C x P #04 (accès libre)
Le comment du pourquoi : les petits secrets, les curiosités et les iniquités de l’univers des montres (quatrième épisode)
Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’horlogerie, sans jamais oser le demander : c’est 101 questions, pas une de plus ou de moins, et donc 101 réponses en une grosse quinzaine d’épisodes, histoire de ne pas bronzer idiot et de terminer les vacances avec des neurones plus musclés qu’en partant.
Tiens, en parlant de montres, si vous vous demandez pourquoi et si vous cherchez à savoir comment, vous avez frappé à la bonne porte : vous avez de bonnes chances de trouver les bonnes réponses dans notre série estivale « Le comment du pourquoi ». Le « pourquoi » de ce « comment du pourquoi », c’est le plaisir d’apporter 101 réponses aux questions élémentaires que peuvent se poser tous les amateurs de montres, débutants ou même confirmés.
CÉLÉBRITÉS #04
Pourquoi une dactylographe bavaro-britannique a-t- elle dû retraverser la Manche à la nage pour pouvoir porter une Rolex ?
Mercedes Gleitze (1900-1981) était une jeune Anglaise d’origine bavaroise qui n’avait qu’une passion dans la vie : nager, encore nager, toujours nager et toujours plus longtemps, généralement dans des eaux très froides ! En 1923, elle va ainsi passer plus de dix heures à nager dans la Tamise. Le 7 octobre 1927, elle réussit un exploit après sept tentatives avortées : elle sera la première femme à traverser la Manche à la nage, entre la France et l’Angleterre – plus de quinze heures d’efforts dans une eau qui ne dépasse pas 15°C, mais, à l’arrivée, elle reste inconscience pendant deux heures. Son record est aussitôt contesté par une petite farceuse qui prétend en avoir fait autant quelques jours auparavant, mais qui se rétractera. Du coup, on soupçonne même le record de Mercedes Gleitze, qui doit recommencer, le 21 octobre, dans une eau encore plus froide (guère plus de 11 à 12 °C). La polémique a attiré l’attention d’un génie du marketing, Hans Wilsdorf, d’origine bavaroise lui aussi, qui a fondé sa marque, Rolex, en Angleterre (1908) et qui a lancé sa Rolex Oyster un an auparavant comme la « première montre-bracelet étanche » [d’où son nom d’Oyster, « huître »]. Hans Wilsdorf va accrocher une Oyster au cou de Mercedes Gleitze pour sa nouvelle traversée. Celle-ci s’élance à quatre heures du matin du cap Gris-Nez, en France, et elle nage, elle nage, jusque vers 14 h 30, quand il faut la hisser dans le bateau suiveur, pratiquement dans le coma, à une dizaine de kilomètres des côtes anglaises (image ci-dessus). Une foule énorme l’attendait : elle est follement acclamée et plus personne ne conteste son record, même si l’aventure a tourné plus court que prévu. Le 25 octobre 1927, elle écrit une lettre à Hans Wilsdorf : « J’ai le plaisir de vous apprendre que la Rolex Oyster que je portais pendant ma traversée de la Manche s’est révélé être une compagne chronométrique fiable et précise, même après des heures d’immersion dans une eau très froide et avec d’importants changements de température quand je suis remontée sur le bateau ». Le 24 novembre, Hans Wilsdorf achète une publicité en première page du Daily Mail londonien : « Rolex présente pour la première fois le plus grand des triomphes dans l’horlogerie : Rolex Oyster, la montre merveilleuse qui défie les éléments ». Une légende vient de naître : neuf décennies après cette double traversée de la Manche, l’image de Rolex est toujours associée à cette idée de fiabilité, d’endurance, d’étanchéité et de précision…
EXPRESSIONS #04
Pourquoi retrouve-t-on une pendule « de Ferdinand Berthoud » au cœur d’une fusillade dans Les Tontons flingueurs ?
Le père d’Antoine Delafoy s’avance dans le salon de « M. Fernand » (Fernand Naudin, joué par Lino Ventura), en gants beurre frais, pour demander à ce dernier la main de sa « nièce ». La scène est surréaliste, le jardin de la villa étant investi par des malfrats qui en veulent à « M. Fernand » et qui flinguent à tout va. Les balles sifflent, mais le président Delafoy ne s’en aperçoit pas. Il monologue mondain face à Lino Ventura, qui lui fait éviter les balles : « J’aime l’action, l’initiative. Ainsi, quand j’étais jeune, je jouais au hockey sur gazon… Oh, Grand Dieu… in XVIIIe. De Ferdinand Berthoud ! À moins que ma future belle-fille n’y tienne réellement, je l’échangerais bien contre autre chose »…
ICÔNES #04
Pourquoi la première icône du XXIe siècle s’est-elle trompée de sexe ?
Jacques Helleu (1938-2007), qui était « l’œil de Chanel » en même temps que le directeur artistique des parfums de la maison, rêvait de créer pour la marque une vraie montre d’homme. En 1987, c’est lui qui avait embarqué Chanel dans une nouvelle aventure horlogère. À l’aube de l’an 2000 [enfin, cinq à six ans avant, compte tenu des délais techniques de mise au point], Jacques Helleu dessine un chronographe, très inspiré par la Submariner de Rolex, mais subtilement différent, notamment par son boîtier en céramique, matériau noir et brillant jusque-là très peu utilisé par les horlogers. L’esthétique s’inspire également de l’univers automobile (Jacques Helleu est un grand collectionneur de voitures vintage) et de l’univers nautique (d’où le nom de baptême du modèle, emprunté à une classe de voiliers de l’America’s Cup). Une montre d’homme chez Chanel ? Personne n’y croit vraiment et on a raison de ne pas y croire… pour les hommes, parce que les femmes s’emparent aussitôt de la J12, en rupture de stock après quelques semaines de commercialisation. Le succès planétaire est foudroyant : Chanel a su casser les codes classiques du « sport chic », mais pas pour les messieurs : la J12 deviendra à peu près exclusivement féminine quand elle sera lancée en céramique blanche, puis dans des versions de haute joaillerie. Le génial Jacques Helleu avait tout juste pour sa montre, qui restera comme la première icône du XXIe siècle, à un petit chromosome Y près…
LÉGENDES #04
Comment les Suisses voulaient-ils éliminer un concurrent horloger belge ?
Jusque vers les années 2010, la cause était entendue et les historiens perroquets se recopiaient les uns les autres sans se poser la moindre question. Dans les années 1990 [la mode était de créer des marques dédiées à des grands horlogers du passé], on avait même lancé une marque au nom de « Perrelet », puisque la pensée unique chez les historiens voulait que le mouvement automatique (rotor) ait été « inventé » par l’horloger suisse Abraham Louis Perrelet. Un seul historien avait plus que des doutes : Joseph Flores. Comme il avait aussi plus que du courage et l’opiniâtreté, ce « dissident » a commencé son enquête sur le dit Perrelet et sur celui qui lui semblait être le vrai « inventeur » de la première montre automatique : l’horloger liégeois Hubert Sarton (1748-1828), à peu près totalement inconnu des historiens perroquets suisses – pensez donc, devoir à un Belge une avancée aussi fondamentale que le remontage automatique par rotor ! On découvre en fait que la légende Perrelet s’est consolidée autour d’un ouvrage d’Alfred Chapuis dont le commanditaire n’était autre qu’un certain Hans Wilsdorf, le fondateur de Rolex, qui avait tout intérêt à verrouiller l’invention mythique du rotor par un Suisse. Sauf que Joseph Flores a tout relu, tout réétudié et tout passé au crible, avant de retrouver, dans les archives de l’Académie des sciences de Paris, un document technique incontestable de 1778 (ci-dessous), qui permet d’attribuer à Hubert Sarton la mise au point du premier mouvement automatique connu et attesté : toute cette affaire a été suivie de près par Business Montres pendant des années, dans un grand moment de solitude éditoriale, les médias perroquets ayant comme un seul homme emboîté le pas des historiens perroquets. Aujourd’hui, à part quelques faussaires de l’histoire (Jean-Claude Sabrier, durement épinglé par les historiens anglo-saxons à ce sujet, ou Dominique Fléchon, obstiné à nier l’évidence dans sa Conquête du temps), plus personne ne conteste le rôle pionnier d’Hubert Sarton dans l’histoire de la montre automatique. Au musée Patek Philippe de Genève, la montre automatique attribuée à Perrelet a été réattribuée à Sarton. Rendons à la Belgique horlogère ce qui lui revient et admettons que la Suisse n’a rien inventé en matière de mouvement automatique, même pour une montre-bracelet, puisque ce mérite revient à Leroy, six ans avant Rolex…
MARQUES #04
Comment Maximilian Büsser s’est-il imposé à Baselworld sans y être invité ?
Quand on n’a pas de budget, il faut avoir des idées ! Au milieu des années 2000, après être passé par Jaeger-LeCoultre et Harry Winston (où il avait lancé la collection Opus), Maximilian Büsser a cassé sa tirelire pour créer sa marque : MB&F (acronyme de Maximilian Büsser and Friends). La mise au point des premiers modèles est lente, trop lente à ses yeux, et il n’a pas vraiment les moyens d’exposer à Baselworld, alors que la communication est cruciale pour développer sa marque. On doit être en 2006 ou 2007. Cette année-là, le printemps bâlois est particulièrement clément : « Max » s’installe donc en terrasse devant le Plaza Swissotel à l’entrée de Baselworld, devant un café, les manches largement retroussées pour bien dévoiler le prototype de sa première « machine horlogère » (Horological Machine n° 1 : ci-dessous), un tourbillon en forme de huit posé à l’horizontale sur le poignet, avec quatre barillets (sept jours de réserve) et un rotor en forme d’astérohache. Il ne lui reste plus qu’à faire le storytelling de sa montre et de sa marque à tous les copains journalistes qu’il croise. Il n’en fallait pas plus à l’époque pour lancer une marque de haute horlogerie créative. C’est en 2009 que MB&F fera son entrée « officielle » à Baselworld, dans la tente de la Watch Factory mise en place à l’époque par Business Montres pour aider les « petites marques » à se faire une place au soleil. Ce sera ensuite l’aventure du SIHH et des multiples récompenses au Grand Prix de Genève, mais c’est sur un guéridon de bistrot que tout a commencé…
MÉCANIQUES #04
Comment a-t-on soigneusement évité de compter par dix des heures qui s’affichaient par douze ?
Contrairement à une idée reçue, ce sont bien les Chinois qui ont commencé à mesurer le temps en unités décimales (par dix) il y a trois mille ans de cela. En Europe, où on avait depuis les Mésopotamiens pris l’habitude de décompter le temps en unités duodécimales (par douze) et sexagésimales (par soixante), c’est la Révolution française qui a tenté le premier système décimal appliqué à la mesure du temps. De même qu’on instaurait un « système métrique » et un « calendrier révolutionnaire » (utilisé de 1792 à 1806, avec douze mois de trente jours), le temps décimal sera officiellement introduit en France par le décret du 24 novembre 1793 (4 frimaire de l’An II) : il y était précisé que « le jour, de minuit à minuit, est divisé en dix parties ou heures, chaque partie en dix autres, ainsi de suite jusqu’à la plus petite portion commensurable de la durée. La centième partie de l'heure est appelée minute décimale ; la centième partie de la minute est appelée seconde décimale ». La journée commençait donc à minuit ; à midi, il était donc cinq heures. À fin de la journée, à minuit, il était dix heures. On a construit à l’époque de nombreuses montres et horloges « décimales », souvent avec un double affichage de l’heure (décimal et duodécimal) tellement tout le monde s’y perdait. Personne n’a vraiment regretté ces heures décimales, qui avaient l’inconvénient de n’être pas divisibles par quatre, alors que le système métrique s’est facilement imposé : pour imposer ce temps décimal, il aurait fallu modifier tous les rouages de tous les objets du temps et ce n’était pas évident à une époque où tous ces engrenages étaient réalisés à la main. Les « heures révolutionnaires » auront fait un flop monumental ! On connaîtra d’autres tentatives de temps décimal dans les usines « fordistes », le calcul en dixième étant plus facile à additionner pour chronométrer le temps passé à une tâche industrielle.
ALORS, COMBIEN DE BONNES RÉPONSES, plus ou moins précises et bien argumentées, pour ces six nouvelles questions ? Notez le score de vos bonnes [ou moins bonnes] explications à ces « comment du pourquoi ». Rien n’est ici figé dans le marbre : faites-nous part de vos propres réponses à ces questions et de nos erreurs éventuelles…
LE COMMENT
DU POURQUOI
Résumé des précédents épisodes, avec les liens pour les retrouver…
❑❑❑❑ C x P #03 : la Swatch de François Hollande, les 155 secondes de Sylvie, Jean-Claude Biver privé de Ferrari, l’horloger de Rolex qui a fait la fortune de Patek Philippe, les Parisiens qui rallongent l’année et le tourbillon de Richard Mille qui rend l’âme (Business Montres du 29 juillet)
❑❑❑❑ C x P #02 : Phileas Fogg privé de Breguet, belle lurette, Jaquet Droz, solaria, la Suze d’Omega et la mise en « lignes » (Business Montres du 26 juillet)
❑❑❑❑ C x P #01 : Breguet, Einstein, Breitling, Swatch, Tudor, Knibb (Business Montres du 23 juillet)