SANS FILTRE #30 (accès libre)
« Mais veulent-ils vraiment que le salon Watches & Wonders ait vraiment lieu en 2021 ? »
Certes, personne ne peut pronostiquer où en sera la pandémie au printemps prochain et personne ne sait où en sera l’économie des montres, mais on pourrait au moins faire semblant de préparer quelque chose. Entre le groupe Richemont et le « groupe Rolex », les tensions sont extrêmes et les points de frictions infinis quoiqu’infinitésimaux. Où veulent-ils donc en arriver ?
De part et d’autre, l’incompréhension est totale, la mésentente instinctive et le fossé ne cesse de se creuser. Entre les représentants du groupe Richemont et les représentants du « groupe Rolex », le choc des cultures est permanent, les habitudes de travail incompatibles et les ambitions pas forcément convergentes. Les tensions entre les deux parties sont extrêmes et les points de désaccord permanents, avec des zones de friction aussi infinies qu’infinitésimales. À tel point qu’on peut se demander si Watches & Wonders 2021 – dont les dates ne sont toujours officiellement annoncées [officieusement, c’est du 7 au 13 avril 2021] – aura bien lieu à Genève (Palexpo) début avril prochain…
• Les conjurés genevois du « groupe Rolex » [les cinq marques qui ont quitté Bâle en « tuant » Baselworld : Rolex, Tudor, Patek Philippe, Chopard, Chanel] ont abandonné la main à Rolex pour piloter les préparatifs de Watches & Wonders 2021. Rolex assurant le leadership de la négociation avec la Fondation de la haute horlogerie, jusqu’ici chargé du SIHH et de Watches & Wonders, les discussions ont lieu chez Rolex, qui joue donc sur son territoire, à domicile – ce qui ne fait qu’exacerber les batailles d’égo, les conflits de préséance et les réflexes d’arrogance. Qualifier ces querelles incessantes et récurrentes de byzantines serait très au-dessous de la vérité : les négociateurs de Rolex n’ayant pas vraiment de pouvoir décisionnaire sont sans cesse en quête de l’approbation des échelons supérieurs. Ils sont en outre dépourvus de toute expertise dans l’organisation d’un tel salon international [à Baselworld, il suffisait de se mettre « les pieds sous la table »]…
• Les négociateurs de la FHH, qui possèdent l’expérience nécessaire pour organiser un tel salon, semblent exaspérés par le comportement des Rolex Boys, qui ne sont la plupart du temps que des seconds couteaux qui doivent, avant de prendre la moindre décision, rapporter aux premiers couteaux, qui doivent en rendre compte la direction commerciale, qui doit elle-même en référer à la direction générale (Jean-Frédéric Dufour), qui doit lui-même en informer le conseil de fondation (Bertrand Gros). Quand les deux bureaucraties de ce salon « R + R » (Richemont et Rolex) déploient et cumulent les lourdeurs de leur logiciel de travail habituel, on cesse d’avancer pour diverger dans l’accessoire et le subalterne. Si on y ajoute des comportements quasiment sectaires, on tombe vite dans le chaos brownien ! Chez Richemont, on voit la pendule avancer, les semaines passer, les étapes non effectuées se faire pressantes et le salon s’enliser dans des compromissions aussi subtiles que picrocholines – ceci en référence à la guerre qui oppose Grandgousier et Gargantua dans le roman de Rabelais [on vous laisse deviner qui est Grandgousier et qui joue les Gargantua]. On exagère à peine, mais c’est pour mieux faire comprendre l’ampleur des dégâts : la moindre discussion achoppe sur la couleur des stylos à bille à la disposition des visiteurs sur le comptoir d’accueil et sur la hauteur de l’ourlet des jupes des hôtesses qui y seront postées [si nous exagérons, c’est aussi pour ne pas trahir l’identité de ceux qui négocient de tels points de détails]…
Bref, tout se passe comme si les deux groupes (Rolex et Richemont) avaient des intérêts divergents et un agenda caché totalement différent. Dans ce bras-de-fer permanent, le seul atout de Richemont est son contrat d’exclusivité horlogère avec Palexpo – contrat « incassable » avant plusieurs années, qui donne à la FHH le fallacieux sentiment d’avoir « invité » le groupe Rolex à intégrer Watches & Wonders [considération non dénuée d’arrogance qui a déjà coûté sa place à la précédente direction de la FHH, Fabienne Lupo].
• Côté Rolex, on ne se prive pas pour rappeler au groupe Richemont que la marque à la couronne et les autres « conjurés » sont sur leurs terres dans le canton de Genève et que ce serait plutôt le groupe Richemont qu’il faudra considérer localement comme exogène ou du moins offshore au bout du lac [à peine plus de 10 % des marques représentées par Richemont sont basées à Genève]. En filigrane, on voit se profiler chez les conjurés du « groupe Rolex » la menace de ne pas tenir salon à Palexpo et d’adopter le principe d’une exposition dans leurs propres locaux genevois, qui offrent toutes les commodités nécessaires et même au-delà. À Genève, c’est Rolex qui commande et qui a pris la fâcheuse habitude de ne plus voir qu’une seule tête pour se faire obéir…
• Côté Richemont, on soupçonne Rolex de vouloir non seulement changer la date de Watches & Wonders pour avancer le calendrier vers le mois de février ou de mars [à des dates commercialement moins aberrantes qu’en avril], mais également de vouloir définitivement reprendre tous les pouvoirs à Palexpo, au besoin en y marginalisant Richemont. Ainsi, Rolex jouerait la montre pour user les nerfs des émissaires de Richemont, qui n’ont pas les mêmes urgences. Si la FHH doit repenser et reconstruire ses stands au printemps prochain [ce qui explique que Richemont soit plus pressé d’avancer, ne serait-ce que pour des raisons logistiques], les conjurés du « groupe Rolex » ont prévu de recycler à Palexpo leurs anciens stands de Baselworld, ce qui simplifiera leur logistique de mise en place.
D’où la question posée dans le titre de cette chronique : les négociateurs des deux groupes veulent-ils vraiment que Watches & Wonders ait vraiment lieu comme initialement prévu ? Il ne reste plus guère que quatre mois pour tenir les délais annoncés – si tant que la pandémie relâche sa pression, que les voyages internationaux soient possibles et que les autorités de la ville de Genève permettent d’organiser un salon qui ne soit pas limité à quelques centaines de visiteurs. Alors, Watches & Wonders en avril 2021 ? Aujourd’hui, rien n’est moins sûr et c’est d’autant plus dangereux pour le rendez-vous de Genève que, du côté de Bâle, on a repris du poil de la bête : de plus en plus de marques sont en train de considérer avec beaucoup d’intérêt les propositions difficiles à refuser de l’équipe de Hour Universe. À Bâle, on a cessé de tergiverser et on avance très vite. À Genève, on discute du sexe des anges comme à Constantinople, en 1453, quand les Ottomans de Mehmed II s’apprêtaient à investir et à piller la ville…
Les conjurés du « groupe Rolex » voulaient définitivement « tuer » Baselworld et installer tout aussi définitivement cet ex-grand salon horloger de printemps à Genève. De bricolage en bidouillage, de gaffe stratégique en faute tactique, les Genevois de « R + R » ont fini par ressusciter les ambitions des Bâlois et par redonner vie à un salon qui tombait déjà dans les poubelles de l’histoire. Bravo, Messieurs, vous êtes vraiment les as des as : comme l’écrivait l’autre jour Business Montres (26 octobre), on disait de vous que vous étiez les meilleurs et les plus intelligents, c’est possible, mais vous êtes décidément asymptomatiques ! On vous laisse réfléchir là-dessus…
NOS CHRONIQUES PRÉCÉDENTES
Des pages en accès libre pour parler encore plus cash et pour se dire les vérités qui fâchent, entre quatre z’yeux – parce que ça ne sortira pas d’ici et parce qu’il faut bien se dire les choses comme elles sont (les liens pour les vingt premières séquences sont à retrouver dans l’épisode #20 ci-dessous)…
❑❑❑❑ SANS FILTRE #29 : « « Reviens, Nicolas ! Ils sont devenus fous… » : l’héritage Swatch Group (Business Montres du 29 juin)
❑❑❑❑ SANS FILTRE #28 : « Est-ce qu’il ne serait pas temps de déconfiner les groupes horlogers, en déconsolidant certaines marques ? » (Business Montres du 23 juin)
❑❑❑❑ SANS FILTRE #27 : « Eh, les organisateurs des salons du printemps 2021, il serait temps de vous réveiller ! » (Business Montres du 16 juin)
❑❑❑❑ SANS FILTRE #26 : « S’il vous plaît, Monsieur l’Actionnaire, nettoyez à fond vos écuries d’Augias » (Business Montres du 8 mai)
❑❑❑❑ SANS FILTRE #25 : « Les aventures de SuperDRH, avec un « S » comme… » (Business Montres du 2 mai)
❑❑❑❑ SANS FILTRE #24 : Ce virus n’aura pas été le déclencheur de la crise, mais son révélateur, du moins pour ceux qui ignoraient les signaux faibles (Business Montres du 16 mai)
❑❑❑❑ SANS FILTRE #23 : Les dix plus énormes stupidités horlogères proférées pendant le confinement – troisième et dernière partie (Business Montres du 4 mai )
❑❑❑❑ SANS FILTRE #22 : Les dix plus énormes stupidités horlogères proférées pendant le confinement – seconde partie ( Business Montres du 3 mai )
❑❑❑❑ SANS FILTRE #21 : Les dix plus énormes stupidités horlogères proférées pendant le confinement – première partie (Business Montres du 2 mai)
❑❑❑❑ SANS FILTRE #20 : « Ça devient carrément gonflant et c’est quand même très moche, cette manie de squeletter toutes les montres ! » (Business Montres du 29 avril)