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BULLSHITOLOGIE #2 : Les 10 croyances magiques que répètent les bonimenteurs qui racontent l'horlogerie (première partie)...

« Aussi bien que des individus, il a existé des époques mythomanes (...) Le Moyen-Âge, surtout du VIIIe au XIIe siècle, est un exemple de cette épidémie collective... Comme si, à force de vénérer le passé, on était naturellement conduit à l’inventer » (citation de l'historien Marc Bloch, Apologie pour l'histoire)...  ▶▶▶ DU GRAND N'IMPORTE QUOI (1)Une troublante cacophonie de contresens historiques, de boniments


« Aussi bien que des individus, il a existé des époques mythomanes (...) Le Moyen-Âge, surtout du VIIIe au XIIe siècle, est un exemple de cette épidémie collective... Comme si, à force de vénérer le passé, on était naturellement conduit à l’inventer » (citation de l'historien Marc Bloch, Apologie pour l'histoire)...

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▶ DU GRAND N'IMPORTE QUOI (1)
Une troublante cacophonie
de contresens historiques, de boniments
et de mensonges désinformateurs »...
 
◉◉ ON RELIRA AVEC PROFIT LE PREMIER VOLET de cette séquence bullshitologique (Business Montres du 28 mai) : il est consacré aux énormités répandues et répétées par les mythomanes des marques horlogères. Place, maintenant, à quelques-unes des stupidités et des absurdités de certaines idées reçues concernant l'histoire récente de la montre et les réalités contemporaines du marché horloger. On est exactement dans la citation de Marc Bloch en tête de l'article : à force de fantasmer le passé, on le réinvente sans pouvoir comprendre le présent et encore moins anticiper l'avenir...
 
 
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◉◉ C'EST EN SUISSE QU'ON TROUVE LE VRAI BERCEAU HISTORIQUE DE LA BELLE HORLOGERIE : c'est sans doute vrai, aujourd'hui, pour ce qui est de l'industrie horlogère telle qu'elle est établie dans les vallées suisses, mais c'est totalement faux pour ce qui est du berceau, de la généalogie horlo-mécanique et de la culture des beaux-arts de la montre. Historiquement, les premiers horlogers étaient allemands, français et italiens. Avant l'explosion de cette science mécanique du temps, à la fin du Moyen-Age et à l'aube de la Renaissance, on repère une passion technique pour la mesure du temps dans les cultures préhistoriques [calculs savants et objets de mémoire] et, dans l'Antiquité, chez les Mésopotamiens, chez les Egyptiens pharaoniques et chez les « mécaniciens » grecs – ceux qui ont permis la mise au point de la fameuse Machine d'Anticythère. Cet héritage est ensuite transmis par les savants musulmans, qui influenceront sans doute les premiers horlogers chinois. La culture des objets du temps parvient à Genève grâce aux horlogers protestants français chassés du royaume par les Guerres de religion : Calvin ayant à la fois interdit les bijoux trop frivoles et incité ses coreligionnaires à « donner à Dieu chaque minute de leur temps » [à une époque où l'aiguille des minutes n'existait pas !], ce sera l'essor de la belle horlogerie genevoise – bientôt renforcée, après la révocation de l'Edit de Nantes par une horlogerie plus manufacturée et vite industrielle dans les vallées du Jura. Largement concurrencée par les places de Londres (XVIIe et XVIIIe siècles) et de Paris (XVIIIe et XIXe siècle), la Suisse le sera ensuite par les Etats-Unis (promoteurs de la révolution industrielle dans l'horlogerie), puis par l'Allemagne. Elle ne pourra affirmer sa suprématie que dans la seconde moitié du XXe siècle, où elle vivra un très douloureux épisode de domination japonaise dans les années 1980...
 
20141352701504_735◉◉ C'EST À LA SUISSE QU'ON DOIT LES AVANCÉES MAJEURES DANS LA MESURE DU TEMPS : ce n'est malheureusement pas le cas ! Comme on vient de le voir ci-dessus, ce n'est pas en Suisse, loin de là, qu'on a inventé les premiers objets du temps (comme les clepsydres), ni les premières horloges (qui n'étaient que des machines à faire sonner les cloches), ni les premiers affichages de l'heure sur les beffrois, ni les premières horloges astronomiques, ni aucun des dispositifs qui allaient permettre de miniaturiser ces objets du temps pour les rendre portables (ressorts, spiraux, etc.). On doit la mise au point de l'isochronie et du balancier-spiral et de l'isochronie à un Batave [Huygens, mais on peut tout aussi bien l'attribuer à une Anglais ou à un Français]. Ce sont des Anglais et les Français qui ont mis au point les premiers échappements dignes de ce nom et les premiers chronomètres de marine capables d'une précision régulière sur plusieurs mois. C'est un horloger belge, Hubert Sarton, qui a conçu la première montre automatique à rotor. Breguet était-il Suisse (de naissance) ou Français (de coeur, d'âme et d'esprit, y compris de résidence et d'établissement) quand il a inventé le tourbillon et quelques autres subtilités mécaniques ? C'est en tout cas un Français, Louis Moinet, qui a inventé la chronographie (le mot ayant été créé par le Français Nicolas Rieussec) et les hautes fréquences. Et c'est au Français Frédéric Japy qu'on doit les premières « manufactures » industrielles de montres, idées reprises et exportées aux Etats-Unis par le Suisse Louis Frédéric Ingold, auquel personne ne faisait confiance en Suisse ! On peut attribuer la création de la couronne de remontage (au sens moderne du terme) au Français Adrien Philippe – celui de Patek Philippe – du temps où il travaillait pour la maison française Leroy. Finissons-en avec la montre-bracelet, dont l'origine est controversé, mais c'est un Bavarois, Hans Wilsdorf, qui en fera un usage unique et qui la rendra vraiment étanche chez Rolex (marque fondée en Angleterre), alors que la maison Leroy inventera la première montre-bracelet automatique. Logiquement (voir le paragraphe précédent), après la Seconde Guerre mondiale, la Suisse inventera le premier chronographe automatique, mais c'est le Japonais Seiko qui lancera la première montre-bracelet à quartz et le Californien Apple qui mettra sur le marché la première smartwatch grand public...
 
images◉◉ C'EST L'INDUSTRIE DES MONTRES SUISSES QUI A FAÇONNÉ LE PAYSAGE HORLOGER MONDIAL : ah bon, vous êtes sûrs ? La Suisse horlogère a largement raté les grandes étapes de la consolidation de l'horlogerie globalisée telle que nous la connaissons. Sans remonter  à la Renaissance, il faut admettre qu'elle avait raté l'immense marché chinois du XVIIIe siècle – au profit des marchands anglais, qui venaient en Suisse faire leur marché avant de revendre les plus belles créations suisses [oiseaux chanteurs, automates, etc.] aux empereurs chinois. Une situation à peine améliorée au XIXe siècle, en dépit de succès comme ceux de Bovet, mais la Suisse ratera alors son industrialisation, préférant demeurer une industrie d'ateliers artisanaux plutôt que d'opter pour des usines qui rationalisaient la production : à tel point que la Suisse deviendra, à la fin du XIXe siècle, la « Chine » des Etats-Unis, dont les marques trouvaient en Suisse une main-d'oeuvre  qualifiée à bon marché. L'industrie traînera ensuite les pieds pour se mettre à la montre-bracelet, qui ne sera majoritaire dans l production qu'en 1931, alors que les montres de poche devenaient des objets de vitrine. Heureusement que la Seconde Guerre mondiale est arrivée pour laminer les ambitions horlogères des concurrents français, allemands ou japonais ! Ensuite, l'industrie horlogère ratera l'entrée dans le monde électronique en méprisant les montres à quartz, de même qu'elle a failli rater sa globalisation – mais ce sont les groupes de luxe extérieurs à la Suisse (Richemont, LVMH notamment, le Swatch Group ne suivant qu'avec beaucoup de retard cette consolidation) qui ont reformaté l'offre horlogère suisse dans une logique internationale. On pourrait également considérer que cette Suisse horlogère, en optant pour le luxe, a loupé le virage de la fashion horlogère, alors que ces licences  font aujourd'hui les choux gras de groupes comme Fossil (parvenu au quatrième rang mondial) ou Timex et d'autres. Face aux montres connectées, la Suisse a également perdu – sans l'avoir livré – la première bataille pour la conquête des poignets. Ce ne sont donc pas les marques suisses qui ont structuré l'actuel paysage horloger. Seule consolation : en dépit de sa propension à se tromper de stratégie aux moments cruciaux, la Suisse horlogère a une incroyable capacité à renaître de ses cendres en faisant oublier ses erreurs...
 
images-pinocchio-2◉◉ C'EST LA RÉVOLUTION DU QUARTZ QUI A FAILLI RAYER DE LA CARTE L'INDUSTRIE HORLOGÈRE SUISSE : c'est le genre d'âneries qu'on trouve régulièrement sous la plume des journalistes perroquets ou, pire, sous celle des historiens perroquets. Il faut le répéter : l'horlogerie a succombé à la fin des années 1970 et au début des années 1980 à sa propre suffisance, à son arrogante prétention à détenir le monopole de la belle montre et à l'incohérence de son appareil de production. Les Japonais (essentiellement Seiko) avaient compris, au début des années 1960, qu'il leur fallait, pour survivre, ne plus compter sur leur seul marché domestique et donc s'attaquer à des marchés comme celui des Etats-Unis. À force d'opportunisme commercial, de ténacité manoeuvrière et d'intelligence stratégique, ces Japonais ont fini par évincer les marques suisses de leur principal marché – les Etats-Unis – au moment même où les montres suisses étaient devenues beaucoup trop chères du fait du renchérissement du franc suisse [tiens, ça nous rappelle quelque chose]. Le quartz n'avait rien à faire là-dedans : c'est avec des montres mécaniques que les Japonais ont délogé les Suisses du marché américain. Les montres à quartz ne seront majoritaires dans la production Seiko qu'au début des années 1980, alors que le naufrage de l'industrie suisse était consommé. Paradoxalement, la technologie du quartz horloger était maîtrisée par la Suisse bien avant que Seiko ne lance sur le marché la première montre à quartz (Seiko Astron cal. 3500), mais les marques n'avaient pas voulu y croire : première erreur d'appréciation, immédiatement suivie d'une deuxième erreur d'analyse [prendre le quartz pour une technologie de luxe, seulement capable d'ajouter à la précision des montres de luxe], prélude à une troisième erreur stratégique, fatale celle-là [ne pas comprendre que le quartz relevait d'une logique industrielle électronique, et non d'une logique horlogère]. La loi de Moore – qui voit doubler tous les dix-huit mois la capacité de microprocesseurs dont le prix est divisé par deux – n'a fait que finir d'achever le processus de décomposition que les Japonais avaient entamé, mais ce n'est pas le quartz qui est responsable de cette mort évitée de justesse...
 
image-pinocchio-3◉◉ C'EST LE GÉNIE HORLOGER SUISSE QUI A PERMIS LE TRIOMPHE INTERNATIONAL DES MONTRES MÉCANIQUES : laminées par les Japonais dans les années 1980, les maisons suisses avaient plié le genou et attendaient la mort quand un entrepreneur de génie, Nicolas Hayek (qui n'était qu'un Suisse d'adoption), a relevé le défi des Asiatiques, restructuré une industrie suisse en capilotade et sauvé le savoir-faire horloger suisse traditionnel grâce à une montre à quartz en plastique, la Swatch. Au moment où il lançait cette Swatch, plus personne ne croyait en Suisse à la montre mécanique, ni à l'avenir de l'horlogerie traditionnelle. Le renaissance de cette horlogerie mécanique est venu de deux hommes, qui n'étaient pas suisses : le Luxembourgeois jean-Claude Biver, qui a décidé de tout miser sur les beaux-arts de la montre mécanique [ayant fondé Blancpain sans moyens en 1983, il faisait d'une contrainte économique et d'un impératif marketing une vocation entrepreneuriale], et un Allemand, Gerd Lang, qui fondait Chronoswiss en 1983 sur la base des mouvements mécaniques rachetés d'un ancien stock SAV de la manufacture Heuer, qui ne faisait plus que du quartz. Bien entendu, quelques rares Suisses y croyaient encore, mais les écoles d'horlogerie fermaient leurs classes et ne formaient plus que des techniciens en montres à quartz. De leur côté, les collectionneurs italiens rachetaient à bas prix les merveilles de l'horlogerie mécanique Patek Philippe, Cartier, Rolex, Jaeger-LeCoultre – dont les Suisses ne voulaient plus [c'est alors que se sont constituées de fabuleuses collections, qu'on disperse aujourd'hui à prix d'or] et les collectionneurs américains s'échangeaient dans les bourses spécialisées des montres mécaniques des mêmes marques, qui les prétendaient alors irréparables. C'est l'opiniâtreté et le charisme d'un Jean-Claude Biver qui ont re-popularisé les montres mécaniques auprès du grand public : « Depuis 1735, il n'y a jamais eu de montre Blancpain à quartz et il n'y en aura jamais », c'était gonflé, bidonné mais terriblement efficace. De même, des gaillards comme François-Paul Journe, Franck Muller ou Antoine Preziuso (et d'autres) réparaient ces montres irréparables et les vendaient aux enchères chez un Osvaldo Patrizzi qui avait compris qu'on pouvait fédérer ce marché naissant. Pas beaucoup de Suisses dans tout ce paysage...
 
◉◉ À SUIVRE : Les 10 croyances magiques que répètent les bonimenteurs qui racontent l'horlogerie (seconde partie : Business Montres du 31 mai)...
 
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