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WONDER WEEK 2023 #08
De l’art de faire disparaître une marque par magie, sans arme, ni haine, ni violence,

Dans la logique du Sniper en patrouille dans les allées de la Wonder Week, on va donc vous parler, entre autres, de poissons d’avril, d’un Gérald qui nous manque, d’une Sub crashée, du vrai bilan des salons, de la maladie d’Alzheimer dans l’horlogerie et de la magie qui fait disparaître les marques – on en oublie, mais vous retrouverez tout ce petit monde dans les notes ci-dessous. En vous rappelant que l’’excellent Sylvain Tesson nous dit d’un bloc-note de ce genre : « Les blocs-notes sont des coups de sonde, des carottages donnés dans le chatoyant foutoir du monde ». Nous n’avons donc plus qu’à bloc-noter dans le chatoyant foutoir de l’horlogerie…


▶︎▶︎▶︎▶︎ PRÉCISION UTILE : à propos de toutes les informations, les déformations, les allusions et les insinuations que nous avons choisi de publier hier premier avril. Toutes sans exception relèvent bien évidemment du pur et simple poisson d’avril (Business Montres du premier avril et « Horlotainement » Business Montres du premier avril). Ceci dit, on ne saurait exclure que la fiction l’emporte demain sur la réalité et que la petite poissonnerie de ce week-end devienne un jour le grand supermarché de l’avenir…

▶︎▶︎▶︎▶︎ « I MISS GÉRALD GENTA » : c’est le sweat-shirt du printemps, quelques grammes de coton blanc liés directement à l’actualité horlogère, un clin d’œil au prodigieux seigneur des formes qu’était le designer Gérald Genta, qui a signé un nombre incroyable d’icônes horlogères contemporaines (Nautilus, Royal Oak, Ingenieur, Pasha, Constellation, Bvlgari-Bvlgari, sans parler des montres sous sa marque : Gefica, eDisney, etc.). C’est aussi l’expression d’un regret : celle d’un temps où les horlogers créaient des montres sans regarder dans le rétroviseur, mais en sachant ensemencer l’avenir. Si Gérald Genta avait pratiqué l’actuelle rétronostalgie, il aurait redessiné ad libitum les montres des années 1930 et 1940 : où en saurions-nous ? On trouvera ce sweat-shirt au Legacy Store du Fouquet’s, à Paris, moyennant 55 euros (comme d’autres sweats de la série « I Miss », il est signé Le Bouclard Paris).

▶︎▶︎▶︎▶︎ PREMIER BILAN PROVISOIRE POST-WONDER WEEK (1) : contrairement aux communiqués triomphalistes de la FH suisse, qui prend prétexte de la hausse des exportations [plus que molles et peu dynamiques ces derniers mois, alors que ce ne sont que des transfert de stocks depuis les usines suisses] pour conclure stupidement à une croissance prospère des ventes horlogères [lesquelles sont partout en train de freiner], la situation est plutôt inquiétante pour les marques horlogères. Certes, les ventes et les commandes enregistrées pendant les salons étaient optimales, mais elles ont porté sur des quantités plus que limitées et avec des échéances très rapprochées : tel modèle, qui aurait été lancé à raison de 5 000 pièces voici trois ans, n’est plus édité qu’à 500 exemplaires, tous vendus et déjà sur liste d’attente, bravo, mais quel recul sur le terrain ! À cet effondrement des volumes correspond une inflation spectaculaire et à une valse des étiquettes qui ne sent pas bon : l’optimisme est donc de rigueur si on s’en tient au pur bilan économique et chiffré des salons, mais cette euphorie tarifaire masque mal une inaccessibilité croissante des montres suisses au-delà du cercle restreint des prédateurs qui profitent du turbo-capitalisme financier – ce qui conduit les montres à sortir petit à petit de l’imaginaire contemporain des anciens bassins de consommation en Europe et dans le nouveau monde. Les moteurs de la croissance se grippent les uns après les autres, en Asie, aux États-Unis et dans les pays développés, ainsi que dans les pays impactés par la guerre en Ukraine (Russie, Est européen, Asie centrale, Iran, etc.), avec le Proche-Orient pour seule exception. Pour résumer, tout le monde serre les fesses en accélérant dans le brouillard, avec une visibilité de trois mois au plus, mais avec des prix publics qui explosent. Vous trouvez ça très sain ? 

▶︎▶︎▶︎▶︎ PREMIER BILAN PROVISOIRE POST-WONDER WEEK (2) : notre compagne d’infortune Miss Tweed (Astrid Wendlandt), blacklistée comme nous à Watches & Wonders, n’a pas un avis très différent du nôtre pour ce qui concerne les perspectives horlogères pour 2023. Sous le titre « Les horlogers se préparent à un ralentissement en 2023 », Miss Tweed nous explique que, contrairement à la doxa de rigueur dans les déclarations de fin de salon, « la demande pour les montres de luxe est en perte de vitesse après le boom de l’an dernier. Les exportations de montres suisses continuent certes d’augmenter, mais les stocks des distributeurs sont en train de gonfler et de nombreux détaillants rechignent à s'engager sur des commandes trop importantes. La situation aux États-Unis, premier marché de nombreux grands horlogers, préoccupe particulièrement les dirigeants, qui constatent que la hausse des taux d'intérêt freine les dépenses discrétionnaires. Les consommateurs américains ont une culture du crédit renouvelable – ils achètent avec leur carte et paient la facture plus tard. En pratique, cela signifie que la hausse des taux accroît le prix des produits de luxe comme les montres, les bijoux ou les sacs à main. Dans le même temps, la demande en Chine ne se redresse pas aussi vite que les analystes l'avaient prévu. Et les mouvements sociaux en France risquent de dissuader un grand nombre de touristes de venir faire des emplettes en Europe. (…) Selon certains dirigeants, les grossistes se préparent à une année plus difficile. “Il y a eu un changement de paradigme”, a déclaré Maximilian Busser, directeur général de l’horloger indépendant MB&F. “Les détaillants sont beaucoup plus prudents que l'année dernière”, a-t-il ajouté, et “de nombreux grands distributeurs m'ont dit que leur stock avait doublé depuis le début de l'année. Ils se préparent à un ralentissement brutal.” » Si Miss Tweed le dit…

▶︎▶︎▶︎▶︎ CRASH-TEST HORLOGER : les jeunes créateurs ne respectent rien et ils n’aiment rien tant que de tirer sur les vaches sacrées. Larvee (artiste protéiforme) nous régale d’une crash watch tendance couronnée, d’autant plus impossible à trouver sur le marché qu’il ne s’agit encore que d’images de synthèse. Il n’est pas interdit d’imaginer que nous aurons bientôt une version in real life : nous en rêvons tous ! Les best-sellers des années 2020 seront peut-être ces icônes qu’on parodie et qu’on bouscule sans ménagements…

▶︎▶︎▶︎▶︎ CETTE MAGIE DISCRÈTE QUI EFFACE LES MARQUES (1) : en fin d’année dernière, nous classions parmi les montres de l’année (catégorie « Nouvelle génération 2022 » la nouvelle montre Chromatique RP-0101 d’Aegler (Business Montres du 20 novembre 2022 et Business Montres du 7 septembre 2022), montre qui nous avait paru décalquée d’une Czapek [même designer, même motoriste, même positionnement prix, etc.] lorsque nous avions pu la découvrir et en raconter la généalogie rolexienne lors des derniers Geneva Watch Days (Business Montres du 30 août 2022). Ce qui nous avait conduit à nous interroger sur le comportement pour le moins surprenant et pas forcément très conséquent de l’actionnaire commun des deux marques, Harry Guhl [qui est également l’actionnaire de la marque de montres connectées Sequent], dont nous pointions l’évolution managérialement bizarre dans notre Baromontres de septembre (Business Montres du 3 octobre). Nous précisions alors : « Aegler : un nom qui évoque pour les initiés l’horloger moustachu Jean Aegler (1850-1891), un des génies horlogers suisses de la fin du XIXe siècle, qui avait fondé en 1878 Aegler SA, manufacture à laquelle on doit près de cent cinquante brevets [dont un de tout premiers brevets horlogers déposés en Suisse]. Les descendants de Jean Aegler continueront sur cette lancée pionnière, avec de nouveaux brevets et, en 1910, la première montre certifiée chronomètre en Suisse (Bienne). La réputation d’Aegler poussera un certain Hans Wilsdorf, le fondateur de Rolex, à faire d’Aegler son fournisseur de mouvements, qui seront d’ailleurs certifiés chronomètres à l’observatoire de Kew (Teddington) au Royaume-Uni – une alliance qui durera jusque dans les années 2000. Tout le monde pensait d’ailleurs que ce nom d’Aegler appartenait au portefeuille des marques “dormantes” du groupe Rolex, mais il était miraculeusement libre ». Ce nom était effectivement et formellement libre… mais pas tant que ça !

▶︎▶︎▶︎▶︎ CETTE MAGIE DISCRÈTE QUI EFFACE LES MARQUES (2) : disons que nos informations ont attiré l’attention de la marque à la couronne qui avait dû oublier de « protéger » Aegler dans sa stratégie patrimoniale [le groupe Rolex possède déjà de nombreuses marques « dormantes »]. Tout s’est passé sans bruit, sans fanfares ni trompettes, dans la coulisse, sans éclats médiatiques, ni échos judiciaires, bref à l’amiable et à la suisse : disons, là encore, que le groupe Rolex a su convaincre Harry Guhl, qui voulait relancer Aegler [mais qui avait démissionné entretemps de sa présidence du conseil d’administration de Czapek], de renoncer à cette idée de nouvelle marque. Harry Guhl a même accepté de (re)céder le nom d’Aegler au groupe Rolex, qui a ainsi un peu mieux verrouillé son pré carré patrimonial. Aux dernières nouvelles, Harry Guhl tenterait de revendre ses actions (majoritaires) de Czapek, mais ses deux compagnons d’infortune dans cette aventure Aegler, déjà bien connus sur les marchés asiatiques pour leur élasticité éthique, seraient actuellement en train de lancer une nouvelle marque – vous l’aurez compris : une nouvelle marque dans un style forcément très Czapek (lancement attendu en juin prochain à Monaco) ! C’est ainsi que les nouvelles marques prometteuses vivent et meurent – en toute discrétion : sans arme, ni haine, ni violence, comme aurait Albert Spaggiari, l’organisateur du fameux « casse de Nice »…

▶︎▶︎▶︎▶︎ POURQUOI PARLONS-NOUS DE WONDER WEEK ? Ce n’est pas, comme le rapportent quelques esprits chagrins pour « copier » Watches & Wonders : nous utilisons ce terme depuis plus de dix ans, tous les printemps, pour désigner les salons horlogers – ceux de Bâle comme de Genève. Ce serait donc plutôt l’événement Watches & Wonders qui se serait inspiré de notre Wonder Week pour en reprendre non seulement la lettre, mais aussi les initiales…

▶︎▶︎▶︎▶︎ LE SPARADRAP DU CAPITAINE HADDOCK : nous n’avons toujours pas compris par quel sortilège les petits caporaux de l’actuelle direction de Watches & Wonders pouvaient se permettre de désactiver les invitations personnelles lancées par les plus grandes marques du salon [ce qui a permis de blacklister deux médias indépendants, et seulement deux : comme par hasard, deux qui n’avaient pas leur langue dans leur poche : Miss Tweed et Business Montres]. Selon nos propres pointages, au moins 37 des 49 marques de Watches & Watches avaient approuvé l’accréditation de Business Montres, mais le politburo du salon n’a visiblement pas la fibre démocratique – à moins d’admettre que certaines marques sont « plus égales que d’autres », comme disait Coluche! En revanche, ce que l’équipe de « M. le Blacklisteur » ne savait pas, c’est que Business Montres a tout du fameux sparadrap du capitaine Haddock : difficile de s’en débarrasser ! C’est le furet de la comptine : « Il est passé par ici, il repassera par là ». Merci en tout cas aux managers qui nous ont aidé à réussir cette infiltration et à tous ceux qui ont tenu à nous marquer leur solidarité contre le soviétisme virulent de ce politburo – que tout le monde espère provisoire…

▶︎▶︎▶︎▶︎ CLOCKS EN STOCK (le dessin du jour) : nous avons repris dans ce bloc-notes de la Wonder Week, la bonne vieille habitude du Sniper, celle du « dessin du jour », qu’on pourra retrouver dans notre dernière chronique « Horlotainment #38 » (Business Montres du premier avril). La question est assez banale : quelle est la maladie officielle de l’horlogerie ? Bonne réponse : « La maladie d’Alzheimer, quand on ne sait plus qui on est, où on va et ce qu’on fait ». Vraiment, sans rire, ça ne vous rappelle rien ?


Coordination éditoriale : Eyquem Pons



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