> 

BUSINESS MONTRES ARCHIVES (accès libre)
Il y a cinq ans exactement, l’Apple Watch première génération débarquait en boutique

Que pensait « Business Montres » de cette Apple Watch, le 24 avril 2015, il y a très exactement cinq ans jour pour jour ? Avec le recul, il n’y a pas grand-chose (ou si peu) à retirer de nos analyses d’alors : nous évoquions une attitude… « swissidaire » de la part des horlogers suisses ! Soixante mois ont passé, mais rien n’a changé – ou si peu…


Rappelons que Business Montres menait depuis trois ans, à l’époque de la parution de cet article, un combat quasi-quotidien pour alerter les horlogers suisses du danger de ces montres connectées. Dans tous les états-majors horlogers suisses, on s’était persuadé que le lancement de cette Apple Watch allait être un colossal bide commercial : « Il n’y a pas de marché », nous juraient les gourous de la montre. « Et ce n’est d’ailleurs pas une montre », nous précisaient-ils…

Ce n’est pas que nous savions alors que cette Apple Watch allait, en trois ans (2018), parvenir à imposer Apple comme le « premier-horloger-du-monde », en volume comme en valeur. Au point de voir la Californie vendre chaque année plus de montres Apple Watch que tous les horlogers helvétiques réunis ne vendent de montres suisses ! C’est simplement que nous pensions que ça pouvait arriver et donc qu’il était temps de prendre des dispositions pour éviter le dynamitage par la base de la pyramide des marques suisses. Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? On conserve cette posture swissidaire ou on reformate notre logiciel de travail ?

Ce 24 avril, date de l'arrivée (théorique) 

de l'Apple Watch en boutique, sera-t-il le jour 

où on a planté le premier clou sur le cercueil 

de l'horlogerie traditionnelle en Suisse ?

Swissidaire, l'attitude des horlogers suisses face aux dangers annoncés de l'Apple Watch et de toutes les autres montres connectées ? Après deux ans de procrastination, tout le monde est au pied du mur : l’avenir commence aujourd'hui !...

C’est donc aujourd’hui que les premières Apple Watch font leur première apparition dans les boutiques – enfin, pas dans tous les Apple Stores – et dans une sélection de concept stores triés sur le volet [notamment chez Colette, à Paris, ou 10, Corso Como, à Milan] pour renforcer l'image branchée (hype) de la montre et ajouter à son lustre médiatique. Ce lancement a été complété par l'apparition de différentes images de l'Apple Watch au poignet de prescripteurs comme Karl Lagerfeld, dans des versions luxueuses qui feront rêver et vendre à défaut de se vendre elles-mêmes.

La bataille commerciale s'est jouée en ligne, avec des pré-commandes qui atteindraient maintenant les trois millions de pièces et des délais de livraison qui s'allongent – volontairement (pour créer artificiellement un effet de pénurie déclencheur de pulsions d'achat) ou involontairement (par défaut logistique), c'est un autre débat. Tout comme relève d'un autre débat, et d'une observation attentive de la courbe ultérieure des ventes, la question de savoir si ces trois premiers millions de ventes en deux semaines nous poussent vers les 20 millions de montres écoulées dans l'année ou si Apple a fait le plein de la demande potentielle : nous verrons bien…

Inutile de préciser que jamais un objet de poignet suisse n'a connu un tel succès en aussi peu de jours, même à la grande époque de la folie Swatch, dans les années 1980 : ça devrait au moins faire réfléchir dans les chaumières horlogères suisses, mais il semblerait que non ! Une étude d'Intervista (Suisse) nous apprend que « les Suisses estiment, à 82 %, que l'industrie helvétique est prête à affronter l'arrivée des montres connectées, comme celle imminente de l'Apple Watch » (source : ATS). Il n'y a guère que quelques Romands à se dire plus préoccupés (24 %, contre 1 5 % des Alémaniques) et à estimer que les smartwatches représentent un danger à court terme – 33 % (contre 25 % d'Alémaniques) estimant que cela le sera à moyen et long terme. Merveilleuse et généreuse crédulité du patriotisme économique : comme l'écrit Zen dans Forumamontres, « les Suisses sont confiants, mais sont-ils conscients ? »...

Cette question de la conscience se pose effectivement. Rappelons que Business Montres a tiré la sonnette d'alarme il y a maintenant plus de trente mois, en vain pendant au moins deux ans, voire en suscitant des quolibets que beaucoup regrettent aujourd'hui. L'actuel retard à l'allumage oblige à déclarer que la première bataille contre l'Apple Watch a été perdue avant même d'avoir été livrée : comment imaginer que quelques dizaines de millions de montres connectées accrochées à tous les poignets, dans le monde entier, n'auront aucun impact sur l'industrie horlogère suisse ? Au-delà des anecdotes comme l'interdiction de la montre Apple sur le territoire suisse [révélations Business Montres des jours précédents] ou comme l'impossibilité pour Apple de lancer une iWatch (notre analyse Business Montres du 24 avril 2015 : «Pourquoi une grande marque comme Apple se prend-elle toujours des râteaux en Suisse ? »), on peut tout de même se demander si Apple a vraiment tout bien réussi, de la façon hyper-professionnelle qu'on prête à son omnipotence, dans ce lancement de l'Apple Watch. De temps en temps, on se demande si c'est de l'amateurisme ou du machiavélisme : nous pensons ici aux questions de logistique (production, livraison, etc.) et au marketing pas toujours très ferme. Une question posée franchement par le Washington Post (« Le lancement de l'Apple Watch n'aurait-il pas été bâclé ? »). On en vient même à se demander si l’Apple Watch est bien le produit sûr de lui et dominateur qui va révolutionner l'univers des montres connectées. Toute marque est faillible : Apple a essuyé de vrais échecs au cours de son histoire. Un seul exemple pour ce qui concerne l’Apple Watch : alors qu'il est évident que ce marché est en train d'évoluer vers des montres qui ressemblent de plus en plus à des montres classiques [on a désormais la certitude que la prochaine offre de Samsung sera ronde], Apple semble massivement miser sur le rectangle de la tout première iWatch. Autant dire que cette Apple Watch saison 1 sera très vite démodée : toute la puissance de l'écosystème Apple n'y pourra rien ! On voit également se développer de méchantes satires de la communication Apple : Business Montres (23 avril 2015) vous signalait récemment la vidéo du fameux Cyprien, mais vous en trouverez d'autres comme Apple Gold Watch Spoof. D'où l'interrogation du Monde : « Apple arrivera-t-il à sortir l’Apple Watch de l’univers du gadget et de la technologie, où étaient cantonnées jusqu’ici les montres intelligentes, pour l’installer dans celui des amateurs de montres, en concurrençant directement les horlogers ? ». Excellente question, merci de l'avoir posée...

❑❑❑❑ EN PRIME, UNE AUTRE ÉDITORIAL 

CONNEXE, PUBLIÉ TROIS JOURS PLUS TARD

Le Sniper a compris les deux erreurs d'analyse 

majeures de l'horlogerie suisse face aux smartwatches...

Une fois passé le classique réflexe conservateur  – le syndrome on ne peut plus répandu du « Ça ne marchera jamais » [souvenons-nous de l'extraordinaire publicité Renault sur ce thème : ci-dessous], qui a poussé les horlogers suisses à procrastiner pendant deux ans avant de comprendre que les smartwatches allaient bouleverser tout l'écosystème des objets de poignet, quelques marques ont décidé de réagir – bien timidement pour la plupart, et bien pauvrement – face à l'invasion des montres connectées.

Elles auront au moins sauvé l'honneur – ce qui n'empêche pas l'industrie des plus belles montres du monde d'avoir perdu, sans même l'avoir livrée, la première bataille du poignet du XXIe siècle. Dans les douze mois qui viennent, alors que la Suisse horlogère ne produira guère plus de 25-26 millions de montres (contre 28,6 millions de pièces en 2014, ce volume étant logiquement affecté par les achats de smartwatches), il devrait se vendre dans les 40 à 50 millions de montres connectées (celles d'Apple et des concurrents), non suisses, qui éjecteront forcément du poignet les montres suisses qui s'y trouvent déjà. Ces 40 millions de montres seront achetées, portées et utilisées par autant de consommateurs éduqués, globalisés (occidentalisés) et technologisés. Comme ces consommateurs (mâles ou femelles) n'ont qu'un poignet gauche et que 98 % des montres suisses sont prévues pour être portées au poignet gauche, sachant que les smartwatches seront très vite indispensables au quotidien, l'arbitrage sera vite vu : ce sera la montre connectée et fonctionnelle plutôt que l'objet de parade suisse.

La première erreur d'analyse était d'avoir pris cette offensive des montres connectées pour une confrontation entre produits – et non pour une opération de conquête territoriale du poignet ! La carpo-révolution était topologique, pas sociologique : Business Montres l'expliquait déjà il y a deux ans...

Seconde erreur d’analyse des états-majors horlogers suisses : ne pas avoir compris le reformatage matriciel qu'allaient imposer les smartwatches dans nos vies quotidiennes. Business Montres l'explique longuement depuis plus de deux ans. Apple vit prioritairement de la vente de ses applications : il était donc évident qu'il s'agissait, pour la marque à la pomme, de créer un environnement applicatif que sa richesse devrait immanquablement rendre incontournable [c'est le fameux écosystème Apple multi-outils et multi-canaux]. La survie d'Android (Samsung et les autres) passe par la création d'un écosystème concurrent, lui aussi tissé d'applications de vie quotidienne (privée ou professionnelle) ciblées pour devenir indispensables à la survie de chacun dans un système d'objets connectés. Avec un accélérateur supplémentaire pour cette impériosité d'équipement : la connexion (compatibilité logicielle) désormais possible entre les deux environnements, ce qui permettra aux smartwatches de demain de n'être plus prisonnières d'un seul univers. 

La question posée n'est plus, aujourd'hui : « Avec ou sans smartwatch ». C'est très nettement : « Quoi en plus d'une smartwatch » ? C'est pourquoi il faut préparer le coup d'après, la revanche, la saison 2, le Retour du Jedi, en guettant le moment où l'addiction aux montres connectées dégénèrera en saturation, puis en adoption de la déconnexion. Ce sera dans deux à trois ans [peut-être l'Apple Watch est-elle, en dépit de son succès commercial actuel, un nouveau iPod, bide sans descendance dont Apple déteste qu'on lui reparle], quand l'actuelle demande aura mûri et quand l'actuelle offre horlogère aura dépassé son carcan logiciel purement statutaire et ostentatoire. Bref quand des nouvelles marques auront reparamétré de nouvelles envies de montres, avec de nouveaux concepts à des nouveaux prix.

La carpo-révolution était matricielle, pas fonctionnelle : Business Montres ne cesse de l'expliquer – vox clamantis in deserto – depuis trente mois. Ci-dessous, une simple allégorie : Mars désarmé par Venus, de Jacques-Louis David (musées royaux des Beaux-arts de Belgique). À chacun d'essayer de comprendre comment Mars, fort de toutes ses armes et de tous ses muscles, vainqueur annoncé, s'est trouvé sans ressources face à une Vénus battue sur le papier, mais détentrice d'autres armes pour jouer avec d'autres règles du jeu...

❑❑❑❑ TEXTE ORIGINAL : « Ce 24 avril, date de l'arrivée (théorique) de l'Apple Watch en boutique, sera-t-il le jour où on a planté le premier clou sur le cercueil de l'horlogerie traditionnelle en Suisse ? » (Business Montres du 24 avril 2015)

❑❑❑❑ TEXTE ORIGINAL DU COMPLÉMENT : « Le Sniper a compris les deux erreurs d'analyse majeures de l'horlogerie suisse face aux smartwatches » (Business Montres du 27 avril 2015)


Partagez cet article :

Restez informé !

Inscrivez-vous gratuitement à notre newsletter et recevez nos dernières infos directement dans votre boite de réception ! Nous n'utiliserons pas vos données personnelles à des fins commerciales et vous pourrez vous désabonner n'importe quand d'un simple clic.

Newsletter