CONCOURS DE CHRONOMÉTRIE (accès libre) : De quoi est-il le nom, ce concours « international » qui ne mobilise quasiment plus personne ?
Le 28 / 06 / 2015 à 08:09 Par Le sniper de Business Montres - 2532 mots
Trois montres Tissot, une Chopard et une Sellita représentent-elles l'industrie horlogère suisse ? Même avec le renfort de deux tourbillons (Louis Moinet, Kerbedanz) et d'un chrono Tissot ? Ajoutons-y une montre Péquignet et un chrono Dodane pour la french touch. C'est tout et il y a tout. On reste très loin du compte...
▶▶▶ CHRONOMÉPRISESept marques en …
Trois montres Tissot, une Chopard et une Sellita représentent-elles l'industrie horlogère suisse ? Même avec le renfort de deux tourbillons (Louis Moinet, Kerbedanz) et d'un chrono Tissot ? Ajoutons-y une montre Péquignet et un chrono Dodane pour la french touch. C'est tout et il y a tout. On reste très loin du compte...
▶▶▶ CHRONOMÉPRISESept marques en quête d'un rêve chronométrique qui ne fait plus rêver personne... ◉◉◉◉ OUI, VOUS AVEZ BIEN LU : sept marques en tout et pour tout toujours en lice pour le prochain « concours international de chronométrie », dont les résultats seront proclamés le 22 octobre prochain. Le décompte exact donne, en catégorie « classique » : trois Tissot, une Chopard, une Péquignet et une montre de la manufacture Sellita ; deux tourbillons : Louis Moinet et Kerbedanz ; deux chonographes : un Tissot et un Dodane 1857 (on trouvera tous les détails sur le site du Concours de chronométrie). Cinq maisons suisses [si tant est que...] et deux maisons françaises. Ce qui fait un peu court pour un concours « international », mais les organisateurs nous assurent que c'est plutôt mieux que prévu – ce qui fait redouter le pire quand ce sera un peu moins bien. On pourrait chipoter en admettant qu'il n'y a que deux authentiques mouvements « manufacture » de marque dans ce lot (Péquignet et son Calibre Royal, Chopard et son LUC), en considérant que Sellita est simplement une manufacture de mouvements – le reste, c'est ETA, Technotime, Dubois Dépraz ou Concepto. Ce qui fait un peu désordre pour un concours de « chronométrie »...
◉◉◉◉ LAISSONS TOUT DE SUITE DE CÔTÉ LA QUESTION des dix-huit élèves d'école d'horlogerie embarqués dans ce concours. Il ne faut tout de même pas confondre les bataillons scolaires et les armées en campagne ! On espère que l'existence de cette compétition jumelle n'est pas justifiée par la seule nécessité de faire nombre et de meubler le vide à côté des grandes marques. Si l'institution d'un concours de précision chronométrique entre élèves des grandes écoles d'horlogerie s'impose, il valait sans doute mieux créer un concours à part, sous un autre nom, ouvert à toutes les écoles européennes, sinon à celle des trois continents. Le mélange de ces jeunes gens (filles et garçons) acharnés à bien régler leur Unitas est sympathique, mais c'est une des multiples fautes de communication majeures dont le Concours international de chronométrie est familier. ◉◉◉◉ ÉVACUONS AUSSI QUELQUES CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES... D'abord, un postulat théorique : si ce concours n'existait pas, il faudrait l'inventer. Son existence s'impose dans un paysage horloger largement dominé par un discours très argumenté sur le supériorité technique des calibres mécaniques inventés, réalisés ou utilisés par les unes comme par les autres marques. L'industrie des montres – en Suisse comme ailleurs – a besoin d'un juge de paix chronométrique qui ne peut plus être le COSC [procédures techniques irréprochables, mais certifications obsolètes de mouvements et non de montres], ni les autres labels plus ou moins dépendants des marques (Patel Philippe, Jaeger-LeCoultre, etc.), sinon des administrations locales. On pense ici au long feu d'un label comme Timelab (Genève), qui a fait pschitt en voulant embrasser à la fois le Poinçon de Genève new look et une sorte de contrôle COSC nouvelle vague : il y avait un argument marketing imparable qui était celui de l'Observatoire de Genève [pionnier en Suisse des certifications chronométriques] et de ses prestigieux bulletins passés, mais la bureaucratie genevoise et d'obscures considérations politiques ont plombé le dossier jusqu'à le faire accoucher d'un « Timelab » toujours problématique. Donc, pour revenir au Concours international de chronométrie, il est à la fois indispensable et nécessaire qu'il en existe un, comme parangon des fiertés mécaniques qui ne se limitent pas à des effets de manche médiatiques et à l'habituelle bullshitologie marketing. Précisons aussi que les procédures actuelles de ce concours (réglement intérieur à télécharger ICI) sont à peu près irréprochables... ◉◉◉◉ FACE À CE POSTULAT THÉORIQUE, UN CONSTANT PRATIQUE : cinq maisons suisses, on frôle la correctionnelle. Deux marques françaises, c'est à la limite du ridicule. Et les autres ? Lors de ses trois précédentes éditions, le Concours de chronométrie a connu quelques participations prestigieuses (palmarès à la fin de l'article) : Jaeger-LeCoultre en 2009 [mais il y avait déjà un loup avec le parasitage de la fausse marque René Addor et de son calibre Papillon – voir le résultat 2009 sur le site], mais la liste des dégâts collatéraux était impressionnante (parmi les battus : Voutilainen, Audemars Piguet, Chopard, Greubel Forsey, FP Journe, Zenith et d'autres] ; en 2011, le Concours distinguait Greubel Forsey, Chopard et Technotime dans les tourbillons (au centre de l'image en bas de la page), plus Tissot et FP Journe en catégorie « classique » (voir les résultats 2011 sur le site) ; un peu échaudées, les marques ne se pressaient pas outre-mesure en 213 (voir les résultats sur le site) : la maison Leroy était récompensée en tourbillon, deux récompenses revenant par ailleurs à Tissot et à Louis Moinet. Tout ça pour en arriver au quatuor Tissot de 2015, à la fidélité de Chopard (Karl Friedrich Scheufele est le seul à oser jouer le jeu dans le peloton de tête de la haute horlogerie), au retour de Louis Moinet (politesse ?) et à l'inattendu trio Péquignet-Dodane-Kerbedanz. Autant dire que cette édition 2015 est par avance condamné à un très faible retentissement médiatique. Ce qu'on ne peut que regretter avec amertume, mais comment s'en étonner ? ◉◉◉◉ QUELQUES ÉVIDENCE GÊNANTES À RAPPELER : les marques se méfient comme de la peste de ces concours où elles n'ont que des risques d'image à prendre, et si peu à gagner [des maisons Greubel Forsey ou FP Journe humiliées par un René Addor, il faut des nerfs d'acier pour supporter !]. Imbues de leur immense gloire et de leur incommensurable génie, mais tétanisées à la penser de prendre le moindre risque, ces marques détestent se comparer et même se côtoyer, encore plus se mesurer. Que de grands noms (à commencer par Rolex et Patek Philippe) manquent à l'appel de ce Concours de chronométrie, qui a en vain modifié son réglement intérieur pour ne vexer personne ! Seraient-elles à ce point si dubitatives vis-à-vis de leur excellence chronométrique et craindraient-elles une comparaison qui révèlerait l'ampleur du désastre bullshitologique ? D'autant que les exigences des amateurs ont évolué. En 2009, lors de la création (laborieuse) du Concours, la culture horlogère n'avait pas connu la progression fulgurante qu'elle a vécu par la suite. Le paysage a changé. L'impératif chronométrique est désormais au premier plan des préoccupations des vrais amateurs, qui demandent aux marques non « cosquées » un certificat du COSC et aux marques qui se piquent de précision un bulletin de l'Observatoire de Besançon. C'était autrefois une excellente habitude des grands collectionneurs. La chronométrie, aujourd'hui, ce n'est plus un simple élément de langage dans le storytelling des marques : c'est une composante fondamentale de la demande internationale – à laquelle les marques devraient répondre au plus vite avant que ne s'installe le doute et que des acteurs secondaires ne verrouillent cette offre de garanties chronométriques... ◉◉◉◉ ON ATTEND DU CONCOURS INTERNATIONAL DE CHRONOMÉTRIE (dont l'existence, rappelons-le, est un des paramètres de survie de l'art horloger contemporain) qu'il fasse dare-dare évoluer son offre. D'abord, en la rendant réellement internationale : le réglement intérieur, qui ne prévoit que des mouvements mécaniques européens, est dépassé alors qu'il existe des ateliers de création horlogère dans une trentaine de pays extra-helvétiques. Pourquoi pas un concours entre manufactures (Eta, Sellita, Soprod, Concepto, Technotime, etc. – l'horlogerie n'en a jamais compté autant ! Ensuite, au lieu de la pénombre qui règne aujourd'hui sur les inscriptions, une pleine transparence serait préférable pour rendre la compétition inoxydable et incontournable : la traditionnelle connivence entre gens des vallées ne tient plus à l'âge des médias sociaux ! S'il n'est pas question de forcer les marques à entrer en lice, pourquoi ne pas soumettre au concours des pièces de série, récupérées au hasard sur les marchés [ce n'est qu'une question de budget : à l'âge du crowdfunding, est-ce vraiment un problème ?], sinon confiées par des amateurs, des montres qui seraient appelées à concourir au grand jour, comme dans tout banc-test de consommation qui se respecte ? Lors de l'édition suivante, on peut être certain que les marques feraient l'effort de « préparer » elles-mêmes leurs montres ! Très poussés, les tests de la procédure prévue par le réglement intérieur gagneraient probablement à être raccourcis et simplifiés, dans une logique de communication plus que d'affirmation technique. Un gros effort d'intelligence dans la communication serait également indispensable : ce n'est pas parce qu'on est natif du Locle qu'on est expert de la médiatisation d'un projet horloger en ambiance 2.0 – surtout quand on est persuadé d'avoir tout compris sua sponte. L'autisme et l'arrogance sont ici des facteurs toxiques et définitivement pénalisants. La faible audience de ce concours sur les forums horlogers internationaux est la preuve de l'inefficacité totale de l'actuel plan de communication. La formule en vigueur n'a rien de crédible, ni d'excitant intellectuellement : raison de plus pour passer à autre chose, sans se gargariser d'une nano-compétition qui tourne au tournoi de patronage paroissial... ◉◉◉◉ EINFIN, IL SERAIT TEMPS DE RESSUSCITER une vraie certification d'observatoire suisse (Genève, Neuchâtel, Le Locle, La Chaux-de-Fonds ou ailleurs), dont le Concours de chronométrie serait le derby annuel : quand on voit ce que les Allemands ont pu faire à Glashütte, on a honte pour l'horlogerie suisse de ne pas disposer d'un tel dispositif. C'est devenu urgent, tout comme la relance d'un vrai concours de chronométrie relève de la grande cause nationale suisse. Les (bonnes) idées ne manquent pas. Ne comptons pas sur la FH, ni sur les états-majors des marques, pour se saisir du dossier : libérons les énergies du « peuple » horloger (celui des amateurs et des collectionneurs, mais aussi le « peuple » de l'environnement industriel, en amont comme en aval y compris celui des autorités locales). Lequel « peuple » ne pourra que se mobiliser que sur un projet solide, professionnel et générateur de sens. S'il est le nom de quelque chose, ce Concours international de chronométrie est surtout le nom de notre impuissance à réviser nos certitudes et de la limite de nos discours auto-glorificateurs. La relative médiocrité du cru 2015 doit être l'occasion d'une réflexion approfondie sur ce thème, de part et d'autre des frontières du Locle, du canton et même de la Confédération... [/private] D'AUTRES SÉQUENCES RÉCENTESDE L'ACTUALITÉ DES MONTRES ET DES MARQUES...