ARCHIVES # 11 : Un pèlerinage personnel à l'Observatoire royal de Greenwich (Royaume-Uni)
Le 09 / 12 / 2012 à 11:23 Par Le sniper de Business Montres - 8238 mots
Le texte ci-dessous a été écrit en 2006 pour un ouvrage finalement publié sous une autre forme, voici quelques années...
Il s'agit donc du chapitre d'un livre [non d'un article], mais on peut le relire à part, comme un patient voyage aux sources de nos beaux-arts du temps, sinon comme un très court roman de notre apprentissage des heures...
◀▶ Il est treize heures et je suis au milieu du monde, au milieu du temps, debout face au nord sur une ligne de bronze …
Le texte ci-dessous a été écrit en 2006 pour un ouvrage finalement publié sous une autre forme, voici quelques années...
Il s'agit donc du chapitre d'un livre [non d'un article], mais on peut le relire à part, comme un patient voyage aux sources de nos beaux-arts du temps, sinon comme un très court roman de notre apprentissage des heures...
◀▶ Il est treize heures et je suis au milieu du monde, au milieu du temps, debout face au nord sur une ligne de bronze qui symbolise le passage du méridien zéro, dans la cour de l’observatoire royal de Greenwich. Ce village, situé au sud-est de la capitale anglaise, est à présent intégré dans la mégalopole londonienne : on avait construit l’observatoire dans la campagne de Londres pour que les téléscopes ne souffrent pas du smog et des fumées de la pollution pré-industrielle. Il est tout juste treize heures et j’ai exactement un pied à l’ouest et un pied à l’est, de part et d’autre de ce méridien qui sépare le globe en deux hémisphères. A quelque millionièmes de seconde près, ma main gauche est peut-être déjà dans le fuseau horaire qui entame sa treizième heure, quand ma main droite n’est peut-être pas encore sortie du fuseau horaire qui termine sa douzième heure.
Quand sonne le premier coup de l’horloge, une énorme boule rouge chute sur un mètre du haut du mât qui domine l’observatoire. Pendant au moins deux siècles, jusqu’à la généralisation des signaux horaires diffusés par radio, les capitaines en partance pour les océans ne quittaient jamais Londres sans caler leur chronographe de marine sur cette boule rouge. Elle chutait à treize heures, et non à midi, parce que les astronomes de Greenwich étaient trop occupés à faire des relevés et des observations à cette heure cruciale qui marquait le début de la journée civile. De la Tamise, on voyait très distinctement la chute de la boule, qui servait ainsi de top horaire à tous les possesseurs de montres : aujourd’hui, sur un quai de Greenwich, une statue du fameux capitaine Cook rappelle les liens anciens entre l’observatoire et la marine britannique. Pendant plus d’un siècle, certains commissionnaires anglais se sont tenus, à midi pile, devant les grilles d’entrée de l’observatoire. Une grande horloge de précision, graduée sur vingt-quatre heures, est logée dans un de piliers de ces grilles. Quand l’aiguille des secondes marquait exactement midi, ils recalaient soigneusement des chronomètres « mères » sur l’horloge de Greenwich et ils allaient ensuite revendre ou diffuser cette heure de référence dans les différentes institutions et entreprises londoniennes qui le souhaitaient. Cette comparaison était alors le seul moyen de savoir si les horloges et les pendules d’un lieu étaient à la bonne heure.
Il est maintenant un peu plus de treize heures et j’ai rendez-vous avec… la Joconde de l’horlogerie. Pourquoi venir la chercher à Londres ? Parce que c’est sans doute à Londres, au moins en Angleterre, que tout a commencé en matière d’horlogerie moderne. C’est ici que cette science de la précision mécanique est vraiment née, ainsi que les montres capables d’afficher et de conserver cette précision. C’est ici que le goût du sport et du plein air a été redécouvert. Ce n’est pas une coïncidence : nous savons déjà que ces activités parallèles sont complémentaires. Nous allons mieux le comprendre dans un instant. Dans l’avion qui s’apprête à se poser à Heathrow, je survole la campagne anglaise. L’appareil évolue lentement au-dessus de la vallée de la Tamise, qui enserre mollement le grand Londres. On reconnaît au loin l’hippodrome d’Epsom et la campagne du Surrey, célèbre pour ses enclosures propices à l’élevage des chevaux : sans ces propriétaires terriens passionnés par les courses équestres, pas d’aventure chronographique ; sans les sportsmen anglais soucieux de s’affronter sur ces bandes de gazon, pas d’athlétisme moderne.
Je profite des manœuvres d’atterrissage pour faire un bref retour en arrière, en 393, seize siècles avant notre ère : c’est alors que l’empereur romain Théodose Ier interdit les compétitions olympiques. Il ne sait évidemment pas qu’il impose aux corps quatorze ou quinze siècles de pénitences et de reniements physiques. Bousculée par les invasions barbares, la civilisation romaine agonise et l’Europe se fragmente en domaines féodaux soumis à la seule loi de l’épée. Pendant un bon millénaire, les Européens ne vont plus essayer de vivre, mais de survivre. Les arts, les sciences et les cultures se dissolvent dans les grandes peurs d’un monde qui n’est plus structuré que par une religion imposée par l’épée aux populations païennes. Sur les franges de l’Europe, d’autres civilisations s’avèrent plus brillantes. A Constantinople (aujourd’hui Istambul), les dynasties byzantines préservent les traditions de l’ancien empire romain d’Orient. Partie des déserts arabes, une vague de conquérants musulmans s’élance à la conquête des rives de la Méditerranée : un nouvel empire arabo-musulman se met en place sous la bannière du Prophète. De la Perse à l’Espagne andalouse, les savants et les lettrés musulmans vont recueillir les fragments de l’héritage gréco-latin qui ont pu être sauvés de la fureur des hommes. Les cours des califes musulmans sont les plus brillantes du monde : leurs astronomes, leurs physiciens, leurs médecins, leurs mathématiciens et même leurs horlogers seront longtemps les meilleurs de leurs époque. Haroun al-Rachid, le calife de Bagdad, fait adresser au nouvel empereur Charlemagne, couronné en 800, une extraordinaire horloge à eau , dont le mécanisme de bronze animait des automates, des calendriers et des sonneries à chaque heure
Dans la vieille Europe, les seuls pôles de civilisation sont, précisément, les îlots de résistance religieuse à la barbarie d’un âge de fer. Dans les monastères, les moines prient, mais ils défrichent aussi les forêts qui ont reconquis les jachères abandonnées par les hommes ; ils recopient les textes sacrés, mais ils réapprennent à bâtir églises et maisons ; ils enseignent et ils éduquent ; ils civilisent et ils recolonisent leurs propres peuples. Très vite, ces monastères se donnent une règle de vie, rythmée par une alternance précise d’offices religieux, de méditations personnelles et des travaux collectifs. Les moines ont besoin de nouveaux repères temporels, dans une journée (les heures) comme dans une année (les jours). La religion chrétienne comporte un certain nombre de fêtes mobiles, dont les dates sont fixées en fonction d’un conjonction astronomique : pour les catholiques, la date de Pâques dépend à la fois du calendrier solaire (fixe d’une année sur l’autre) et du calendrier lunaire (variable). Elle peut varier entre le 22 mars et le 25 avril . Les fêtes chrétiennes mobiles étant plus nombreuses que les fêtes fixes (Annonciation, Assomption, Noël, Epiphanie), les communautés religieuses devaient absolument posséder un calendrier fiable : comment l’établir quand on ne dispose plus d’observatoire astronomique, d’instruments pour relever la position des étoiles, de tables planétaires ou d’horloges capables d’indiquer avec précision les mouvements des astres les plus remarquables ? Les annales religieuses fourmillent de querelles autour de la date de Pâques et de savantes disputes entre théologiens et astronomes, avec excommunicaions et parfois même condamnations à mort à la clé ! Tout a donc poussé les moines à développer des compétences particulières dans le calcul du temps, ne serait-ce que pour appeler les fidèles à l’office à l’heure juste, de nuit comme de jour, toute l’année.
A vrai dire, le temps a toujours été une prérogative religieuse et souveraine. Les grands de ce monde ont toujours « commandé » au temps et décidé du calendrier, tandis que leurs prêtres réglaient le décompte des heures pour le commun des mortels : détenir l’horloge de référence d’une cité – l’heure du temples ou du palais – revient à « tenir » ceux qui vivent et travaillent dans cette cité. Avant les prêtres, il y avait sans doute des sorciers : le plus ancien « calendrier » de l’humanité a été retrouvé dans une grotte préhistorique du sud de la France. Il s’agit d’un os d’aigle, daté de 20 000 ans avant notre ère : on y trouve une série d’encoches qui correspondent à ce qui pourrait être un calendrier lunaire. Cette découverte a relancé l’intérêt des préhistoriens pour des os gravés ou des pierres à cupules jusqu’ici classés parmi les artefacts impossibles à interpréter. Il se pourrait que les réserves des musées d’archéologie abritent des pièces encore plus anciennes, qui attesteraient de la très ancienne recherche par les hommes de repères temporels fiables.
En fait, pour calculer approximativement, l’heure, un bon cadran solaire suffit : les hommes les utilisent depuis l’aube de la civilisation agricole. Avec un simple bâton planté dans le sol, un berger peut repérer et noter la position du soleil dans le ciel et calquer ainsi l’organisation de sa journée sur la course du soleil. En Orient, les cultures mésopotamiennes ont laissé les premières traces historiquement attestées de systèmes horaires assez précis, basés tantôt sur le soleil , tantôt sur l’écoulement de l’eau , tantôt sur le sable , tantôt sur le feu . Les calendriers annuels étaient établis par les prêtres, à la suite de computations astronomiques complexes, qui permettaient de fixer les dates des fêtes religieuses et des grands événements de la cité : on sait que les Egyptiens – dont la survie était conditionné par les crues annuelles du Nil, elles-mêmes causées par les pluies saisonnières de la région africaine des Grands lacs – ont souvent utilisé leurs obélisques comme de gigantesques cadrans solaires.
En Occident, le site de Stonehenge offre un témoignage beaucoup plus ancien que la Mésopotamie ou que l’Egypte de l’éternel besoin des hommes de se repérer dans le temps. On a récemment retrouvé en Allemagne un disque de bronze (ci-dessous), daté de 1 600 ans avant notre ère, qui figure une sorte de « ciel étoilé automnal », selon l’expression de l’archéologue allemand Harald Melle : c’est, à ce jour, de la plus ancienne représentation de la voûte céleste jamais retrouvée. Assez peu portés sur l’astronomie, les Grecs et les Romains de l’Antiquité se sont contentés de « gérer » les connaissances accumulées par les observateurs égyptiens et mésopotamiens. Les Romains se sont davantage souciés du calendrier : jusqu’à Jules César, ils fonctionnaient sur la base du calendrier lunaire grec, avec, pour point zéro du décompte des années, la date de la fondation de Rome par Romulus, en 753 avant notre ère. Ce calendrier de 304 jours, maintes fois modifié, dérivait tellement qu’il fallait lui ajouter des mois intercalaires, dont l’institution était manipulée en fonction des échéances politiques, pour allonger ou raccourcir les mandats de certains élus. En 45 avant notre ère, Jules César a rationalisé tout cela en introduisant le calendrier julien, de 365 jours divisés en 12 mois, qui sera remplacé en 1582 par notre actuel calendrier grégorien, institué par le pape Grégoire XIII.
A l’époque gréco-romaine, on disposait cependant de mécanismes complexes pour calculer la position des astres : retrouvée en 1900 au fond de la Méditerranée, près de l’île grecque d’Anticythère, et datée d’environ 87 avant notre ère, la fameuse « machine d’Anticythère » n’était qu’un bloc de rouille, qui vient de livrer partiellement ses secrets. La pièce était un peu oubliée dans le réserves du musée archéologique d’Athènes. Une analyse au scanner de ses rouages révèle une sorte de… machine à calculer de l’Antiquité, une sorte d’astrolabe capable d’être « programmé » pour étudier les mouvements du soleil, de la lune et de certaines planètes. L’analogie entre ses engrenages de roues dentées et le mouvement mécanique d’une montre est frappante. Il est même possible que la « machine d’Anticythère » ait donné l’heure : certains axes et ce qui pourrait passer pour des barillets laissent penser qu’il y avait peut-être des aiguilles [note 2012 à propos d'Anticythère – ci-dessous : en 2006, il était déjà très audacieux de parler d'Anticythère, mais on ne savait encore rien de vraiment scientifique à propos de ce calculateur astronomique, "premier ordinateur" de l'humanité, récemment remédiatisé dans le monde entier par Hublot]...
La majeure partie de cet héritage antique – les manuscrits, les traités scientifiques, les instruments – a été dispersée, perdue, pillée ou détruite à la chute de l’empire romain. Pour pouvoir étudier, les savants se sont faits clercs : l’Eglise sera pendant dix siècles au moins le principal foyer de recherches intellectuelles et plus ou moins scientifiques. Il est donc normal que des religieux soient à l’origine des premières horloges mécaniques, vite associées à des sonneries (cloches, carillons) et à des complications astronomiques : on repère les premières traces de ces horloges religieuses dès le XIIe siècle. Elles fonctionnent sur le principe d’un poids dont la chute contrôlée apporte une énergie freinée par une sorte de roue d’inertie, le balancier ; ces horloges sont généralement de cadrans qui divisent la journée en deux fois douze heures, avec une seule aiguille pour indiquer l’heure . Les mécaniques horlogères vont très vite se séculariser, surtout dans l’Europe du nord, qui opposera souvent le cadran du clocher à celui du beffroi municipal : plus l’édifice porteur de l’horloge était élevé, plus le mouvement était fiable et précis. Tant la hauteur de la tour que l’orgueil du cadran témoignaient toujours d’une volonté opiniâtre de maitriser le temps. Quand une nouvelle technologie fait sa percée et qu’elle correspond aux attentes collectives, son développement est toujours foudroyant. Dès le XIIIe siècle, les grandes villes voient toutes midi à leur clocher. Ce n’est plus seulement le temps des prêtres, mais aussi celui des marchands, qui réclament des heures fiables pour le début et la fin des marchés ou pour l’embauche des ouvriers. La précision est évidemment aléatoire, du fait des techniques rudimentaires de réalisation des rouages.
Pendant les deux siècles suivants, les mécanismes s’affinent, la précision s’accroît, les aiguilles des secondes apparaissent. Les indications astronomiques et les automates des horloges de cathédrales stupéfient les foules fascinées par le spectacle . Les princes et leurs cours aristocratiques rivalisent de générosité pour offrir à leurs villes les plus belles pièces d’art horloger. Les maîtres-horlogers sillonnent l’Europe, de chantier en chantier, pour mettre en place ces horlogers monumentales. D’autres conçoivent des horloges de petite taille à usage domestique : on les remarque sur les portraits que les riches négociants offrent à leur communauté. Dès la fin du XVe siècle, on voit apparaître, en Allemagne, des horloges portatives, qu’on suspend à son cour ou à son manteau avec une chaîne : le mouvement ne fonctionne plus grâce à un poids, mais grâce à un ressort qu’on arme avec une clé. Domaine réservé des maîtres du monde, l’heure devient personnelle et gagne chaque décennie en décoration, mais aussi en précision et en miniaturisation. Dans une Europe plus ouverte, sur une diagonale Tamise-Rhin-Rhône-Pô, les hommes et les marchandises circulent. Il faut de nouveaux instruments horaires pour les voyageurs, des « montres de voyage » capables de supporter les secousses dues aux cahots de la route et la poussière des grands chemins.
Les temps sont mûrs pour un nouveau saut technologique. Les montres portatives et les objets horlogers étaient jusque-là des objets de décoration très ornés, qui relevaient des métiers d’art : c’était la spécialité des horlogers émailleurs, graveurs ou sertisseurs français , qui bénéficiaient des commandes de la cour de France et dont la réputation s’étendait à toute l’Europe. Si le XVIe siècle avait été celui de l’horlogerie allemande, la XVIIe siècle reste comme l’âge d’or de l’horlogerie française, héritière partielle d’une tradition horlogère allemande mise à mal et ruinée par la Guerre de Trente Ans (1618-1648) qui avait ravagé toute l’Europe centrale. En marge de cette horlogerie artistique, une nouvelle tendance se dessine, plus technique et plus rigoureuse. La montre moderne va naître au XVIIe siècle de deux inventions fondamentales : le principe du pendule , qui deviendra le balancier dont le battement régulier crée ce tic-tac qui nous est familier ; l’échappement , qu’on doit au mathématicien anglais Robert Hooke, dont le principe sera amélioré par l’invention du ressort spiral. On va passer en quelques années d’une précision de trente minutes par jour à trois minutes, et bientôt à trois secondes de décalage quotidien.
En 1685, un événement politique va bouleverser le marché européen de la montre, largement dominé par les artisans huguenots, qui avaient des liens étroits, commerciaux et familiaux, avec les horlogers allemands d’Augsbourg et de Nuremberg, villes protestantes. Louis XIV, le roi de France, Louis XIV, révoque brutalement l’édit de Nantes, qui accordait aux protestants du royaume la liberté de conscience. La pratique du culte réformé est interdite. Les pasteurs sont obligés de fermer leurs écoles et de quitter la France. Quoique leur émigration soit interdite par les édits royaux, 300 000 « religionnaires » fuient la France et les persécutions religieuses pour se réfugier dans les nations protestantes de l’Europe : on les retrouvera à Berlin, en Hollande, mais surtout en Suisse (où ils vont recréer une industrie horlogère appelée à un grand avenir) et en Angleterre, où ils vont continuer leur métier et contribuer à asseoir la réputation internationale de l’horlogerie anglaise au XVIIIe siècle.
On dirait aujourd’hui que les sujets horlogers de Sa Majesté britannique avaient la bonne stratégie marketing. Au lieu de penser l’horlogerie comme un domaine artistique, ils en faisaient un champ d’investigation scientifique en cherchant à produire des montres toujours plus précises et plus fiables. Ils y étaient poussés par un impératif stratégique : la domination des mers, élément-clé de l’éternelle géopolitique anglaise. Les marins de l’époque sont à peu près incapables de naviguer autrement qu’à l’estime. Ils savent calculer la latitude (les navigateurs de l’Antiquité y parvenaient également), mais pas la longitude. Avec une seule coordonnée, impossible de faire le point en pleine mer et donc impossible de conserver un cap pour rejoindre une destination donnée. La navigation était alors plus une affaire de flair personnel que de précision scientifique. Les marins anglais n’en étaient pas moins considérés comme les meilleurs du monde et ils étaient lancés sur les mers pour mailler ce qui allait devenir l’Empire britannique.
Je quitte l’agitation londonienne pour gagner Greenwich, qui semble vivre au rythme calme d’un autre temps. Sur les pelouses du parc, les étudiantes grignotent un sandwich en riant. L’illusion est presque parfaite, puisqu’un voilier historique, le fameux trois-mâts Cutty Sark, construit en 1869, est amarré sur les quais (ci-dessus), à une portée de fusil de l’observatoire, qui est fait partie du musée maritime national anglais. Sans trop forcer son imagination, on se laisse aller à la vision de ces quais remplis de ballots d’épices et de coton, dans le lent balancement des vergues, avec les cris des marins et le piaillement rauque des goélands. L’Union Jack flotte toujours et la Tamise ne devait être plus propre. Il ne manque que les uniformes pour que l’illusion soit parfaite. C’est ici que la grande aventure maritime de l’Angleterre trouve sa source. C’est ici que je suis venu rencontrer un homme disparu depuis 230 ans [ndlr : 2006] : l’horloger John Harrison (1693-1776, ci-dessous), l’horloger dont la montre a donné à l’amirauté britannique un siècle et demi de suprématie incontestée sur tous les océans.
Ce John Harrison est intéressant parce que c’est un autodidacte, qui a appris l’horlogerie sur le tard, et qui a développé son art comme un mercenaire chasseur de primes, puisqu’il voulait décrocher la prime de 20 000 livres sterling qu’une commission officielle avait promis à celui qui mettrait au point une méthode précise pour déterminer la longitude à un demi-degré près. Grande affaire internationale que ce concours lancé pour calculer la longitude ! Toute l’Europe se passionne : sur le continent, les nations rivales de l’Angleterre ont compris l’enjeu : celui qui maîtrisera sa position – latitude et longitude – ira plus vite que les autres sur les mers et avec une sécurité accrue. Il sera donc plus militairement plus mobile et plus efficace, donc maître du jeu maritime. Commercialement, en naviguant sur des routes commerciales plus sûres, celui qui saura faire un point précis arrivera avant les autres dans les comptoirs outre-mer et il en ramènera les meilleures marchandises avant les autres. Des milliers de personnes se mirent à rêver de cette prime offerte par le Parlement anglais. Les écrivains et les journalistes s’emparèrent du sujet, promu grande cause nationale et plus grande énigme du siècle.
La communauté scientifique européenne penchait pour une solution astronomique du problème de la longitude : diverses techniques de calcul existaient pour déterminer celle-ci en se basant sur l’observation des astres, des planètes et de leurs satellites. Des centaines de « tables » de prévision, toutes plus complexes les unes que les autres, ont été éditées pour prévoir la position de ces astres et en déduire la position d’un point donné par rapport au méridien. Le principal handicap de cette méthode astronomique était sa difficulté de mise en œuvre sur un navire de haute mer, balloté par les vague sous des ciels rarement assez dégagés pour permettre des observations fiables. Pragmatiques, sinon intellectuellement paresseux, les marins doutaient de pouvoir procéder aux mesures et aux calculs requis.
L’autre solution était mécanique et basée sur une évidence horlogère : il suffisait de calculer la différence entre l’heure solaire locale (par exemple, le midi du lieu où se trouve le navire) et l’heure d’un lieu de référence (par exemple, l’heure du port de départ). En quelques opérations simples, ce décalage horaire permet d’ établir une position est-ouest par rapport à un méridien d’origine. Toute la difficulté était de conserver l’heure d’origine avec une précision suffisante : avec une moyenne d’écart de quelques minutes d’écart par jour, les montres de bord et les chronomètres de marine de l’époque affichaient plusieurs heures de différence à l’issue d’une traversée au long cours, donc plusieurs degrés de longitude d’erreur. Ce qui représentait une précision de… quelques centaines de kilomètres à l’arrivée ! On comprend l’urgence de la recherche d’une solution au défi technologique de la longitude : comment rendre une montre ou un chronomètre de marine assez précis pour n’afficher que quelques secondes d’écart sur une longue de navigation, au cours de laquelle le mouvement sera soumis aux mouvements de la houle, à l’humidité ambiante et à des grandes variations de température ?
John Harrison a construit sa première horloge à l’âge de vingt ans, après avoir appris tout seul, dans un livre, les rudiments de l’art horloger. Les rouages de cette première pièce sont en bois : une solution originale pour résoudre le problème des huiles. Harrison construira d’autres horloges en bois, dont une fonctionne toujours, dans une tour du manoir de Brocklesby Park. Une autre idée lui vient : associer deux métaux, le laiton et l’acier, pour créer un balancier moins sensible à la dilatation causée par l’élévation de la température. Vers 1727, il sent qu’il est en mesure de mettre au point une horloge marine assez précise pour conserver à quelques secondes près l’heure de référence à l’issue d’un périple océanique. Il en présentera les plans en 1730 au célèbre astronome Edmund Halley, qui sait que la majorité de la Commission de la Longitude est acquise à une solution astronomique et qui souhaite ne pas décourager Harrison, qu’il va très courtoisement orienter vers Georges Graham, le plus célèbre horloger britannique de l’époque. Ce dernier est enthousiasmé par les idées du jeune Harrison et il lui prête même de l’argent pour l’aider à réaliser son horloge.
Cette première horloge de marine de Harrison – H-1 pour les historiens (ci-dessus) – est prête en 1735 et c’est celle que j’ai sous les yeux au petit musée de l’observatoire : elle est pour le moins bizarre, pyramidale , avec des rouages, des tiges et des battants taillés dans le laiton, avec d’étranges ressorts en boudin et trois cadrans séparés pour les heures, les minutes et les secondes. Aussi volumineuse qu’une douzaine de boîtes à chaussures empilées pour former un cube et rangée dans un cabinet de bois verni, elle pèse un peu plus de 32 kg. Graham applaudit, mais l’Amirauté va mettre un an pour se convaincre d’embarquer cette horloge à bord du H.M.S. Centurion, à destination de Lisbonne, où elle va voyager dans la cabine du capitaine. Après un mois de navigation, le Centurion était de retour au large des côtes anglaises. Le capitaine fait le point avec sa propre montre de bord, mais Harrison estime, grâce aux calculs basés sur son horloge, qu’il est à soixante milles à l’ouest de ce que croit le capitaine. C’est lui qui a raison et la précision de sa correction impressionne assez l’Amirauté pour qu’elle demande aux commissionnaires de la Longitude de se réunir . Face à cette assemblée, Harrison joue franc jeu : il évoque surtout les défauts de cette première horloge et il réclame deux ans de plus, et une subvention, pour mettre au point une horloge plus petite et encore plus précise. Délai accordé, avec la moitié de l’avance de 500 livres réclamée.
Présentée en 1737 et dédiée à Sa Majesté George le Second, H-2 est plus petite, mais plus lourde, et tout aussi révolutionnaire quoique d’allure plus classique, malgré un balancier en forme d’halères : on peut également l’admirer au musée Greenwich, mais sans pouvoir en apprécier les améliorations internes, qui concernent la régularité du battement et la compensation des différences thermiques. Devant la Commission, qui teste l’horloge en lui infligeant des sévices plus brutaux qu’une tempête océanique, Harrison a le plaisir de voir son œuvre reconnue, mais il n’est pas encore satisfait. Il promet de revenir dans quelques années avec une « curieuse troisième machine » : il est alors âgé de 48 ans. On ne le reverra pas avant une vingtaine d’années, au cours desquelles il met au point H-3, en se contentant de taxer régulièrement la Commission de quelques menus subsides, grâce auxquels il poursuivait ses travaux pour en vivant de la réalisation de classiques horloges de marine. Pendant ce temps, H-1 reste à la disposition de Graham, qui l’expose dans son atelier, où les plus grands horlogers européens viennent l’admirer sans réserve. Au même moment, les astronomes s’échinaient à résoudre l’énigme de la longitude en multipliant les équations savantes autour de la distance lunaire. H-3 (voir plus haut) ne satisfera pas plus Harrison que les deux précédentes pièces : il avait réussi à en réduire la taille et le poids (30 kg), il avait inventé un balancier circulaire bi-métallique, ainsi qu’un roulement à billes pour les parties mobiles, mais il ne l’estimait pas digne d’être embarquée pour être testée. Sa grande idée était de miniaturiser H-3 aux dimensions d’une grande montre de poche.
En présentant son horloge H-4, en 1759, il sent qu’il touche au but. Sa montre ne fait plus que 64 mm de large ce qui la rend minuscule pour une « horloge de bord » (ci-dessus). Elle ressemble à une grande montre de poche classique, qui ferait tout de même 1,5 kg dans la poche Boîtier d’argent, cadran orné de feuillages, aiguilles bleuies : elle est élégante et sobre, exactement dans le style anglais. Remontée religieusement par un horloger du musée, elle fonctionnerait parfaitement, pendant trente heures , avec une précision inchangée depuis deux siècles et demi, mais elle est trop précieuse pour qu’on prenne le risque de l’user : H-4 est un trésor national, quelque chose comme La Joconde de l’histoire horlogère. En l’admirant dans sa vitrine, j’ai du mal à penser que c’est cette « petite » montre, presque banale tant elle est simple, qui a offert à l’Angleterre son empire sur les mers, et au monde le goût de l’extrême précision. Quand l’horloger me l’ouvre pour que j’en admire le mécanisme, je découvre une platine ornée de quelques fioritures et une signature : « John Harrison & Son A.D. 1759 ». Le vrai secret est dans les rouages et dans les rubis qui enserrent les axes, dans toutes les innovations d’une montre qui concentre ce qui se faisait de mieux pour les horlogers de l’époque.
H-4 l’a démontré dès son premier voyage transatlantique, à bord du H.M.S. Deptford. Trois mois pour rejoindre la Jamaïque, cinq secondes d’écart en quatre-vingt-un jours de mer. Le capitaine du Deptford proposa aussitôt à William Harisson, qui escortait la montre de son père pendant ce test, de lui acheter la première montre qui sortirait de l’atelier de John Harrison. Même précision pour le voyage de retour. En revanche, le manque d’enthousiasme de la Commission de la Longitude se fait sentir dès qu’il s’agit de payer les 20 000 livres promises : tracasseries administratives et mauvaise foi se conjuguent quand on propose 1 500 livres à Harrison, sans doute pour gagner du temps jusqu’à ce qu’une vraie solution astronomique emporte la décision des commissionnaires vexés de voir un autodidacte triompher de leurs belles tables mathématiques. Un second essai en mer donna les mêmes résultats en 1764, mais les tenants de la solution lunaire ne désarmaient pas, quoique H-4 ait donné la longitude à 20 km près, ce dont les équations lunaires étaient incapables. Tout juste reconnaissait-on au chronomètre de John Harrison l’avantage d’être plus rapide pour calculer la longitude ; peut-être lui reprochait-on d’être onéreux, alors que le ciel était gratuit et les éphémérides des distances lunaires peu coûteuses . Il faudra que l’horloger révèle tous les secrets de sa montre, qu’il la démonte et qu’il la remonte devant témoins et qu’il la copie en deux exemplaires pour qu’on lui accorde, en 1765, les 10 000 livres qui lui avaient été promises. Il avait consacré près d’un demi-siècle de son existence à la création de la meilleure montre ayant jamais existé jusqu’alors. Il mourra trois ans plus tard, à l’âge de quatre-vingt-trois ans, avec le sentiment d’être un martyr de la précision.
Quasiment tombée dans le domaine public à la suite de malveillances au sein de la Commision de la Longitude, la montre H-4 et sa petite sœur H-5 allaient être copiées par différents horlogers, tantôt les meilleurs (le fameux John Arnold en produira plusieurs centaines), le plus souvent avec des résultats chronométriques inférieurs. Cet équipement accompagnera les explorateurs britanniques sur toutes les mers de la planète. Avec des relevés de longitude plus précis, on dresse des cartes plus exactes, ce qui rend les capitaines plus hardis parce que plus sûrs de leurs manœuvres. Célèbres dans le monde entier, les chronomètres de marine anglais ont été inspirés par H-4 : ils donneront aux Anglais l’audace d’aller plus loin et plus vite sur les mers, au point de leur donner un complexe de supériorité d’autant plus agaçant qu’il s’est très souvent trouvé justifié, comme le vérifieront les Français sous Napoléon, les Allemands sous Guillaume II et sous Hitler ou, récemment, les Argentins sous Videla, pendant la guerre des Falklands.
En quittant Greenwich, je profite de la marée pour remonter la Tamise jusqu’au cœur de Londres, qui a toujours gardé le goût de l’eau salée. Cette fois, j’ai rendez-vous avec l’autre Angleterre, celle qui a plutôt le goût du bocage et des herbages, l’Angleterre des paddocks et des écuries. Epsom, capitale internationale des courses de chevaux. Quel rapport avec ma quête de la précision chronométrique ? Tout simplement le fait que c’est ici, à Epsom, qu’on a, pour la première fois, chronométré une course : il s’agissait de chevaux, puisque les humains n’avaient pas encore retrouvé le goût de la course à pied. Ils n’allaient pas tarder, ici, justement, dans cette Angleterre qui semble avoir retrouvé, avant toutes les nations européennes, le goût de l’effort sportif. Et ce n’était pas un effet de la légendaire « excentricité » britannique, même s’il est vrai que les Anglais n’ont jamais rien fait comme les autres. Au Moyen-Age, quand les rois d’Angleterre venaient vendanger l’Aquitaine, l’art militaire et les tournois n’empêchaient pas les jeux de balle . Les chevaux occupaient dans les conversations la place que tient aujourd’hui l’automobile : on se passionnait pour les meilleurs étalons et on se lançait des défis d’un élevage à l’autre, pour sélectionner les meilleurs champions. Le chevalier est alors le modèle social et la chevalerie la reine des batailles : les souverains l’ont compris et ils soutiennent leurs éleveurs de chevaux.
Dès la fin du XIIe siècle, le roi Richard Cœur de Lion crée une course sur la lande d’Epsom, aux portes de Londres, et il la dote de quarante livres d’or : à son retour des Croisades, peut-être avait-il la nostalgie des magnifiques chevaux arabes dont il avait remarqué l’allure dans les batailles de Palestine (ci-dessus). Un de ses successeurs du XVIe siècle, Henri VIII, édicte le premier règlement sur les courses de chevaux (1512) et il lance la mode des « courses au clocher », une course à travers champs où il faut se diriger à vue sur le clocher du village voisin, en franchissant d’une traite tous les obstacles.
Dans le bocage irlandais comme dans la campagne anglaise, ces courses vont se multiplier. Le premier hippodrome britannique sera bâti par Jacques Ier à Newmarket au début du XVIIe siècle. Le livre des généalogies, le fameux Stud Book, institué au début du XVIIIe siècle par Guillaume III. Le Jockey Club anglais est fondé en 1750. Ces efforts ont popularisé les courses hippiques, qui permis de sélectionner, au fil des décennies, ce qui deviendra plus tard la race du pur-sang anglais. Au XVIIIe siècle, l’Angleterre a aussi un siècle hippique d’avance sur les autres nations européennes. On vient de voir qu’elle possèdait aussi quelques décennies d’avance sur le plan maritime et horloger. Si les Européens ont inventé, au temps de la Renaissance, les premiers mouvements horlogers capables d’égrener les secondes, c’est à un maître-horloger britannique, George Graham qu’on doit, au début du XVIIIe siècle, la mise au point de la première montre à aiguille des secondes indépendante.
Après Harrison, tout est prêt pour l’application de la chronométrie à une passion très anglaise : on commence à parler de sport, un vieux mot français, desport (« loisir ») , repris par l’anglais et recentré sur la seule dimension active et physique de ces loisirs. En 1595, une décision des autorités militaires anglaises avait engagé une forme de révolution : cette année-là, les forces armées britanniques avaient officiellement abandonné la pratique du tir à l’arc au profit de la pratique du mousquet. La nécessité de s’entraîner quotidiennement à ce tir à l’arc – les archers anglais étaient redoutés dans toute l’Europe – avait limité la pratique des autres loisirs. Le « virage » technologique opéré vers l’art de la mousqueterie allait permettre à l’esprit britannique de compétition de s’exercer dans d’autres formes d’activité physique . Le sport moderne est né de cet édit. Dans les collèges anglais, les étudiants pratiquent le football, le cricket et toutes sortes d’entraînements physiques, alors que les enseignants français persistent, même après la Renaissance, à considérer le sport comme futile : le roi de France, François Ier, avait choqué les Français en se mesurant à la lutte contre le roi d’Angleterre, Henri VIII, au Camp du Drap d’or (1520).
La plupart des sports pratiqués au XVIIIe siècle se passent parfaitement d’une mesure des temps courts. Le décompte du temps ne change pas grand-chose à un match de cricket, à une partie de paume ou à une course d’aviron, dont on repère la première compétition officielle en 1715, toujours en Angleterre. Reste le sport hippique : les chroniqueurs de l’époque parlent d’ailleurs d’« art gymnastique » à propos de ces courses de chevaux. Ce n’est pas un hasard si la première course de chevaux courue « contre la montre » – et peut-être même la première épreuve sportive jamais vraiment chronométrée – se déroule en Angleterre, sans doute en 1731. De course en course, les paris se structurent. D’un haras à l’autre, les défis se précisent : il ne s’agit plus d’encourager la sélection des chevaux les plus rapides, mais de battre des records. La première édition du Derby d’Epsom Downs est organisée en 1780 : au pays des grands horlogers, les progrès de la chronographie permettent de donner aux éleveurs des références et des repères à la seconde près sur une même distance. A la même époque, apparaissent également les premières courses à pied sur de longues distances, d’un village à l’autre, de clocher à clocher : elles seront également étalonnées au chronographe d’une année sur l’autre. Sur le continent, les aristocrates européens copieront très vite cette manie anglaise des courses hippiques, devenue plus snob que le traditionnel jeu de paume, un peu trop galvaudé à leurs yeux : on disait en Europe que la France comptait plus de salles de jeu de paume que d’églises !
Epsom me remet en mémoire certaines archives de la maison Heuer, découvertes en compagnie de Jack Heuer dans son chalet de Gstaad : son arrière-grand-père, Edouard Heuer, s’était orienté vers le marché des chronographes parce que ses amis des milieux hippiques cherchaient des montres capables de mesurer précisément les exploits des pur-sangs d’un Jura suisse riche en élevages. Le père de Jack, le colonel Charles-Edouard Heuer, était un des meilleurs cavaliers de l’armée suisse, vainqueur de nombreux concours et assez ami des chevaux pour avoir ses propres écuries dans la cour de sa maison, à Bienne. C’est un amusant raccourci historique, mais je trouve assez logique que le cheval ait permis à Heuer, aujourd’hui TAG Heuer, de devenir la marque de référence pour les chronographes de prestige. Le parallèle n’est pas vain.
A partir de la seconde partie du XVIIIe siècle, les horlogers anglais, guidés par l’exemple de Harrison, avaient décidé que le vrai enjeu était la fuabilité et la précision des montres de marine, qui étaient alors de vrais objets de luxe, convoités, entretenus et entourés de plus de soins que les équipages eux-mêmes. Dès la seconde partie du XIXe siècle, Edouard Heuer a perçu que la pratique du sport et le goût de la vitesse du monde moderne allaient créer une demande croissante de chronographes et de compteurs de sport accessibles. On peut prolonger l’idée en songeant que Jack Heuer et ses successeurs ont compris, dans la seconde moitié du XXe siècle, que le chronographe de poignet allait devenir l’accessoire masculin, puis féminin, le plus symbolique d’un nouvel art de vivre.
Aujourd’hui, on évalue mal à quel point la montre H-4, exemplaire unique qui avait réclamé vingt ans de travail, a pu être révolutionnaire : la moindre de nos montres-bracelets mécaniques propose la même exactitude, avec une fiabilité bien supérieure si on prend en compte la résistance aux chocs, l’étanchéité à l’eau et à la poussière ou la qualité des huiles. L’industrie horlogère produit chaque année plusieurs dizaines de millions de montres mécaniques d’une qualité chronométrique au moins égale à celle de John Harrison, qui avait mis plus de vingt ans à réaliser la sienne.
Au loin, les collines du Surrey où nous avons rendez-vous avec Ron Dennis, le patron de l’écurie de Formule 1 McLaren, qui a fait construire, à l’écart des regards indiscrets, une sorte de manufacture high-tech vouée aux beaux-arts du sport mécanique (ci-dessus, le Technology Center Mclaren de Woking). Là, on va reparler de chronométrage, mais à une autre vitesse, et avec TAG Heuer. Ce qui est déjà une autre histoire, que nous raconterons un autre jour...◀▶
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