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MOONSWATCH (accès libre)
« Une seule montre vous tente, et tout est relancé » (seconde partie)

Les historiens de l’horlogerie retiendront certainement cette MoonSwatch (lancée au printemps dernier) comme la « montre de l’année 2022 ». À la faveur de chiffres récents, on comprend qu’elle aura non seulement déplombé les comptes du Swatch Group, mais également sauvé la face de toute l’horlogerie suisse. Il est sans doute temps d’écrire sa vraie histoire : suite et fin de notre séquence MoonSwatch, avec un rappel de la couverture par « Business Montres » de cette opération MoonSwatch…


❑❑❑❑❑❑ À RELIRE « Une seule montre vous tente, et tout est relancé » (première partie de notre séquence MoonSwatch : Business Montres du 26 janvier)


❑❑❑ Un cafouillage industriel : narquoise devant les files d’attente qui n’ont pas faibli pendant plusieurs semaines, la direction du Swatch Group s’est imprudemment avancée sur la promesse de ventes en ligne qui allaient tout régler en matière de pénurie. Sauf que la production n’arrivait déjà à suivre et qu’il a fallu renoncer à ces ventes online pour ne pas provoquer une thrombose mortelle de l’outil industriel du groupe. Sauf que, pendant plusieurs mois, les lignes biocéramiques vont s’essouffler à suivre la demande, au prix d’une qualité de production très discutable et du « sacrifice » d’équipes surmenées. La maîtrise de cette fabrication ne viendra que progressivement, avec une montée en puissance qui ne produira ses effets que dans les derniers mois de 2022 : quand on part au printemps sur 50 000 montres, il faut tout changer pour en avoir un million en fin d’année.

❑❑❑ Un transfert toxique : un million de MoonSwatch vendues, certes, mais au détriment des autres collections Swatch, plus plantées que jamais dans leurs boutiques. Il sera vendu cette année à peine plus d’un demi-million de Swatch hors MoonSwatch, ce qui rend très compliquée pour la marque la séquence d’après la MoonSwatch et la « descente » après l’incroyable ligne de cocaïne qu’aura pu être le succès planétaire de cette montre. La MoonSwatch restera peut-être dans les mémoires comme l’ultime chant du cygne de la Swatch – à moins que la marque ne devienne le creuset de nouvelles « collabs » iconiques avec des marques du groupe, voire des marques tierces…

❑❑❑ Un effet d’entraînement : en revanche, la MoonSwatch a permis à de nombreux amateurs de « prendre en main » une sorte de Speedmaster ludique et colorée, donc de poser un regard différent sur une montre en vedette dans les vitrines depuis six décennies. D’autant que la Speedmaster, que beaucoup de néophytes redécouvraient, est apparue bien plus accessible qu’on l’imaginait du fait de son statut iconique. Ce qui provoquera une sorte de Speed Run dans les boutiques Omega et une accélération inusitée des ventes à une nouvelle génération de passionnés. La MoonSwatch aura nettement rajeuni l’image de la Speedmaster : faute de « montre de courtoisie » [les MoonSwatch ne sont disponibles que dans les boutiques Swatch, pas chez Omega], la maison Omega aura au moins gagné dans l’affaire un amusant relais de croissance. Qui s’en plaindra ?

❑❑❑ Une bouffée d’oxygène : voir une montre à quartz en « plastique » damer le pion aux icônes les plus huppées de la haute spéculation horlogère, quel plaisir et quelle leçon de choses ! Voir une montre « millionnaire » se vendre offline, dans des boutiques à l’ancienne, et générer des files d’attente qui se sont comptées en centaines de kilomètres à travers le monde, quel camouflet pour les dingos et les crypto-maniaques d’une modernité numérique pour le moins questionnable. Voir des millions d’acheteurs rêver de mettre à leur poignet une montre on ne peut plus traditionnelle et non connectée, quelle revanche sur le carpo-révolution californienne : même si Apple reste, en volume comme en valeur, le « premier-hologer-du-monde », Swatch se pose désormais en champion de la rébellion contre l’Empire. C’est un signal très encourageant pour toute la nouvelle horlogerie et c’est bien la preuve que rien n’est jamais écrit dans le grand livre de l’histoire des objets du temps…

❑❑❑ Un narratif foireux : on aura compris que la vraie histoire de la MoonSwatch est bien plus complexe que le storytelling simpliste de Nick hayek le laisse entendre. Si le patron du Swatch Group roule aujourd’hui des mécaniques à propos d’un succès dont il n’est que très faiblement responsable [il est en revanche comptable de beaucoup de dérives et de ratages dans ce dossier], c’est en tant qu’ouvrier de la onzième heure et que bénéficiaire indirect et tardif d’une opération où il aura tiré les marrons du feu sans trop se brûler. On ne pouvait pas attendre de Titanick autre chose qu’un enfumage en règle : le tout est maintenant de ne pas se laisser prendre à ses effets de manche – laissons cela aux médias perroquets champions du « deux points, ouvrez les guillemets » [en Suisse alémanique, on les surnomme les « nick-m’a-dit »]

Comme on peut le voir au s’approchant au plus près de ce qui s’est réellement passé sur le terrain et dans les coulisses du projet, l’histoire vraie de la MoonSwatch est autrement plus passionnante que celle de n’importe quelle « montre de l’année » depuis des décennies. Derrière les chiffres, une réalité qui paraphrase une des Méditations poétiques d’Alphonse de Lamartine : « Une seule montre vous tente, et tout est relancé ». Qu’est-ce qui a rendu brutalement désirable, et hautement convoitable, une montre comme la MoonSwatch ? On en discutera dans les livres d’histoire de ces prochaines décennies. Pour des raisons aujourd’hui aussi irrationnelles que complexes à décoder, cette « montre de l’année » a généré des émotions inconnues dans les couches les plus profondes de l’opinion publique horlogère – alors même que les « élites » médiatico-managériales de la montre méprisaient et se méprenaient sur sa portée.


BUSINESS MONTRES ET LA MOONSWATCH

Tout au long de l’année 2022, Business Montres & Joaillerie a suivi pour ses lecteurs le feuilleton MoonSwatch, de ses premiers pas en public (présentation à la presse) à la consolidation en cours d’un phénomène planétaire. Ceci avec un plaisir non dissimulé : cette montre nous a immédiatement paru importante, historique et décisive, d’où notre étonnement à la lecture des premiers articles de nos chers confrères, d’emblée plus que tièdes sinon assez hostiles [rassurez-vous pour eux : ces premiers articles dubitatifs ont très vite été supprimés, sinon cosmétiqués dans les jours qui ont suivi dans une optique beaucoup plus positive]. Il semblerait que ces éminents « experts », tous plus compétents les uns que les autres, n’aient pas vraiment compris la portée de cette déclinaison d’une icône Omega (Speedmaster Moonwatch) en mode Swatch (biocéramique de synthèse et mouvement à quartz pour 250 franc suisses).

Comme la quasi-totalité des CEO horlogers concurrents interrogés par nous au cours des semaines suivantes, les « professionnels de la profession » considéraient tous qu’il était criminel de toucher à une icône en la pastichant par une version de rang très inférieur en termes de valeur [sauf que la valeur commerciale théorique de la MoonSwatch était ici très loin de la valeur perçue : on l’a immédiatement vérifié dans les prix constatés sur le marché gris et sur les réseaux sociaux]. On pourra ici relire avec profit notre coup de gueule « Sans filtre #48 », sous un titre qui a fait pouffer beaucoup de confrères : « Les médias qui parlent de montres sont à l’horlogerie ce que la gynacologie est à l’érotisme » (Business Montres du 2 avril 2022, accès libre)…

Le lendemain de cette présentation à la presse, à la veille du lancement officiel dans les boutiques Swatch, nous avons incité nos lecteurs à faire la queue à la porte de ces boutiques pour se procurer les deux montres que Swatch affirmait réserver à chaque amateur (Business Montres x Atlantico du 25 mars 2022, accès libre). Le jour du lancement officiel (26 mars), au petit matin, conscients qu’il allait y avoir un « gros coup », nous étions dans les files d’attente – et c’était plutôt une très bonne surprise de constater que, dans le monde, des millions de personnes pouvaient encore faire des millions d’heures de queue pour se procurer une montre en plastique (« Du bon usage des files d’attente » : Business Montres du 26 mars 2022, accès libre). C’était aussi une bonne occasion de vérifier qu’une mafia de quelques sympathiques gentlemen « issus de la diversité » (comme on dit poliment) avaient mis en coupe réglée ces files d’attente et revendaient, sur le perron des boutiques, moyennant un millier d’euros, des montres qu’ils venaient de payer 250 euros – les quantités annoncées n’étaient plus que d’une montre par personne !

« Omega x Swatch : un coup marketing génial doublé d’une initiative industrielle intelligente » : alors qu’on ne parlait plus que de la MoonSwatch [sans toujours la comprendre] dans les couloirs de la Wonder Week genevoise, à Watches & Wonders et ailleurs, nous pouvions annoncer très vite (Business Montres du 28 mars 2022), accès libre) que cette montre était « la meilleure nouvelle des premières années de cette décennie 2020 ». Depuis, nous n’avons pas changé d’avis, mais nous n’avons pas manqué de suivre en temps, l’actualité de la MoonSwatch en pointant du doigt les enfumages successifs, répétés et insistants de Nick Hayek au sujet de cette montre dont il est si fier, mais dans le succès de laquelle il n’est pas pour grand-chose (voir ci-dessus)…

Nous avons donc relaté la sous-estimation dramatique de la demande pour cette MoonSwatch et le sous-dimensionnement de l’offre du Swatch Group, avec la mise en place d’une pénurie qui a créé autour de cette montre d’entrée de gamme une spéculation comparable aux dérives tarifaires des grandes icônes du marché. Nous avons expliqué, toujours en temps réel, les plantages techniques et industriels des chaînes de production de la biocéramique chez ETA, platages et malfaçons qui ont empêché le Swatch Group de produire autant de MoonSwatch qu’il aurait été nécessaire. Nous avons signalé les centaines de milliers de ventes perdues faute de pouvoir proposer la MoonSwatch en ligne à des millions d’amateurs chinois [le groupe aurait été bien incapable de répondre à une telle demande] et donc, derrière le succès apparent du million de montres vendues, le fantôme d’un million de ventes évaporées par absence de vision stratégique et incurie logistique.

Nous avons pronostiqué le million de MoonSwatch mises sur le marché à la fin 2022 [nous étions bien les seuls à émettre un tel avis, ceci bien avant la confirmation par Nick Hayek de ce chiffre], et donc les 250 millions de chiffre d’affaires qui ont « sauvé » les comptes de Swatch, ainsi que les 150 millions de profits réalisés dans cette opération [ceci sans compter les ventes additionnelles de Speedmaster Omega, également repérées par nous dès le printemps 2022]. Et ainsi de suite jusqu’à la chronique ci-dessus, qui réécrit avec bien davantage de réalisme l’histoire vraie de la MoonSwatch. Et nous avons souri malgré nous quand un braqueur de boutique horlogère s’est présenté dans un Swatch Store montagnard, à Crans-Montana (Valais), pour n’emporter que la valise MoonSwatch et ses onze versions des montres en biocéramique bariolée…

Rappelons que les aventures de la MoonSwatch et les mésaventures de Nick Hayek dans ce dossier nous avaient conduit à faire entrer MM. Aeschlimann (Omega) et Hayek (Swatch Group) dans la courte liste des vingt-deux horlogers « animateurs de l’année 2022 » (Business Montres du 12 décembre 2022) et de Swatch une des « douze marques de l’année » (Business Montres du 11 décembre 2022). Ce qui ne nous avait pas privé du plaisir de placer la « gamelle logistique » de cette MoonSwatch parmi les « qunze plus grosses gaémelles horlogères » de l’année 2022 (Business Montres du 19 décembre, accès libre).


Coordination éditoriale : Eyquem Pons



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