ARCHIVES # 15 : Une promenade au musée Olympique, creuset de notre obsession du temps
Le 05 / 01 / 2013 à 12:03 Par Le sniper de Business Montres - 7828 mots
Un temple de l'horlogerie sportive, ce musée Olympique ? Pas vraiment... C'est ici qu'est née l'obsession moderne de la performance et notre addiction au temps... Le texte ci-dessous a été écrit en 2006 pour un ouvrage non publié... Il s'agit donc d'un chapitre [non d'un article], mais on peut le lire à part, comme une découverte des 27 siècles qui relient le sport et l'horlogerie...
◀▶ UNE VISITE AU MUSÉE OLYMPIQUE DE …
Un temple de l'horlogerie sportive, ce musée Olympique ? Pas vraiment... C'est ici qu'est née l'obsession moderne de la performance et notre addiction au temps... Le texte ci-dessous a été écrit en 2006 pour un ouvrage non publié... Il s'agit donc d'un chapitre [non d'un article], mais on peut le lire à part, comme une découverte des 27 siècles qui relient le sport et l'horlogerie...
◀▶ UNE VISITE AU MUSÉE OLYMPIQUE DE LAUSANNE« Citius, Altius, Fortius » ▷▷▷ Temps clair sur les Alpes : au loin, à main gauche en regardant le lac, le profil tranquille et enneigé du mont Blanc ; en face, les villes d’eau françaises à peine sorties de l’ombre qui les masque le matin. Le lac Léman est calme sous le soleil, même si quelques cygnes se permettent d’en rider la surface. Au loin, passe la galère suisse La Liberté, la seule galère au monde qui soit encore capable de naviguer. Cette matinée est une symphonie en bleu : clair dans un ciel nettoyé de tout nuage, ardoise du côté des montagnes, métallique et miroitant sur les eaux qui baignent Lausanne. Un peu plus haut, avançant leurs piquets jusque dans la ville, les rangs de vignes (1) s’alignent face au sud pour admirer les plus hauts sommets d’Europe. Un peu plus loin, des palmiers inattendus au cœur du vieux continent, pour ajouter à la sérénité intemporelle du décor. La vie semble s’être arrêtée le long de ce quai nonchalant, impeccablement nettoyé, sur la rive du plus grand lac d’Europe : peu de constructions, peu d’arbres, peu de passants, peu de voitures, peu de mouvements d’oiseaux dans le ciel. Le temps est comme suspendu. C’est cette paix, certains diraient cette pureté d’existence, que certains exilés dorés sur tranche viennent chercher en Suisse. C’est cette quiétude qu’ils achètent au prix fort, en plus d’un art de vivre tempéré par les faveurs de la fortune : cent siècles d’histoire ont passé sur ces rives sans trop les griffer de cicatrices guerrières, en épargnant les paysages et en tempérant les caractères. Lausanne a toujours vécu sa vie comme une méditation sur l’art de vivre. ▷▷▷ Je suis moins venu ici chercher la paix intérieure qu’une réponse aux questions que je me posais – personnellement et professionnellement – sur l’importance prise par le sport dans notre vie quotidienne, dans la culture médiatique et dans l’économie mondiale. « Citius, Altius, Fortius » : plus loin, plus haut, plus fort. Comment l’idéal sportif codifié par Pierre de Coubertin (2) en est-il arrivé à polariser les énergies de milliards d’êtres humains ? Avec cette interrogation annexe : est-ce notre goût de la vitesse – une sorte d’instinct génétique programmé – qui nous a conduits à établir des records olympiques aux limites toujours repoussées ? Ou bien est-ce l’influence de la pratique sportive qui a bouleversé notre perception naturelle du temps, jusqu’à faire de nous des « chronophages » invétérés, toujours à la recherche du moindre temps libre ? Je ne doute pas un instant qu’une partie au moins de la réponse doit m’attendre au musée Olympique de Lausanne. ▷▷▷ Ce que je ne sais pas encore, c’est que la visite à ce musée se mérite par un petit effort sportif. Il faut partir du quai d’Ouchy, un peu en marge du centre de Lausanne, et se lancer à l’assaut de la colline, par des sentiers et des escaliers qui serpentent entre les massifs ornés de statues et les fontaines monumentales du parc Olympique. Pierres brutes et bronzes polis : la patine verte des sculptures figuratives se camoufle dans le feuillage des buissons. Métal brut d’un mobile de Calder, bas-relief brutal et footballeurs polychromes ponctuent les lacets qui s’enchaînent sur 1 363 pieds grecs (3). Les enfants rient de la sportive obèse et les parents s’étonnent du tireur à l’arc géométrique. Monter, enchaîner les marches, souffler, repartir et déboucher enfin sur une petite esplanade de lumière, de verre et marbre blanc venu de l’île grecque de Thasos, qui se flatte d’avoir le marbre le plus blanc du monde. Le musée est logé dans un bâtiment étalé face au lac sur soixante-dix mètres de long. L’architecture, moderniste sans excès, n’a rien qui puisse choquer les cortèges de lycéens et les groupes du troisième âge qui peuplent tous les musées du monde un jour de semaine. Le style pastiche légèrement les temples grecs : les huit colonnes qui se dressent sur l’esplanade rappellent, dit-on, les six colonnes du temple de Zeus à Olympie. Pierre de Coubertin, qui voulait créer ce musée à Lausanne, et qui voulait même recréer, à Lausanne, au cœur de la nouvelle Europe, une Olympie moderne, aurait sans doute aimé cette « citation » grecque. Son drapeau, le drapeau olympique aux cinq anneaux de couleur posés sur un étendard blanc, lui a été inspiré par un bas-relief grec (4). Aujourd’hui, il flotte un peu mollement dans la timide brise lémanique. Plus spectaculaire pour les badauds : la flamme olympique qui brûle en permanence dans une vasque et qui permet de transmettre le « feu sacré » à tous les stades olympiques de la planète. ▷▷▷ Lausanne est le bastion mondial de l’idéal sportif moderne : c’est ici que siègent les autorités du Comité international olympique, le puissant CIO, maître de l’organisation des Jeux et gardien de l’idéal olympique. C’est ici, dans ce musée, que sont rassemblés les souvenirs d’un gros siècle de compétitions, à commencer par la collection complète des torches olympiques utilisés depuis la renaissance des Jeux, en 1896. La première citation trouvée dans le hall d’entrée donne le ton : « L’olympisme est une philosophie de vie, exaltant et combinant dans un ensemble équilibré les qualités du corps, de la volonté et de l’esprit. Alliant le sport à la culture et à l’éducation, l’olympisme se veut créateur d’un style de vie fondé sur la joie dans l’effort, la valeur éducative de l’exemple et le respect des principes éthiques fondamentaux universels ». C’est beau comme du Pierre de Coubertin (5), mais ce n’est pas de lui : on trouve ce texte dans la Charte olympique de 2004, au premier rang des Principes fondamentaux. Me voici donc prévenu. Reste à comprendre comment cette « joie dans l’effort » s’est imposée comme « style de vie » à des contemporains plutôt portés vers l’hédonisme… ▷▷▷ D’abord, un bain d’histoire : les athlètes de l’Antiquité olympique ignoraient les records. Pour eux, l’essentiel n’était pas de participer – principe coubertien – mais surtout de gagner ! Peu leur importait d’aller plus vite, plus haut ou plus fort que lors d’une épreuve précédente, ou encore d’une Olympiade à l’autre : ils voulaient surtout aller plus vite, plus haut et plus fort que leurs concurrents du moment. Les vainqueurs étaient fêtés dans leurs cités comme des demi-dieux, et sans doute encore plus adulés et plus couverts de richesses ou de faveurs féminines que les champions modernes de base-ball, de basket ou de Formule 1. Une série d’objets archéologiques rappelle leur vie quotidienne, leur entraînement, leurs exploits personnels et la splendeur des monuments sportifs de l’Antiquité : manifestement, le culte sportif – si proche de l’exaltation guerrière, dont il n’était d’ailleurs qu’une variante pour temps de paix – était un des piliers de la société grecque antique. Les stades antiques avaient une capacité au moins égale, sinon supérieure, à celle de nos modernes stadiums : les athlètes s’y affrontaient nus (en grec, le mot gymnase dérive du mot nu), du moins c’est ainsi qu’ils étaient représentés (6). ▷▷▷ Les historiens font remonter la première Olympiade à 776 avant notre ère. Ils nous font remarquer que le calendrier officiel des cités grecques était basé sur le décompte olympique, rythmé par des Jeux qui avaient lieu tous les quatre ans, pendant une semaine : les plaisirs sportifs étaient ainsi au cœur de la vie quotidienne. Vingt-sept siècles après ces premiers Jeux, on n’est plus très sûr qu’ils aient vraiment été les premiers : les hellénistes pensent même qu’il existait d’autres compétitions sportives avant cette Ière Olympiade, ne serait-ce qu’en raison de l’ancienneté des légendes religieuses et sportives qui structurent la mentalité antique. On prêtait à Héraclès (Hercule) une victoire dans une course organisée à Olympie, épreuve qui aurait servi de matrice à la première course dans un stade (193 mètres de piste au programme), mais on pensait aussi qu’il fallait rendre hommage au mythique Pélops, qui avait battu dans une course de chars le roi Œnomaos pour mieux en séduire sa fille. Pour d’autres, Zeus lui-même avait fondé les jeux pour célébrer sa victoire contre Chronos, à moins que ce ne soit : tiens, intéressant, ce Chronos, sorte de roi du temps inventé par les Grecs ! ▷▷▷ Cette immense ferveur sportive durera un peu plus de onze siècles, jusqu’à ce l’empereur romain Théodose Ier, converti au christianisme, ne les interdise parce qu’il les estimait trop entachés de paganisme. Nous sommes en 393 de notre ère : une date qui, bien plus que le sac de Rome ou la déposition du dernier empereur romain d’Occident (476), sonne vraiment la fin de l’Antiquité. Théodose Ier sera d’ailleurs le dernier empereur à régner sur la totalité de l’empire des Césars. Brutalement, avec cette interdiction, des milliers d’épreuves sportives se trouvent suspendues à travers tout l’empire. Les écoles de lutteurs et de gladiateurs ferment. Les jeux de balle sont bannis. Des dizaines de milliers d’athlètes découronnés, d’entraîneurs et de supporters sont réduits à la misère, quand ils ne sont pas massacrés par les sectateurs chrétiens. Les stades et les temples sportifs – les Gréco-Romains ont toujours lié les deux – sont désertés, puis pillés et abandonnés. Les mauvaises herbes recouvrent les pistes et les ronces envahissent les gymnases. Les palestres d’Olympie sont incendiées en 426. L’idée même d’une pratique sportive s’éteint comme une bougie qu’on souffle. Désormais, les hommes feront la guerre et ils ne s’entraîneront plus qu’au combat. La religion des premiers chrétiens est celle des contempteurs du corps : il faut se garder d’attacher trop d’importance à la chair, pour consacrer toute son énergie au salut de l’Esprit et à la pénitence. L’imminence supposée du Jugement dernier rend superflue tout effort sportif et il ne saurait y avoir d’autre culte que celui du seul Dieu. Il est très peu d’exemples dans l’histoire de l’abandon aussi brutal et aussi définitif d’une pratique populaire aussi fortement ancrée dans la culture et l’inconscient collectif d’une civilisation (7). L’Europe s’enfonce dans une longue nuit culturelle, dont elle n’émergera qu’une douzaine de siècles après Théodose. ▷▷▷ Cette parenthèse incompréhensible est bien mise en évidence par le musée Olympique, qui nous fait bondir par-dessus ces seize siècles le temps d’une rampe inclinée pour passer d’un étage à l’autre. Nous voici tout de suite en 1896, à Athènes, pour les premiers jeux Olympiques de l’ère moderne : 15 pays y ont délégué 245 athlètes (on attend plus de 200 nations et près de 11 000 champions aux prochains Jeux de Beijing – texte écrit en 2006). Tout de suite, une évidence : dès ces Jeux d’Athènes, les athlètes se battent contre un ennemi commun, le temps. Leurs condisciples de l’Antiquité ne disposaient pas d’horloges capables d’étalonner leurs performances : la couronne de laurier allait au plus rapide, au plus fort et au plus endurant, par un jeu d’éliminations successives. Les horloges à eau (clepsydres) ou les sabliers auraient été en peine de mesurer des courses qui ne duraient pas une minute [8]. Sur les gradins de pierre d’un stade athénien pastiché de l’Antiquité, la foule mobilisée par Coubertin applaudit les athlètes, mais elle retient leur performance exprimée en heures, en minutes et en secondes : « Il a fait combien ? ». Chaque champion fonde son identité sur son « temps ». Les jeux Olympiques modernes introduisent dans la pratique sportive la notion de record, concept ultra-contemporain qui sera bientôt appelé à contaminer pratiquement tous les autres compartiments de la vie en société. Les coureurs que Pierre de Coubertin lance sur la piste cendrée rivalisent entre eux avec un juge de paix inexorable : des chronographes et des mécaniques capables de décompter les temps courts avec la plus terrible précision. Les comptes-rendus des journaux de l’époque alignent les records réalisés par les uns et par les autres : le sport devient une affaire d’arithmétique en mouvement et de frontières spatio-temporelles incessamment repoussées. L’obsession de la « performance » devient lancinante. Ce n’est pas un hasard si les épreuves favorites du public sont celles qui reposent, précisément, sur une course contre la montre : la course à pied devient la reine des Olympiades, ainsi que la natation, au détriment de l’équitation ou de l’escrime, moins sensibles à l’impératif chronographique (9). ▷▷▷ Plus le temps est court (une douzaine de secondes pour un 100 m, gagné à Athènes par l’Américain Thomas Burke), plus l’épreuve est génératrice d’intérêt et d’émotion pour les spectateurs : on ne se bat plus pour des secondes, mais pour des fractions de seconde. La difficulté sera désormais de départager équitablement les concurrents, en évitant les faux-départs et les classements douteux à l’arrivée (ainsi que les tricheurs tombés dans le dopage). A l’opposé, plus ce temps est étiré en longueur, plus l’épreuve frappe les imaginations. A une époque où le fait de marcher à pied était un réflexe naturel pour la plupart des humains qui ne disposent ni de voitures, ni de vélos, l’épreuve du premier marathon d’Athènes n’apparaissait pas surhumaine à cause de sa distance (une quarantaine de kilomètres, soit une journée de marche), mais par la longueur du temps de course imposé à l’athlète. Le berger grec Louis Spiridon aura couru pendant 2 heures 58 minutes et 50 secondes pour arriver premier et entrer dans la légende (10). Ce marathon de trois heures était considéré comme une épreuve si « inhumaine » que les autorités olympiques l’interdiront aux femmes jusqu’en 1984 : on sait qu’elles frôlent aujourd’hui les performances masculines, quasi-égalées à dix minutes près (2 h 04 pour les messieurs, 2 h 15 pour les dames – texte écrit en 2006 : depuis, l'écart s'est encore réduit !). On sait aussi que plusieurs centaines de milliers d’hommes et de femmes courent chaque année un marathon, sinon plusieurs, sans pour autant succomber comme Philippidès, le guerrier grec de la légende, mort en 490 avant notre ère d’avoir couru à bout de souffle vers l’Acropole pour annoncer aux Athéniens la victoire remportée contre les Perses à Marathon. Le terme de « marathon » passera immédiatement dans le langage courant pour désigner toute action éprouvante appelée à se dérouler sur une longue période continue. ▷▷▷ Ainsi, dès les premiers Jeux, la bataille de l’opinion est gagnée : une passion est née, qui ne se démentira pas et qui ira, au contraire, en mobilisant toujours plus de spectateurs et de téléspectateurs. 3,9 milliards d’hommes ont suivi les Jeux d’Athènes, relayées par 35 000 heures de télévision ; cette audience internationale devrait « exploser » avec les Jeux de Beijing (texte écrit en 2006). Dans l’histoire récente de notre civilisation, les épreuves sportives sont les seuls événements non-étatiques à pouvoir acquérir cette dimension mythique de référence. Qu’on pense à l’America’s Cup, qui a récemment fêté son siècle et demi de régates entre aristocrates de la mer. Qu’on pense au Tour de France, plus que centenaire, dont le maillot jaune a été porté par des sportifs de tous les continents – et dix fois déjà sur les épaules d’un vainqueur américain. Qu’on réfléchisse, enfin, à l’exploit de ces jeux Olympiques, nés d’une initiative privée et de la volonté visionnaire d’un seul homme, mais qui ont su résister à onze décennies de convulsions internationales. Malgré les vœux de Pierre de Coubertin, qui rêvait d’imposer aux grandes puissances des trêves olympiques (11) inspirées des trêves antiques, les rendez-vous politiques ont été annulés en 1916 (Berlin), en 1940 (Helsinki) et en 1944 (Londres). Les Jeux ont beau avoir été souillés par le terrorisme (Munich, 1972 ; Atlanta, 1996) et parasités par la politique (Berlin, Moscou, en plus d’innombrables tentatives de boycott), ils ont résisté aux totalitarismes, à la guerre froide, à la décolonisation et même aux « scandales » financiers. L’olympisme est sans doute la seule organisation internationale dont l’histoire soit écrite sur trois siècles (XIXe, XXe, XXIe), avec des événements réussis sur quatre continents, été comme hiver, et un immense capital de sympathie dans tous les pays. Sans s’arrêter à un folklore un peu désuet (les cérémonies en uniforme) et sans se replonger dans des querelles lancinantes sur le dopage ou la « corruption » des attributions olympiques, c’est ce vertigineux défi au temps qui constitue le trame subliminale du musée de Lausanne : on y prend rendez-vous avec 27 siècles de performances physiques et d’héroïsme sportif. ▷▷▷ Quelque chose m’intrigue alors que je reprends la rampe vers le dernier étage pour y prendre un café bien mérité. Alors que le seul et vrai dieu du stade est devenu le compteur chronographique, je cherche en vain, dans les salles du musée Olympique, les instruments de mesure du temps que je m’attendais à y trouver. Dans les vitrines, au-delà de tout un fatras commémoratif qui démontre que le « merchandising » olympique a toujours été d’un goût douteux, derrière le kitsch des anciens équipements sportifs (maillots, chaussures, accessoires), je discerne parfaitement la montée en puissance de l’énorme « machine » olympique. La drapeau aux cinq anneaux est devenu ombrelle planétaire. Cependant, je peine à trouver une présentation digne de ce nom des objets qui ont servi à établir ces records et à déterminer les temps réalisés par les athlètes. Moins d’une dizaine de compteurs de sport (12), sans explications détaillées, voilà qui est bien décevant pour des événements sportifs qui ont élevé la précision au rang d’un rituel fétichiste. Et c’est ridicule quand on sait que la moindre Olympiade mobilise plusieurs centaines de techniciens du chronométrage et plusieurs centaines de tonnes de matériel (13), sans parler des moyens techniques chargés de diffuser les épreuves et leurs résultats aux médias du monde entier. Je vérifie cette étrange lacune en reprenant ma visite des différentes salles et je me pose des questions sur la disproportion qui existe entre l’abondance des crosses de hockey et la pénurie d’équipements chronographiques. Je vais même aller poser la question au conservateur : sa réponse un peu gênée évoque le prochain parrainage par un groupe horloger d’un espace consacré à la chronographie sportive (14). ▷▷▷ C’est en fouinant dans la bibliothèque du musée que je vais mieux comprendre à quel point les instruments de la précision chronographique et les sports ont évolué en parallèle depuis la fin du XIXe siècle, chaque progrès de l’un conditionnant l’évolution de l’autre. Cette co-évolution concertée est assez facile à comprendre. Pour courir son premier 100 m olympique, Thomas Burke – qui passe alors pour l’homme le plus rapide du monde – met officiellement 12 secondes. Peut-être plus, peut-être moins : qui sait ? Aucun instrument de précision n’est alors suffisamment fiable incontestable pour l’établir avec certitude. Les temps des premiers arrivés sont enregistrés par des juges de piste tenus d’être équipés de leur chronographe personnel (15), dont précision chronométrique est relative (16), puisque les signaux radio transmis par les observatoires sont loin d’être répandus dans le monde entier. Le vainqueur olympique est donc celui qui semble avoir franchi la ligne le premier. Son temps n’est que la moyenne des temps affichés par les chronographes des juges. En cas de contestation, la voix du juge arbitre prédomine : ce joyeux amateurisme survivra pendant un bon demi-siècle. Sur le stade d’Athènes, le dauphin de Thomas Burke, l’Allemand Fritz Hoffmann, n’est séparé de Thomas Burke que par un cinquième de seconde. Peut-être plus, peut-être moins : qui sait ? Les autorités olympiques réalisent vite l’insuffisance de la précision du chronométrage au cinquième de seconde – la seule admise par le règlement olympique (17). On ne parle pas alors de records mondiaux, mais seulement de records olympiques. Quoique reconnus dès le début du XXe siècle, les records du monde ne seront officiellement homologués qu’en 1912, à partir des 10”6 secondes réalisées par Donald Lippincott. Un siècle plus tard, le record n’a pas progressé d’une seconde (9”77 s en 2006), soit moins d’un centième gagné par an : les annales olympiques démontrent que chacun de ces dixièmes, puis chacun des centièmes de ce record ont été âprement disputés par les athlètes. ▷▷▷ En toute logique, les horlogers de l’époque, presque tous Suisses, ont compris l’immense potentiel de ces jeux Olympiques pour la réputation chronométrique de leurs compteurs de sport. L’événement d’Athènes avait d’autant plus passionné les foules qu’il s’y mêlait quelques relents de fièvre nationaliste. La situation est alors claire. D’un côté, des sportifs et des entraîneurs qui réclament une précision accrue des mécaniques qui décomptent le temps. De l’autre, des horlogers qui fournissent à ces équipes sportives les moyens techniques d’être toujours plus rigoureux dans la gestion de leurs résultats, qui intéressent de plus en plus les médias et, dans leur sillage, les futurs sponsors de l’olympisme moderne. La montre et le sport étaient faits pour se rencontrer. Leurs valeurs se conjuguaient parfaitement : le goût de la précision et du beau geste, la quête de la performance, le défi au temps et aux modes, le goût de l’aventure et de l’extrême. De cette union allaient naître quelques-unes des plus belles légendes du XXe siècle, et sans doute des suivants. ▷▷▷ Les documents photographiques sur le chronométrage officiel des premiers jeux Olympiques sont rares : sur la ligne d’arrivée, l’image fugace d’une brochette de juges crispés par l’attention (18). A la table d’arbitrage, des costumes en tweed et des casquettes de sportsmen qui gardent les yeux rivés sur des instruments de mesure. Les chronographes peuvent alors mesurer le temps au dixième de seconde, mais les fondateurs de l’olympisme, humanistes convaincus, trouvent qu’il est injuste pour les athlètes d’être ainsi confrontés au verdict trop précis de rouages mécaniques sans âme. Jusqu’aux jeux Olympiques de Los Angeles (1932), les temps et les records olympiques seront parfois établis au dixième de seconde, mais légalement enregistrés au cinquième (19). C’est à Los Angeles que seront tentés les premiers chronométrages au centième de seconde. Le millième de seconde électrique sera maîtrisé pour les Jeux d’Helsinki (1952) et il sonnera le glas du chronométrage manuel, officiellement abandonné dans les compétitions internationales après les Jeux de Rome (1960). Aux 100 m nage libre, on avait atteint la limite des instruments manuels : les chronos des six juges donnaient trois temps différents (55,2, 55,1 et 55,0 s) pour le vainqueur officiel, l’Américain Lance Larson, alors que la moitié du stade avait vu arriver en tête l’Australien Dewitt, qui était alors le seul nageur mondial à descendre alors sous les 55 secondes. Le juge arbitre accorda finalement sa faveur et la médaille d’or à John Devitt, en rajoutant d’autorité un dixième de seconde au temps de Larson ! Le comité national olympique américain en parle encore avec indignation quarante ans plus tard. Le chronométrage automatique est devenu officiel dès les Jeux de Tokyo (1964). Il passera au millième de seconde pour les Jeux de Munich, en permettant de départager le vainqueur du 400 m quatre nages. Aux Jeux de Barcelone (1992), le chronométrage officiel de Seiko permettra d’établir que, lors du 100 m féminin, moins de de six centièmes de seconde séparaient la médaille d’or, l’Américaine Gail Devers, de la Jamaïcaine Merlene Ottey, pourtant classée cinquième de cette finale : la médaille d’argent n’était qu’à deux centièmes de l’or, soit une distance invisible à l’œil nu ! Avec le chronométrage électronique des épreuves sportives, on pourrait aujourd’hui pousser la précision au 1/10 000e de seconde (20), voire au 1/100 000e, mais cela aurait-il un sens ? Sur 100 m, un millième de seconde représente quelques millimètres d’avance : c’est à peu près la tolérance pour les variations d’une piste olympique de cette longueur. Aux Jeux d’hiver de Lake Placid, le chronométrage au centième de seconde du 15 km en ski de fond a donné au Suédois Thomas Wassberg une avance d’un… centième de seconde sur le Finlandais Juha Mieto. Soit l’équivalent de 55 millimètres sur les 150 millions de millimètres de la course. C’est la vanité de cette ultra-précision qui poussera les juges olympiques à ne plus accepter que le chronométrage au dixième de seconde (21), en accordant au besoin des doubles médailles d’or aux vainqueurs. ▷▷▷ Je commence vraiment à me demander si les jeux Olympiques ne sont pas devenus, au fil des années, les prisonniers de ce temps qu’ils pensaient vaincre par le sport. Une question m’intrigue pourtant : à quoi ressemblaient les instruments de précision des premiers juges de piste ? A de grosses montres de poche (celles qu’on glissait dans la poche de son gilet), qu’on range soigneusement dans un écrin tapissé de velours et qu’on remonte religieusement à la main avant la compétition. Les aiguilles noires ou bleuies tranchent sur les cadrans émaillés, parfaitement lisibles avec leurs élégants chiffres noirs et leur impeccable chemin de fer » des minutes ou des secondes (22). Sous le cadran, un assemblage d’impeccables rouages micro-mécaniques, soigneusement huilés, qui s’ajustent au centième de millimètre. Nous sommes déformés par des années d’horlogerie électronique, mais il faut se souvenir de la précision stupéfiante de ces mouvements strictement mécaniques, qui pouvait approcher celles de nos montres à quartz les plus courantes. Relativement peu étanches à l’eau comme à la poussière, ces chronographes sont réputés fragiles et réclament des soins empressés et un passage régulier chez le régleur horloger. ▷▷▷ Chaque juge olympique avait sa marque préférée, le bouche-à-oreilles jouant un rôle décisif à un âge qui n’avait pas encore inventé le marketing : tout juge – c’était une immense responsabilité en même temps qu’une mission bénévole – avait aussi sa réputation à défendre, la netteté de son coup de doigt sur le poussoir du chronographe, l’acuité de son coup d’œil sur la ligne d’arrivée, l’équité de sa décision. Les marques les plus réputées – Heuer, Longines, Ulysse Nardin et d’autres, aujourd’hui oubliées – ont bâti leur notoriété sur la précision « scientifique » de leurs mouvements et sur la fiabilité de leur mécanique : une fois terminés, les compteurs de sport et les chronographes étaient étalonnés par un service officiel, qui en garantissait l’exactitude chronométrique (23). Chacun de ces précieux instruments de travail (24) se vendait alors à peu près au prix d’une petite berline d’aujourd’hui, voire parfois beaucoup plus pour des pièces de prestige signées par Patek Philippe ou par Vacheron Constantin. ▷▷▷ Un nom m’intrigue parmi les marques citées pour leur excellence chronométrique lors des Jeux, parce qu’il revient régulièrement dans les annales olympiques : Heuer. Et surtout parce qu’il est le premier nom de marque horlogère à apparaître dans l’histoire des Jeux : cette maison était chronométreur officiel – c’était la première fois que cette mission était assignée à une marque – des Jeux d’Anvers (1920), puis des Jeux de 1924 et de 1928. La maison est souvent décrite comme un spécialiste des compteurs de sport : déjà connue pour l’invention de plusieurs dispositifs de précision dans l’univers du chronographe, Heuer a même breveté, en 1916, un mécanisme de compteur de sport capable de décompter les temps courts au centième de seconde (25). Il faudra absolument que j’en apprenne un peu plus sur cette entreprise familiale suisse, rebaptisée TAG Heuer, passée depuis entre les mains du groupe de luxe français LVMH et devenue leader mondial des chronographes de prestige. En attendant, je feuillette Mastering Time (26), un livre que le journaliste allemand Gisbert L. Brunner a consacré à la marque, et j’y découvre que son fondateur, Edouard Heuer, s’est intéressé très vite – dès 1880 – aux chronographes sportifs : il a sans doute été le premier horloger à comprendre l’importance que le sport allait prendre dans notre vie quotidienne. Ce que cet Edouard Heuer a appris du marché, c’est d’abord que la compétition de haut niveau aussi bien que les pratiques sportives de proximité vont bientôt réclamer des instruments de mesure fiables et précis. Son premier cheval de bataille semble même avoir été… les milieux hippiques, alors très actifs en Suisse, mais aussi en Angleterre où il avait ouvert une succursale commerciale. A la librairie commerciale du musée, Mastering Time (La maîtrise du temps) n’est malheureusement pas disponible, mais la libraire me parle de la marque et me précise que, selon ce qu’elle a pu lire dans la presse, la famille Heuer est toujours liée à la marque TAG Heuer. A vérifier, ne serait-ce que pour en savoir plus sur une trajectoire horlogère qui court pratiquement sur 140 ans, au cours desquels la montre a pu glisser de la poche du gilet vers le poignet, avec une précision passée du cinquième de seconde au milliardième de seconde (signal d’une horloge atomique que peut capter une montre électronique à technologie radio-pilotée). ▷▷▷ En attendant, suis-je vraiment plus avancé en me retrouvant sur l’esplanade du musée, la tête encore pleine des images piochées dans les présentations audiovisuelles que propose l’étage supérieur ? J’étais parti avec des idées simples sur le sport contemporain, mariage fascinant de gaspillages et de générosités, au carrefour de la passion individuelle et de l’émotion collective. Je découvre que le facteur critique de la compétition olympique est probablement le temps – celui qu’il faut repousser au-delà des limites du corps – et pas forcément l’argent. Je découvre aussi que cette addiction au temps a été autant construite que provoquée par ceux qui ont pour mission de mettre en forme ce temps et de le compter avec la plus grande précision possible : les horlogers. C’est donc vers ces marques de montres que je vais orienter mes recherches, après un détour par l’autre capitale-phare de l’olympisme contemporain : Beijing (Chine), qui hébergera en 2008 une XXIXe Olympiade que tout annonce grandiose (texte écrit en 2006)...G.P. [1] Les vins du Valais figurent parmi les meilleurs de toute la Suisse.[2] En réalité, la formule a été inventée en 1891 par l’abbé français Henri Didon (1840-900), qui avait participé, dès l’âge de 15 ans,, dans son petit séminaire du Rondeau (au pied du Vercors français), à des « Jeux olympiques » privés qui ont précédé d’un demi-siècle ceux d’Athènes. Devenu ami de Coubertin, l’abbé Didon lèguera à l’olympisme sa devise et l’aidera à créer les premiers jeux Olympiques de l’époque moderne. [3] C’est la longueur exacte d’un stade olympique, exprimé dans la mesure grecque de l’Antiquité. [4] Officiellement, les six couleurs du pavillon olympique (cinq anneaux plus le blanc du fond) sont représentatives des couleurs de toutes les nations de la planète, et non associées à un continent précis (précision du CIO, Comité international olympique). [5] Qui était né Pierre de Frédy, baron de Coubertin (1863-1937). [6] Des chercheurs contemporains ont permis d’établir, essais sur le terrain à l’appui, qu’il est à peu près impossible de s’entraîner, de courir et de concourir dans une épreuve sportive totalement nu. Mystère de la représentation « médiatique » et limite de notre compréhension d’une sphère culturelle dont nous ne sommes que les héritiers post-modernes. [7] Imaginons ce que serait, aujourd’hui, une interdiction mondiale des compétitions sportives, ou tout simplement de la télévision, qui tient dans nos loisirs la place centrale qui était celle des jeux et des stades dans l’Antiquité gréco-latine ! [8] En revanche, les Grecs pratiquaient un rigoureux contrôle des départs : les portillons de départ étaient commandés par un réseau de cordelettes, actionnées par le juge des départs. [9] Pauvre baron français de Coubertin, lui qui travaillait secrètement ces Olympiades dans une optique de réarmement moral et physique à finalité militaire. La France préparait alors sa « revanche » contre l’Allemagne, qui l’avait battue en 1870, et Coubertin entendant participer au réarmement moral de la nation française et à la mobilisation de ses énergies… [10] Une idée reçue est à corriger au passage : même si elle s’en approche, la distance actuelle du marathon, 42,195 km, n’est pas celle qui sépare la ville de Marathon de celle d’Athènes, mais exactement celle du circuit qui séparait, pour les Jeux de Londres (1908), le château de Windsor, d’où était donné le départ, de la loge royale située sur le stade olympique d’arrivée. C’est ce circuit londonien, imposé par le roi Edouard VII, qui est devenu la distance officielle olympique du marathon ! [11] Tous les quatre ans, une trêve de douze jours était décrétée en Grèce pour que les athlètes et les spectateurs puissent se retrouver à Olympie. Rappelons tout de même que les esclaves, les femmes et les « Barbares » (non-Grecs) étaient interdits de jeux Olympiques qui polarisaient, en revanche, toute l’éducation des citoyens aisés : ils s’y entraînaient dès leur plus jeune âge, dans un esprit de compétition qui imprégnait toutes les valeurs socio-politiques de ce temps.[12] Un compteur de sport est un mécanisme horloger qui ne donne pas l’heure, mais qui permet de compter ou d’enregistrer des temps courts. Il est généralement muni d’une aiguille au centre du cadran : elle décompte les secondes au 1/5e, au 1/10e ou au 1/100e de seconde. Cette aiguille doit pouvoir être mise en marche, arrêtée, relancée et remise à zéro. Dans un compteur secondaire, une deuxième aiguille décompte les minutes. Certains compteurs de sport proposent même une aiguille des heures. Il existe d’innombrables variétés de compteurs de sport, dont les cadrans sont adaptés aux différentes règles de temps des sports modernes (foot-ball, rugby, hockey, voile, boxe, etc.). La maison Heuer, spécialiste de ces compteurs, en comptait près de cinquante variétés différentes, dont un insolite compteur pour femmes enceintes ![13] Un exemple : pour les Jeux de Los Angeles (1932), les moyens techniques se résumaient à… une trentaine de chronographes manuels.[14] J’apprendrais par la suite que le Swatch Group, premier groupe d’horlogerie mondiale, a décidé d’offrir au musée Olympique, une salle qui regroupera les pièces les plus intéressantes de ses marques, qui exposaient jusqu’ici leurs collections sportives dans les musées privées de leurs propres manufactures. J’aurais par la suite l’occasion de visiter ces musées, riches de pièces dont la plupart mériteraient d’être exposées à Lausanne.[15] Un chronographe est une montre qui donne l’heure et qui permet de décompter des temps courts : c’est donc à la fois un compteur de sport (voir ci-dessus) et une montre classique dont les aiguilles indiquent l’heure. Cette montre peut d’ailleurs posséder une aiguille des secondes, différente de celle du chronographe (on parle alors de « seconde permanente »). Un chronographe est généralement doté d’un ou plusieurs poussoirs capables de lancer et de remettre à zéro l’aiguille des secondes chargée d’enregistrer les temps courts.[16] Ne pas confondre chronographe et chronomètre. Question d’étymologie : chronographe, « qui écrit le temps » ; chronomètre : « qui mesure le temps ». Nous verrons plus loin que les premiers chronographes « écrivaient » effectivement les secondes, les montres qui se contentent de les montrer étant plutôt des chronoscopes. L’usage en a décidé autrement. Le chronographe décompte les temps courts, alors que le chronomètre est une montre dont la précision est garantie par un certificat de chronométrie délivré par un observatoire officiel ou un organisme spécialisé. Seules les meilleurs montres peuvent acquérir cette précision chronométrique…[17] Les pères fondateurs de l’olympisme moderne étaient encore très influencés par l’esprit athlétique de l’Antiquité, qui ignorait même le mot de « record », intraduisible en grec ancien.[18] A l’époque, les appareils de prises de vues possédaient un pied et ils faisaient à peu près la taille d’une petite télévision. Les plaques photographiques manquaient de sensibilité et les diaphragmes étaient capricieux au point d’interdire quasiment toute photo de scène animée. Très rares sont les clichés qui montrent les premiers athlètes olympiques en pleine action.[19] Comme d’ailleurs dans d’autres compétitions sportives internationales. Au risque de créer quelques injustices : en 1902, le record du monde du 100 m (10”8 secondes) avait été battu par le Japonais Minoru Fuji (10”24 s), mais non homologué parce qu’enregistré manuellement au 1/10e de seconde ![20] C’est déjà la précision du chronométrage des courses automobiles aux Etats-Unis (championnat Nascar).[21] Néanmoins, un faux-départ se détecte toujours au 1/1 000e de seconde, si la pression du pied de l’athlète sur le starting-block se relâche avant la fin du dixième de seconde qui suit le coup de pistolet. [22] Le « rail » circulaire qui fait le tour du cadran ou du compteur annexe, comme un échelle dont chaque barreau serait une graduation en secondes ou en minutes.[23] On considérait alors qu’un bon chronomètre de poche ne devait pas varier de plus d’une seconde par jour. L’étalonnage se faisait par rapport à des horloges officielles, couplées aux horloges des observatoires astronomiques, seuls capables d’établir la durée de la journée et le « midi vrai » à une latitude donnée.[24] Les principaux clients de la chronographie suisse et européenne étaient alors les industriels (les usines entraient dans l’ère de la rationalisation des tâches et de la « taylorisation »), les scientifiques (certaines expériences réclamaient un étalonnage précis du temps), les physiciens et les astronomes (confrontés à de terribles besoins de précision dans leurs calculs), les militaires (artilleurs ou marins) et, enfin, les sportifs, dont la clientèle n’allait plus cesser de grandir.[25] J’apprendrais plus tard que ce Mikrograph – resté inégalé par les concurrents – sera fabriqué jusqu’en 1969 et que son principe a été récemment repris par TAG Heuer, marque-fille d’Heuer, qui a réalisé la première montre-bracelet munie d’un chronographe précis au centième de seconde (illustration ci-dessus).[26] Editions Assouline, Paris, 1995. 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