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EN VERT ET CONTRE TOUT (accès libre)
Un vert, ça va – tout le monde en vert, bonjour les dégâts !

Monotone monomanie monochromique : le vert est brutalement devenu la teinte fétiche de ce printemps 2021. Quasiment toutes les marques ont pris un vert, les « croûtons de Panurge » qui ont oublié de s‘y mettre se promettant bien de le faire dare-dare. Autant en emporte le vert ?


Les horlogers suisses ont donc eu vingt-quatre mois [depuis Baselworld 2019] pour marquer leur territoire, raffermir leur identité et approfondir leur singularité. Le tout dans une situation de confinement et d’isolement qui auraient dû exacerber l’originalité des expressions stylistiques. Vingt-quatre mois pour rien, apparemment, puisque tout le monde s’est empressé de débarquer, avec un ensemble touchant, avec les mêmes cadrans verts à Watches & Wonders 2021 – il est plus rapide de compter les exceptions à cette implacable marée verte que les trente-trois moutons de Panurge qui ont choisi de se présenter en vert et contre tous… Le « tous » désignant tous les concurrents, qui ont aussi repeint illico leurs cadrans en vert (remerciements à l'équipe graphique Grim & Watchpassionner pour l'illustration ci-dessus).

Une monochromie qui interpelle, tant pour l’endogamie clandestine qu’elle suppose que pour le panurgisme esthétique qu’elle révèle – avec le risque supplémentaire qui se dessine : celui d’une lassitude accélérée des amateurs et d’une démode aussi brutale que la mode verte de ce printemps. Le ver est dans le fruit : on peut donc d’ores et déjà se demander ce que sera le « nouveau vert », dont l’irruption est prévisible pour l’hiver prochain…

• L’air du temps n’a pas grand-chose à voir avec ce verdissement horloger : ce n’est pas parce que la verte attitude des écologistes ou les étendards verts du prophète triomphent ici et là sur cette planète que les cadrans se sont engazonnés. On doute également – mais le soupçon subsiste – que cette vague verdelette ait un rapport avec la passion des Asiatiques pour le jade. Si le vert est le « nouveau bleu », qui était il y a peu le « nouveau noir », qui était lui-même auparavant le « nouveau blanc », ce n’est pas une fatalité idéologique ou géopolitique. On doit également pouvoir éliminer la piste des « cahiers de tendance » qui influencent la mode : les équipes horlogères ne les pratiquent généralement pas et en sont largement déconnectées…

• L’endogamie endémique des « créatifs » suisses est une piste plus intéressante : elle s’explique en grande partie la consanguinité géographique de l’industrie horlogère suisse – notamment pour ce qui concerne la sous-traitance. Toutes les abeilles de tous les bureaux d’étude butinent à peu près dans les mêmes bistrots des mêmes vallées et chez les mêmes cadraniers : les échantillons mis au point pour les uns ne sont pas perdus pour les autres. Il se crée ainsi, de fabrique en fabrique et de bistrot en bistrot, une sorte de grammaire pigmentaire commune et une forme de consensus chromatique qui n’échappe à l’uniformité que par les nuances d’une couleur qui n’est imposée par personne, mais qui s’impose à tout le monde. Vert pomme pour les uns, vert olive pour les autres, vert de peur pour tous ceux qui ont choisi de ne rien choisir en s’abandonnant au mainstream

• Le panurgisme créatif : l’incroyable allergie au risque développée par les responsables horlogers – victimes de leurs actionnaires autant que de leur tropisme velléitaire – génère une sainte trouille de ne pas faire « comme les autres » et accélère un peu plus encore le recours sécurisant aux mêmes options chromatiques. Personne n’a donné le feu, mais pas un ne passerait au rouge ! C’est aussitôt la ruée des créatifs encroûtés vers une ennuyeuse monochromie : les « croûtons » de Panurge ont donc choisi de nous plonger, sans nous demander notre avis sur cette volée de bois vert, dans un bain de sinople souvent pimpant [« sinople » étant le vert héraldique], parfois même élégant, mais fréquemment glauque, bilieux ou blafard.

• Cette saisonnalisation chromatique de l’horlogerie pose le problème de sa dé-saisonnalisation : elle fait exploser les contradictions d’un calendrier distendu entre la constante de temps qu’impose la mode [généralement une ou deux saisons] et la constante de temps qu’impose la production artisano-industrielle d’une montre [généralement une ou deux années]. Cherchez l’erreur ! Une aussi massive ruée vers l’or vert appelle mécaniquement une usure rapide de cette fonction chlorophyllienne et une inévitable fatigue mentale, qui débouchera sur la quête d’une nouvelle « couleur de l’année ». Pas sûr que l’horlogerie ait beaucoup à gagner dans cette course saisonnière à l’échalote verdoyante…

Un vert, ça va : trente-trois verts, ou tout le monde en vert, bonjour les dégâts ! Dans son poème Voyelles, Arthur Rimbaud nous assure en vers que le U est vert :

U, cycles, vibrements divins des mers virides, 

Paix des pâtis semés d’animaux, paix des rides 

Que l’alchimie imprime aux grands fronts studieux…

Si on peut apprécier en gourmet ces « vibrements » des mers « virides » [racine latine qui exprime la couleur verte »], Rimbaud nous déconcerte clairement par le vert pacifique des rides qui viennent aux grands fronts (?). Pour ce printemps 2021, on aurait plutôt tendance à considérer cette vague verte comme la couleur un peu nauséeuse des lendemains de fêtes, celle des petits matins livides et des gueules de bois. L’horlogerie a beaucoup chanté au temps chaud « nuit et jour à tout venant » (La Fontaine) : elle n’a plus maintenant qu’à danser en vert et contre tout…


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