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Les dix absurdités inventées, répandues et répétées par les mythomanes des marques horlogères (deuxième partie)

À force de se faire taper sur les doigts ou sur la tête par des articles comme celui-ci, les marques ont commencé à moduler plus subtilement leur storytelling pour éviter les opérations trop fracassantes de « fact checking ». Rien à redire à tout ce qui était écrit ici voici cinq ans, sauf que deux énormes mensonges ont été abandonnés (Swatch, Panerai, Perrelet-Sarton ou Rieussec-Moinet). Le combat continue…


❑❑❑❑ À RELIRE

« Les dix absurdités inventées, répandues et répétées par les mythomanes des marques horlogères » – première partie (Business Montres du 8 mai 2020) 

BULLSHITOLOGIE #1

Les dix absurdités inventées, répandues et répétées par les mythomanes des marques horlogères...

« Aussi bien que des individus, il a existé des époques mythomanes (...) Le Moyen-Âge, surtout du VIIIe au XIIe siècle, est un exemple de cette épidémie collective... Comme si, à force de vénérer le passé, on était naturellement conduit à l’inventer » (citation de l'historien Marc Bloch, Apologie pour l'histoire). Une symphonie pas très héroïque de mensonges, d'idioties et de fraudes – dans ordre alphabétique des marques concernées.

❑❑❑❑ TEXTE ORIGINAL

« Une symphonie pas très héroïque de mensonges, d'idioties et de fraudes » (Business Montres du 28 mai 2015)

ET PANERAI CRÉA LES PREMIÈRES MONTRES DE PLONGÉE…

Décidément, que de calembredaines enrobées de désinformation autour des montres qui s'enfoncent sous les vagues. Jusqu'aux brevets de couronnes vissées déposées par Rolex dès la fin des années 1920 [qu'on se souvienne de la traversée de la manche par Mercedes Gleitze, en 1927], toute immersion avec une montre restait aléatoire. En 1932, Omega se risque sous l'eau avec sa montre Marine, éprouvée physiquement à plus de 70 m de profondeur. D'autres marques suisses prétendent alors à cette étanchéité sportive. Dès 1935-1936, ce n'est pas Rolex qui ose – sous sa marque – les premières montres de plongée, mais c'est tout de même Rolex qui crée, sous la réf. 6152, des boîtiers particulièrement étanches dotées de mouvements de poche très endurants. Ce sont ces montres que la maison Panerai – spécialisée dans les équipements nautiques – achètera pour les revendre à la Marina militare italienne, qui en avait besoin pour ses nageurs de combat. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Rolex vendra également ces montres – toujours avec un cadran stérile – à la Kriegsmarine du IIIe Reich. De leur côté, les Alliés utiliseront, pour leurs équipes de saboteurs sous-marins (UDT : Underwater Demolition Teams), des montres étanches imaginées par Hamilton et Elgin. Les Soviétiques mettront au point leur Vostok Kama en 1952, mais leurs nageurs de combat avaient le plus souvent des « montres de scaphandrier » (montres de poche scellées dans d'épais boîtiers étanches). Il faudra attendre 1953 pour voir naître, chez Blancpain, la première montre de plongée vraiment moderne : la Fifty Fathoms (voir ci-dessous, dans le paragraphe Rolex). Et Panerai dans tout ça ? Jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale, il s'agissait de montres Rolex. L'unité des Arditi Incursori n'ayant été officiellement reconstituée en Italie qu'en 1952 [elle avait été interdite en 1945 tellement les Alliés la considéraient comme une dangereuse arme secrète], les premières vraies Panerai – celles qui n'étaient plus des Rolex, même si elles avaient des mouvements Rolex – ne seront disponibles qu'en 1953, après la mise au point de la Fifty Fathoms.

ET PERRELET RÊVA D'UN INVENTEUR IMAGINAIRE… 

Tous les historiens perroquets l'ont répété : « Perrelet, inventeur de la montre automatique en 1977 ». Et ils en restent persuadés, alors que les preuves historiques s'accumulent pour démontrer que les mouvements automatiques à rotor présentés comme étant de « Perrelet » correspondent en tous points au dessin présenté par Hubert Sarton, horloger liégeois, à l'Académie des sciences de Paris en 1778 (révélation Business Montres du 17 janvier 2010 – dessin ci-dessous exhumé par l'historien Joseph Flores). En revanche, les preuves de l'existence même de l'Abraham Louis Perrelet dont on nous parle commencent à manquer aux vrais historiens [pas aux compilateurs suisses !]. Comme certaines de ces montres attribuées à « Perrelet » ont été vendues, à des prix très élevés justifiés par cette attribution historique, à des musées et à des grands collectionneurs, personne ne veut se dédire ! On sait aujourd'hui que tout le storytelling autour de « Perrelet » était une mise en scène habilement orchestrée par Hans Wilsdorf, le créateur de Rolex, pour légitimer l'origine « encore plus suisse que suisse » du mouvement automatique qui faisait le succès de la marque à la couronne. La légende a également permis à une équipe de jeunes créateurs de lancer la marque Perrelet dans les années 1990, en imaginant un fil conducteur entre leur offre et cet horloger mythique, communément admis par le mainstream historique de l'époque : après avoir consacré de lourds budgets à rechercher des traces de ce « Perrelet », la marque a dû capituler et finir par admettre que ce « mythique Perrelet » – si tant est qu'il ait existé – n'était qu'un des maillons potentiels de la grande chaîne des innovateurs horlogers qui ont conduit à la montre-bracelet automatique telle qu'elle est banalisée aujourd'hui...

ET ROLEX SE POSA EN PIONNIER DE LA MONTRE CONTEMPORAINE (1)… 

Ce qui est à la fois vrai en général, et faux en particulier. Hans Wilsdorf a bâti toute la légende Rolex avec un soin minutieux et une rare intelligence marketing, mais c'était à une époque où le storytelling d'une marque ne s'exposait pas au fact checking des amateurs. On devrait ainsi à Rolex [qui a cependant cessé de le prétendre, Hans Wilsdorf présentant même ses excuses à se prédécesseurs] l'invention de la première montre-bracelet automatique, mais au moins six marques avaient créé de telles montres avant Rolex, à commencer par Leroy, dès 1922. Rolex a également prétendu avoir inventé le marketing testimonial avec des professionnels du sport, de l'aventure, de la culture ou des métiers valorisants (pilotes, etc.). Sauf que, dès le début du XXe siècle, avant même la naissance de Rolex, Hamilton et les marques horlogères américaines communiquaient sur la précision de leurs montres avec les témoignages de conducteurs de locomotive ! Magnifique idée que le parrainage de la traversée de la Manche par une jeune employée de bureau et superbe opération de promotion que l'exposition des montres Rolex dans un aquarium peuplé de poissons et posé en vitrine chez les détaillants, mais à quoi bon prétendre avoir inventé la montre de plongée contemporaine, alors que les codes – repris un an plus tard par la Submariner – en avaient été initialement fixés par la Fifty Fathoms de Blancpain ? Admirons la subtilité de l'explication de Rolex sur son site : « Lancée en 1953, la Submariner est la première montre de plongée étanche jusqu’à 100 mètres. Sa lunette tournante permet aux plongeurs de lire leur temps d’immersion ». Effectivement, cinquante brasses (50 fathoms) ne sont pas cent mètres, mais la Fifty Fathoms proposait une lunette tournante avant la Submariner !

ET ROLEX SE POSA EN PIONNIER DE LA MONTRE CONTEMPORAINE (2)…

Vrai pionnier et animateur infatigable de la communication horlogère, Hans Wilsdorf a beaucoup agi, plus que tout le monde, et donc beaucoup fauté, plus que tout le monde. Remarquable initiative que le soutien de l'expédition qui allait vaincre l'Everest avec sir Edmund Hillary, mais à quelle drôle d'idée de laisser entendre qu'il portait une Rolex sur le toit du monde, alors qu'il a fait toute l'expédition avec une Smith au poignet ? Cette marque a aujourd'hui disparu [elle ne peut donc plus se défendre], mais elle était le... second sponsor horloger de l'expédition ! On admettra que la formulation du site Rolex est plus qu'ambivalente : « En 1953, l’expédition menée par Sir John Hunt, au cours de laquelle sir Edmund Hillary et le sherpa Tenzing Norgay se hissèrent au sommet du mont Everest, était équipée de montres Oyster Perpetual ». Pour dédouaner Rolex, il existe des possibilités – étayées par des photos de l'époque – que les deux explorateurs aient porté deux montres, une à chaque poignet. Si une Rolex avait vraiment été sur le toit du monde, on peut imaginer que Rolex l'aurait klaxonné avec autrement plus de force que le laconique « Inspirée par ce chapitre exaltant de l’aventure humaine, l’Oyster Perpetual Explorer est lancée en 1953 pour célébrer l’ascension victorieuse de l’Everest, et accède immédiatement au rang d’icône »...

ET SWATCH TENTA DE SE FAIRE PASSER POUR LE CRÉATEUR DES MONTRES EN PLASTIQUE…

Si l'industrie horlogère suisse existe toujours, c'est évidemment grâce à l'inlassable travail de réorganisation et de consolidation entrepris au début des années 1980 par Nicolas Hayek. Si cet entrepreneur visionnaire avait à peu près tout compris, il n'a cependant pas tout inventé. En particulier la Swatch, dont il a longtemps prétendu être le créateur, alors qu'il n'en a été que le défenseur, puis l'orchestrateur et, enfin, le propagateur. Ce qui est quand même beaucoup [à la fin de sa vie, il admettait avoir « simplifié » son message initial et il acceptait de partager la copaternité de la Swatch avec Elmar Mock et Jacques Muller]. Cette montre n'était pas la première montre suisse en plastique : lancée en 1973, dix ans avant la Swatch, la Tissot Astrolon était bien plus révolutionnaire avec son boîtier en plastique et son mouvement (cal. 2250) en composite autolubrifiant, sans parler de son design. La Swatch n'était pas la première montre suisse à quartz, loin de là. La Swatch n'était pas la première montre suisse à mouvement simplifié [les mouvements Roskopf en sont un bon exemple] et à montage standardisé : déjà, au début du XXe siècle, diverses marques se servaient du fond du boîtier comme d'une platine. La Swatch a simplement été le contre-défi de l'industrie horlogère suisse à tous ceux qui avaient accepté de se soumettre aux progrès apparents de l'électronique : quand des grandes marques comme Cartier mettaient à leur poubelle leurs traditions horlogères pour « préparer l'avenir au lieu de réparer le passé » [selon l'immortelle formule d'Alain Dominique Perrin], Swatch prouvait, avec Nicolas Hayek, qu'on pouvait maintenir des emplois en Suisse, faire tourner des usines avec des gros volumes et sauver ce qui pouvait l'être d'activités stratégiques comme les échappements traditionnels.

ET TOUT LE MONDE S'EFFORÇA DE TRICHER…

La moindre parcelle authentique de passé peut valoir son pesant d'or dès qu’il s’agit de se recréer un passé à la hauteur de son égo et de ses ambitions. On ne sait toujours pas qui – des Français (comme Leroy) ou des Anglais (comme Harrison), voire des Hollandais (comme Huygens) – a mis au point le premier chronomètre de marine. Ni la première aiguille des minutes, et encore moins celle des secondes. Même perplexité sur l'histoire du premier quantième perpétuel ou plus simplement de la montre de poche automatique – perpétuelle selon Breguet. On ne sait toujours pas qui a inventé la couronne de remontage : Breguet, LeCoultre ou Patek Philippe semblent sur les rangs. On ne sait toujours pas qui a lancé le premier chronographe de poignet automatique – TAG Heuer, Breitling, Movado et Zenith s'en flattent en chipotant sur les détails de lancement, entre l'annonce officielle et la commercialisation effective, le tout en 1969. On ne sait toujours pas à qui attribuer la première montre électronique : Lip en 1952, Hamilton en 1957 ou Bulova en 1960 ? On ne sait toujours pas qui a exécuté la première montre-bracelet à tourbillon, les experts hésitant entre Vincent Calabrese (1985) et Audemars Piguet (automatique, 1986), avec une possible intervention précédente de Chaumet pour départager tout le monde. Bref, quand on vous parle d'une « world premiere », d'un record du monde de minceur, de fréquence ou de précision, gardez votre calme : un train peut en cacher un autre...

❑❑❑❑ À SUIVRE

« Les dix croyances magiques que répètent les bonimenteurs et tous ceux qui racontent l’horlogerie » (première partie)


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