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SANS FILTRE #05 (accès libre)
« Il faut sauver le soldat Baselworld ! »

« Sans filtre » : des pages pour parler encore plus cash et pour se dire les vérités qui fâchent, entre quatre z’yeux – parce que ça ne sortira pas d’ici et parce qu’il faut bien expliquer les choses comme elles sont. La punchline du jour : « Baselworld est un rendez-vous irremplaçable, qu’il ne faut surtout pas banaliser ou noyer dans une vague sauce SIHH »…


 Voilà, c’est fini, on a laissé les stands en place – au moins au rez-de-chaussée du Hall 1 – pour être bien certains de revenir l’année prochaine. La totalité des exposants de ce Hall 1.0 seront en place l’année prochaine [à une possible exception près : celle de Raymond Weil, mais rien n’est joué], en dépit des bruits récurrents de « Baselxit » répandus à propos des uns ou des autres. Explication de quelques retournements de veste : la direction de Baselworld a consenti de fabuleuses ristournes à quelques exposants qui jouaient à « retenez-moi ou je fais un malheur » – si on a « sauvé la face », Baselworld 2019 risque bien d’être l’édition la moins profitable de tout le XXIe siècle ! Explication complémentaire : Baselworld doit une fière chandelle à la direction de Rolex, qui a mouillé sa chemise pour convaincre les uns et les autres de « faire preuve de solidarité », ceci au moins pour 2019 – quand Rolex donne un conseil et préconise de rester, on l’écoute encore [du moins pour le Hall 1.0, un bon quart, sinon un bon tiers des exposants des cinq autres halles, et non des moindres, étant sérieusement tentés par le « Baselxit » en 2019, notamment dans le Hall 1.1 et dans le Hall 2.0]

 Ce joli renversement de situation pour 2019 – nous n’en doutions pas, ne serait-ce qu’en raison de l’accord sur le non-démontage des stands de 2018 – n’empêche pas qu’on se pose des questions sur cette édition 2018. D’abord la fréquentation, qu’on nous présente cette année comme « stable » par rapport à 2017 : c’est un mystère, tous les visiteurs ayant pu constater qu’il y avait visiblement moins de monde dans les allées, sur la Messeplatz à l’heure de la bière, dans les bistrots, dans les parkings, dans les hôtels, dans les restaurants et dans les taxis. Chez les grands comptes et les grands distributeurs, tout le monde aura noté qu’ils étaient bien moins nombreux à faire le déplacement (notamment les Asiatiques et les Américains) et que ceux qui venaient étaient en groupes beaucoup plus restreints. Faute de pouvoir prouver que la quantité n’y était pas, acceptons au bénéfice du doute les chiffres brandis par Baselworld qui se flatte d’une « concentration » du salon et qui a enfin accepté de répondre aux questions de la presse à la fin du salon, alors que la conférence de presse inaugurale avait constitué la plus épatante des démonstrations d’une langue de bois digne de l’Union soviétique, les micros des journalistes étant débranchés dès la dernière allocution finale du Politburo horloger (ci-dessus)…

 Si Baselworld paraît désormais un peu mieux écouter les attentes d’une communauté horlogère qu’on se contentait jusqu’ici d’entendre, c’est aussi qu’il y avait le feu à la maison : quand on perd la moitié de ses exposants et de ses surfaces d’exposition en trois ans, il faut absolument réagir (voir nos cinq premiers articles pré-Baselworld et les plans qui dévoilaient l’ampleur du désastre : Business Montres du 15 mars, Business Montres du 14 mars, Business Montres du 10 mars, Business Montres du 9 mars et Business Montres du 8 mars). La direction du salon nous annonce de nouveaux formats pour ramener vers Baselworld d’autres indépendants [le succès de fréquentation des Ateliers est la preuve éclatante d’une nouvelle demande] et, surtout, tous les « rebelles » aujourd’hui éparpillés dans les environs immédiats (Fossil, Swiss Creative Lab, Mondaine et autres) : quand l’équivalent de 15 % du nombre des marques horlogères de Baselworld, soit 100 marques au bas mot, expose hors de Baselworld, on a du souci à se faire [ce n’est pas la demande de Baselworld qui pose problème, c’est l’offre qui est clairement insatisfaisante]. En acceptant avec humilité de baisser ses prix et de concevoir des modules plus compatibles avec les budgets de tous les « rebelles » indépendants, la direction du salon peut reconquérir ses parts de marché perdues…

 Parce qu’il faut à tout prix « sauver le soldat Baselworld » et préserver la spécificité unique de ce rendez-vous dans le calendrier annuel de l’industrie horlogère. Ce qu’il faut sauver, ce n’est pas forcément le concept actuel [un salon B2B au mois de mars], mais le principe d’un rassemblement – annuel ou biennal – quelque part en Suisse (pas forcément à Bâle : on peut très bien imaginer un Baselworld à Zurich), pour regrouper toutes les marques, de tous les segments de marché, en témoignant à la fois de la biodiversité horlogère, de sa créativité protéiforme et de sa capacité à séduire, génération après génération, tous ceux qui ne se résolvent pas à passer des menottes électroniques. Si on peut imaginer un rapprochement du rendez-vous de Genève en termes de calendrier [c’est pour cette raison que l’option zurichoise tient la route], il faut impérativement maintenir une concurrence qui s’avère créatrice entre l’élitisme genevois et la richesse environnementale bâloise, source de convivialité relationnelle, de cohésion « mammifère » pour une communauté de travail et d’efficacité médiatique [rien ne remplace le « coup de poing » planétaire que constitue Baselworld sur le plan de l’événement éditorial]. Tout le monde a compris que Baselworld n’avait plus guère d’intérêt commercial, mais relevait désormais d’une logique relationnelle – ce qui obligera les marques à se contenter d’espaces moins pharaoniques et moins démonstratifs : on ne vient plus à Bâle pour « faire son année », mais pour y retremper ses racines et y fêter en famille la… famille !

 Ce qu’il faut sauver, c’est le fait de se retrouver régulièrement en un point donné (si possible terre suisse, puisque la tendance est à la démondialisation), sans exclusive économique (Ice-Watch aussi bien que Patek Philippe), sans privilège patrimonial (Rolex aussi bien que Daniel Wellington), sans considérations commerciales parasites (Philippe Dufour aussi bien que Citizen ou Swatch) et sans interdits générationnels (Apple aussi bien que Breguet). L’important, c’est d’y être et d’en être, d’y respirer l’air de la patrie des belles montres [c’est un privilège suisse à valoriser], de se plonger dans cet incontournable creuset de transmission culturelle où les anciens expliquent la vraie vie des montres aux nouveaux venus, de rire, de faire la fête, de se faire la bise et de se serrer la main [en bons primates que nous sommes]. Ce rendez-vous « mammifère » est d’autant plus crucial que la numérisation des rapports sociaux tend à effacer le facteur humain de nos horizons…

 Est-ce trop demander ? Bien sûr que non ! Pourquoi s’aligner sur Genève alors que le SIHH, qui semble provisoirement plus florissant, se ressent déjà de la consanguinité de son concept ? Bon nombre des exposants genevois voudraient bien prendre la poudre d’escampette [certains le feront dès 2019], les nouveaux venus diluant peu à peu l’identité richemontienne et alto-horlogère d’un salon qui a pourtant entamé sa mutation générationnelle et numérique. En aucun cas, Genève ne saurait résumer l’horlogerie suisse : même si la ville de Genève parvenait à monter le grand salon horloger dont elle rêve [souvenons-nous que Business Montres a déjà expliqué comment Pierre Maudet, le « ministre de l’Économie » genevois, faisait la danse du ventre devant les grandes marques genevoises pour qu’elles abandonnent Baselworld], il faudrait maintenir un rendez-vous alternatif pour préserver la richesse adaptative de l’écosystème horloger [qui n’a survécu au cours des quatre siècles que parce qu’il était un tissu vivant, un « terreau » fertile, et non un conglomérat de grandes marques par nature faillibles]. Deux dates (qui peuvent se suivre ou se superposer), deux salons, deux villes, deux concepts, deux coups de projecteur internationaux sur la place horlogère suisse qui en a bien besoin : les différences enrichissent plutôt qu’elles ne mutilent, alors que l’uniformité appauvrit et désertifie. « Il faut sauver le soldat Baselworld » parce qu’il faut tout faire pour que l’horlogerie suisse survive aux mutations d’une planète de plus en plus instable et déstabilisée. La direction de Baselworld est entrée dans l’âge de la glasnost et de la perestroïka, alors que le SIHH devrait bien en faire autant. On vous l’avait dit : 2018 pourrait vraiment être l’année de la désoviétisation du monde horloger…


 SANS FILTRE (accès libre)

Nos chroniques précédentes

Des pages pour parler encore plus cash et pour se dire les vérités qui fâchent, entre quatre z’yeux – parce que ça ne sortira pas d’ici et parce qu’il faut bien se dire les choses comme elles sont…

  ❑❑❑❑  SANS FILTRE #04 : « Alors, ça se présente comment, Baselworld 2018 ? » (Business Montres du 18 mars)…

 ❑❑❑❑   SANS FILTRE #03 : « Alors, comment va l'horlogerie à la veille de Baselworld 2018 ? » (Business Montres du 11 mars)…

 ❑❑❑❑   SANS FILTRE #02 : « La bonne information horlogère a un coût, et même des coucous » (Business Montres du 25 février)…

 ❑❑❑❑   SANS FILTRE #01 : « Au lieu de gaspiller des milliards, investissez-les là où ils sont utiles ! » (Business Montres du 16 février)…


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