nicolas Hayek Senior doit en frissonner de plaisir dans sa tombe…

❑❑❑❑ UN COUP MARKETING GÉNIAL POUR OMEGA : il semble évident que la communication autour des codes esthétiques et iconiques de la Speedmaster va faire vendre plusieurs dizaines de milliers de montres à toute une nouvelle génération d’acheteurs sensibilisés par la MoonSwatch, qui joue ici le rôle d’initiatrice aux frissons de la belle horlogerie. Pour Raynald Aeschlimann, qui a porté le projet à bout de bras, en osant la Swatch et en osant la biocéramique, c’est l’assurance d’entrer dans l’histoire de l’horlogerie : de même que Swatch avait sauvé la montre suisse dans les années 1980, Omega – Aeschlimann regnante – aura sauvé Swatch dans les années 2020. Ceci sans rien céder sur les codes statutaires de son icône et sans contaminer ses collections. Du grand art ! Notamment pour aguicher par la bande une nouvelle génération, qui en viendra inévitablement aux « vraies » Speedmaster [la migration a déjà commencé, ne serait-ce que par curiosité, comme on peut le vérifier dans les boutiques Omega], les spéculateurs prenant en charge, avec le soutien discret mais intelligent de la marque, la mise sur orbite stratosphérique des Speedmaster de collection. Raynald Aeschlimann, qui jouait gros en cas d’échec de son initiative, vient de consolider sa place de seul leader horloger d’un groupe industriel de référence. Un leader capable de prendre en compte, au-delà de l’intérêt de ses marques, les intérêts industriels de son groupe (voir plus bas) : désormais, il n’a plus de concurrents internes, il a seulement des admirateurs et des courtisans…

❑❑❑❑ UN COUP MANAGÉRIAL SENSATIONNEL POUR NICK HAYEK : le vainqueur subliminal de cette opération MoonSwatch, c’est en fait Nick Hayek, qui porte la marque à bout de bras depuis des années [en dépit de tous les tableurs Excel qui auraient pu l’inciter à laisser tomber] et qui a eu le bon réflexe en donnant le feu vert à l’équipe de Raynald Aeschlimann. Pour une fois que Business Montrespeut lui rendre hommage, ne nous privons pas de reconnaître sa vista. Cette renaissance virtuelle [l’avenir nous dira si c’est durable ou si ce n’est qu’un coup d’épée dans l’eau] d’une des plus grandes marques suisses est une trop bonne nouvelle pour qu’on ne s’en réjouisse pas et pour qu’on n’en remercie pas Nick Hayek – en se demandant si son neveu, qu’on nous disait désigné pour lui succéder, aurait pu la même prescience pour faire confiance à cette MoonSwatch…

❑❑❑❑ UN COUP INDUSTRIEL MAGISTRAL POUR LE SWATCH GROUP : les volumes prévus pour la mise sur le marché de ce million de montres en biocéramique [c’est le premier objectif] vont saturer les lignes de production du Swatch Group, qui en avait bien besoin. Les ventes des Swatch dans ce matériau innovant étaient désespérément trop basses pour rentabiliser les investissements du groupe dans cet outil de production, dont les capacités pourront désormais tenter d’autres marques du groupe ou même des marques tierces. Il reste encore quelques détails de finitions à régler et des avancées technologies à mieux maîtriser, mais la filière est prometteuse à défaut d’être déjà profitable. Cette MoonSwatch est probablement la meilleure histoire qui soit arrivée au pôle industriel du Swatch Group depuis des décennies : pour peu que le « feu de paille » n’en soit pas un et que la MoonSwatch s’installe durablement dans les collections, par exemple avec un mouvement automatique rectifié sur une base Sistem51, l’avenir est assuré sur le court terme. Finalement et stratégiquement, les groupes horlogers ont des avantages que n’ont pas les grandes marques indépendantes…

Que dire de plus sur cette collaboration entre Omega et Swatch, sinon qu’elle appelle d’autres initiatives de ce genre, au sein du Swatch Group comme chez ses concurrents ? On rêverait de voir l’audace l’emporter sur la pusillanimité et le goût du risque se développer chez les petits comptables. Le Swatch Group, qui avait magistralement raté sa collaboration avec Apple [et donc stratégiquement planté toute l’industrie horlogère en laissant filer le projet d’Apple Watch], avait beaucoup à se faire pardonner : cette MoonSwatch tombe donc à point ! Peut-être qu’une histoire d’amour est en train de se réécrire entre les montres traditionnelles et les opinions publiques : c’est avec d’autres MoonSwatch qu’on gagnera les prochaines embuscades contre les montres connectées, qui se sont banalisées quand la MoonSwatch se singularise. Ce n’est qu’un début, continuons le combat !


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