GÉOPOLITIQUE : Le Swatch Group piégé par un groupuscule activiste
Il s'agit d'un "accrochage" au sens militaire du terme : l'embuscade médiatique était bien montée. Ce n'est qu'un des nombreux exemples de cette nouvelle "guérilla sociétale" qui voit les marques harcelées par des groupes de pression. L'embuscade relevait de la communication de crise : pas sûr que l'état-major de Bienne ait eu les bons réflexes pour s'en dépétrer... ••• Pour les nouveaux activistes, les entreprises sont des cibles beaucoup plus faciles que les politiques. Elles sont beaucoup plus faciles à attaquer …
Il s'agit d'un "accrochage" au sens militaire du terme : l'embuscade médiatique était bien montée. Ce n'est qu'un des nombreux exemples de cette nouvelle "guérilla sociétale" qui voit les marques harcelées par des groupes de pression.
L'embuscade relevait de la communication de crise : pas sûr que l'état-major de Bienne ait eu les bons réflexes pour s'en dépétrer...

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••• Première erreur (tactique !) : Nick Hayek a choisi de répondre directement à UANI. Qu'il ait décidé de suivre personnellement le dossier de près, c'est la moindre des choses : le nouveau terrorisme médiatique n'est pas à négliger, surtout dans une ambiance de veillée d'armes autour de l'Iran et avec les événements qui déchirent la Syrie. En revanche, jamais le Swatch Group n'aurait dû réagir en tant que groupe, et encore moins son principal dirigeant descendre personnellement dans l'arène : il apportait ainsi sa légitimité de "premier horloger mondial" non seulement aux activistes d'UANI [qui ne représentent qu'eux-mêmes en dépit de leur virulence et qui ne tirent leur autorité ni d'une élection, ni d'une puissance économique], mais surtout à leur "grande cause" autoproclamée. Beau succès des guérilléros américains : au premier coup de feu de leur embuscade, ils "accrochent" – au sens militaire du terme – le général ennemi, ce qui va leur permettre de cadrer immédiatement leurs attaques et de concentrer leurs tirs sur le véhicule de commandement...
••• Deuxième erreur (tragique !) : Nick Hayek a cru bon de répondre idéologiquement à une interpellation idéologique. Règle de base en communication de crise : dépassionner le débat en s'interdisant d'ajouter de la passion à la passion et de l'irrationnel à l'irrationnel. On ne va pas entrer dans les détails, mais la réponse personnelle de Nick Hayek se perd dans des considérations oiseuses, que UANI a sans doute raison d'estimer "ridicules" dans son premier communiqué. Manifestement, à Bienne, on n'a pas compris à qui on avait affaire et on s'est pris les pieds dans le tapis (persan ?) en argumentant à propos des "consommateurs américains qui aiment bien les Swatch Che Guevara" (en haut de page) : on ne voit pas le rapport, mais quelle naïveté idéologique de la part de la direction du Swatch Group ! C'est immédiatement accepter comme "valides" et légitimes les valeurs morales du guérillero qui vous attaque, en tenant de lui faire un clin d'oeil faussement complice et en tentant de l'apaiser par une connivence auto-incapacitante. C'est accepter d'emblée de se battre sur le terrain de l'adversaire : Bambi vient de débarquer au pays des grands méchants loups affamés...
••• Troisième erreur (fatale !) : Nick Hayek a pensé malin d'argumenter sur la morale. Là, pour Bambi, c'est l'hallali ! Dans sa réponse à UANI, le président du Swatch Group commence à expliquer que son entreprise était "au service des consommateurs et non des régimes politiques", puis que le que le Swatch Group est "respectueux des droits de l'homme", et même "des minorités sexuelles" et de la "liberté religieuse". Quel rapport avec le film ? Évidemment, UANI n'a aucun mal à démonter cette argumentation pathétique en expliquant à quel point, dans un régime peu démocratique, les élites sont les premières bénéficiaires (et les premiers clients) du commerce des produits de luxe. Inutile d'insister sur la différence de point de vue entre les "droits de l'homme" à l'occidentale et les mêmes "droits de l'homme" sous le régime de la charia islamique. Enfin, vouloir débattre de la liberté des minorités sexuelles en Iran ou de la liberté religieuse au pays des mollahs, c'est vraiment tendre la gorge sous le couteau du bourreau ! On aura compris que Bambi a tenu moins longtemps que la chèvre de Monsieur Seguin...
••• Quatrième erreur (stratégique !) : Nick Hayek se réfugie dans la posture du négociant innocent et virginal. Il tente de laisser penser que le Swatch Group ne fait que distribuer du bonheur à l'humanité, quasiment sans faire de profits, et encore moins en tirant des bénéfices immoraux du marché iranien, dont on laisse penser qu'il n'est effectivement pas aussi recommandable que cela. C'est à la fois insulter ses clients iraniens et se moquer de son public occidental, déjà bien conditionné par la propagande anti-iranienne de quasiment tous les médias. Pour le Swatch Group, c'est un jeu à sommes perdantes : on passe à la fois pour un idiot, pour un pervers et pour un faux-jeton, et aussi pour un perdant d'avance – ce qui fait beaucoup pour le "premier-horloger-du-monde".
••• Impossible d'évaluer l'impact de cette campagne dans les jours qui viennent, mais elle ne peut que se développer compte tenu de la réactivité des médias à tout ce qui touche d'une part aux questions géopolitiques dans tout le Proche-Orient, et notamment à l'Iran [d'autant que nous sommes en pleine campagne électorale américaine] et, d'autre part, à la morale publique et aux questions que pose le luxe ostentatoire dans les économies occidentales. Le débat est lancé : il s'annonce houleux. La cible est campée : elle est comme un lapin dans les phares de l'auto. Les appétits médiatiques sont intacts en ces temps de rentrée et, hormis la presse serve qui s'abstiendra [celle qui vit des budgets du Swatch Group], tout le monde va s'en donner à coeur joie pour prouver et se prouver son indépendance personnelle face aux "puissants". Ils ne vous lâcheront plus...
••• Bon courage, messieurs les Biennois, puisque que c'est vous qui avez, en toute naïveté métapolitique, allumé la mèche de cette machine infernale ! Pour les autres [voir les noms cités dans l'article], ce n'est qu'un début, attendez-vous à continuer le combat : les activistes ne vous lâcheront pas non plus. Pour faire monter la pression dans l'opinion publique avant une éventuelle frappe contre l'Iran, on peut faire feu de tout bois : il faut scénariser l'opération, avec des vrais méchants (les Iraniens), des vrais héros (ceux qui veulent en finir avec ces mêmes Iraniens) et des seconds rôles, tantôt bons (les amis des héros), tantôt méchants (les complices des Iraniens). A chacun de choisir son camp – le mieux étant, on l'aura compris, de s'en tirer en parlant d'autre chose...

