> 


POLÉMIQUE : Qui veut la peau de Jean-Claude Sabrier ?

On commence à parler de cette "affaire Sabrier" qui agite le microcosme horloger. Très respecté pour ses travaux historiques sur l'horlogerie au XVIIIe siècle et jusqu'ici réputé pour son expertise (enchères, Swatch Group), Jean-Claude Sabrier aurait-il été un peu expéditif dans son étude sur les pionniers de la montre automatique ? Joseph Flores, le Sherlock Holmes de l'histoire horlogère, face aux documents authentiques... ••• S'il y a un sujet polémique qui hante l'histoire de …


On commence à parler de cette "affaire Sabrier" qui agite le microcosme horloger. Très respecté pour ses travaux historiques sur l'horlogerie au XVIIIe siècle et jusqu'ici réputé pour son expertise (enchères, Swatch Group), Jean-Claude Sabrier aurait-il été un peu expéditif dans son étude sur les pionniers de la montre automatique ?

Joseph Flores, le Sherlock Holmes de l'histoire horlogère, face aux documents authentiques...
 
••• S'il y a un sujet polémique qui hante l'histoire de l'horlogerie ancienne depuis un grosse décennie, c'est bien l'affaire Sarton-Perrelet. Quand ils ont lancé la marque Perrelet au milieu des années 1990, les créateurs avaient consulté les livres qui faisaient autorité et qui assuraient à Abraham Louis Perrelet une place de choix dans l'histoire horlogère, comme "inventeur du mouvement automatique". Une aubaine marketing, qui n'était sans doute pas très solide sur le plan historique. Horloger et historien sur le tard, Joseph Flores a entrepris un retour aux sources documentaires pour établir que cette "invention" n'avait rien de probant, que le personnage d'Abraham Louis Perrelet lui-même était pour le moins flou dans les annales neuchâteloises et que cette "invention" pouvait être attribuée – sur la base de documents authentiques – à l'horloger liégeois Hubert Sarton...
 
••• Hubert Sarton n'étant pas Suisse, on imagine le tollé patriotique : comment un Belge pourrait-il avoir inventé cette montre automatique qui assure la suprématie mondiale de l'horlogerie mécanique suisse ? Perrelet étant une marque, on imagine le trouble commercial : "Inventeur du mouvement automatique", ça pose la légitimité d'une maison ! Joseph Flores n'étant pas un historien "académique", on imagine le mépris de l'établissement officiel, universitaire ou spécialisé. Après quinze années de batailles médiatico-historiques [pratiquement seul parmi tous les médias horlogers, Business Montres n'a pas ménagé son soutien à ceux qui faisaient avancer l'histoire horlogère], tout le monde a fini par admettre que Joseph Flores – qui a le mérite d'être horloger, et donc de comprendre techniquement les montres jusqu'ici attribuées à Perrelet – avait sans doute raison. Les documents publiés (notamment la communication à l'Académie des sciences de Paris) et les faits (les montres qui correspondent à ce document) établissent effectivement Hubert Sarton comme "auteur" du premier schéma technique connu concernant un mouvement automatique à rotor. Une invention qui assurera, 150 ans plus tard, le succès de Rolex...
 
Le schéma technique d'Hubert Sarton et un des mouvements attribués à Perrelet : même sans rien comprendre à la mécanique horlogère, la similitude saute aux yeux de tout le monde, sauf à ceux des historiens officiels de la montre automatique...
 
••• Jean-Claude Sabrier jouait donc avec les allumettes au-dessus d'un tonnelet de poudre quand il a publié, voici quelques mois, son histoire de La montre à remontage automatique. D'autant qu'il n'avait jamais caché son hostilité personnelle aux thèses de Joseph Flores [avec lequel il refuse toute communication] et son dédain des documents publiés par celui-ci. Pour Jean-Claude Sabrier, Hubert Sarton n'était qu'un simple "horloger de cour", qui signait les mouvements réalisés par d'autres et qui aurait copié pour les présenter à l'Académie des sciences une idée et des concepts techniques nés dans les vallées neuchâteloises. Pourquoi pas ? Encore faudrait-il l'étayer par des documents...
 
••• L'explosion était inévitable à partir du moment où Jean-Claude Sabrier négligeait froidement, dans ses références, l'existence des travaux précédents de Joseph Flores [dont l'autorité internationale est attestée pour les calibres de l'époque], ainsi que le schéma technique présenté à l'Académie des sciences de Paris – plus ancienne et solide référence connue. On sait que la communauté des historiens adorent les sources documentaires authentiques, surtout nouvelles : les ignorer, c'était prêter le flanc à la critique. On sait aussi que cette communauté déteste qu'on ne cite pas ses sources : or, il apparaît qu'une des sources mobilisées par Jean-Claude Sabrier au service de sa cause anti-Sarton pourrait avoir été soit mal traduite, soit interpolée, soit carrément biaisée dans son interprétation – mais l'historien français refuse de communiquer l'original de ce document-source...
 
••• Relayée par la revue française d'érudition sur les montres Horlogerie ancienne (nombreux articles à ce sujet), avec laquelle Jean-Claude Sabrier refuse de dialoguer en évoquant par avance des suites judiciaires pour cette "diffamation" [ce qui n'est jamais bon signe], la polémique a rebondi dans un certain nombre de revues historiques anglo-saxonnes (Business Montres du 19 septembre), sous la signature d'historiens pourtant amis de Jean-Claude Sabrier, mais un peu lassés par certaines fantaisies historiques. La querelle ne peut sans doute plus être étouffée. D'où nos questions à Joseph Flores, qui a passé au scanner le livre de Jean-Claude Sabrier...
 
••• Vous semblez vous acharner contre JCS : avez-vous quelque chose de personnel contre lui ou est-ce uniquement parce qu'il n'a pas suffisamment parlé de Sarton dans son livre sur La montre automatique ?
••• Joseph Flores : Pour moi, ce que vous nommez acharnement – que je nomme persévérance – n’a d’égal que celui des opposants aux nouvelles découvertes à l’Académie royale des Sciences de Paris, sur le travail d’Hubert Sarton dans le domaine de la montre automatique à rotor. Ce dernier livre vient simplement après celui de Dominique Fléchon, et après de très nombreux autres articles qui, à mon sens, faussent l’Histoire, puisque aucun document d’époque n’est jamais publié… Si je m’acharne, c’est absolument sans aucune animosité
 
••• Que lui reprochez-vous exactement ?
••• Joseph Flores : Le nombre de faits indiqués et non soutenus par des documents d’époque, est particulièrement important (voir nos articles dans Horlogerie ancienne, notamment « Réactions automatiques »). Ma passion pour l’horlogerie me fait craindre que cet ouvrage de Jean-Claude Sabrier, signé par un des plus grands experts actuels, devienne une référence, et surtout dans les écoles, ce qui serait pour moi fortement préjudiciable à l’histoire horlogère en général, et celle des montres automatiques en particulier.
 
Le très controversé document de la page 205 : déniché par l'un, non sourcé par l'autre, alors qu'il est décisif pour la suite du débat...
 
••• Vous évoquez souvent le document de la page 205 (ci-dessus) : de quoi s'agit-il pour des non-initiés ?
••• Joseph Flores : Je vais essayer d'être précis. Déjà, pour commencer, les "non-initiés" peuvent lire un article qui fait sur le point sur les pionniers de la montre automatique (sur la base des pièces historiques dont nous disposons) et sur les différentes versions de la traduction de ce "document de la page 205". Le document dont fait état Jean-Claude Sabrier à la page 205 de son livre n’est justement pas confirmé par une indication d’origine : or, ce document peut changer l’histoire telle qu’elle semble être définie pour l’instant. En effet, il y est question d’une montre de 1775, sur laquelle il est dit ceci : "Elles doivent être portées au moins une heure sur trois jours pour se remonter d’elles-mêmes grâce aux mouvements naturels du corps. Leur possesseur bénéficie en outre de deux avantages supplémentaires : le premier consiste en ce que leur marche n’étant pas interrompue pendant le remontage elles sont bien plus régulières"… Cette double indication, si le document primaire le confirme, ferait mentir Hubert Sarton qui, en 1778, déclarait aux rapporteurs de l'Académie des sciences que ce genre de montre n’existait pas avant la sienne… Nous aurions alors l’indication, soit du mensonge de Sarton, soit de son ignorance, comme de celle des rapporteurs sur cette question technique capitale… Néanmoins cela ne changerait rien au fait que Sarton a déposé à l’Académie une montre automatique à rotor et qu’elle était identique à celles répertoriées, dispositif qui fut attribué comme on le sait par Chapuis et Jaquet, et comme M. Sabrier le dit encore dans son ouvrage, sans argumenter plus, à Abraham Louis Perrelet. C’est donc ce dispositif qui fut le dilemme des premiers chercheurs dans cette partie de la montre, mais qui de nos jours assure à l’horlogerie mécanique une pérennité qu’elle n’aurait peut-être pas eu sans ça.
Voici comment, pour ma part, je vois le travail de l'historien : l’histoire ne peut, et évidemment ne doit pas, être dissimulée ou tronquée, même si des nouveaux éléments donnent tort à ce que l’on pensait et disait. Seuls les documents d’époque, source primaire diffusée, analysés en toute honnêteté, débattus au besoin, peuvent construire la véritable histoire, nul ne peut s’y dérober...
 
(extrait de la traduction synoptique fameux document de la page 205)
 
••• Vos soupçons sont graves pour l'honorabilité d'un historien : que répond Jean-Claude Sabrier à vos interrogations et pourquoi ne communique-t-il pas ce fameux document de la page 205 ?
••• Joseph Flores : Je ne vois pas dans mes textes où j’ai bien pu soulever des soupçons sur l’honorabilité de qui que ce soit… J’ai simplement dit, et je réitère, mon souhait de voir le document d’origine publié, que Hubert Sarton ait menti ou pas. Par ailleurs, et vous-même en en avez été témoin, Jean-Claude Sabrier a toujours refusé de débattre avec moi...
 
••• Pourquoi ne commentez-vous pas les autres chapitres de son livre sur la montre automatique ?
••• Joseph Flores : dans l’article indiqué ci-dessus (deuxième question), tous les chapitres traitant particulièrement de origine des montres automatiques sont traités. Je ne me sens pas concerné par la fabrication des montres automatiques qui a suivi les origines. Généralement, je m’intéresse à ce qui c’est passé jusqu’en 1780...
 
••• Comment expliquez-vous la levée de boucliers des historiens anglo-saxons à son sujet ?
••• Joseph Flores : je pense que la raison principale qui les a guidés se trouve indiquée dans leur article. Justement, ce sont eux qui réponde pour moi à votre première question : pourquoi l’auteur n’a pas suffisamment parler d'Hubert Sarton ? Ou, du moins, pourquoi a-t-il élimin" de son propos les principaux éléments du travail d'Hubert Sarton (le rapport à l'Académie des sciences et le croquis). Par ailleurs, d’après l’extrait ci-après, il semble bien que l’auteur du texte anglais (voir l'article de Business Montres cité ci-dessus) a déjà eu des désaccords avec Jean-Claude Sabrier. Cce livre a été aussi, pour lui, la goutte d’eau qui fait déborder le vase : "It was with some trepidation that I agreed to review this book, not only because I have known the author for many years, but also because I have been in public variance with some of his horological statements for much of this time"...
 

D'AUTRES INFORMATIONS RÉCENTES

SUR CETTE AFFAIRE SARTON-PERRELET...

Partagez cet article :

Restez informé !

Inscrivez-vous gratuitement à notre newsletter et recevez nos dernières infos directement dans votre boite de réception ! Nous n'utiliserons pas vos données personnelles à des fins commerciales et vous pourrez vous désabonner n'importe quand d'un simple clic.

Newsletter