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PERSPECTIVES @2014 : L'année de tous les dangers en dix questions (# 1/3)

Apocalypse now ? N'exagérons rien, mais la conjugaison des facteurs négatifs, internes ou externes à l'industrie horlogère, se précise en « conjonction des catastrophes » : pour la plupart des marques et pour l'industrie horlogère en général, 2014 s'annonce comme l'année zéro d'un temps de crises, de remises en question et de décroissances tous azimuts... ▶▶▶ QUESTION N° 1Peut-on parler de « convergence des catastrophes » ? ◉◉◉◉ Historiquement, l'horlogerie suisse …


Apocalypse now ? N'exagérons rien, mais la conjugaison des facteurs négatifs, internes ou externes à l'industrie horlogère, se précise en « conjonction des catastrophes » : pour la plupart des marques et pour l'industrie horlogère en général, 2014 s'annonce comme l'année zéro d'un temps de crises, de remises en question et de décroissances tous azimuts...

 QUESTION N° 1
Peut-on parler de « convergence des catastrophes » ?
◉◉ Historiquement, l'horlogerie suisse a toujours eu beaucoup de chance ! À un point qu'on n'imagine pas... Elle n'a cessé, au cours de son histoire, d'accumuler les erreurs de stratégie, les impasses marketing et les crises, mais elle a toujours réussi à s'en sortir. Tout aussi historiquement, ces « crises » sont toujours nées de la conjonction toxique de plusieurs facteurs négatifs qui, individuellement, auraient été surmontables mais qui, associés, forment la masse critique d'une déflagration qui menace l'ensemble de la branche. Deux exemples classiques de ces erreurs de stratégie [on pourrait en mentionner beaucoup d'autres] qui ont failli emporter toute l'horlogerie dans leur sillage : le refus de l'industrialisation dans les années 1860-1880, les Etats-Unis devenant alors la première puissance horlogère mondiale et prenant la Suisse pour un réservoir de main-d'oeuvre bon marché, ou le refus d'imaginer que la technologie du quartz horloger puisse être autre chose qu'un supplément d'âme pour les montres traditionnelles. En soi, cette mauvaise appréhension du quartz n'était pas dramatique, mais, associée à une défaite commerciale aux Etats-Unis (face à Seiko), à un désordre monétaire sur les marchés internationales (qui a vite rendu trop chères les montres vendues en francs suisses) et à l'incompétence des élites mentalement désarmées par la fausse sécurité de l'âge d'or des années 1950 et 1960, cette erreur d'analyse sur le marché de la montre électronique a mis tout le monde à genoux, beaucoup ne s'en relevant jamais. C'est donc la « convergence des catastrophes » qui est potentiellement dramatique – et non chaque élément négatif de la situation actuelle. Il faut avoir une vision dynamique et holistique de cette situation, en cessant de raisonner le nez sur la vitre. Quelles sont donc ces « catastrophes qui convergent » ?
 
 
 
 QUESTION N° 2
L'horlogerie avait-elle vraiment mérité
l'« âge d'or » que nous venons de vivre ?
◉◉ Comme au cours de bon nombre des crises précédentes, l'horlogerie vient de vivre un instant de grâce qui aura duré une petite vingtaine d'années [en gros : 1995-2013], au cours desquelles même des incidents graves – par exemple, le 11 septembre 2001 – n'auront qu'un impact limité sur l'évolution de l'actualité industrielle. Dernier incident en date : l'effondrement bancaire de la fin 2008, qui verra l'horlogerie se redresser aussi soudainement qu'elle avait plongé, la « bulle du crédit » d'une Chine encore peu intégrée dans l'économie mondiale apportant le ballon d'oxygène indispensable au luxe mondial en poussant les nouveaux riches locaux à consommer avec frénésie. Comme au même moment, la banque centrale américaine imprimait des milliers de milliards de dollars pour soutenir ses banques, la crise de l'endettement de 2008-2009 a été jugulé, mais en amorçant une crise encore pire pour les mois ou les années à venir, l'explosion programmée du dollar entraînant cette fois la totalité des économies planétaires dans la tourmente, Chine comprise. On l'aura compris : l'horlogerie suisse ne doit pas à ses mérites – mais aux hasards de la politique bancaire chinoise – sa récente embellie, de même qu'elle ne doit pas à son génie propre l'extraordinaire progression de ses ventes depuis dix ou quinze. Ce n'est pas le marketing des marques qui a été meilleur, créatif ou offensif : c'est tout simplement le gâteau tout entier qui s'est élargi, élargissant mécaniquement la part de ceux qui en proposaient. Elle-même étonnée de son succès, l'horlogerie suisse a tellement tardé à adapter sa capacité de production à cette nouvelle demande qu'un danger de pénurie s'est institué, rareté qui a mécaniquement permis d'augmenter les prix pour servir la demande la plus solvable – celle des pays asiatiques et des économies émergentes. L'âge d'or des années 1995-2010 ne doit donc rien aux capacités des équipes en place, qui n'ont eu qu'à gérer au mieux une croissance qu'ils alimentaient de hausses destinées à masquer leurs pertes de parts de marché.
◉◉◉ Le premier des facteurs négatifs qui semblent se coaguler en 2014 serait donc l'incapacité des équipes managériales à comprendre la portée de leur responsabilité : avec les années, l'horlogerie a perdu la quasi-totalité de ses cadres qui avaient une expérience de la crise (celle des années 1980), au profit de « barreurs de beau temps », trop tendres pour les tempêtes, persuadés de leur géniale intelligence de la situation et ivres de succès dont ils n'étaient qu'un facteur résiduel de réussite. Ceux qui n'ont pas vi venir la crise de 2008, qui l'ont niée jusqu'au bout et qui n'ont rien pour enrayer son retour en 2014 sont-ils les mieux armés pour la combattre ?
 
 
 
 QUESTION N° 3
Le péril des smartwatches est-il aussi menaçant ?
◉◉ On peut le juger négligeable, comme 95 % de patrons horlogers le faisaient début 2013 [époque à laquelle Business Montres a commencé – vox clamantis in deserto – à sonner le tocsin], et comme une grosse majorité d'entre eux continue à le faire. Comme la presse horlogère au sens large persiste à négliger cet aspect-là de l'avenir, pourquoi leur donner tort ? Rappelons seulement que, quand le sage désigne la lune, l'idiot regarde le doigt et le journaliste la couleur du vernis à ongles ! Le doigt, c'est la nullité actuelle de l'offre en « montres intelligentes », qui ne sont ni des montres, ni des gadgets innovants. Le vernis à ongles, c'est l'absolue certitude que les grandes marques de montres sont immortelles et infaillibles – ce que ne confirment pas les crises systémiques précédentes. Le doigt, c'est d'imaginer que les smartwatches sont, en soi et frontalement, une menace directe pour les montres suisses et qu'il ne s'agit que d'une révolution technologique momentanée, aisée à digérer. Le vernis à ongles, c'est de croire à la supériorité intrinsèque des montres suisses dans l'univers mental des consommateurs et de croire indémodable une « passion horlogère collective » par nature transitoire. La grande illusion, c'est ici de ne pas comprendre que la bataille qui s'annonce est celle de la carpo-révolution ( « wrist revolution » ou  « révolution du poignet ») inévitablement parallèle à la révolution globale des objets connectés : personne n'en veut aux montres suisses, on ne se bat que pour une place au poignet, parce que c'est pratique, parce qu'y circulent des fluides vitaux indispensables pour l'analyse des données biométriques et parce que les humains ont pris, depuis moins d'un siècle, l'habitude d'y consulter des cadrans. Il faut désormais raisonner en termes d'écosystème connecté, non entre un téléphone et une montre [faut-il avoir l'esprit étroit pour croire que c'est l'enjeu actuel de la guerre !], mais entre tous les objets connectés du quotidien et un terminal portable de proximité : dans ce nouvel environnement qui relie tous à tous et à tout [au sein d'une galaxie de produits compatibles, dont la smartwatch devient un des pivots essentiels], et dans un contexte de sélection darwinienne qui va voir les géants de l'électronique s'éliminer les uns les autres jusqu'à la survie du plus malin et du plus en avance sur la demande des consommateurs, une montre non connectée relève de la relique préhistorique et du fétiche pré-logique. Les montres suisses ne vont pas plus mourir que le coelacanthe (350 millions d'années, le dipneuste (350 millions d'années) ou le Ginkgo Biloba (270 millions d'années) : on peut même dire que l'horlogerie suisse a toutes les qualités des plus brillantes espèces panchroniques – celles qui résistent aux évolutions avc une remarquable stabilité morphologique.
 ◉◉ Le deuxième facteur de risque en passe de se conjuguer aux autres serait donc l'imminence d'une révolution non pas technologique, mais tout simplement topographique : on a besoin de la place de la montre au poignet – à gauche pour les hommes comme pour les femmes, qui pourront porter des bijoux au poignet droit, ce qui ne sera sans doute pas le cas des hommes. Dans le cadre de la grande mutation des objets connectés, les futures smartwatches serviront à tout : se relier au monde grâce aux réseaux sociaux, ouvrir et démarrer sa voiture, payer sa consommation quotidienne, connaître son état de forme, stocker des données personnelles, sans doute même plus à téléphoner et tout juste à donner une heure qu'on trouvera partout en temps réel. C'est le risque majeur, celui qui va ébranler la pyramide des marques suisses en rongeant sa base à prix accessible [entre 100 et 300 dollars : on peut miser sur une perte de la moitié des volumes actuels en dix ans – pari Business Montres] et en disloquant tout l'appareil industriel axé autour ces marques. Ont une chance de survie les marques positionnées au-dessous de ce « corridor de la mort » (Ice-Watch, Swatch et leurs clones), les griffes de mode (confinées au rang d'accessoires) et les icônes statutaires collectionnables (là encore dans des volumes sérieusement revus à la baisse)...
 
 
 
 QUESTION N° 4
Sommes-nous à la veille
d'un krach économique international ?
◉◉ C'est évidemment une question centrale, même si les avis divergent à ce sujet tellement nous sommes entrés, collectivement, dans un zone de turbulences. Chacun sait – même si les gouvernements et les banquiers affectent de n'en rien voir – que l'ahurissante création monétaire ex nihilo (sans création parallèle de richesses) opérée par la Réserve fédérale américaine ne peut que déboucher sur une fantastique dévaluation du dollar, qui n'est plus protégé que par son statut de devise internationale de paiement. Statut que contestent tant l'euro que le yuan chinois, provisoirement adossés à des économies trop faibles pour s'opposer brutalement au dollar. D'où la tentation d'un retour à l'étalon-or et le restockage insensé de tonnes d'or métallique par les banques centrales, notamment par la Chine [à propos de laquelle on peut avoir les plus sérieux doutes sur la santé macro-économique actuelle et sur la sincérité des statistiques rassurantes produites par le gouvernement communiste de Xi Jinping]. Le krach est-il pour aujourd'hui (2014) ou pour demain (2015) ? Personne n'en sait encore rien, mais il est devenu inévitable en dépit des manoeuvres dilatoires et des opérations de retardement des autorités américaines. Même partiel, un effondrement américain provoquera un tel séisme mondial qu'on regrettera très vite la précédente « crise de 1929 ». Relativement déconnectée des grands systèmes monétaires internationaux et forte de son économie autant que son franc suisse, la Suisse résistera, mais au prix d'un renchérissement de sa monnaie qui renchérira, inévitablement, le prix de ses montres. De quoi alimenter un cercle vicieux qu'on a déjà connu dans le passé : on augmente les prix au moment où les montres se vendent moins, ce qui fait qu'elles se vendent encore moins et qu'on augmente encore les prix pour tenter de sauver les meubles. Et ainsi de suite, mais ça se termine toujours mal...
 ◉◉ Le troisième élément de désordre à venir s'ajouter aux autres est bien l'actuelle instabilité économique et monétaire. Nous vivons la fin des expédients américains et d'une séquence de « bulles » qui ne peuvent manquer de se terminer par une effroyable collision avec le réel. On s'en sort toujours, mais par d'impressionnantes destructions de valeur [certains pensent même que, comme pour les incendies de forêts qui régénèrent les espèces, le capitalisme a besoin de détruire pour reconstruire] et, surtout, par une casse humaine dont on peine à décompter les effets socio-politiques. Bien à l'abri derrière les murailles de son réduit alpin, la Suisse endurera le choc, mais au risque d'y sacrifier ses meilleures cartouches : ne serait-il pas temps de réfléchir à une autre organisation que celle du « toujours plus » [plus de volumes sur plus de marchés, des prix plus chers, des montres plus coûteuses à produire, etc.], qui conduit au surstockage chronique, à des gaspillage éhontés et à une inflation des étiquettes devenue parfaitement léthale ? 
 
 
À SUIVRE :
Trois nouvelles questions stratégiques
sur 2014, l'année de tous les dangers (# 2/3)
 
 
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