DROIT DE RÉ-PONS (accès libre)
Le bout du tunnel est en vue, mais certainement pas la reprise et encore moins le rebond (vidéo)
Ce sera, au mieux, pour la semaine du 27 avril. On devrait voir beaucoup de manufactures appeler leur personnel à la reprise du travail, rouvrir leurs ateliers et relancer leurs machines. Quelques boutiques de montres devraient relever leur rideau de fer. Ce serait un premier pas très positif pour le retour à la normale, mais on sera encore très loin de la « reprise » et encore moins en vue du moindre « rebond ».
Il ne faut pas rêver : l’horlogerie a globalement cessé de vendre des montres sur son premier marché à la mi-janvier, date des premiers confinements en Chine (ceci après six à huit mois de troubles qui ont plombé tout le monde à Hong Kong et jusqu’en Chine intérieure). Ensuite, l’Europe s’est mise en panne, avec une fermeture progressive de toutes les boutiques en février [plus le moindre touriste chinois à se mettre sous la dent], puis avec une fermeture des manufactures et de tous les commerces en mars. Le Proche-Orient s’est paralysé au même moment. Aujourd’hui, c’est l’Amérique qui referme ses frontières, au nord comme au sud, qui met des millions de personnes au chômage, qui clôt ses boutiques et qui se met aux abonnés absents. Autant dire que les principaux marchés de l’horlogerie suisse, ceux qui représentent 95 % de son activité ont été pratiquement à l’arrêt depuis trois mois…
Les deux seuls marchés qui fonctionnent encore à peu près correctement – mais à 50 % de leur niveau antérieur – sont le Japon, qui est train de se refermer (tout comme Singapour ou la Thaïlande) et la Corée du sud, avec quelques poches de résistance sporadique ailleurs dans le monde, mais c’est dérisoire. Encéphalogramme plat pour le travel retail (aéroports ou croisières sont en panne faute de voyageurs). Encéphalogramme quasiment plat pour le e-business – quoiqu’en disent les grandes marques [pourquoi croyez-vous que Richemont a fermé sa plateforme numérique Net-a-porter ?]…
Ne croyez pas les ravis de la crèche qui vous expliquent que les affaires reprennent en Chine intérieure : c’est faux, mensonger et ridicule – cela relève de la propagande du régime communiste de ce cher « oncle Xi », qui veut redorer son blason après avoir mis la planète à genoux, avec une double crise économique et sanitaire. Si une marque a vendu trois montres en trois semaines et qu’elle en vend six au cours des six semaines suivantes, elle aura doublé ses ventes, mais est-ce une reprise ?
Ne croyez pas non plus les prochaines statistiques d’exportation, dont on peut vous assurer qu’elles ne seront pas catastrophiques : ce ne sont pas des statistiques d’exportation, mais des statistiques de translation ! On fait tourner les stocks, on les déplace des usines suisses aux filiales exotiques, on crée de la rotation, pas des ventes. Pendant le confinement, les expéditions continuent. En pleine crise, les logisticiens des groupes, confinés en télétravail, continuent à s’agiter et à justifier leur salaire : ils ont besoin d’exister ! Ils remplissent des avions [on ne vous dit pas les prix du fret en ce moment] et ils déstockent ici pour restocker ailleurs : on s’amuse comme on peut...
Cette reprise, qui va consister, pour l’instant, à reprendre le travail : pour les grandes marques (Rolex, Patek Philippe, etc.), c’est pour la semaine du 27 avril (si le confinement n’est pas durci entretemps). Dans le meilleur des cas, comme c’est le cas dans les manufactures qui ont déjà rouvert leurs ateliers, ce sera par équipes alternées, avec une productivité assez faible et des volumes très réduits [les manufactures ne sont pas prévues pour les mesures de sécurité sanitaires qu’on leur impose en déconfinement : distanciation sociale, désinfection permanente, etc.].
De toute façon, qui a besoin de montres en ce moment ? Les stocks sont au maximum partout et les clients sont aux abonnés absents, en Asie comme en Europe, en Amérique et au Proche-Orient : plus de touristes chinois annoncés avec la fin de l’année au mieux ! Des millions d’amateurs occidentaux sont au chômage plus ou moins partiel ou guettés par les licenciements de la rentrée. Plus de nouveautés annoncées sur le marché, même du côté des montres de mode ou des montres connectées. Aux Etats-Unis, n’importe quel masque est plus précieux qu’une montre [pour ne rien dire de ceux qui ont préféré stocker des flingues que du PQ]. Plus de lancements, plus de communications et plus d’événements. Silence radio des médias et des blogs. C’est ce qu’on appelle la chronapocalypse…
C’est donc le moment pour l’horlogerie de faire preuve d’initiative. Les gens « bien » ne manquent pas dans notre communauté. Nous avons parlé de ceux qui ont distribué leur stock de matériel de protection (gants, masques, charlottes, etc.) aux hôpitaux. Nous avons parlé d’un Pierre Salanitro qui a acheté à ce jour 200 000 masques pour les offrir aux soignants de Genève et qui a équipé tout son personnel de gel et de masques. Nous avons parlé de la cagnotte qui a permis d’allouer au personnel poignant des bons d’essence. Nous avons suggéré aux manufactures qui vont tourner au ralenti pour produire des montres dont personne n’a besoin en ce moment de produire… des composants de respirateurs : tout prouve que c’est possible, mais les logisticiens des grandes marques préfèrent continuer à déplacer leurs stocks vers l’Asie. On en appelle ici la responsabilité citoyenne des grands donneurs d’ordre, ceux qui ont un effet d’entraînement comme Rolex ou Patek Philippe : reconvertissez certaines lignes pour réaliser des composants ou des respirateurs ! Embauchez des petites mains pour coudre des masques ! Faites quelque chose !
On n’est pas sortis de la crise, loin de là ! Si on ne trouve pas très vite de quoi tester et masquer des centaines de millions de personnes en Europe et en Amérique, nous allons prolonger au moins jusqu’à la fin de l’année un confinement plus ou moins élargi, avec des mesures de distanciation sociale qui vont retarder le redémarrage de l’économie : l’exemple des restaurant de Hong Kong est très parlant. Avec les prêts de la Confédération, certaines marques vont survivre un peu plus longtemps, mais est-ce bien indispensable ? Tout tend à prouver que les consommateurs chinois ne seront plus ce qu’ils ont été, et que les amateurs occidentaux auront eux aussi changé de logiciel mental : dans ce monde où les montres n’auront la place prééminente qui était la leur, la priorité est plus que jamais à la créativité (la pénurie est visible depuis des années) et l’accessibilité, avec le retour à des prix de crise [que de déchirements à prévoir pour les actionnaires, qui ne pourront plus se goinfrer!]. Au lieu de réfléchir aux nouveautés qu’on ne pourra sans doute pas présenter à Baselworld (qui a tout de même de grandes chances de ne pas pouvoir se tenir), il faut mettre sur pied une production solidaire assumée par les manufactures et repenser le modèle économique de l’horlogerie, sur les ruines de sa splendeur bullesque passée. On en reparlera…