WONDER WEEK 2023 #09
Les robots, les infos, les intox et les infox de cette session printanière à Genève
Dans la logique du Sniper en patrouille dans les allées de la Wonder Week, on va donc vous parler, entre autres, de l’assassinat d’un journaliste, d’intelligence artificielle, de « nos amis les détaillants » et des chaises musicales du jour – on en oublie, mais vous retrouverez tout ce petit monde dans les notes ci-dessous. En vous rappelant que l’’excellent Sylvain Tesson nous dit d’un bloc-note de ce genre : « Les blocs-notes sont des coups de sonde, des carottages donnés dans le chatoyant foutoir du monde ». Nous n’avons donc plus qu’à bloc-noter dans le chatoyant foutoir de l’horlogerie…

▶︎▶︎▶︎▶︎ L’AGENDA DU PRÉVISIBLE : nous saurons la semaine prochaine quelles sont les marques horlogères les plus performantes du groupe LVMH (publication des résultats du premier trimestre le 12 avril). Enfin, presque, puisque les résultats de la division horlogerie-joaillerie sont consolidés et qu’ils excluent l’activité de ce type de quelques grandes marques du groupe (Louis Vuitton, Dior, entre autres). Il faudra aussi qu’on vous parler très vite de la naissance d’une nouvelle horlogerie paléontologique et de ce qui était probablement le plus beau chronographe de toute la Wonder Week, avant de revenir sur la plus étonnante des avancées technologiques du salon : la création de l’or flexible (ci-dessous, un bracelet en AuroTwist au poignet d’Adrianna Karembeu)…
▶︎▶︎▶︎▶︎ C’EST ÉTONNANT, NON ? Un journaliste vient d’être assassiné en Russie. Alors qu’il donnait une conférence, le journaliste russe Vladlen Tatarsky (560 000 abonnés sur Telegram) a été victime d’un attentat terroriste dans un café-restaurant de Saint-Petersbourg. Les services spéciaux ukrainiens sont soupçonnés d’avoir préparé cet attentat, où 35 personnes ont par ailleurs été grièvement blessées. Ce crime est d’autant plus monstrueux qu’il met directement en cause la liberté d’informer : originaire du Donbass, Vladlen Tatarsky était un des défenseurs les plus actifs de la guerre menée en Ukraine par la Russie, avec de commentaires « militaires » d’une rare pertinence. Curieusement, l’émotion de la classe médiatique occidentale est d’une rare discrétion, alors que la moindre gifle reçue par un journaliste opposant à Vladimir Poutine fait généralement l’objet d’innombrables indignations internationales et de multiples reprises dans la presse mainstream. Cette fois, silence radio ou presque, et surtout pas de condamnations, ni de protestations ou de démonstrations scandalisées. Deux poids, deux mesures ? Y aurait-il des « bonnes » et des « mauvaises » victimes d’un « bon » ou d’un « mauvais » terrorisme ? Sinon des « bons » et des « mauvais » journalistes, avec licence to killpour les uns et panthéonisation émotionnelle pour les autres ? On vous laisse réfléchir là-dessus…
▶︎▶︎▶︎▶︎ ON NE PRÊTE QU’AUX RICHES ! Erreur d’attribution dans Business Montres (2 avril) : Harry Guhl, l’ex-actionnaire majoritaire de la manufacture Czapek et, simultanément, de l’ex-nouvelle marque Aegler [nous avons raconté l’étonnant destin de cette création météoritique] n’est en rien actionnaire du motoriste Chronode (Jean-François Mojon), qui fournit les mouvements de Czapek et qui devait fournir les mouvements du projet Aegler…
▶︎▶︎▶︎▶︎ LES CHAISES MUSICALES DU JOUR : Greubel Forsey vient de recruter une nouvelle responsable de ses relations publiques. Caroline Pita, qui avait sa propre agence de communication, est passée précédemment par différentes marques comme Parmigiani ou TAG Heuer. Un renfort indispensable pour épauler Antonio Calce dans son plan de développement accéléré de la manufacture, où de spectaculaires travaux d’agrandissement ne devraient plus tarder à commencer…
▶︎▶︎▶︎▶︎ LA « LANGUE DE BOÎTE » A SON AVENIR DEVANT ELLE (1 : le fait) : l’excellent Éric Cosandey, professeur à l’École d’horlogerie de Genève (depuis 28 ans) et animateur du site Horlogerie-suisse.com, s’est livré à un exercice fascinant. Sur sa page Linkedin, via ChatGPT (version gratuite accessible à tous), il a soumis à l’intelligence artificielle le soin de rédiger une notice sur les données techniques brutes de la nouvelle Rolex 1908 – telles que Rolex les publie en accès libre). Le texte mitonné par l’AI a vraiment de quoi donner des sueurs froides à tous les rédacteurs de dossiers de presse. L’exercice est d’autant plus intéressant que Rolex ne pratique pas la « langue de boîte » (cette délicieuse « langue de bois » des marques horlogères) dans sa communication officielle : c’est l’apanage d’autres maisons, dont les services de presse ne lésinent pas sur les contenus superlatifs et versent dans une auto-promotion souvent ahurissante. Voici donc ce qu’aurait pu donner la version bien léchée et enluminée de la simple notice Rolex (image ci-dessous)....
▶︎▶︎▶︎▶︎ LA « LANGUE DE BOÎTE » A SON AVENIR DEVANT ELLE (2 : le texte) : c’est parti ! « La Rolex Perpetual 1908 est une montre d'exception qui répond aux plus hauts standards de qualité et de précision. Certifiée Chronomètre Superlatif (COSC), elle est équipée d'un mouvement mécanique à remontage automatique bidirectionnel par rotor Perpetual, conçu et manufacturé par Rolex. Le boitier, en or jaune 18 ct, présente des dimensions parfaites : un diamètre de 39 mm, une épaisseur de 9,50 mm et une entre-cornes de 20 mm. La carrure et la lunette, également en or jaune 18 ct, sont finement polies, bombées et cannelées pour un effet visuel et tactile unique. Le fond, vissé avec cannelures fines, est réalisé en or jaune 18 ct et équipé d'une glace saphir résistant aux rayures avec traitement antireflet. La couronne de remontoir, elle aussi en or jaune 18 ct, est bombée pour une manipulation aisée. La glace, quant à elle, est en saphir résistant aux rayures avec double traitement antireflet, bombée pour une meilleure visibilité. La montre est étanche jusqu'à 50 mètres, pour une utilisation en toute sécurité. Le cadran, blanc intense, mat et finition satiné fin, est décoré de chiffres 3, 9, 12 et d'index facettés en or jaune 18 ct. Les aiguilles, également en or jaune 18 ct, ajoutent une touche de raffinement et de sophistication. Le bracelet en cuir alligator brun mat, doublure intérieure verte en cuir de veau, coutures ton sur ton, est assorti d'un fermoir Dualclasp en or jaune 18 ct à double boucle déployante. Cette montre d'exception est dotée d'un oscillateur de haute précision avec une fréquence de 28 800 alt/h (4 Hz) et un spiral Syloxi en silicium à géométrie brevetée. Le balancier à inertie variable est équipé d'un réglage haute précision par 2 écrous Microstella en or, pour une précision de –2 /+2 sec/jour, montre terminée. L'empierrement de 38 rubis assure une grande fiabilité. Le mouvement est décoré de Côtes de Genève Rolex, avec une masse oscillante en or jaune 18 ct. La montre dispose également d'une réserve de marche d'environ 66 heures et de fonctions complètes : heures et minutes au centre, petite seconde à 6 h, stop seconde pour mise à l'heure exacte. L'échappement Chronergy à rendement optimisé est équipé d'une ancre et d'une roue d'échappement paramagnétiques en nickel-phosphore. Le pont de balancier traversant et les amortisseurs de chocs haute performance Paraflex assurent une grande robustesse et une fiabilité à toute épreuve. En somme, la Rolex Perpetual 1908 est une montre de qualité supérieure, alliant esthétique, précision et fiabilité pour un plaisir de porter incomparable. » Plus complet, tu meurs ! Fermez le ban…
▶︎▶︎▶︎▶︎ LA « LANGUE DE BOÎTE » A SON AVENIR DEVANT ELLE (3 : le constat) : c’est accablant ! Même sans un regard trop critique, on aura identifié dans le texte ci-dessus – réalisé, rappelons-le encore, avec ChatGPT par un robot d’intelligence artificielle – le puissant verbiage et le style « brosse à reluire » de 95 % de dossiers de presse officiels publiés par les marques. Les copieurs-colleurs perroquets ont du souci à se faire : on pourra bientôt se passer d’eux – techniquement, il n’y a rien à redire sur la forme et le fond de ce faux « communiqué » Rolex. Les médias perroquets ont encore plus de souci à se faire : les marques n’auront bientôt plus besoin de médias pour s’intermédier entre amateurs et services de communication – chaque marque pourra disposer de ses propres médias et en créer à volonté. Les amateurs de salons horlogers comme Watches & Wonders [dont on bannit les journalistes indépendants] ont toujours plus de souci à se faire : à quoi bon dépenser des centaines de millions pour organiser des rendez-vous communautaires que des robots artificiellement intelligents peuvent animer en générant la « bonne parole » agréée par les marques – plus besoin de blogueurs, d’influenceurs et de rédacteurs avec cette AI de plus en plus experte ! Bien évidemment, de tels pseudo-communiquésperdent toute crédibilité, et même toute légitimité : ces contenus prémâchés jusqu’à la caricature constituent une soupe vite écœurante, qui illustre à merveille le concept de « médias perroquets » popularisé par Business Montres – sauf que nous n’avions pas osé imaginer que les perroquets experts en cirage de pompes seraient un jour à ce point robotisés…
▶︎▶︎▶︎▶︎ LA « LANGUE DE BOÎTE » A SON AVENIR DEVANT ELLE (4 : la perspective) : ce qui est réjouissant dans cette remise en forme d’une notice Rolex, c’est qu’elle souligne à quel point la communication horlogère doit être impérativement repensée. La communauté des montres a plus que jamais besoin de contenus indépendants, experts et critiques, sans biais cognitifs introduits par la pression promotionnelle des marques : elle a besoin d’analyses pertinentes, fondées sur une sensibilité capable d’aller au-delà du gloubi-boulga de la doxa médiatique. Avec l’intelligence artificielle, 1 + 1 fera toujours deux : c’est bien, mais, avec une intelligence créative et humainement intuitive, 1 + 1 fera souvent 3, 4 ou 5, avec de foudroyantes diagonales parfois anti-logiques mais génialement disruptives. La vraie intelligence, ce n’est pas la production industrielle d’une mélasse intellectuelle qui sent la soupe et qui englue les neurones : c’est la pensée percutante et rupturiste qui crée de nouveaux états de conscience face à une question posée. D’après vous, quels sont les médias qui créent de tels contenus indépendants et disruptifs, sans le moindre recours à l’intelligence artificielle ?
▶︎▶︎▶︎▶︎ « NOS AMIS LES DÉTAILLANTS » (INTOX) : les marques ont ajouté une corde à leur arc en s’entraînant pour une nouvelle discipline sportive. Avant, les états-majors horlogers pratiquaient avec acharnement la chasse aux clients, une variante helvétique du tir aux pigeons. Une nouvelle chasse à courre est à la mode en 2023 : la chasse aux détaillants, une partie de ball trap qui se joue entre marques, celle qui ferme le plus grand nombre de points de vente remportant la victoire – si possible sans ménagements, sans considérations d’ancienneté ou de fidélité dans la relation, avec un bonus pour les fermetures de compte par e-mail. « Chérie, j’ai rétréci les retailers » ! Le tout avec force tapes dans le dos et clins d’œil complices : jamais les retailers n’avaient été autant papouillés que pendant cette Wonder Week où beaucoup de marques ont pratiqué cette sauvage chasse à courre qui avait « nos amis les détaillants » pour gibier…
▶︎▶︎▶︎▶︎ LA CLAUSE QUI TUE : bien caché dans les nouveaux contrats que doivent signer les détaillants qui sont incités à ouvrir des boutiques monomarques pour conserver de bonnes relations avec les marques en question, un paragraphe précise que la marque se réserve le droit de reprendre la boutique passé un certain délai qui permettra d’en vérifier la rentabilité – alors même que c’est au détaillant d’en financer le stock et les investissements commerciaux nécessaires. « Vous n’avez qu’à signer ! » Pile, je gagne. Face, tu perds. M. l’actionnaire se frotte les mains…
(nos lecteurs prennent en charge les commentaires de l'actualité)
▶︎▶︎▶︎▶︎ EXFILTRATIONS (INFO, INFOX OU INTOX ?) : c’était un de nos poissons d’avril (Business Montres du premier avril), mais il ne sentait peut-être pas tant que cela la marée fraîche. Et si, au lieu de rejoindre Watches & Wonders [on parlait ainsi de l’arrivée de Bvlgari, de Tiffany & Co, de Chaumet ou même de Louis Vuitton], certaines marques du groupe LVMH quittaient Palexpo pour rejoindre les bords du lac et les espaces du centre ville de Genève ? Par exemple au Wilson, où les deux étages déjà réquisitionnés par Bvlgari ont prouvé leur efficacité en termes de style et de services, ainsi qu’en termes de profitabilité par mètre carré investi. Rappelons que, pendant des années, Hublot a profité des salons du Kempinski pendant l’ex-SIHH, avec un somptueux rapport qualité-prix et un vrai empressement des détaillants à ne pas abandonner trop de budgets aux exposants de Palexpo. Pourquoi pas un pôle alternatif de joaillerie LVMH au cœur de Genève (Tiffany & Co, Bvlgari, Chaumet, Fred, etc.) pendant la Wonder Week – Damiani, qui exposait cette année au Fairmount, n’a pas eu à s’en plaindre, loin de là…
▶︎▶︎▶︎▶︎ CLOCKS EN STOCK (le dessin du jour) : nous avons repris dans ce bloc-notes de la Wonder Week, la bonne vieille habitude du Sniper, celle du « dessin du jour », qu’on pourra retrouver dans notre page Instagram, qui compte déjà plus de 1 300 illustrations à base de comics détournés et de photos piratées. « Mais, à la fin, pourquoi un tel acharnement éditorial contre les caporaux hystériques et les petits comptables de Watches & Wonders ? » Bonne question, la réponse n’étant pas dans le fait que les deux seuls médias blacklistés à Watches & Wonders soient des médias indépendants dont le franc-parler est insupportable pour les « caporaux hystériques » en question, mais dans le fait que l’alliance toxique de ces « caporaux hystériques » et des « petits comptables » qui les pilotent est un frein au développement et à la consolidation d’un salon horloger capable de rassembler à Genève toute la communauté horlogère…
Coordination éditoriale : Eyquem Pons