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WATCHES & WONDERS 2021 (accès libre)
Tout ça pour ça ? Si c’est une blague, elle est saumâtre !

Fin de partie pour Watches & Wonders 2021 : un enterrement sans fleurs, ni couronnes, où même les ravis de la crèche, un peu gênés aux entournures, ne verseront pas la moindre larme et rengaineront leurs sanglots de circonstance. Sous la pression d’une inexorable actualité sanitaire, il fallait tenter le coup – au risque de se rater. On s’est raté et le « Titanic » numérique s’est fracassé sur l’iceberg annoncé ! Voici pourquoi et comment…


En Europe, dans les pays bien nés (France, Suisse, etc.) et selon les bonnes traditions, tout finit toujours par des chansons. Pourquoi changer de si bonnes habitudes, alors que Watches & Wonders vient de cesser ses émissions ? Voici quelques paroles à reprendre sur l’air du Bidon d’Alain Souchon (1976 : vidéo ci-dessous pour ceux qui auraient oublié – remerciements à Laurent Voulzy pour la musique, sans oublier Alain Souchon pour ces paroles inspirantes)…

« On disait qu’c’était un salon

Tout c’qu’il y a de virtuellement bon

Écrans studios télévisions

Alors admiration…

Faut dire qu’c’était monté par des pros

Perrin, ses moustaches en croc,

Pour faire le cow-boy très beau

Mais composition…

On y parlait anglais tout le temps

On s’ennuyait, c’était pas marrant

Des trucs récités par des patrons

Consternation…

J’suis mal dans ma peau

En salon très beau

And I just go with mon petit micro

J’suis bidon, j’suis bidon…

J’suis qu’un salon d’frime

Plutôt nullissime

And I just go with mon petit micro

J’suis bidon, j’suis bidon… »

On va s’arrêter là pour ce qui est de la satire et pour ne pas trop accabler une équipe qui a fait ce qu’elle a pu [elle pouvait peu : quand on part sur la mauvaise piste avec la mauvaise boussole, on n’arrive jamais au bon endroit], mais qui aura tout de même sauvé une parcelle de l’honneur des horlogers en tenant virtuellement tête au virus, hélas plus pour le pire que pour le meilleur. Ce n’était probablement pas si mal [il en restera quelques acquis mémorables], mais ça aurait pu être beaucoup mieux. À l’heure du bilan, la bottom line – comme disent les jeunes loups du management horloger – est cependant accablante…

• Tout ça pour ça ? On aura donc mobilisé des ressources financières considérables pour un salon virtuel qui n’avait aucune vocation commerciale [hormis pour quelques poignées de « clients VIP », qu’on a eu du mal à motiver] et qui n’a donc rien rapporté : c’est très cher payer pour atteindre quelques centaines de journalistes qu’on aurait de toute façon pu toucher par ailleurs, à d’autres périodes de l’année. À qui peut bien servir un salon où il ne se vend rien ? On est au cœur de l’effet pervers le plus chimiquement pur : l’idée initiale de ce salon numérique était pertinente, sinon séduisante, mais, de Charybde marketing en Scylla digital, sans compter les querelles d’égos et les susceptibilités territoriales des marques, tout le monde se retrouve floué sur la ligne d’arrivée…

• Tout ça pour ça ? On a mobilisé dans les manufactures des moyens humains considérables pour présenter virtuellement des « nouveautés » qui ne l’étaient généralement pas trop, des « avancées » qui n’avaient pas l’air pressées et des séries limitées qui vont limiter la curiosité des larges masses. Quelle marque peut nous dire, les yeux dans les yeux, qu’elle a vraiment profité de ce salon, qu’elle en a tiré un vrai bénéfice et qu’elle n’aurait pas obtenu un impact nettement supérieur si elle avait lancé son offre, en solo, à une autre date du calendrier ? Le gaspillage de la ressource humaine est fantastique : dans les manufactures, les équipes sont sur les rotules après une semaine de réunions virtuelles impitoyablement enchaînées et courageusement affrontées, mais les résultats sont d’une minceur diaphane…

• Tout ça pour ça ? Quelle incroyable déperdition d’énergie par cette virtualité numérique hebdomadaire ! On retrouve spontanément l’analogie avec l’ampoule électrique déjà évoquée par le Sniper du week-end dernier (Business Montres du 10 avril) : Watches & Wonders, c’est l’ampoule à incandescence, qui dépense 95 % de l’énergie qu’elle absorbe pour produire de la chaleur (invisible et inutile) et qui ne restitue que 5 % de cette énergie en lumière – alors que c’est sa fonction première. On peut estimer qu’au moins 90 % des contenus diffusés pendant Watches & Wonders sont plus ou moins perdus corps et biens, l’essentiel des parts de marché médiatiques [leur conquête était l’enjeu initial du salon] et des parts d’attention médiatiques [c’était l’objet de WWG 21] se concentrant sur 10 % de l’offre présentée. On comprend que les « idiots utiles » des grandes marques – cette piétaille qui a servi de faire-valoir et de chair à canon à ces majors – en aient gros sur la patate…

• Tout ça pour ça ? En concentrant le tir simultané de trop de marques sur un événement trop bref, tenu sur une trop courte période de temps, on a pris la mauvaise option : seules les marques dotées des plus gros haut-parleurs ont pu tirer leur épingle du jeu. Les autres ont fait de la figuration, alors qu’elles s’étaient refusées à occuper le terrain au préalable, en réservant leurs précieuses munitions pour ce début avril. Même chez les grandes marques, l’impact est décevant : les lancements faits par Rolex ou Patek Philippe n’auraient pas été plus retentissants hors Watches & Wonders plutôt que la semaine dernière ? Poser la question, c’est y répondre ! Quel gaspillage, alors que tant de lancements auraient été plus intelligents, plus efficaces et plus profitables tout au long du premier semestre de 2021 : c’est le joueur du casino qui a misé tout ce qu’il lui restait sur le rouge, mais c’est le noir qui est sorti ! Pas de bol...

• Tout ça pour ça ? Ce n’était pas la peine d’attendre un an, sinon presque deux ans, en semi-confinement pandémique pour un si piètre résultat et pour que tout le monde se retrouve avec les mêmes cadrans verts, en se flattant des mêmes repompages serviles des bons vieux catalogues de l’âge d’or. Le tout avec des audaces stylistiques de vierges effarouchées. Genta, reviens, ils sont devenus flous ! Bien entendu, il y a quelques exceptions, mais que de déceptions après une semaine de vaines explorations à la recherche des diamants perdus dans cette boueuse gangue numérique. Sur le plan créatif, le millésime 2021 s’avère d’une affligeante médiocrité – comme il s’annonce aussi d’une inquiétante médiocrité commerciale [on ne retrouvera sans doute pas les chiffre de 2019, ni même ceux de 2018], il y a du souci à se faire…

• Tout ça pour ça ? On pourrait continuer longtemps sur ce thème, par exemple à propos de l’usine à gaz qu’a été cette plateforme numérique plutôt cahotique dans son fonctionnement technique [c’était inévitable vu la complexité des interactions, n’accablons personne] et surtout chaotique dans ses errances et ses conséquences. Dans son for intérieur, chacun jure désormais qu’on ne l’y reprendre plus. N’épiloguons pas et terminons en remarquant que ceux qui ont le mieux profité de Watches & Wonders sont probablement ceux qui avaient quitté le navire à temps ou qui avaient refusé d’embarquer à bord de ce Titanic numérique…

Les enseignements positifs ne manquent pas après ce salon virtuel, qui a nous a cependant mieux appris ce qu’il ne fallait plus faire plutôt que ce qu’il fallait faire. Les horlogers ayant la fâcheuse manie de ne jamais rien apprendre de leurs erreurs et de ne jamais profiter des crises qu’ils affrontent pour progresser, rappelons les cinq grandes leçons de ce plantage de Watches & Wonders [plantage admis et déploré par l’état-major de Johann Rupert, ainsi que par son conseil d’administration de Richemont – mais les béats et les girouettes des réseaux sociaux n’ont pas encore compris d’où soufflait le vent]

• Premier commandement : ne plus dépasser la dizaine de marques pour tenir un salon virtuel. Au-delà de cette limite, le ticket numérique n’est plus valable : trop de hourvari sur les réseaux sociaux, trop de confusion, trop de pertes en ligne, des retours sur investissement quasiment nuls, une forte lassitude médiatique et un brouillage des messages auprès de la communauté horlogère visée. Dix, c’est même beaucoup pour des retombées médiatiques maximales – mais tout le monde a compris, désormais, que cette édition de Watches & Wonders était la première et la dernière dans ce format et avec ce style…

• Deuxième commandement : ne plus mélanger des marques trop hétéroclites, par leur taille, leur positionnement prix, leur place sur l’échiquier ou leur notoriété médiatique. Place aux affinités électives et à cette affectio societatis qui sait replacer le facteur humain au centre des opérations horlogères les plus réussies. Rolex et Patek Philippe peuvent faire salon commun, mais Bvlgari et Cartier feraient mieux de faire chambre à part. On se demande ce que Trilobe et IWC peuvent avoir comme vision commune, mais Arnold & Son et Greubel Forsey ont probablement des choses à se dire…

• Troisième commandement : ne plus concentrer tous les moyens sur un rendez-vous trop précis et trop limité. Il devient urgent de distendre l’agenda et de lisser le calendrier tout au long de l’année, en fonction des montres : on ne lance pas une concept watch comme on lance un sportive chic, en tout cas pas au même moment de l’année, ni vers le même public cible, ni avec le même message. Pourquoi tout mélanger dans un même salon promotionnel, qu’il soit physique ou virtuel ? Les règles de ce nouveau jeu n’avantagent pas plus les petites marques que les géants de la montre : elles concourent même à la biodiversité de l’écosystème horloger…

• Quatrième commandement : ne plus imaginer que les montres sont le pôle d’attraction qu’elles ont pu être au cours de ces dernières décennies, quand les groupes de luxe qui avaient fait leur marché dans les manufactures suisses ont mis le turbo en termes de communication pour rentabiliser leurs investissements. Ce mini-âge d’or de l’aube du XXIe siècle est révolu : les montres ont acquis un statut que personne ne leur conteste [surtout pas les spéculateurs qui attisent les convoitises], mais pas plus – et probablement désormais moins – que les autres fétiches du luxe, comme les sacs à main ou les sneakers. C’est sans doute malheureux à constater, mais les montres traditionnelles sortent insensiblement de l’horizon mental des jeunes générations : tout l’enjeu sera désormais de reconquérir ces milléniaux et de recoller à leur vision du monde grâce à des montres créatives, ludiques, accessibles et gavées de significations – ce qu’on a pu découvrir à Watches & Wonders 2021 indique qu’on est encore loin d’y parvenir…

• Cinquième commandement : ne plus considérer que les salons physiques sont morts et que le média salon virtuel doit absolument les remplacer. Les deux sont complémentaires et constituent une palette d’aubaines à exploiter simultanément ou successivement, de façon très opportuniste, en fonction de la géographie (polarités continentales) et du calendrier, ainsi que de la conjoncture commerciale. Watches & Wonders, qui va pérégriner physiquement ces jours-ci en Chine [avec moitié moins de marques] semble avoir bien compris le message. Quoiqu’il se passe, du fait de notre nature de mammifères sociaux, nous avons humainement besoin de nous rencontrer physiquement et d’échanger sensoriellement, en plus de nos relations virtuelles et des informations numériques que nous pouvons partager. Il nous appartient de profiter au mieux du meilleur des deux univers – la vraie vie et la vie pixellisée – pour enrichir nos expériences…

On a commencé par une chanson, histoire de prouver que ce ratage de Watches & Wonders 2021 n’est pas si grave, même s’il est probable que la suite – s’il y en a une – sera très différente. Il est temps maintenant de passer aux choses sérieuses et de réimaginer l’avenir, avec des contraintes sanitaires, économiques, géopolitiques et culturelles qui n’ont pas fini de nous mettre des bâtons dans les roues. Il est temps de prononcer la formule magique : on vous laisse réfléchir là-dessus…


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