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BUSINESS MONTRES ARCHIVES (accès libre)
Comment on avait distribué quelques bonnets d’âne dans la catégorie design (seconde partie)

Histoire de désamorcer le facteur émotionnel, on ne va parler ici que de quelques nouveautés lancées voici… quatre ans – pas de quoi perturber leur commercialisation ! Les fautes sont évidentes et il faut absolument méditer sur cette discordance des temps. La suite nous a d’ailleurs donné raison pour au moins sept des neuf marques épinglées ci-dessous… Reste maintenant à se demander s’il ne faudrait pas faire la même revue de design avec les nouveautés de ce printemps 2020…


❑❑❑❑ À RELIRE : Dix grossières fautes de design horloger – première partie (Business Montres du 15 mai 2016) (texte original : Business Montres du 18 mai 2016)

BONNETS D’ÂNE #2

Dix grossières fautes de design horloger…

On s’étonne de les rencontrer 

chez des marques de ce niveau 

(seconde partie)…

C’est la discordance des temps : une faute – péché mortel ou péché véniel – qu’un peu d’attention ou de résolution horlogère aurait pu corriger. Le problème est que les marques de montres, généralement si tatillonnes dans leur approche mécanique ou si minutieuses dans leur planification industrielle, ont tendance à penser qu’elles peuvent facilement se passer des seuls vrais professionnels de l’esthétique horlogère : les designers de montres ! Un peu comme si les éditeurs de littérature estimaient pouvoir s’exonérer de faire appel à des écrivains. SOS vrais designers horlogers : il y en a de moins en moins, même si les « graphistes » et les imagiers numériques tout sortis d’école se ramassent à la pelle – ne pas confondre, c’est une question d’œil, de talent, mais aussi d’expérience et de culture. Pour cette seconde séquence, voici quelques fautes courantes récemment constatées (par ordre alphabétique de marques, et non de gravité de la faute)…

❑❑❑❑ LA FAUTE TYPOGRAPHIQUE (Rolex) 

C’est l’histoire d’un naufrage : celui d’une bonne idée, qui visait à relancer l’Air-King pour redonner un peu d’oxygène à l’entrée de gamme Rolex, marque confrontée à l’augmentation ahurissante de ces tarifs au cours de la dernière décennie [il fallait bien faire cracher du cash à la machine !]. On a donc mixé différents codes (logo Air-King, heures et aiguilles Explorer, chiffres du compteur de la fusée Bloodhound, reprise du logo coloré Rolex + couronne) dans un boîtier lourdingue, visiblement imposé par des contraintes de production (moins de temps machine, moins de polissage, etc.), plus que par le souci d’affirmer une identité Rolex qui n’a jamais été dénuée d’élégance [sauf depuis quelques années]. Le résultat est maladroit, confus et tout simplement raté : sept lignes de « textes » (huit en comptant le logo et la frise Rolex du rehaut) sur un même cadran, avec cinq typographies différentes (sept en comptant celles des chiffres) : c’est la surdose toxique !

❑❑❑❑ LA FAUTE IDENTITAIRE (Louis Vuitton)

Généralement, c’est quand on n’est pas sûr de soi et de son identité qu’on la surconnote au cas où certains auraient des doutes. Angoisse identitaire classique, mais réponse puérile : fallait-il que cette montre LV Fifty Five n’ait rien d’une Louis Vuitton et qu’elle ne se sente en rien Louis Vuitton pour s’astreindre à une telle surcharge identitaire ! Trois fois « Louis Vuitton » côté cadran + un LV et trois index en V. Autant de « Louis Vuitton » au verso et sur le bracelet. Y aurait-il un doute quelque part ? Ceci pour ne rien dire de la navrante banalité d’une montre dénuée de tout caractère, qui va chercher dans un vert bizarre – incohérent avec les codes de la marque – une touche de sex-appeal que son cadran dessiné à la truelle (les grands V et les index disproportionnés par rapport aux aiguilles trop fluettes) ne lui apporte pas. Ceci pour ne rien du bracelet, qu’on dirait acheté sur étagère à Shenzhen, capitale chinoise de l’horlogerie industrielle. Le coup des panneaux « Louis Vuitton » vissés à la hâte nous confirme dans l’idée que Louis Vuitton n’est décidément plus Louis Vuitton pour ce qui concerne les montres…

❑❑❑❑ LA FAUTE RIDICULE (Louis Vuitton)

Encore Louis Vuitton ? C’est pour ça que nous nous posions la question : « Y a-t-il un pilote dans l’avion » [nous parlions de l’horlogerie] ? Heureusement, la marque est française, nation horlogère où le ridicule ne tue plus – sinon, les designers de cette montre se seraient déjà jetés dans la Seine ! Il s’agit d’un « tourbillon volant Poinçon de Genève », conçu dans une logique « tripes à l’air » assez incompatible avec la tradition des belles montres genevoises, mais passons. Le résultat est assez pathétique, avec un style pudding qui mélange tout par exhibitionnisme mécanique [on nous montre même ce qui n’a aucun intérêt, comme le dispositif de mise à l’heure], forfanterie de nouveau riche fier de démontrer les capacités créatives (?) de sa manufacture genevoise [pas sûr que les clients de la marque soient réellement demandeurs] et design dans le goût marshmallow, ni clairement coussin, ni franchement rond, très mou, improbable et probablement invendu [si, si, on me jure que d’honorables amateurs philippins adorent : dont acte !]. Même conclusion qu’au paragraphe précédent : Michael Burke, qui opère actuellement le redressement de Louis Vuitton, a-t-il seulement appris qu’il disposait d’une division Montres, quelque part dans les étages de son siège social ?

❑❑❑❑ LA FAUTE CONCEPTUELLE (Panerai)

Fantastique, cette répétition minutes carillon tourbillon GMT pour une marque dont l’ADN est subaquatique depuis huit décennies et au moins nautique depuis deux décennies ! Pas de doute, c’est ce que les amateurs – les fameux Paneristi – devaient attendre de Panerai ! C’est du moins ce que la direction de la marque a compris… Il fallait donc lancer sur le marché une montre pour les tondre un peu plus et pour réaliser ce miracle commercial qu’est le fait de pouvoir « vendre moins pour gagner plus » ! Le rapport entre les codes nautiques (Panerai, Radiomir 1940, boîtier coussin, chiffres « instrumentaux », etc.) et la complexité mécanique d’un tourbillon qui sonne les heures grâce à un poussoir « déformant » la carrure ? Déjà que le squelettage « déformait » l’esprit Panerai, on est ici dans la faute conceptuelle majeure, l’erreur de casting intégrale, le plantage marketing stupéfiant – surtout avec un boîtier en or rose de 49 mm qui n’est étanche qu’à… 30 petits mètres, soit tout juste l’autorisation de prendre une douche !

❑❑❑❑ LA FAUTE CHROMATIQUE (Vacheron Constantin)

Pourquoi se battre sous les couleurs de ses adversaires quand on doit défendre son propre drapeau ? Il faudra poser la question aux designers de Vacheron Constantin, qui ont imaginé une superbe Overseas Heures du monde, avec 37 villes de référence [échelle déjà faussée par le récent changement d’heure au Venezuela] . Sauf qu’une des propositions de cadran (ci-dessous) est aux couleurs identitaires de… Louis Vuitton ! Il est vrai que Louis Vuitton (voir ci-dessus) ne semble plus, de son côté, avoir de couleurs à défendre. Reste que reprendre les couleurs de la concurrence est une bévue dangereuse : imagine-t-on une montre à dominante verte qui ne soit pas Rolex ? Ou un bracelet orange qui pourrait être autrement signé que Hermès ? Ou trois compteurs de chronographe en dégradés de couleurs qui ne soient pas un El Primero de Zenith ?

❑❑❑❑ LA FAUTE DYSHARMONIQUE (Voutilainen)

Même le plus génial des horlogers peut avoir ses faiblesses : celles de Kari Voutilainen ne sont pas mécaniques ; elles sont à chercher du côté de l’esthétique et notamment de sa palette chromatique, rarement juste et toujours un peu trop crissante pour être vraiment de bon goût. Manifestement, du haut de leurs solitudes péri-arctiques et avec un spectre solaire limité par la géographie, les Finlandais ne voient pas le monde avec les mêmes couleurs que les Européens des Alpes et de la Méditerranée. À la décharge de Kari Voutilainen, rappelons qu’il doit aussi faire tourner son propre atelier de cadrans et qu’il se fait plaisir en jouant avec une balance colorimétrique légèrement déréglée par le souci d’en rajouter dans la virtuosité et dans la maîtrise des métiers d’art. Est-ce vraiment ce qu’on attend d’une mini-manufacture mécanique comme la sienne ? Attention aux dérives du gongorisme décoratif et à des coquetteries esthétiques un peu surannées…

❑❑❑❑ TEXTE ORIGINAL : Dix grossières fautes de design horloger – seconde partie (Business Montres du 18 mai 2016)


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