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LE BLOC-NOTES DU SNIPER (mercredi)
Genève est une métropole horlogère tellement attractive que Rolex préfère s’en exfiltrer

On va vous parler, entre autres, des bonnes et des moins bonnes raisons d’aller à Bulle, de couronne et de tiare, de lunettes et de vitrines – on en oublie, mais vous retrouverez tout ce petit monde dans les notes ci-dessous. En parlant de bloc-notes, l’excellent Sylvain Tesson nous explique avec bonheur : « Les blocs-notes sont des coups de sonde, des carottages donnés dans le chatoyant foutoir du monde ».


❑❑❑❑  À NOS LECTEURS : de violentes cyberattaques ont tenté de nous faire taire. Qui, pour qui, pourquoi ? On vous laisse deviner ! Contre qui ? C’est évident, contre le seul média horloger qui assure tant bien que mal sa fonction de poil à gratter indépendant des pressions et des intimidations économiques. En attendant, nous avons réparé ce qui pouvait l’être, mais nous avons dû provisoirement fermer notre système d’achat à l’article, que nous sommes en train de repenser. Désolé pour les lecteurs occasionnels, mais nous avons décidé, pour compenser, de ramener à 5 francs suisses [un prix proche des 4 CHF qui était celui de chaque article] le prix de l’abonnement hebdomadaire, qui vous permet de profiter de toutes les informations pendant toute une semaine…

BULLE (1)…

Pour n’être pas absolument inattendue, la décision de Rolex d’ouvrir un nouveau pôle industriel à Bulle, dans le canton de Fribourg n’en appelle pas moins quelques commentaires et autres questionnements. Avec 200 000 mètres de terrain et la perspective de créer 2 000 emplois [qui s’ajouteront aux 9 000 emplois déjà mobilisés par Rolex sur ces autres sites suisses], ce nouveau site de production va renforcer une économie locale déjà très dynamique. Si on ne connaît pas les conditions économiques négociées par Rolex pour cette implantation, on peut cependant comprendre que la question des emplois a dû peser lourd dans la décision : non seulement la capacité productive de Rolex à Genève a été gravement perturbée pendant toute la pandémie par les difficultés posées par les travailleurs frontaliers, qui occupent la majeure partie des postes dans les multiples sites de Genève, mais la main-d’œuvre est en tension dans tout le bassin du pays genevois [pour accompagner le développement de ses lignes de production locale, Rolex doit par exemple recruter dans des métiers non horlogers, en formant par exemple des… coiffeuses ou des manucures, sélectionnées pour leur habileté manuelle !]. Il existait des offres du côté français de la frontière, mais le repli sur Fribourg a quelque chose de sécurisant dans le cadre de la future déglobalisation des économies développées et du cantonnement de la Suisse au cœur d’une Europe pas forcément appelée à un grand avenir. Reste à savoir à quels types de productions seront affectés les ateliers de Bulle pour une marque qui disposait déjà d’à peu près toutes les lignes et tous les services nécessaires : ce sera très révélateur de la stratégie de Rolex dans les années à venir…

BULLE (2)…

On peut cependant se demander quelle est la cohérence entre la décision d’aller à Bulle et l’activisme récemment manifesté par Rolex, à travers les contacts et les initiatives de son directeur général (Jean-Frédéric Dufour), pour la promotion de la place économique genevoise. Rolex est en en effet partie prenante – et non des moindres, avec Firmenich, MSC, Pictet ou Caran d’Ache – de la nouvelle et très discrète FLAG (Fondation pour l’attractivité de Genève). Une mission en parfaite ligne avec celle de la Fondation Hans Wilsdorf (propriétaire de Rolex) qui est de veiller aux intérêts de la place horlogère genevoise. Plus précisement, selon ses propres mots, le but de la FLAG est de « renforcer et de promouvoir l’attractivité et la qualité de vie de Genève en comparaison intercantonale et internationale, plus particulièrement dans les domaines de la durabilité, des finances publiques, de la fiscalité, de l’emploi, de la formation et des infrastructures (mobilité, logement, etc.). Elle a ainsi pour mission d’informer et de sensibiliser la population sur les enjeux auxquels Genève fait face ». Ce qui n’est pas, en fait, en parfaite ligne avec les orientations générales du département de l’Économie de Genève, que dirige une Fabienne Fischer [dont chacun questionne en privé les compétences] et qui ne semble pas farouchement attaché à la défense des entreprises qui assurent la prospérité du canton et qui en créent les richesses.

BULLE (3)…

Dans ce contexte un peu tendu [à la genevoise, c’est-à-dire sans éclats, mais non sans passions], le choix de Bulle par Rolex prouve un certain manque de confiance face à l’exécutif genevois, sinon une marque de défiance. D’autant que les services de Fabienne Fischer ont quasiment découvert dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (FAO) l’annonce de la création de cette Fondation, au printemps dernier. De quoi relativiser les habituelles envolées lyriques des élus de la ville, qui adorent se gargariser à propos de « Genève-capitale-mondiale-de-l’horlogerie » [c’est faux pour la Suisse et encore plus pour le monde], mais qui semblent aimer l’argent des montres beaucoup plus que les montres – on parle évidemment des projets fiscaux ahurissants de l’actuelle majorité de gauche. Accordons à Fabienne Fischer qu’elle a rajouté une dimension baroque à ces envolées lyriques en y mêlant une pensée magique à base d’invocations mystiques en faveur d’une « économie circulaire » et d’une « croissance décarbonée » dont l’horlogerie reste assez éloignée – rappelons que, lors du dernier GPHG, le facétieux directeur du Grand prix (l’excellent Raymond Loretan) n’avait rien trouvé de mieux que de faire remettre un prix par Fabienne Fischer, mais c’était le prix réservé à TAG Heuer pour la montre Monaco Gulf, qui était, comme son nom l’indique, la plus férocement carbonée et la plus radicalement imbibée de vapeurs d’essence de tout le palmarès final (Business Montres du 11 novembre)…

COURONNE…

Puisque nous sommes chez Rolex, restons-y pour signaler le passage de témoin entre Me Bertrand Gros et Nicolas Brunschwig, qui récupère le fauteuil de président du conseil d’administration abandonné par le premier. Au lieu d’être administrée par un avocat de 72 ans, la marque à la couronne le sera par l’héritier du fondateur de la chaîne de magasins Bongénie-Grieder, qui était cependant administrateur de Rolex depuis six ans et qui n’a que 63 ans. Inutile de se faire du souci pour Me Bertrand Gros, qui va faire bénéficier de ses lumières le conseil d’administration de Chanel et celui de Firmenich…

TIARE…

L’histoire est magnifique : on y ressent immédiatement la qualité des projets caritarifs « à l’américaine » comme on les aime (une visite sur le site du projet Once Upon a Time Watch s’impose). La montre n’est pas moins magnifique, ne serait-ce que par la tiare de son porteur [on a dit la « tiare », pas la couronne !]. C’est du lourd : il s’agit tout simplement de mettre aux enchères la Swatch du pape François, selon un concept d’enchères qui a déjà mobilisé une grosse vingtaine d’horlogers aussi différents que Swatch ou Rolex et Longines ou Casio, pour récolter des fonds destinés  à l’enfance. Pas de prix de réserve pour cette Swatch papale [on savait les papes amateurs de Rolex, mais pas de Swatch], effectivement portée par le pape et photographiée à son poignet, dont on attend une enchère située entre le zéro et l’infini – disons dans les 100 000 dollars, voire beaucoup plus puisque cette Swatch ressemble aux indulgences dont l’Église faisait autrefois un tel commerce que certains en ont déclenché la Réforme protestante…

VITRINE…

Alors que l’année 2022 n’est pas close, le compteur de nos pages « Repérages » (dont nous publions plusieurs séquences par semaine) dépasse à présent le millier de nouveautés présentées depuis le début janvier (voir notre dernière chronique : Business Montres du 23 novembre). D’une part, ce montant exceptionnel classe l’année 2022 comme la plus riche depuis plusieurs décennies en termes de fécondité créative : dans l’histoire horlogère, jamais autant de nouveautés n’avaient été lancées en moins de douze mois – ce qui peut s’expliquer par la concurrence très vive que les « petites marques » [qui n’ont que la force de conviction de leurs produits pour se défendre] exercent face à des « grandes marques » plus gentiment assoupies. Les places disponibles en vitrine se font d’autant plus rares que le nombre même de ces vitrines ne cesse de diminuer. D’autre part, et sans y attacher trop d’importance, il faudrait se demander quel autre média horloger que Business Montres a présenté autant de nouveautés horlogères depuis le début de l’année : une première explication serait que nous présentons aussi les montres de marques dont nous n’attendons pas la moindre publicité en retour – et pour cause !

LUNETTES…

Pour ce qui concerne nos pages « Repérages » (note ci-dessus), il faut préciser qu’on y trouve aussi des nouveautés à la périphérie créative des objets du temps, comme, dans notre dernière chronique (Business Montres du 23 novembre), les lunettes de March LA.B [une magnifique histoire personnelle, très bien racontée : ci-dessous, Alain Marhic] ou le Mecascape de Code41. Rien de ce qui concerne les instruments du temps ne nous est étranger…

MILLÉSIME…

Quelles sont nos propres « montres de l’année », histoire d’oublier le très discutable palmarès du récent Grand Prix d’horlogerie de Genève ? Réponse dans notre triple séquence consacrée à ces montres (premier épisode : Business Montres du 20 novembre, deuxième séquence : Business Montres du 21 novembre , troisième et dernière partie :Business Montres du 22 novembre). Quelques surprises sont au programme. Ne manquez pas notre dernière livraison, avec  notre doublé Aiguille d’or et Aiguille de diamant, ainsi que la liste définitive des vingt-quatre prix en compétition. Au passage, merci au génial dessinateur Albert Dubout pour ce dessin…


Coordination éditoriale : Eyquem Pons


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