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VAUTOURS
Mais non, tout n’est pas fini pour Klokers !

Pas de bon album des aventures de Lucky Luke sans l’inquiétant croque-mort qui prend par avance les mesures des corps qu’il lui faudra bientôt enfermer dans un cercueil. Au loin, les vautours sarcastiques commencent à rigoler. Quand Klokers trébuche, les croque-morts médiatiques sortent leur mètre-ruban et les vautours claquent du bec. Alors que la partie est loin d’être finie : ne croyez ce qu’en disent les médias...


Le communiqué aberrant qui annonçait ces jours-ci la « fin de l’aventure Klokers » était un bon exemple de dysfonctionnement de la justice commerciale en France. Préparé par le mandataire social chargé de la liquidation des affaires françaises [seulement françaises !] de Klokers et signé par l’« équipe de Klokers » qui n’en pouvait mais depuis la cessation de paiement (dépôt de bilan) déclarée voici deux mois, ce communiqué officiel expliquait très maladroitement : « L’aventure Klokers prend fin… (…) Nous vous informons que Klokers se trouve aujourd’hui dans une situation compliquée. Nous avons tout mis en œuvre au cours des derniers mois pour poursuivre cette merveilleuse aventure, mais nous sommes au regret de vous annoncer la cessation de notre activité à compter du 2 juillet 2019. Nous avons été très heureux de travailler avec vous sur ce projet ». Autant dire qu’on venait apparemment de siffler la fin de la partie et qu’il fallait se préparer à une liquidation judiciaire…

Si Business Montres n’avait encore rien publié sur ce dépôt de bilan, c’est tout simplement que nous avions estimé, début mai, qu’il aurait été dommage de contrecarrer les efforts de la direction pour sauver ce qui pouvait l’être et de compromettre ses chances de parvenir à un accord de dernière minute. Dans le même esprit, nous avons contribué à faire circuler le dossier Klokers auprès de certains investisseurs, qui ont étudié cette proposition avant de la décliner. De même, nous n’aurions pas relayé le communiqué annonçant la fin de l’aventure Klokers, parce que nous savions que cette décision des juges du commerce français ne concernait que la partie française de l’entreprise Klokers, dont l’activité suisse – elle aussi en cessation de paiement – consistait à gérer les stocks [il y aurait de quoi mettre 4 000 montres sur le marché], l’assemblage des montres et les composants : aucune décision de justice n’a été prise en Suisse, où des propositions de reprise de l’activité peuvent toujours être faites.

On peut toujours sauver Klokers à partir de la Suisse et la partie est encore loin d’être finie : si un repreneur arrive à racheter les actifs suisses de Klokers [différentes offres ont déjà été formulées, mais la justice commerciale suisse adore prendre son temps], il sera toujours temps de convaincre le mandataire social français de céder la marque commerciale, qui n’a pas de valeur sans le stock, avant qu’elle ne soit adjugée aux enchères. Qu’est-ce qui pourrait bien motiver un racheteur des actifs suisses de Klokers ?

❑❑❑❑ Une lecture plus aisée du dossier : la reprise était compliquée par la double structure franco-suisse de la marque et les incertitudes juridiques ainsi créées. Il ne reste plus à présent que la partie suisse à racheter…

❑❑❑❑ Des actifs non négligeables : entre le stock de montres finies et les composants à assembler, le repreneur de la marque disposera d’à peu près 4 000 montres faciles à mettre sur le marché sans tarder, avec les profits qu’on peut attendre d’un stock racheté « à la casse »…

❑❑❑❑ Des dossiers techniques pour relancer la marque : la défaillance de Klokers a été causée par les annulations inopinées d’importantes commandes passées par deux distributeurs. Annulations qui ont fait peur à certains actionnaires, qui n’ont pas voulu remettre au pot et c’est ainsi que la marque [la SAS Klokers France] a manqué de cash et a dû se protéger en se déclarant en cessation de paiement, sans pouvoir poursuivre ses investissements.

❑❑❑❑ Une excellente image de la marque : ces péripéties n’ont pas entamé la réputation de Klokers, dont l’apparition sur le marché avait suscité un bel enthousiasme des amateurs (on se souvient de 600 000 euros souscrits sur Kickstarter) et des investisseurs. Le retour de la marque sur le marché serait accueilli très positivement…

❑❑❑❑ Cinq années d’investissements à faire fructifier : en cinq ans, Klokers aura consommé près de huit millions d’euros de cash – ce qui est énorme, mais ces investissements ont assis à la fois l’image de la marque et son concept d’affichage différent de l’heure. Pour le prix de quelques composants « à la casse », on peut ainsi cueillir le fruit des investissements consentis depuis le lancement de la marque, notamment dans la mise en place d’un réseau de distribution et d’une intervention efficace sur les réseaux sociaux…

Bien entendu, tout ceci n’exonère pas la direction de Klokers des fautes qu’elle a pu commettre. Tant de cash brûlé en si peu de temps interpelle : il est vrai que l’excellent Richard Piras, le maître d’œuvre du pilotage de Klokers, est un ancien banquier, pour lequel le cash est une matière première fongible et renouvelable, ce qui n’est pas exactement la conception qu’en ont les créateurs de marques horlogères. Même si l’industrie des montres est gourmande en consommation de capitaux, on a peut-être poussé là le bouchon un peu loin, mais ce n’était pas toujours de la responsabilité de Klokers, dont l’équipe a été « plantée » par ses fournisseurs suisses lors du lancement avorté de sa seconde collection de montres [là encore, que de gaspillages !]. Ce qui a obligé la marque à se rabattre sur la seule animation de son premier modèle et à freiner son développement international, pourtant bien entamé. Ce premier modèle (ci-dessus) n’était pas forcément exempt de reproches : le concept de « règle à calcul circulaire », esthétiquement séduisant, est loin de faciliter une lecture spontanée et ergonomique de l’heure ; il n’est pas évident que les arguments pour porter la montre « autrement » (bracelet façon bijou, au porter dans la poche, à poser, etc. : ci-dessous) aient été convaincants. On pourrait ainsi continuer les reproches à faire à la marque, dont on comprend qu’elle soit désormais, pour pouvoir se relancer, changer de braquet et peut-être même de modèle économique…

Klokers, c’est peut-être un diamant poli retombé dans la boue où il était né, mais il serait étonnant qu’un petit malin ou qu’un vautour plus avisé que les autres ne s’en empare avant tout le monde. Racheter huit millions d’euros d’investissements pour le vingtième de ce prix, tout en disposant d’un stock immédiatement négociable de 4 000 montres, c’est très tentant. On en connaît même qui ont volontairement attendu que la justice commerciale française se décide (trop vite) pour faire une offre encore moins chère, sachant que les juges commerciaux suisses sont toujours plus conciliants si les dettes ne sont pas écrasantes – ce qui est le cas. Si quelqu’un vient vous dire qu’on a sifflé la fin de la partie pour Klokers, rigolez doucement et attendez la suite : il y aura peut-être une seconde mi-temps et des prolongations avant les tirs au but…


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