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DAVID ET GOLIATH, saison 2014 : Ce que l'accord secret entre Ice-Watch et le Swatch Group nous révèle du nouveau rapport de forces industriel

L'affiche du tournoi laissait sceptique. Une nouvelle petite marque belge contre un géant industriel suisse de dimension planétaire : le match était plié d'avance ! Sauf que le remuant David bastognais a fini par obliger le Goliath suisse à se découvrir, à négocier et finalement à plier le genou... ▶▶▶ SWATCH <> ICE-WATCHConfidentiel, mais très transparent, cet accord amiable... ◉◉◉◉ Le propre d'un accord amiable, c'est d'être un compromis passé entre …


L'affiche du tournoi laissait sceptique. Une nouvelle petite marque belge contre un géant industriel suisse de dimension planétaire : le match était plié d'avance ! Sauf que le remuant David bastognais a fini par obliger le Goliath suisse à se découvrir, à négocier et finalement à plier le genou...

 SWATCH <> ICE-WATCH
Confidentiel, mais très transparent, cet accord amiable...
 
◉◉ Le propre d'un accord amiable, c'est d'être un compromis passé entre partenaires qui veulent devenir amiables. Le propre d'un accord confidentiel, c'est d'être confidentiel, et donc réservé à ceux qui sont dans la confidence. Entre amis, on devrait se faire confiance quand on passe un accord. Et on n'a aucune raison de garder un accord confidentiel si la confiance règne et si on est satisfait de ce sur quoi on s'accorde. Autant dire qu'il y a, dans l'accord confidentiel qui apaise le conflit entre Ice-Watch, la marque belge de Jean-Pierre Lutgen, et le Swatch Group, quelque chose de dissonant, quelque chose qui sonne faux, bref, quelque chose de pas net...
 
 
◉◉ Genèse de cet accord amiable : en 2008, Nicolas Hayek (senior), alors président du Swatch Group, avait expressement autorisé la toute jeune marque Ice-Watch – officiellement lancée en 2006, mais bloquée par le Swatch Group dès 2007 – à utiliser (en deux mots) ce nom commercial, qui aurait pu paraître phonétiquement trop proche de Swatch. Les services juridiques du groupe, dirigés par Hanspeter Rentsch, n'y voyaient pas d'inconvénient personne à l'état-major Swatch de Bienne ne pouvait imaginer que ce petit Belge inconnu pouvait un jour, avec ses montres chinoises en plastique, piétiner les plate-bandes de la marque suisse. Trois ans plus tard, Nick Hayek (junior : ci-dessus), passé aux commandes du groupe, dénonçait devant les juges suisses cet « accord de coexistence » signé par son père sous différents prétextes pas vraiment convaincants. Entre temps, ceci expliquant cela, la marque Swatch n'avait cessé de décliner : selon Nick Hayek lui-même, qui se flatte de vendre « 10 000 Swatch par jour », elle ne représente plus qu'un volume de 3,6 millions de montres par an. De son côté, Jean-Pierre Lutgen, le créateur d'Ice-Watch, vend bon an mal an entre 4 et 4,5 millions de montres et sa marque a franchement doublé Swatch sur quelques marchés historiques de la marque suisse. La réaction judiciaire de Nick Hayek a freiné – sans l'entraver – l'irrésistible ascension d'Ice-Watch, en l'empêchant provisoirement de déposer la marque dans plusieurs pays, Swatch se permettant même de déposer les noms de « iSwatch » et « eSwatch » pour certains de ses modèles [l'enregistrement de ces deux noms a été aussitôt bloquée par Ice-Watch]. C'est au stade suprême du Tribunal fédéral que les juges suisses ont estimé qu'il était préférable pour les deux parties de s'entendre, plutôt que de risquer – côté Swatch Group – une humiliante défaite ou – côté Ice-Watch – un coup d'arrêt brutal qui aurait obligé la marque belge à se repositionner sur ses marchés sous une autre dénomination. Des deux côtés, il était temps de négocier...
 
 
◉◉ Mardi dernier, vers minuit, Hanspeter Rentsch, le directeur des affaires juridiques du Swatch Group, pouvait donc téléphoner à Nick Hayek pour l'informer qu'un accord amiable était enfin signé avec Ice-Watch, les termes de cette convention devant rester hautement confidentiels. Dans les couloirs du Tribunal fédéral de Berne, on ne se souvenait qu'une autre négociation ait duré, comme celle-ci, trois journées pleines de concertations incessantes entre les parties et les juges. Reste la question de la confidentialité. de source bernoise, tout ce qu'on a pu savoir, c'est que les termes de la convention secrète de 2013 – qui ne sera donc pas publiée – reprenaient, complétaient et précisaient les termes juridiquement mal ficelés de l'« accord de coexistence » signé en 2008 par le même Hanspeter Rentsch et dénoncé par lui à la demande de Nick Hayek. Ce qui fait beaucoup pour un juriste appelé à prendre sa retraite dès cette année...
 
◉◉◉◉ Jean-Pierre Lutgen (ci-dessus) avait-il intérêt à cette confidentialité ? Pas vraiment : qu'il ait fait ou non triompher son point de vue, qu'il doive arrêter de porter les couleurs d'Ice-Watch ou qu'il puisse reprendre son développement, il n'avait que des avantages à faire connaître sa position et le résultat de cette convention. Swatch Group avait-il intérêt à cette confidentialité ? Bien évidemment, surtout s'il s'agissait d'une défaite judiciaire qui obligeait le groupe suisse à reconduire à peu près intégralement les termes de l'« accord de co-existence » initial. Si le Swatch Group l'avait emporté, le communiqué officiel aurait été triomphant. Là, on a joué le profil bas, sans la moindre communication à Bienne. Autant dire que la victoire de Jean-Pierre Lutgen est inscrite dans l'exigence de confidentialité absolue : pas question d'égratigner l'image d'un groupe qui joue les Midas en affectant de transformer en or tout ce qu'il touche – ce qui est loin d'être le cas. Hanspeter Rentsch, membre de la direction générale du groupe, battu à plate couture par un « petit Belge » inconnu créateur d'une « petite marque belge », ça ne fait pas très sérieux...
 
◉◉◉ Laissons de côté les termes strictement confidentiels de cet accord, dont il est évident qu'il va permettre à Ice-Watch de repartir à la conquête du monde. Analysons plutôt les conséquences de ce dénouement juridique, qui voit le David de Bastogne bousculer le Goliath de Bienne. Chacun son style et son vecteur logistique, mais c'est un peu la victoire de l'âne belge (ci-dessus) contre l'hélicoptère suisse de Nick Hayek (ci-contre). C'est aussi un signal clair pour les marques indépendantes : en dépit de sa puissance, le Swatch Group n'est pas au-dessus des lois. Les juges suisses lui ont permis de sauver la face, mais pas au point de donner tort à son adversaire : ils ont dit le droit et trouver un moyen – très suisse, mais finalement admirable – de concilier les intérêts des deux parties. Pour information, les services juridiques du Swatch Group ont l'habitude d'attaquer tous azimuts tout ce qui bouge et tout ce qui leur paraît devoir contrarier les intérêts du groupe, mais ils n'ont jamais qu'un taux médiocre (50 %) de victoires devant les tribunaux, même si beaucoup de ceux qu'ils attaquent préventivement préfèrent mettre les pouces et s'incliner avant d'enclencher une procédure...
 
◉◉◉ Des millions d'euros auront été gaspillés en vain, puisqu'il s'agissait de terrasser Ice-Watch, judiciairement, de l'incapaciter commercialement (en empêchant le dépôt de la marque dans de nombreux pays) ou de l'étrangler financièrement sous les frais de justice. Ce scénario du fort sûr de sa puissance a été mis en échec par la stratégie du faible certain de son bon droit, qui n'a pas été impressionné par les muscles du géant suisse et qui attaque désormais une impressionnante séquence de consolidation internationale. La distribution, qui était déjà en cours de restructuration, va pouvoir être renforcée dans tous les pays où la marque était juridiquement bloquée, notamment la Chine. Pour la première fois depuis des années, Jean-Pierre Lutgen n'a plus d'actions judiciaires engagées contre lui : ses marques vont pouvoir enfin être enregistrées. La marque va devenir partenaire de ses structures de distribution : c'est déjà le cas en Allemagne et en Espagne, la France et le Royaume-Uni devraient suivre. Dans le même temps, la marque va s'attaquer au travel retail et au monde des outlets. Le siège social de Bastogne est en pleine construction, avec la création de dizaines d'emplois à la clé et la perspective d'une relocalisation industrielle en Europe. Différentes acquisitions de marques complémentaires sont à l'étude, dans le secteur horloger comme à sa périphérie. La dynamique est puissante et le moral excellent pour 2014, alors que l'horizon 2013 était particulièrement bouché [le groupe Ice-Watch a notamment subi un contrôle fiscal aussi approfondi que brutal, pour en sortir finalement blanc comme neige]...
 
◉◉◉◉ Quelle décadence pour Swatch, qui voit désormais son principal adversaire libre de caracoler dans le monde entier, sous une marque effectivement un peu douteuse (« Swatch » ou « Ice-Watch », on peut s'y tromper), et donc libre de s'attaquer aux grands marchés ! Les procédures entamées par le Swatch Group avaient notamment bloqué l'enregistrement en Chine de la marque Ice-Watch, alors même que les contrefacteurs chinois d'Ice-Watch s'en donnaient à coeur joie : intéressante séquence, d'ailleurs, que celle d'un Swatch Group favorisant de facto la contrefaçon des montres européennes en Chine ! L'anémie créative de Swatch, qui peine à retrouver un second souffle digne de son histoire, contraste avec l'exubérance ultra-tendance d'Ice-Watch. La politique commerciale malthusienne que Swatch a cru bon de s'imposer (dégager les détaillants indépendants pour privilégier les boutiques en nom propre) ouvre un boulevard à Ice-Watch, qui profite de cet appel d'air pour se créer un réseau international de qualité – précisément l'ancien réseau Swatch ! L'ultime argument de Swatch – le sacro-saint Swiss Made – commence à faire eau de toute part : les internautes chinois réalisent enfin que les usines d'ETA en Chine (Zhuhai), en Malaisie (Ipoh, Perak) ou en Thaïlande (Samut Prakan) sont réellement pour beaucoup dans la suissitude revendiquée des collections Swatch, qui respectent la lettre (assemblage final des composants, contrôle final en Suisse, etc.) et non l'esprit de la réglementation helvétique sur la « valeur » dépensée – et non usinée – en Suisse. Le jour où Ice-Watch aura procédé, comme les groupes Fossil ou Timex, et d'autres encore, sont en train de s'y atteler, à une réévaluation suisse de sa production, que restera-t-il à Swatch pour défendre son identité ?
 
◉◉◉◉ On peut d'ailleurs s'interroger sur les raisons – sans doute pressantes et urgentes – qui ont pu pousser le groupe à une telle capitulation, aussi confidentielle soit-elle. Hypothèse probable : cet accord amiable libère l'enregistrement par le Swatch Group des marques « iSwatch » et « eSwatch » réservées à Swatch. Quoique nous en dise Nick Hayek, qui affecte le plus grand mépris pour les smartwatches (montres connectées), ces deux marques seront utiles à Swatch pour contrer l'offensive d'Apple, qui a déposé postérieurement au Swatch Group son concept de « iWatch ». Ice-Watch, iSwatch, iWatch : la partie s'annonce torride ! Sauf que le Swatch Group, qui développe actuellement des logiciels pour ses futures montres intelligentes [sujet top secret : merci de ne pas le répéter à Nick Hayek], arrivera sur le marché avec un ou deux trains de retard : dans un premier temps, on ne voit pas les amateurs se précipiter sur une iSwatch qui ne fait que donner l'heure, alors que leur iWatch pourra les relier au monde entier. Autre bévue stratégique : les 110 ou 120 millions dépensés pour mettre au point le concept industriellement futuriste de la collection Sistem51 visaient principalement le marché populaire chinois, où le Swatch Group risque désormais de se faire bousculer, au tiers du prix d'une Sistem51, par des Ice-Watch plus basiques, mais aussi nettement plus branchées et mieux marketées. La vie est dure pour les tycoons horlogers que leur hélicoptère empêche de repérer les détails d'un terrain qu'on découvre mieux avec un âne...
 
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