BAROMONTRES 2022 #02 (février)
Les faits, les hommes et les marques qui ont influencé la météo horlogère de ce mois de février 2022
Dix coups de projecteur sur les grandes tendances climatologiques de l’horlogerie pour le mois de janvier 2022 : les incertitudes confinatoires semblent se dissiper aussi rapidement qu’on nous les avait imposées, mais les répliques chronapocalyptiques de 2020 sont toujours à redouter. Notre Baromontres exclusif évalue les hautes pressions et les dépressions de la barométrie pour tout ce qui concerne l’industrie des montres. Un bulletin météo en toute liberté et sans la moindre révérence, avec le seul souci d’apporter un peu de lumière sur ce début d’année 2022 : pour le meilleur ou pour le pire ?
AVIS DE GRAND BEAU
❑❑❑❑ JEAN-CLAUDE BIVER (JC Biver)
Son nom n’est pas encore une marque, mais il est déjà remarqué comme devant être une des grandes surprises horlogères de la fin de l’année 2022 (révélation Business Montres du 11 février), et même de la prochaine édition de Watches & Wonders, à la fin mars, puisque Jean-Claude Biver et son plus jeune fils y présenteront, dans un off très officiel, la très sérieuse nouvelle marque de haute horlogerie « JC Biver » : en annonçant cette initiative sans le vouloir vraiment tout en le voulant un peu, le plus célèbre des horlogers suisses a prouvé qu’il n’était décidément pas à la retraite et qu’il savait encore manipuler manier la communication comme un expert des nouvelles générations. La disruption à 73 ans ? Beaucoup en ont rêvé, mais Jean-Claude Biver a commencé à dynamiter le train-train de l’horlogerie post-covid. Diable d’homme !
❑❑❑❑ MARCO BORRACCINO (Barton 7)
L’animateur de la marque Singer Reimagined, qui était déjà connu pour ses talents de designer horloger (entre autres Panerai), sauve en quelque sorte l’honneur de l’horlogerie indépendante en relançant, face à Watches & Wonders et Time To Watches [voire même face aux grandes marques qui vont squatter les palaces du bord du lac], un concept de salon horloger de taille humaine en centre-ville (Business Montres du 9 février). Barton 7 – prononcez Barton Seven pour faire chic – ne regroupera qu’une petite dizaine de marques, mais non des moindres. À une centaine de mètres du Fairmont, à deux cents mètres du Woodward, à trois cents mètres de l’Hôtel d’Angleterre et du Beau-Rivage, à quatre cents mètres du Président-Wilson, ce sera un espace très animé. On se demande pourquoi d’autres initiatives de ce genre n’ont pas été prises par d’autres managers horlogers...
❑❑❑❑ DAVID CHAUMET (Baume & Mercier)
S’il n’est pas le plus remuant, ni le plus loquace des CEO de la galaxie horlogère Richemont [il est vrai qu’Emmanuel Perrin, leur superviseur, ne leur laisse pas un millimètre d’espace vital pour s’exprimer], David Chaumet, en place depuis 2019 (après un passage par Roger Dubuis et le groupe TWC), gère sa manufacture avec beaucoup de finesse, comme un vrai régatier et non comme ces barreurs de beau temps qui dessalent à la première bourrasque. Illustration de cette intelligence managériale, qui va peut-être replacer Baume & Mercier dans le concert des marques qui ont quelque chose à dire : le lancement de la Hampton [montre qui a été trop longtemps mal aimée, tant par la marque que par Richemont] réalisée en hommage à Pierre Soulages, avec un des plus beaux cadrans horlogers de ces douze derniers mois (Business Montres x Atlantico du 18 février). Ce n’est évidemment pas cette série limitée de 102 montres [102 comme l’âge de Pierre Soulages, qui est né en 2019] qui va faire exploser les ventes de la maison et imposer cette Hampton comme une icône hautement désirable, mais la perspective est tracée, la dynamique lancée et l’image de la marque rehaussée. On a connu pire dans l’histoire de Baume & Mercier…
❑❑❑❑ CLAUDE D’AMORE (Code41)
Il faut une sacrée dose de culot pour inventer un vrai nouveau concept horloger : non content d’avoir expédié un missile rupturiste sur la bien-pensance Swiss Made avec ses premières collections de montres en souscription à des prix accessibles, le créateur de Code41 s’est ensuite offert le luxe de proposer son Mecascape (Baromontres Business Montres du 3 janvier dernier) comme nouveau champ d’exploration des possibles horlogers. Fort de l’appui de sa communauté, il vient à nouveau de casser les codes en transformant son Mecascape, qui jouait sans convaincre les montres de poche new look, de se poser en pendulette de bureau, dotée pour l’occasion d’une réserve de marche de huit jours et d’un second fuseau horaire (Business Montres du 16 février). Le tout Swiss Made, au format d’un iPhone et à un prix revu à la baisse : pas belle, la vie des jeunes créateurs indépendants ?
❑❑❑❑ ALAIN MARHIC (March LA.B)
Le co-créateur de March LA.B (Los Angeles Biarritz) a su faire de sa marque le symbole le plus hype de la nouvelle horlogerie française. Il nous prouve à présent qu’il a une vraie conscience des intérêts généraux de l’horlogerie Made in France : sa nouvelle montre AM2 (boîtier en bronze, cadran vert : Business Montres x Atlantico du 18 février) est désormais équipée d’un mouvement mécanique fabriqué en France, certes à partir de composants suisses (La Joux-Perret), mais en tout cas assemblé à Besançon. La nouvelle génération des indépendants de l’horlogerie tricolore ont désormais à leur disposition le mouvement qui comblera le défaut qu’ils avaient dans leur cuirasse bleu-blanc-rouge. Tous les espoirs sont permis pour pouvoir enfin tenir la promesse de montres 100 % françaises – c’était une demande pressante de la communauté des amateurs…
❑❑❑❑ PATRICK PRUNIAUX (Girard-Perregaux)
Il n’y a guère que dix ans (!) que nous demandons à Girard-Perregaux de relancer une série de montres « Casquette », une icône de l’horlogerie électronique des années 1970, qui indiquait l’heure par des LED rouges du meilleur effet futuriste (au moins pour l’époque). Nous en rêvions : Patrick Pruniaux l’a fait, après un galop d’essai particulièrement réussi à Only Watch. Une manière de rappeler que la manufacture Girard-Perregaux avait été, au début des années 1970, une des maisons pionnières dans le domaine du quartz horloger. En 1976, une nouvelle avancée – à la fois dans l’esthétique et dans la technique (les LED avaient été popularisés par la Pulsar) – donnait naissance à une série de montres immédiatement rebaptisés Casquette par les amateurs. C’est sous ce nom que Girard-Perregaux la relance, en céramique noire, avec un mouvement électronique de nouvelles générations aux multiples fonctions. Quarante-cinq ans plus tard, la proposition reste audacieuse, surtout pour Girard-Perregaux – serait-ce le sursaut avant la renaissance de Girard-Perregaux, maison qui devrait prochainement quitter le groupe Kering pour repasser sous le contrôle de son management ?
❑❑❑❑ FRANÇOIS SERVANIN (Laurent Ferrier)
Après des années de croissance laborieuse en dépit d’un catalogue somptueux dont les collectionneurs préemptent les rares pièces disponibles, l’actionnaire de référence de la jeune manufacture indépendante Laurent Ferrier voit enfin le bout du tunnel, avec un chiffre d’affaires qui a pratiquement triplé en cinq ans et une marque enfin redevenue profitable. La production 2022 est précommandée, le marché s’apprêtant à faire un triomphe à la nouvelle montre Sport Auto, quintessence d’une certaine idée de l’élégance horlogère dans la catégorie sport chic – boîtier de forme, trois aiguilles et bracelet intégré (Business Montres du 5 février). Laurent Ferrier – l’horloger – est aux anges et Laurent Ferrier – la marque – s’apprête à intégrer le club très fermé des générateurs d’icônes de l’horlogerie contemporaine. Pour François Servanin, le parcours du combattant est terminé : reste maintenant à gérer la nouvelle montée en puissance de la marque…
AVIS DE TEMPS VARIABLE
❑❑❑❑ RAS LE SPORT CHIC ! (coup de gueule)
La question se pose alors que les catalogues horlogers témoignent à présent de l’hypertrophie de l’offre « sport chic » : vous savez bien, ces montres à cadran bleu texturé, avec trois aiguilles, un boîtier anglé et un bracelet intégré à maillons métalliques ! Cette mode invasive du « sport chic » (coup de gueule Business Montres du 14 février) est un véritable bêtabloquant pour inhiber les imaginations horlogères : quand une bonne cinquantaine de grandes marques présentent une offre aussi stéréotypée dans ses codes esthétiques et dans son ciblage marketing, c’est que nous vivons une déprime créative de première grandeur ! Une forme de catatonie menace à présent la dynamique horlogère : ce n’est pas avec des itérations aussi répétitives que l’horlogerie traditionnelle va pouvoir se repositionner face à la déferlante des montres connectées, qui équipent chaque année quatre à cinq fois plus de nouveaux poignets que toutes les marques suisses réunies…
❑❑❑❑ WONDER WEEK GENÈVE 2022 (salons horlogers)
Le conflit ukrainien, qui va laisser des traces durables dans l’économie mondiale, ne va sans doute faciliter la tâche des multiples organisateurs du bouquet de salons horlogers qui écloront à Genève fin mars. Cette Wonder Week 2022, première rencontre physique multimarques en Suisse depuis 2019, est donc à présent sur la corde raide : on la pensait potentiellement menacée par une reprise ponctuelle de la pandémie, mais elle risque maintenant d’être oblitérée par les bombardements sur le sol ukrainien et par les sanctions occidentales mises en place contre la Russie – lesquelles menacent à présent la dynamique de la reprise horlogère constatée en 2021 (Business Montres du 28 février). On attendait cette Wonder Week comme un tremplin vers une année 2022 pleine d’espérance. La soupe à la grimace risque d’être au rendez-vous, avec encore moins de visiteurs et de commandes que prévu…
AVIS DE TEMPÊTE
❑❑❑❑ ENCHÈRES BIZARRES (Patek Philippe x Tiffany & Co)
L’adjudication extravagante de la Nautilus Patek Philippe x Tiffany & Co à 6,5 millions de dollars a brutalement mis en lumière les « combines » étranges de la plupart des maisons de vente, qui pratiquent pour de banales raisons marketing l’adjudication péremptoire [adjectif employé pour rester poli, mais enchère « bidon » conviendrait mieux : il s’agit d’une enchère fictive destinée à pousser le sous-enchérisseur précédent à faire un effort], quitte à réajuster le tir ultérieurement. On a ainsi appris (Business Montres du 31 janvier dernier) que l’adjudication à 6,5 millions avait finalement été considérée comme une « folle enchère » et que la montre était finalement attribuée au sous-enchérisseur qui avait poussé jusqu’à 6,2 millions de dollars – somme au demeurant ahurissante ! Encaissée par la maison d’enchères, la différence entre la vaine enchère et le prix finalement payé a été acquittée par… Tiffany & Co, la maison étant trop heureuse de cette opération spectaculaire. De quoi attiser la suspicion des amateurs, de plus en plus sceptiques sur la sincérité de ce qui se passe sous le marteau et de plus en plus enclins à considérer que les marques faussent le marché en abusant de l’auction marketing à des fins purement promotionnelles…
LES PRÉCÉDENTS
BAROMONTRES 2021-2022
❑❑❑❑ JANVIER : Giovanni Zavota ; Jean-Christophe Babin, Stéphane Bianchi, Antonio Calce, Thierry Huron, indépendants français, Julien Tornare ; Davide Cerrato, Patrick Pruniaux, salons horlogers du printemps 2022 ; François-Henri Pinault (Business Montres du 1er février )
❑❑❑❑ DÉCEMBRE : Monty Shadow, Christian Pfeiffer-Belli ; Aurel Bacs, Claudio d’Amore, Maurizio Mazzocchi, Carlos Rosillo, Thierry Stern, Astrid Wendlandt ; André Grossmann, Jérôme Lambert (Business Montres du 3 janvier)
❑❑❑❑ NOVEMBRE : Thomas Mercier ; Raynald Aeschlimann, Aurel Bacs, Jean-Christophe Babin, Stéphane Bianchi, Maximilien Büsser, Antonio Calce, Paul Miquel, Luc Pettavino, Éric Pirson, Alain Silberstein ; agenda pourri, Raymond Loretan ; le club des abonnés aux Avis de tempête, Baseworld et Johann Rupert (Business Montres du 30 novembre)
❑❑❑❑ OCTOBRE : Rick de la Croix, Georges Kern, Jean-Pierre Lutgen, Astrid Wendlandt ; la « bulle des indépendants », Raymond Loretan ; Lionel A Marca, Michel Loris-Melikoff, François-Henri Pinault et Johann Rupert (Business Montres du 31 octobre)
❑❑❑❑ SEPTEMBRE : Geneva Watch Days, Georges Kern, Julien Tornare, Éric Zemmour, Atlantic-Tac ; GPHG 2021, carpo-véganisme ; le sino-alignement, Baselworld et la Brigade des montres (Business Montres du 30 septembre)