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RICHARD MILLE #1 : Pour qui sonne le glas ?

« Ding-dong », fait le tiroir-caisse ! C'est la musique des sphères pour la plus emblématique des marques indépendantes et créatives, qui semble terminer ce printemps la première séquence d'une vie qu'on espère encore longue et prospère. L'opération en cours a toutes les chances d'être le coup financier personnel le plus réussi de ce nouveau millénaire... ▶▶▶ MERCATO HORLOGER« Ni officiel, ni autorisé », mais si vraisemblablement proche... ◉◉◉◉ Tout ceci est …


« Ding-dong », fait le tiroir-caisse ! C'est la musique des sphères pour la plus emblématique des marques indépendantes et créatives, qui semble terminer ce printemps la première séquence d'une vie qu'on espère encore longue et prospère.

L'opération en cours a toutes les chances d'être le coup financier personnel le plus réussi de ce nouveau millénaire...

 MERCATO HORLOGER
« Ni officiel, ni autorisé », mais si vraisemblablement proche...
 
◉◉ Tout ceci est à lire au conditionnel ! Ces informations – qui ne sont que des estimations, des évaluations et des spéculations – ne sont ni officielles, ni autorisées. Si elles l'étaient, elles relèveraient du « délit d'initié », et donc de poursuites pénales. Par convention de plume et par licence journalistique, le présent ne sera utilisé que par habitude et pour rendre le storytelling plus direct. Néanmoins, au-delà des précautions d'écriture et de ce conditionnel d'ambiance, soyez sûrs qu'il s'en passe, des choses intéressantes...
 
◉◉ Toute marque se doit de s'ausculter régulièrement et de vérifier sa valorisation, ne serait-ce que pour des raisons comptables, ce qui implique pour elle de se soumettre à un certain nombre de formalités et d'analyses de la part de la communauté financière – même pour une marque indépendante largement (90 %) entre les mains de ses fondateurs. À plus forte dans une logique éventuelle d'augmentation du capital comme dans le cas d'une cession partielle ou plus étendue de son capital. Il est donc normal que le « dossier Richard Mille » circule depuis quelque mois chez les investisseurs suisses et français et qu'il soit l'objet d'appréciations variées chez les différents banquiers, les groupes financiers ou les fonds de private equity de la place genevoise ou parisienne, voire au-delà...
 
◉◉ Il est tout aussi naturel pour une marque indépendante, qui est à ce jour la plus belle saga horlogère du troisième millénaire, propulsée ex nihilo dans le paysage horloger en 2001 et parvenue en quelques années à se faire une place dans son paradis,de  se poser des questions sur son avenir, alors que les marchés et toute l'industrie sont en pleine mutation. Douze ans, c'est une maturité certaine pour une « petite marque », mais c'est aussi l'âge des grands choix qui engagent l'avenir. Richard Mille connaît trop bien l'horlogerie pour ne pas s'interroger sur ce que nous évoquons souvent devant nos lecteurs : à l'âge de la globalisation et de l'émergence de nouveaux consommateurs, les marques indépendantes ont-elles encore leur place sur le marché, chez les détaillants comme chez les fournisseurs, sinon dans les médias ?
 
◉◉◉ On en  parlait donc depuis des mois et il est même arrivé à Business Montres d'évoquer cette possibilité avec les intéressés eux-mêmes, un jour qu'ils étaient en négociation chez l'un des repreneurs possibles : la marque Richard Mille pouvait être vendue d'un jour à l'autre ! Nous verrons ci-dessous pourquoi, comment et à qui, mais il faut préciser que, lorsqu'une telle casserole de lait est sur le feu, on veille au moindre frémissement. Cette fois, avec un recoupement des sources et des informations puisées au plus proche du dossier, on peut avec beaucoup d'intime conviction affirmer que la cession de Richard Mille à un groupe coté est imminente, la communication publique de l'opération dépendant du propre échéancier médiatico-financier de ce repreneur. De même, côté Richard Mille, pour des raisons de logistique interne et de subtilité dans l'entrelacs des sociétés, ce rachat ne semble pas non plus très facile à orchestrer et à finaliser...
 
 
 CONNEXION ARMORICAINE
Des estimations variables selon le périmètre concerné...
 
◉◉ Donc, au risque de se tromper et toujours de façon ni officielle, ni autorisée, le groupe Kering de François-Henri Pinault devrait logiquement reprendre la totalité ou la quasi-totalité de l'ensemble Richard Mille (marque, usine, réseau) pour une somme encore inconnue. Les hypothèses les plus folles circulent, entre 300 et 800 millions, le tout exprimé tantôt en francs suisses, tantôt en dollars ou tantôt en euros, parfois dans les trois devises tellement le montage est complexe et tellement il concerne le monde entier. Tout dépendra évidemment du périmètre exact de l'opération, encore inconnu à ce jour.
 
 Estimation Business Montres : pour s'offrir 100 % de la marque Richard Mille, Kering devrait investir de 300 à 350 millions de francs suisses, disons autour de 320 millions, auxquels il faudra ajouter les ateliers flambant neuf des Breuleux (Jura suisse), les participations dans les sociétés locales de distribution et les 10 % d'actions encore détenus par Audemars Piguet. De quoi valoriser le nouvel ensemble Richard Mille – l'outil manufacture, l'outil commercial et l'outil marketing (avec un goodwill non négligeable) – aux alentours de 450-480  millions de francs suisses. Ce qui ferait de l'opération Richard Mille le plus fantastique coup financier personnel (pour les co-actionnaires) du troisième millénaire : pour qui sonne le... gras ? Savoir comment ces millions seront versés, dans quel délai et avec quelle obligation contractuelle pour Richard Mille, qu'il s'agit évidemment de conserver dans l'entreprise, relève de l'anecdote subalterne...
 
◉◉ Comment expliquer cette vente, alors que la marque semblait caracoler dans l'Olympe des nouvelles « grandes marques » de référence en Suisse ? Ce n'est pas une question de bonne santé économique : la marque réalisait un chiffre d'affaires d'environ 110-115 millions de francs suisses (estimation Business Montres) pour un peu plus de 2 000 montres vendues, avec un EBITDA situé autour des 25-30 % du chiffre d'affaires (estimation Business Montres) – résultat qui est considérable compte tenu des 20 à 25 % de dépenses marketing globales. On remarquera ici que la valorisation de la marque elle-même correspond aux habituels multiples du marché. Pour ce qui concerne le chiffre d'affaires (autour de trois fois) comme pour le résultat opérationnel (autour de dix fois), avec une survaleur considérable liée à l'image de la marque et à la personnalité charismatique – donc, à force valeur ajoutée marchande – de son créateur...
 
 Analyse Business Montres : vendre maintenant était une option stratégique indispensable, compte tenu de la mutation des marchés du luxe et de la situation de la société. D'une part, les groupes de luxe pèsent de plus en plus sur ce marché et bloquent les initiatives des marques indépendantes, auxquelles les groupes mènent désormais la vie dure en termes de concurrence chez les fournisseurs, chez les détaillants ou dans les médias. L'espace vital et les terrains de manoeuvre se raréfient pour les marques indépendantes, même pour Richard Mille. D'autre part, le poids des années commençait à se faire sentir sur une maison qui était restée plus proche de la start-up que de la multinationale. Résister à la pression des groupes exigeait de lourds investissements dans la professionnalisation accélérée de l'outil (maturation du réseau commercial, ouverture de nouvelles boutiques, lancement de nouvelles innovations, fiabilisation d'un outil manufacture performant, renforcement de la promotion). Perspective qui aurait sérieusement érodé le cash flow de l'entreprise en la plaçant, pour quelques années, dans une situation concurrentielle défavorable. La posture indépendante était devenue intenable : si le glas sonne, c'est pour une certaine vision de l'horlogerie indépendante dans les années 2010. Pour grossir et exister, il fallait s'adosser à plus puissant que soi. Donc vendre...
 
 Autre analyse Business Montres : la marque Richard Mille se trouvait à croisée des chemins, avec une montée des périls extérieurs, mais aussi une résurgence des difficultés internes. C'est ce qu'on appelle la « convergence des catastrophes ». Engagée dans de nombreux sports (tennis, polo, course automobile en F1, rallye, golf, athlétisme, etc. : les champions coûtent très cher, surtout quand ils sont sur le podium mondial), la marque s'essoufflait à suivre ce rythme promotionnel, devenu indispensable et vital pour soutenir l'image et les ventes. Forte de sa réputation innovatrice, la marque s'asphyxiait également à se maintenir à un niveau pionnier de premier rang : les avancées de ces dernières années ont d'ailleurs plus concerné les matériaux que la mécanique, domaine qui réclame des investissements longs, coûteux et toujours hasardeux, surtout avec la tension sur le marché des motoristes indépendants auxquels Richard Mille avait confié le développement de ses projets. Sur le terrain, quoique maintenues à un bon niveau par une augmentation vertigineuse des prix, les ventes marquaient également le pas. Grandir seul n'était plus possible, surtout avec l'explosion des prix de l'immobilier commercial dans les grandes capitales du monde. C'était maintenant qu'il fallait vendre. Mais à qui ?
 
 
◉◉ Une fois cette option stratégique de revente adoptée, encore fallait-il trouver le bon repreneur ! C'est-à-dire le groupe ou l'investisseur le plus culturellement compatible avec l'esprit Richard Mille [la marque portant son nom, le créateur n'entendait pas galvauder celui-ci dans des aventures incertaines], le plus intellectuellement compatible avec les principes de l'entrepreneuriat horloger et le plus motivé commercialement par l'intégration d'une marque de haute horlogerie innovante dans son portefeuille d'activités. Un cahier des charges qui excluait, a priori, des apporteurs de fonds non européens et extérieurs au luxe. On pouvait également enlever de cette liste des acheteurs possibles un candidat comme le Swatch Group [incompatibilité culturelle], Audemars Piguet [actuel co-actionnaire, mais le morceau était un peu gros pour la taille et les finances de l'entreprise], l'ensemble Chanel [les frères Wertheimer sont plutôt à la recherche d'une manufacture de mouvements de haute horlogerie] ou le groupe Hermès, dont l'horlogerie n'est pas la motivation prioritaire [il n'a d'ailleurs pas toujours eu la main heureuse dans ce domaine]. Restaient trois acteurs possibles...
 
 Le groupe LVMH : le dossier Richard Mille n'y a pas été examiné avec un débordement d'intérêt. Pour une bonne raison : la marque Richard Mille ne présente pas – aux yeux des auditeurs de LVMH – le potentiel de croissance (et donc d'explosivité boursière) que le groupe avait décelé dans Hublot, que Bernard Arnault entend positionner précisément en concurrence de Richard Mille, marque qui aurait alors doublonné avec cette stratégie horlogère sans pour autant faire varier de façon significative, avec ses 120 millions de chiffre d'affaires, le cours de l'action LVMH. Donc, nolle prosequi...
 
 Le groupe Richemont : une marque comme Richard Mille y avait sa place, en même temps que d'anciennes et fortes complicités dans la place, mais elle s'avérait finalement trop « modeste » pour faire bouger les lignes sur le marché boursier comme sur le terrain horloger. Ce n'était pas une question de cash, puisque le « trésor de guerre » de Richemont est confortable, mais de motivation et d'allocation judicieuse des ressources : le demi-milliard qu'on aurait dû payer pour Richard Mille sera bien mieux employé pour faire grossir et rendre encore plus fortes les marques fortes du groupe (Cartier, Montblanc, Jaeger-LeCoultre, IWC). Donc, non, merci, cher ami...
 
 Le groupe Kering : François-Henri Pinault veut consolider son groupe dans le luxe et il peut faire de Richard Mille le diamant de sa couronne horlogère et joaillière, avec une intégration logique et facile dans une pyramide de marques désormais bien étagée et récemment renforcée de nouveaux venus comme Pomellato ou Qeeling. Il était tout aussi logique et facile de s'entendre avec Richard Mille, le groupe ayant toujours préféré maintenir en place les équipes dirigeantes et les fondateurs des entreprises logées sous l'ombrelle Kering. Là encore, le cash ne manquait pas : on pourrait même dire que la FNAC [dont le groupe est en cours de désengagement] paiera pour Richard Mille. Un élément supplémentaire dans les raisons de ce rapprochement : on sait l'attachement ethno-culturel des Pinault aux landes à l'ombre du Gwenn Ha Du, le drapeau breton) et on peut imaginer que la famille Pinault aura des choses à dire à Richard Mille, nouveau seigneur armoricanophile du château de Monbouan (Ille-et-Villaine : ci-dessous). Donc, soyez le bienvenu, M. Mille...
 
 
◉◉ Cher payé, pas cher payé ? L'histoire le dira, mais on se souviendra que le rachat par Richemont de l'ensemble Jaeger-LeCoultre, IWC et A. Lange & Söhne avait soulevé l'ironie des commentateurs, dont plus un seul ne se risquerait aujourd'hui à maintenir que c'était une mauvaise idée. Même réflexion pour le milliard dépensé par le Swatch Group pour s'offrir Harry Winston : sur le papier, c'est beaucoup ; sur le terrain et en mettant la marque en perspective, c'est raisonnable ! Côté Richard Mille, ce rachat intervient de façon providentielle avant une rechute possible de toute l'industrie dans la crise : donc, c'est une superbe opération, menée avec un opportunisme certain. Côté François-Henri Pinault, c'est allumer un réacteur pour propulser un peu plus haut la fusée du luxe Kering. La scission avec Audemars Piguet privera fatalement Richard Mille de quelques mouvements, mais on trouvera d'autres du côté de chez Girard-Perregaux. Le groupe a une culture commerciale solide, une culture marketing qui sait donner du temps au temps et une culture horlogère qui devient de plus en plus consistante...
 
◉◉ Une intéressant débat dans les semaines à venir : en 2014, SIHH ou pas SIHH pour la marque Richard Mille ? Baselworld tout court ou SIHH + Baselworld ? Richard Mille n'avait été admis au SIHH que par l'entremise de son actionnaire Audemars Piguet : il serait douteux que le comité des exposants insiste beaucoup pour conserver un pion de Kering dans la place, surtout après la défection antérieure de Girard-Perregaux et de Jeanrichard. La seule crainte serait de voir Parmigiani et Ralph Lauren en profiter pour jeter l'éponge, le SIHH devenant un pur événement Richemont. Problème : où loger Richard Mille à Baselworld ? Rez-de-chaussée obligatoire, mais l'espace Kering (Gucci, Girard-Perregaux, Jeanrichard) explose déjà. Pourquoi ne pas basculer tout Kering à la place occupé cette année par Swatch [on rappellera ici qu'il s'agissait d'un stand purement provisoire et dédié au 30e anniversaire de la marque] ? Une manoeuvre qui libèrerait de la place au fond du Hall 1.0 tout en animant une partie de ce Hall 1.0 relativement désertée cette année...
 
 
◉◉ Quelques raisons d'avoir des doutes ? La pertinence de l'opération Kering est questionnable. Ces raisons tiennent à l'évolution des marchés : moins disruptives que dans les années 2000, les montres Richard Mille sont devenues plus classiques, ce qui les affadit auprès des early adopters tout en confrontant à des montres de marques beaucoup plus légitimes du fait de leur histoire ou du poids de leur communication : il faudra donc choisir une posture plus radicale, capable de se démarquer d'une concurrence toujours plus active, tout en consacrant de volumineux budgets à cette réassurance sur le repositionnement de la marque. Pas facile et toujours coûteux ! De même, il ne faut pas attendre de Richard Mille un emballement du chiffre d'affaires à la Hublot : banaliser l'offre [la tentation de doubler ou de tripler trop vite la production, pour accélérer le retour sur investissement] serait tuer la poule aux oeufs d'or, surtout sur un marché qui se cherche de nouveaux repères dans le luxe. L'apprentissage de la maturité induit une phase de calme pour une marque qui a toujours été très remuante dans ses initiatives et qui a donc été très suivie et très imitée par les autres. Attention à la pause créative qui pourrait être mal interprétée !
 
◉◉ Quelques raisons d'avoir confiance ? La manoeuvre Kering reste tout de même assez géniale pour le groupe. Richard Mille (l'homme) sera toujours le meilleur atout de Richard Mille (la marque). N'étant pas enfermé dans une grammaire stylistique contraignante, il dispose de la plus totale liberté formelle pour évoluer. De nouveaux champs d'expression s'offrent à lui, notamment pour étirer ses gammes vers des produits plus accessibles et plus en phase avec des marchés récessifs. Charismatique dans un style impertinent mais consensuel, il aura désormais les mains libres et les ressources nécessaires pour donner vie à tous les rêves inassouvis – nous parlons ici des rêves professionnels – qui sont les siens depuis qu'il s'intéresser aux ontres. Au début des années 2000, il avait osé rêver fort pour réveiller une horlogerie assoupie. La réussite lui donne maintenant les moyens de rêver grand pour graver son nom dans le marbre de cette histoire horlogère qu'il connaît beaucoup mieux qu'on ne l'imagine. La boîte à outils Kering lui permet désormais de rêver loin pour d'inscrire sa maison dans la durée. Il sait faire. Il peut faire. Maintenant, il doit faire...
 
 
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