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CRI DE RAGE (accès libre)
« Dans les années à venir, les dégâts seront sans précédent pour l'industrie horlogère »

Ce n’est pas un coup de gueule : c’est un cri de rage ! C’est un texte écrit à chaud, les larmes aux yeux, par un acteur de l’industrie des montres qui ne peut évidemment pas le signer, alors que 99,9 % des membres de la communauté horlogère pensent la même chose. On vous le livre « brut de décoffrage », quasiment sans retouches…


L’industrie horlogère traverse une énième crise de surcapacité. Il y a des causes objectives, comme la situation géopolitique et la force du franc, mais surtout, elle fait face à un énorme déficit de compétences dans les maisons des grands groupes (LVMH, Richemont, Swatch), incapables de tenir une ligne de croissance raisonnable, de planifier, de « sentir » le marché, et enfin de mettre en place une organisation suffisamment agile pour anticiper les changements.

Les causes sont toujours identifiables. Contrairement à la crise du covid, elles sont cette fois multifactorielles, comme souvent dans les grandes catastrophes…

• La première est exogène : la chute de la demande en Chine intérieure et l’effondrement de son modèle de travel retail (avec Hong Kong et Macao en figure de proue, mais également présent dans tous les lieux touristiques du monde). Le mirage Hainan en est le symbole : paradis du duty free, mais bien loin d'offrir pour les Chinois et pour les marques les mêmes avantages que Hong Kong et Macao. La situation géopolitique mondiale a par ailleurs pesé et continuera de peser lourd sur les biens de luxe en général, et l'horlogerie en particulier. Ce n'est pas tant que le détaillant israélien Padani, le Russe Mercury ou l'Ukrainien Noblesse portaient à eux seuls la croissance de tout le secteur, mais l’instabilité générale créée par les terribles conflits régionaux casse des pans entiers de business. Quant aux États-Unis, il est trop tôt pour voir des signes de reprise. La réélection de Trump renforcera probablement la polarisation d’un marché qui laisse déjà peu de place aux marques horlogères en dehors des Big Four (Audemars Piguet, Rolex, Patek Philippe, Richard Mille).

• Accessoirement, on note aussi la force du franc, qui, s’il est un facteur limitant, n'est pas, comme on voudrait le faire croire, déterminant dans la crise actuelle.

• La deuxième et principale cause est endogène. Les marques ne savent toujours pas gérer leur croissance, et elles se sont presque toutes lancées dans une stratégie Retail First, obsédées par la maîtrise de leurs marges. Même Rolex s’y est mis, prudemment certes, avec le rachat de Bucherer. Cette course à l'internalisation de leur distribution s'est faite au mépris de leurs distributeurs historiques, écartés des lieux rentables, privés de produits emblématiques (Speedmaster, Monaco, Portugieser , Reverso) et laissés sans aide marketing. Les budgets sont désormais dédiés à la communication corporate, avec un accent particulier sur les canaux numériques, considérés comme le nouvel accélérateur de croissance. Ironiquement, ce modèle retail, censé offrir une transparence totale sur les besoins des clients et sur le niveau des stocks mondiaux, n'a pas empêché l'explosion des stocks de produits finis. Même le rééquilibrage des stocks entre les marchés, pourtant utile pour optimiser leur rotation, a été peu utilisé. Les marques se retrouvent une nouvelle fois dans une situation de surcapacité comme on n'en avait pas vu depuis longtemps.

• La conséquence pour les fournisseurs est absolument terrible. Dans les ateliers de l’Arc jurassien, l’année 2024 s’achève sur une nouvelle vague d’annulations de commandes par les maisons les plus prestigieuses, qui n’hésitent plus à revenir sur leurs engagements envers la sous-traitance après avoir éliminé leur main-d'œuvre temporaire et poussé celle qui était devenue trop chère vers la sortie (le vieux chef d'atelier, l'horloger qui est en retard, le polisseur sans « soft skills », etc.)…

• Les sous-traitants, qui souffraient déjà de la baisse des volumes liée à la stratégie « retail/augmentation du prix moyen », se voient désormais amputer de commandes fermes, les plaçant dans une situation très délicate. La situation devient presque grotesque lorsque ces grandes maisons, qui vantaient en interne les performances de leur supply chain et de leurs systèmes de prévisions, demandent à l’État la réduction des horaires de travail (RHT) pour limiter les dégâts sur leur profitabilité [à l'exception de Swatch, attitude exemplaire sur les RHT, et il faut le souligner ici]

Les difficultés actuelles sont évidemment dues à un désastre managérial. Les comités de direction pilotent les niveaux de stocks sur les marchés avec un amateurisme consternant. Cela fait des années qu’ils expliquent que, grâce à l'analyse des données et à l'utilisation de l’intelligence artificielle, ils peuvent prédire ce que les clients vont acheter dès le lancement des produits. Ces mêmes CEO/CMO, qui expliquaient aux détaillants lors des salons horlogers et aux fournisseurs lors des conventions EPHJ/SSC que les futurs best-sellers étaient dorénavant identifiés via le reach, l'engagement ou le taux de clics. L’industrie, qui clamait tout haut qu'elle avait enterré la logique du sell-in et que les salons horlogers avec ses retours qualitatifs des détaillants étaient devenus obsolètes, est aujourd’hui face à ses contradictions.

Bien sûr, certaines marques résistent mieux que d'autres, notamment celles qui sont indépendantes ou familiales et moins soumises à des impératifs financiers à court terme (Rolex, Patek Philippe, Audemars Piguet, Richard Mille, F.P. Journe), mais c'est l'arbre qui cache la forêt, et les dégâts seront sans précédent pour l'industrie horlogère dans les années à venir. L’année 2025 sera catastrophique [Business Montres annonçait le ralentissement des ventes depuis début 2023]. Personne ne sait quand le marché se redressera, mais on trouvera encore des managers pour nous expliquer pourquoi il faudrait produire plus, vendre plus cher et augmenter les marges, plutôt que de concevoir des modèles économiques résilients, capables de supporter une pandémie mondiale ou des guerres régionales.

▶▶▶ NOTE DE BUSINESS MONTRES

Que dire après un tel cri du cœur, qui résume à grands traits une partie de maux dont souffle l’industrie des montres ?

• Que ressentir, sinon son écœurement face à une caste de managers qui, non contents d’avoir rien appris des crises précédentes, n’ont rien vouloir voir de l’arrivée de la crise en cours, de ses premiers développements et de leur propre enlisement dans une ornière d’où ils ne sont pas près de sortir ?

• Qu’exprimer de plus, sinon une vraie indignation devant ces bergers qui ont précipité leur troupeau dans le gouffre, en criant au loup contre les rares indépendants – ces pelés, ces galeux ! – qui osaient les contredire : c’est pourquoi il était urgent de blacklister les voix dissidentes en les privant de tout accès à Watches & Wonders, et parfois même de tout accès à leurs services de communication ?

• Que constater encore, sinon l’aberrant silence des médias perroquets qui n’ont toujours pas annoncé [à quelques nouvelles exceptions près] que tout n’allait pas très bien, Madame la Marquise, et tout irait encore plus mal dans les mois qui viennent ?

Vous avez aimé 2024, qui était déjà une année difficile, presque « sauvée » in extremis par différents artifices comptables, pas vraiment honorables, ni parfaitement légaux ? Vous allez adorer 2025, année cyclonique franchement désastreuse et ravageuse, au cours de laquelle des états-majors horlogers, clairement déstabilisés et désemparés, vont achever de démontrer leur parfaite incompétence et l’urgente nécessité de faire table rase et de leur présence, et du passé où ils veulent nous engluer…

G.P.

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