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LE SNIPER DU LUNDI (bloc-notes en accès libre)
Comment on peut préférer s’éclater dans une toute petite marque plutôt que de se battre au couteau dans un grand état-major

Retour du Sniper pour la dixième séquence de l’année 2023 : on va donc vous parler, entre autres, d’un canari dans la mine, de chambres d’hôtel non réservées, d’une métropole abandonnée, de chômage partiel ou de surprenantes chaises musicales – on en oublie, mais vous retrouverez tout ce petit monde dans les notes ci-dessous. Les qualités d’un bloc-notes selon l’excellent Sylvain Tesson ? « Les blocs-notes sont des coups de sonde, des carottages donnés dans le chatoyant foutoir du monde ». Bloc-notons donc dans le chatoyant foutoir de l’horlogerie…


LE GRAND PLONGEON (chaises musicales)

Et si l’espérance changeait de camp ? Alors que les plus brillants managers de la montre ne rêvaient plus que de grandes marques, les ateliers indépendants commencent à recruter de sérieuses « pointures » pour asseoir leur développement. Un exemple entre autres : après un long et fructueux parcours chez Jaeger-LeCoultre [où il aura passé plus de quatorze ans entre le Japon, la France et la Suisse], prolongé par une trajectoire réussie chez Audemars Piguet [où il sera resté plus de six ans au premier rang commercial], un combier comme Yves Meylan vient de choisir une poursuite de sa trajectoire comme COO de la marque indépendante suisse Le Rhöne, fondée en 2012 et spécialisée dans les hautes complications mécaniques, mais demeurée jusqu’ici à une échelle restée relativement modeste, dans sa croissance comme dans ses ambitions. Explication de cette orientation : la priorité donnée par Yves Meylan à cette « dimension humaine » dont le respect avait toujours jusqu’ici marqué l’histoire des beaux-arts de la montre, alors que cette « proximité humaine » semble avoir trop souvent avoir les trop grandes marques et celles qui sont passées sous mes fourches Caudines des grands groupes de luxe. Le réflexe d’Yves Meylan est d’ailleurs symptomatique de celui des passionnés de montres de la nouvelle génération quand ils veulent intégrer la communauté horlogère : « Plus proche, plus humain » plutôt que « plus politique, plus déshumanisé ». Pas facile, un choix comme celui d’Yves Meylan ? Sans doute, mais n’est-il pas doublement gagnant ? D’une part pour la marque, qui voit s’ajouter à ses forces vives un faisceau de compétences éprouvées sur le terrain. D’autre part pour le futur COO, qui appréciera sans doute le confort d’une mission accomplie loin du traditionnel machiavélisme d’état-major et de l’irrationnalité des petits caporaux hystériques. Alors que l’économie des montres se polarise au risque de se fossiliser, la dynamique créative des « petites marques » est un gage d’avenir…

LE CANARI DANS LA MINE (éditorial)…

Vous avez remarqué comme l’actualité horlogère n’a rien d’horlogère ! À quelques jours des salons genevois du printemps, ce n’est pas franchement une surprise, mais la différence d’intensité entre ce qu’il se passe dans le village horloger [autant dire rien, hormis le raz-de-marée habituel des nouveautés qui échappent aux embargos absurdes d’avant les salons] et ce qu’il se passe dans la vraie vie est stupéfiant : plus que jamais, l’industrie des montres est le bouchon qui tente de surnager sur la vague des tempêtes qui agitent le monde – lesquelles tempêtes s’acharnent à impacter brutalement cette pauvre horlogerie qui n’en peut mais. Nous nous contentons de compter les coups en constatant que le fameux « canari dans la mine » commence à chanceler tellement les galeries de la mine sont saturées de gaz toxiques : c’est un signal fort pour évacuer les lieux avant le coup de grisou, mais il semblerait que les marques préfèrent ne pas croire au danger de cette accumulation de monoxyde de carbone pour se concentrer sur leur agenda de la Wonder Week en niant toute récession, si ce n’est tout fléchissement de la dynamique d’après le confinement…

Ce canari dans la mine, chacun l’aura compris, c’est la crise bancaire (SVB, Crédit suisse, etc.) dont nous écrivions la semaine dernière qu’elle n’était qu’un « petit orage pour les marchés financiers, mais un vrai grand choc pour le marché horloger » (Business Montres du 14 mars). Entretemps, l’orage a grossi, certes, mais le sauvetage du Crédit suisse par l’UBS confirme notre analyse à propos de l’« empressement de l’officialité financière (…) à grand renfort d’injection d’argent magique ». Peut-être que, pour une fois, Business Montres s’est montré un peu optimiste, mais le plus important est ailleurs : le plus grave, à court terme, c’est la cécité des « élites horlogères » face à la crise de confiance qui vient de s’installer entre le monde de l’argent et ceux qui en étaient les principaux bénéficiaires – ceux-là même dont les profits colossaux, le culte du fric et les rapines prédatrices ont alimenté, depuis deux décennies, la croissance des ventes de montres à cinq, six, sept, voire huit chiffres [quand on aime, on ne compte pas les zéros spéculatifs !].

Donc, le canari a poussé un cri de détresse et il commence à vaciller dans sa cage. Qui a entendu cette alerte ? Pas grand-monde… À une semaine des salons horlogers du printemps, le nez sur le guidon, les professionnels de la montre pédalent le nez sur le guidon, comme si la Chine allait recommencer à engloutir n’importe quelles quantités de montres à n’importe quel prix [là-bas aussi, c’est la soupe à la grimace qui est au menu], alors que la guerre en Ukraine contribue à saper durablement les économies européennes [la menace d’une grande crise économique et monétaire s’y profile avec insistance] et alors que les États-Unis ressemblent de plus en plus à une poudrière au-dessus de laquelle des élus séniles joueraient à craquer des allumettes [la dédollarisation de l’économie mondiale va commencer à exercer ses ravages]. Pas brillant, tout ça : qui seront nos clients dans deux ans et où seront-ils ?

INFOS OU INTOX ? (plus fake que moi, tu meurs !)

❑❑❑ « Croissance soutenue à un très haut niveau » : classique numéro de bonneteau dans les statistiques douanières pour les exportations de montres en février. On nous annonce un + 12 %, à peu près explicable en totalité par l’explosion des exportations de MoonSwatch, en volume comme en valeur. Des chiffres ineptes, alors que tous les indicateurs sont en recul pour les ventes effectives sur le terrain. Moralité : on a continué à bourrer en février les sous-stocks des filiales et les tiroirs des détaillants, alors que tout laisse prévoir un sérieux coup de froid sur l’activité. Donc, intox (comme d’habitude) ! ❑❑❑ Chômage partiel chez Longines : alors que Nick Hayek plastronne devant les médias qui n’osent pas lui poser les questions qui fâchent (stocks exponentiels, profitabilité en berne, sous-performance collective, succession laborieuse, etc.), on remarque que des mesures de chômage partiel ont été prises pour plusieurs ateliers de Longines, marque dont les résultats – sans doute négatifs cette année – sont en baisse. Des licenciements ont été décidés, alors même que Longines vidait de sa substance l’ancien management de Rado. Longines semble n’avoir pas surmonté l’effondrement de ses ventes en Chine, marché où elle réalisait près de 80 % de son activité. C’est tout juste si la marque peut se maintenir dans le club des sept maisons « milliardaires » (en chiffre d’affaires) de l’horlogerie suisse… Donc, info ! ❑❑❑ Le rachat du groupe de médias Revolution-The Rake (Wei Koh) par les actionnaires de Watchbox ? Pourquoi pas, ça aurait du sens et ce serait même bien vu, mais il est encore prématuré d’en parler sérieusement… Donc, intox (pour l’instant) ! ❑❑❑ 800 000 dollars pour une vendetta : c’est effectivement le montant du sociofinancement Kickstarter que vient de réussir la maison californienne Xerix (785 797 dollars exactement) pour le lancement automatique de sa montre Vendetta II, qui reprend le principe des heures satellitaires qui défilent devant un segment des minutes en arc de cercle (concept popularisé dans la haute horlogerie par la marque Urwerk). Cette montre Vendetta II (ci-dessous) était facturée 700 dollars au millier de souscripteurs qui ont craqué... Donc, info ! ❑❑❑ Les livraisons de montres suisses ont repris en Russie, alors qu’elles étaient au point mort depuis plusieurs mois. On ne parle pas ici des livraisons parallèles par la Turquie, Dubaï ou l’Arménie, mais des importations douanières officielles, qui viennent effectivement d’enregistrer un sursaut. La normalisation est en cours. Donc, info…

TOUT LE MONDE S’EN FICHE (coup de gueule)…

À quelques jours d’importantes élections à Genève (désignation des membres du Grand Conseil et premier tour de l’élection du Conseil d’État, le 2 avril prochain), un rapide survol des différents programmes laisse pantois. Tout le monde connaît les sempiternels discours sur « Genève, capitale mondiale de l’horlogerie » : nous les réentendrons ad libitum lors de la prochaine Wonder Week horlogère, la semaine prochaine. Nos lecteurs savent à quel point ces incantations rituelles sont ineptes : qu’est-ce qu’une « métropole horlogère internationale » qui n’a ni musée public d’horlogerie, ni d’espaces publics capables de rendre hommage aux horlogers, ni d’incubateurs publics pour assurer la relève générationnelle de l’industrie des montres, ni de plan économique pour encourager et développer l’horlogerie, pas de stratégie économique pour rendre encore plus économiquement attractive la place genevoise, ni même de moyens publics pour mettre en place un vrai grand salon professionnel unitaire pour imposer la prééminence internationale de la ville de Genève [alors même que Genève dispose des halles de Palexpo !]. Pas un mot – pas une seul – sur l’horlogerie dans les programmes de tous les partis lancés dans cette compétition électorale. À l’exception, bien sûr, de Pierre Maudet et du programme de son mouvement Libertés et justice sociale, très explicite dans ses réponses aux lacunes de la stratégie genevoise signalées ci-dessus (Baromontres Business Montres du 31 janvier et Business Montres du 4 janvier) ! Nous n’aurons pas la cruauté d’insister sur la quasi-absence de représentation des métiers horlogers parmi les sept centaines de candidats à ces élections, toutes listes comprises (690 pour le Grand Conseil et 23 pour le Conseil d’État) : pas même une poignée de « professionnels de la profession » – c’est invraisemblable ! Il faut bien en conclure que l’officialité genevoise se moque bien de l’horlogerie et de ses intérêts : bref, tout le monde s’en fout, mais ça cause…

CLOCKS EN STOCK (le dessin du jour)…

« Ce n’est pas parce que l’organisation de Watches & Wonders a oublié de réserver nos chambres à Genève qu’il faut de coucher n’importe où ». Cette pépite de notre vingt-troisième séquence « Horlotainement » (Business Montres #32 du 18 mars) nous évite de raconter les malheurs d’une importante délégation asiatique du groupe Richemont, qui avait jusqu’ici ses habitudes et ses aises à l’Intercontinental, mais qui va se trouver cette année dispersée sur plusieurs sites à la suite d’une bavure logistique de Watches & Wonders…


Coordination éditoriale : Eyquem Pons



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