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RÉTROVISEUR 2020 #06 (accès libre)
S’il fallait garder dix « mots » de l’horlogerie en 2020, on choisirait lesquels ? (première partie)

L’horlogerie aura tout de même beaucoup appris au cours de cette année pandémique qui a fortement bousculé ses idées reçues ! Que d’illusions perdues ! Que de certitudes vaporisées par le basculement des marchés ! Et que de nouveaux mots pour tenter de décrire et décoder le monde d’après : en voici une dizaine (première partie)…


La première chose qu’on doit rappeler à propos de cette année pandémique est qu’elle a fait relativement peu de victimes « sanitaires » dans l’industrie des montres : la jeunesse de la population horlogère l’a sans doute préservée du grand coup de faux qui a décimé les seniors. Même pas mal ! Reste que plus rien ne sera plus jamais comme avant après l’éclatement définitif de la « bulle » horlogère des années 2010. Tout a changé, même les mots et on serait d’ajouter… même la langue ! Inutile de rappeler que la « langue officielle » et véhiculaire de l’horlogerie est et reste le français…

En 2020, le recul du français dans l’horlogerie a été spectaculaire, avec l’introduction de vocables plus ou moins franglais qui ont amplifié une anglophonie approximative, mais déjà délirante dans les états-majors horlogers. On parle désormais d’un zoom comme on parlait d’un frigidaire : l’application est devenue le mot générique ! Le home office, voire le WFH (« Working from Home ») supplante le télétravail : ce ne sont pas le distanciel, et encore moins le présentiel, qui vont s’imposer en 2021 dans les zoom rooms des salons qui ne répondent plus qu’à des noms anglo-saxons (Hour Universe à Bâle et Watches & Wonders à Genève)…

Hormis ces néo-anglicismes plus ou moins dérivés d’un anglais bricolé en confinement (« Tu n’as qu’à scroller jusqu’au link en footpage du whatsapp que je t'ai forwardé pendant notre conf call »), un certain nombre de mots sont revenus inlassablement dans les conversations. Nous en avons sélectionné une dizaine qui ont joué les révélateurs, les marqueurs ou les anticipateurs…

❑❑❑ TEMPS : c’est, en soi, un nuage de mots dans notre nuage de mots de l’année ! Que de locutions autour de ce temps suspendu par le confinement, sidéré par la pandémie, bouleversé par la multiplication des téléconférences, comprimé par l’activité chronophage du travail en ligne, étiré par une forme de retour à l’essentiel [qui n’est pas le temps décompté par les montres] et remis d’équerre par une nouvelle attention aux rythmes de la nature. Un temps qui a changé – provisoirement ou durablement ? – de texture et qui nous a fait passer du quantitatif au qualitatif. Un autre temps qui a ouvert la porte de nouveaux possibles. Cette année 2020 aura substantiellement mais durablement fait muter la relation au temps [peut-être même à l’espace, pour cause de confinement] de toutes les générations…

❑❑❑ POLARISATION : on le sentait, on le pressentait, on le devinait ou on le savait, mais la crise sanitaire a cristallisé cette prise de conscience concernant la structure du marché. Tout le monde admet maintenant cette notion de polarisation popularisée au printemps par les analyses de Morgan Stanley et LuxeConsult (Olivier R. Müller) : le marché se polarise autour d’une grosse poignée de marques qui trustent l’essentiel du chiffre d’affaires de l’horloger (moins de 20 marques assurent 85 % de l’activité) et autour d’une myriade de petites « marques de garage », d’ateliers créatifs et d’artisans horlogers économiquement insignifiants mais créativement géniaux. On voit ainsi la polarisation économique se doubler symétriquement et presque inversement d’une nouvelle polarisation créative. Le marché tranchera dans les années 2020 entre les vénérables maisons mainstream et les agitateurs d’idées de la nouvelle horlogerie…

❑❑❑ DÉMONDIALISATION : le monde d’après sera celui de la déglobalisation et du repli autarcique sur des espaces économiques autocentrés sur des « cultures » et des rêves historiques singuliers [les Amériques, l’Asie sinisée, l’Inde, l’Europe, la Russie, etc.]. Certes, les marchandises vont continuer à circuler à travers le monde, mais bien plus lentement et avec toujours plus de ces barrières que le grand vent de la mondialisation des années 2020 avait fait sauter. À la faveur de la crise sanitaire, les nations ont (re)pris conscience de leur identité nationale : la mode est à la relocalisation industrielle. Ce qui risque de changer la logique d’une horlogerie suisse qui avait pris ses aises [et ses profits] en déléguant discrètement à l’« atelier chinois » le soin de gérer son Swiss Made administratif…

❑❑❑ VIRAGE NUMÉRIQUE : c’était le mot d’ordre dans les états-majors, qui avaient tant tardé à préparer leur conversion numérique qu’ils ont été pris de court par un confinement et qu’ils ont dû improviser non seulement des procédures de télétravail [on dit « Home Office », c’est plus chic], mais aussi de nouvelles formes de communication online, à grand renfort de conférences zooms [« visio » serait plus classe] et de webcasts plus ou moins crédibles. En fin d’année, on réalise que ce virage numérique – revendiqué mais encore mal assumé – tient encore de l’incantation plus que de l’opérationnel : la tentation du retour à la manufacture, sur les chaînes, dans les ateliers ou dans les bureaux, reste plus forte que la conversion digitale – comment ne pas approuver Georges Kern (Breitling) quand il appelle à se méfier de l’actuelle surdigitalisation de l’horlogerie [surtout quand les États commencent à hausser le ton contre les GAFAM] ?

❑❑❑ AGILITÉ : le mot n’est pas propre à l’horlogerie, mais il a permis de discriminer les directions horlogères aptes au changement et celles qui l’étaient moins – voire pas du tout. Quelques équipes se sont mises en disposition de combat dès le mois de janvier : comme l’annonçait alors les éditoriaux de Business Montres, ces équipes avaient compris qu’une pandémie majeure allait profondément ébranler l’industrie des montres. Il s’agissait alors d’être agile pour imaginer de nouveaux vecteurs de communication vers les détaillants, les fournisseurs, les médias et les amateurs. Les moins agiles se sont contentés d’une pensée magique qui reposait sur l’invocation d’une imminente reprise en « V », en prenant le moindre courant d’air pour le grand souffle du renouveau. Fin 2020, on a pu déceler une nouvelle polarisation très nette entre les marques qui avaient contenu la crise et celles – moins agiles, voire totalement ankylosées – qui l’avaient subie en encaissant des baisses hallucinantes de chiffre d’affaires [on parle de 70 % à 80 % pour certaines « grandes maisons », qui ne sont pas près de recoller au peloton de tête d’ici à quelques années]

❑❑❑❑ À SUIVRE

❑❑❑ RÉTROVISEUR 2020 #07   : S’il fallait garder dix « mots » de l’horlogerie en 2020, on choisirait lesquels ? (seconde partie)

 LES PRÉCÉDENTES SÉQUENCES 

 RÉTROVISEUR 2020

❑❑ #05  : Les quatorze bons souvenirs horlogers que nous pouvons garder de cet ahurissant millésime 2020 (seconde partie : Business Montres du 2 janvier)

❑❑ #04  : Les quatorze bons souvenirs horlogers que nous pouvons garder de cet ahurissant millésime 2020 (première partie : Business Montres du 1er janvier)

❑❑ #03  : Les vingt personnalités horlogères de l’année 2020 – troisième partie (Business Montres du 23 décembre) 

❑❑ #02  : Les vingt personnalités horlogères de l’année 2020 – deuxième partie (Business Montres du 22 décembre 

❑❑ #01  : Les vingt personnalités horlogères de l’année 2020 – première partie (Business Montres du 21 décembre )


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