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ROLEX : Un patient apprentissage de l'humilité (campagne publicitaire « Icons »)

On ne se bat bien que pour ce dont on manque le plus... En baptisant « Icons » sa nouvelle campagne, Rolex fait le constat de la faiblesse iconique de son autorité surplombante. Une souveraineté lézardée, devenue impossible à pérenniser sous la double pression des concurrents et des consommateurs... ▶▶▶ ROLEX « ICONS »L'offensive d'une marque moralement réarmée... 


On ne se bat bien que pour ce dont on manque le plus... En baptisant « Icons » sa nouvelle campagne, Rolex fait le constat de la faiblesse iconique de son autorité surplombante.

Une souveraineté lézardée, devenue impossible à pérenniser sous la double pression des concurrents et des consommateurs...

 ROLEX « ICONS »
L'offensive d'une marque moralement réarmée...
 
 
◉◉ Jusqu'ici, Rolex n'avait qu'une seule icône : sa couronne. Avec un outil de communication particulièrement pratique : un miroir magique, capable de répéter chaque jour à cette couronne qu'elle était la plus belle, la plus sublime et la plus digne d'admiration. Un exercice d'auto-érotisme jubilatoire, inlassablement repris en boucle par le milliard de francs, d'euros, de dollars [peu importe : rayez les mentions inutiles] dépensé chaque année pour la promotion de la marque, toutes opérations et toutes communications confondues. Sauf que, à force de ne plus s'adresser qu'à soi-même et à ne plus admirer que son image dans les reflets inlassablement repolis de sa propre couronne, on finit par perdre le sens de l'histoire et le fil de la conversation qu'une marque se doit d'entretenir avec ses publics. Érosion des ventes, dégradation de l'image et dilution de l'autorité « impérale » de la marque ont rendu cette posture souveraine impossible à tenir.
 
◉◉ Une réaction était devenue indispensable face aux pressions redoublées des marques concurrentes – allégorie facile du vieux mâle dominant bousculé par d'insolents jeunes mâles alpha – et face aux mutations sociétales qui ont inversé le rapport de forces entre les marques et les consommateurs, à qui les médias sociaux ont aujourd'hui permis de reprendre le pouvoir. À force de dédaigner ou de tolérer les incursions dans son empire, la maison Rolex se voit désormais menacée jusqu'au coeur de ses multiples territoires de référence, d'autant plus faciles à investir qu'ils n'étaient que mollement défendus au nom d'un Noli me tangere mal compris.
 
◉◉◉ Avec les tournois et les champions qu'ils mettent en scène, Rado, Longines ou même Richard Mille occupent désormais mieux le terrain tennistique que Rolex. Côté golf, Rolex verrouille encore quelques beaux greens, mais Tiger Woods a du mal à émerger face aux champions d'Omega ou d'Audemars Piguet. Même les compétitions équestres internationales ont failli être confisquées par Longines, au nez et à la barbe de Rolex, qui a cependant réagi sans pour autant effacer le trouble. Impossible de fonder une communication internationale sur la grosse quinzaine d'événements nautiques où Rolex règne sans contestation, mais sans mobiliser les audiences nécessaires. Sur le circuit de la F1, Rolex a pu imposer sa domination au prix fort, mais sans le moindre champion charismatique à mettre en avant – hormis ses ambassadeurs septuagénaires. Même le terrain culturel est désormais balisé par des marques comme Breguet ou Vacheron Constantin. Ce ne sont pas les initiatives de Rolex dans le domaine du mécénat (testimoniaux, y compris avec Eric Clapton : ci-contre) ou de l'encouragement économique (Awards for Entreprise) qui pourront enrayer cette dépossession systématique, qui voit Rolex se situer à présent dans une invivable position offshore, sans territoire de référence clair et lisible. Intervenir partout sans cohérence est encore le meilleur moyen de n'être plus nulle part cohérent...
 
◉◉ Une situation d'autant plus choquante qu'on se souviendra que Rolex a « inventé » la communication grand public par le sport, d'abord de façon ponctuelle – mais très efficace – avec la traversée de la Manche par Mercedes Gleitze, qui portait sa Rolex autour du cou (1927 : en haut de la page), ensuite avec Arnold Palmer dans les années 1960 (ci-dessous). Rolex a également « inventé » (au moins partiellement et à une échelle industrielle) la communication par l'exploit pionnier (l'Everest, le bathyscaphe, etc.) et les ambassadeurs sportifs ou sociétaux capables de témoigner en faveur de la marque (même Picasso s'est prêté au jeu : en cartouche à côté du titre)...
 
 
◉◉ Comment réagir sans disposer d'un espace de manoeuvre légitime ? L'opération championnat de F1 est encore trop récente pour procurer la profondeur stratégique nécessaire. Intervenir sur les anciennes marches sportives de l'empire Rolex reviendrait à y risquer sa légitimité dans un combat épuisant et sans issue prévisible. Même la bonne vieille recette des « ambassadeurs » sportifs a perdu de son prestige, au moins dans les pays développés où les consommateurs experts décodent sans aménité les grosses ficelles du celebrity marketing. N'ayant jamais pratiqué l'enrôlement des « pipoles » tarifés du show-business ou du cinéma [quel ratage monumental, le recrutement de James Bond par Omega !], et faute de héraut crédible (audible et incontestable) dans le champ culturel, Rolex n'avait plus guère le choix des armes...
 
◉◉ On se demandera longtemps comment la marque la plus iconique du marché – et la plus anciennement légitime – a pu se retrouver sans icônes naturelles. Pas un nom n'émerge autour de la Daytona. Le storytelling himalayen de l'Explorer est plus miteux que mythique [trop d'embrouilles historiques], tandis que la Submariner a perdu son lustre pionnier avec le retour de Blancpain. Rien pour accompagner la GMT et pas mieux côté Yacht-Master [là encore, quel ratage monumental d'avoir hésité devant l'America's Cup quand elle s'offrait !]. Auparavant fortes, ne serait-ce que par leur taille au-dessus du lot commun, les Oyster ont perdu de leur puissance magnétique (y compris pour Paul Bocuse : ci-contre). À force de statufier la marque (au détriment de ses produits), on l'a placée dans un Olympe inaccessible et surplombant, à peu près aussi déshumanisé qu'une image pieuse, invisible pour les mortels et enfumée derrière les multiples volets clos de l'iconostase.
 
◉◉◉◉ Avec un peu de réflexion, un territoire semblait pourtant libéré de toute présence parasitaire : celui de l'histoire contemporaine, immédiate ou un peu plus patinée, pourvu qu'elle ait été largement médiatisé par les médias audiovisuels de masse (essentiellement la télévision et le cinéma), qui sont les nouveaux faiseurs des dieux de l'époque. La nostalgie est plus que jamais ce qu'elle était ! Le message, c'est le massage ! Autant remâcher ad libitum ces images qui tapissent notre mémoire : la publicité n'est-elle pas le nouveau chewing-gum des yeux ? L'onction vintage du noir et blanc ajoute à la séduction d'une affiche qui fonctionne comme un poster au mur d'une chambre d'adolescent du baby boom et des générations suivantes (celles qui ont enfilé les bottes mémorielles de leurs parents, sinon de leurs grands-parents, en partageant leurs musiques et leurs références iconiques). Icônes : le mot est lâché. Ce sera la colonne vertébrale de cette campagne « Icons » 2013, dont la réussite est sans fautes (image en haut de la page, sous le titre)...
 
◉◉◉◉ Le tout était – surtout pour lancer l'opération – de faire le bon mix entre le cinéma, la politique, les arts et le sport, entre les icônes récentes et les plus datées [du passé au présent], entre les Blancs et les Noirs, entre les hommes et les femmes (très minoritaires), en évitant les sujets qui fâchent, surtout aux Etats-Unis [l'Europe aurait volontiers opté pour Che Guevara], les dictateurs infréquentables, les pop-stars aux réputations crucifiées, les explorateurs discutables, les comédiens sulfureux et les sportifs dans la débine. Le tout sans piétiner les plate-bandes iconiques des concurrents, comme Steve McQueen [préempté par TAG Heuer] qui aurait été on ne peut plus légitime avec Rolex. Le choix 2013 a dû peser son lot d'ajustements diplomatico-talmudiques, mais le casting est irréprochable (ci-dessous)...
 
 
◉◉◉◉ La liste complète du casting Rolex ne fait pas dans la banalité : nous aurons droit à Arthur Ashe, Marlon Brando, Maria Callas, James Cameron, Sir Winston Churchill, Eric Clapton, Robert De Niro, Plácido Domingo, Dwight Eisenhower, Sir Edmund Hillary, Roger Federer, Jean­Claude Killy, Martin Luther King Jr., Daniel Libeskind, Sophia Loren, Paul Newman, Jack Nicklaus, Arnold Palmer, Pablo Picasso, Elvis Presley, Martin Scorsese, Sir Jackie Stewart, Andy Warhol et Tiger Woods. C'est le Who's Who des célébrités du dernier demi-siècle. Certains d'entre eux seront mis en scène dans différents films, où ils raconteront leur lien particulier et personnel avec Rolex (James Cameron, Sir Winston Churchill, Dwight Eisenhower, Sir Edmund Hillary, Roger Federer, Martin Luther King Jr., Paul Newman, Elvis Presley, Sir Jackie Stewart et Andy Warhol : les liens indiquent les vidéos déjà diffusées sur notre chaîne images Business Montres Vision, qui a également présenté la vidéo de découverte de toute la campagne)...
 
◉◉◉◉ Le texte de la publicité est lui aussi limpide : « Cette montre ne se contente pas de donner l'heure. Elle raconte notre temps » (traduction libre). C'est la montre des gens qui ont fait des choses extraordinaires dans leur vie. Ces leaders qui ont changé la face du monde ont choisi Rolex. Pas de nom pour ces icônes, dont la reconnaissance immédiate fait partie du contrat de lecture : chacun reconnaîtra les siennes parmi ces porteurs historiques de Rolex. Moralité : si vous vous sentez une âme de leader, vous aurez besoin d'une montre de leader. Basique, mais efficace : on n'attrape pas les mouches avec du vinaigre ! Rolex consolide ainsi par contagion son message statutaire, en retrempant ses racines dans un bain de nostalgie historique, mais élitiste et compréhensible par au moins trois générations d'amateurs. On appréciera au passage la consistance sans bavardage de ce texte, qui compte 31 mots pas excessivement dithyrambiques, acceptablement superlatifs et résolument accessibles à un public cultivé [on attend évidemment avec impatience la traduction française]. Evolution sémantique intéressante dans ce message : pour une fois, Rolex ne parle pas de Rolex à la troisième personne ! Par leur simple image, les icônes sont les porteuses du message. Même la Rolex n'est pas évidente à leur poignet. Pas une fois le mot Rolex dans le texte, sauf pour la signature, et pas la moindre arrogance : nous n'avions pas été habitués à une une telle sobriété, qui confine ici à la modestie et presque à la confession des errements antérieurs. Voilà qui nous change agréablement du storytelling campagnard à la « Il était une fois dans la vallée de Joux »...
 
◉◉◉◉ On peut trouver le concept sans génie créatif particulier, mais « Icons » n'en est pas moins la grande campagne fédératrice que Rolex attendait depuis des années. La marque en avait terriblement besoin, mais elle a très tactiquement choisi d'investir un territoire historico-iconique miraculeusement épargné par le carpet bombing publicitaire et le marketing des concurrents. Ce territoire tout neuf sera bientôt inexpugnable : on peut faire confiance à la force de frappe multinational des Verts. Rolex a choisi de ne pas s'encombrer d'esthétisme, ni de privilégier une approche graphique sophistiquée, avec un souci très sensible de l'understatement dans l'expression visuelle [plus de blanc que de texte ou d'image]. Manifestement, Rolex bouge et se bouge. Un vent nouveau souffle dans les couloirs de l'état-major genevois : le réarmement moral est en cours. Il annonce de futures offensives, dans le style de la blitzkrieg menée pour la reconquête de la F1. Un telle mutation de Rolex dit à quel point le monde horloger a changé au cours de ces dernières années – même Rolex vient de s'en apercevoir !
 
◉◉◉◉ Les publicités Rolex qui illustrent cet article [lequel n'est clairement ni officiel, ni autorisé] n'ont évidemment aucun rapport avec la campagne « Icons » : ils ne font que témoigner de l'héritage publicitaire d'une marque qui conçoit chaque année plus d'un millier de visuels promotionnels différents...
 
 
 
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