QUINZE DES PLUS GROSSES GAMELLES DE 2022 #2 (deuxième partie)
Millésime 2022 : notre revue de popote signale quelques autres gamelles ramassées ici et là
Deuxième séquence : « Ramasser une gamelle », d’après le « Trésor de la langue française », autorité académique suprême en matière de langue française, c’est « tomber, subir un échec ». Au figuré, un langage légèrement argotique y détectera un synonyme d’échec. C’est exactement ce dont nous aimerions parler. Quelles rations trouve-t-on dans nos gamelles 2022 ?
❑❑❑❑ À RELIRE : « En 2022, notre revue de popote signale quelques gamelles ramassées ici et là » – première partie (Business Montres du 18 décembre)
Quelques acteurs, spectateurs ou commentateurs de notre communauté horlogère se sont « plantés grave » en 2022, comme disent les nouvelles générations, dans de nombreux domaines et, souvent, avec un ensemble touchant ou une naïveté désarmante : voici la suite de notre pot-pourri présenté en plusieurs séquences, par ordre alphabétique d’adjectif qualificatif…
❑❑❑❑ GAMELLE ÉCONOMIQUE : début 2022, alors que la Chine commençait déjà nettement à freiner, tant pour les aberrations de sa politique anti-covid que pour de très explicables raisons conjoncturelles [qu’on le veuille ou non, c’est la fin de l’« atelier du monde » et du tout-à-la-Chine], les marques ouvraient des boutiques partout et n’importe où en Chine. Il était pourtant évident – et Business Montres n’a pas cessé de mettre en garde à ce sujet – que le retour en force du national-communisme de Xi Jinping rebattait les cartes et réorientait les achats de luxe vers une stigmatisation relative des produits occidentaux et une revalorisation forcené des produits locaux. Il aura fallu quelques trimestres pour que les horlogers perçoivent ce changement et réorientent leurs stocks vers le marché américain. Nous avons vraiment vécu en 2022 la fin de la « bulle chinoise » et la vaporisation de nos illusions sur un marché qui représente encore parfois les trois-quarts de l’activité de certaines marques. C’est suicidaire et cela se paiera au prix fort dans les trimestres à venir. C’est la chute finale (sur l’air de L’Internationale)…
❑❑❑❑ GAMELLE ÉTHIQUE : on pourrait également parler de « gamelle écologique ». Si certaines marques ont pris au sérieux leur stratégie environnementale [on pense ici à Breitling], en prouvant ce qu’elles font et en faisant ce qu’elles disent, d’autres se contentent de repeindre en vert leur façade et de replanter des arbres au petit bonheur, sans rien remettre en cause de leurs procédures hypercarbonées et de leurs mauvaises habitudes éco-suicidaires. Certes, quand on se prépare à une mise sur le marché [c’est le cas de Breitling], mieux vaut se décarboner au préalable : les grands investisseurs sont féroces à ce sujet ! L’horlogerie pourrait cependant faire quelques efforts dans ce domaine, tant pour chaque maillon de sa chaîne de production que dans son approche même de l’économie circulaire [heureusement, l’initiative ReLuxury a sauvé l’honneur]. Dans un contexte général de questionnement du luxe, On ne devrait plus tarder à s’apercevoir que le bilan carbone d’une seule montre de luxe, aussi eco-friendly que soit sa marque, est à peu près aussi désastreux que celui d’une berline de luxe : allo, maman, bobo ! Cette déroute est pathétique…
❑❑❑❑ GAMELLE GÉOPOLITIQUE : depuis l’annexion de la Crimée, il y avait le feu au nord de la mer Noire, mais qui s’en souciait dans le village horloger ? Pas les marques qui festoyaient dans leurs boutiques de Kiev, en Ukraine : on verra même Bvlgari s’y féliciter publiquement de ses bonnes performances aux premiers jours de la guerre ! Les oligarques ukrainiens n’étaient-ils pas les moins regardants des meilleurs clients du luxe horloger ? Ceci à égalité avec les oligarques russes, à peine moins corrompus mais tout aussi portés sur le cash horlo-ostentatoire. Après une semaine de sidération hypocrite et pour se plier aux sanctions occidentales causées par l’invasion de l’Ukraine, les affaires ont vite repris, avec des filières de contrebande horlogère instantanément réanimées entre la Russie et la Biélorussie, la Turquie, l’Arménie, les républiques ex-soviétiques et les ports-francs du Golfe. Depuis février, on nous fait croire que les montres suisses vendues en Russie sont celles des stocks d’avant la guerre : amusante fable à laquelle personne ne peut croire ! Galipette morale et apostasie commerciale sont les deux mamelles des exportations horlogères…
❑❑❑❑ GAMELLE JURIDIQUE : la claque de l’année, c’est celle que Panerai a dû encaisser devant le tribunal de Paris, où la marque s’était imprudemment engagée dans une bataille judiciaire contre la jeune marque indépendante Augarde, accusée de piétiner les droits de propriété intellectuelle de la marque italo-suisse. Au printemps, les juges parisiens ont estimé qu’Augarde avait parfaitement le droit d’utiliser des codes esthétiques dont Panerai s’attribuait le monopole [le boîtier coussin, les chiffres 3,6,9,12] et même que les droits de Panerai sur ces codes esthétiques étaient juridiquement infondés – au point de prononcer la nullité des droitd de propriété intellectuelle revendiqués et déposés par Panerai auprès de l’Union européenne. Évidemment, le Legal Team du groupe Richemont a fait appel de ce jugement qui déboute Panerai de ses prétentions et qui condamne la marque à verser des dommages à Augarde. Lamentable résultat !
❑❑❑❑ GAMELLE LOGISTIQUE : si la MoonSwatch est une des deux ou trois vraies « montres de l’année » (Business Montres du 11 décembre) et si Raynald Aeschlimann, le vrai père de la MoonSwatch est un des horlogers de l’année (Business Montres du 12 décembre), cette montre symbolise aussi un des plantages majeurs de l’année. En 2022 et en trois trimestres, Swatch en aura vendu un gros million, mais en « perdant » au moins un autre million de ventes, sinon deux, pour cause d’imprévoyance logistique. Dès le départ, Nick Hayek a joué petit bras en prévoyant des volumes trop faibles, ne serait-ce que parce qu’il savait parfaitement que sa chaîne de production biocéramique n’était pas encore opérationnelle. Au lieu de retarder le lancement de quelques mois, il a voulu pousser ses feux, au prix d’une non-qualité technique évidente dès les premiers jours de cette mise sur le marché. Ensuite, il a imposé des cadences infernales, en multipliant les ratés de production (taux de rejet inquiétant en fin de chaîne) par le piétinement humain de ses équipes techniques, aujourd’hui en burn out quand elles ne se sont pas exfiltrées ailleurs qu’au Swatch Group. Cette gamelle logistique explique que la MoonSwatch ne soit toujours pas vendue en ligne [on nous l’avait promis au printemps] : il n’y aurait rien à livrer de plus que ce qui arrive au compte-gouttes dans les boutiques ! C’est en raison de la même faillite logistique que la montre n’est toujours pas vendue sur le marché chinois – d’où notre estimation de deux millions de montres « perdues ». Dans toute entreprise normale, on aurait viré les responsables de cette débâcle : Nick Hayek, Nayla Hayek et Marc Hayek sont toujours en place. Vous avez dit « naufrageurs » ?
❑❑❑❑ À SUIVRE : « En 2022, notre revue de popote signale quelques gamelles ramassées ici et là » – troisième et dernière partie
❑❑❑❑ POUR MÉMOIRE : « Quels sont les vingt-deux horlogers » qui ont animé cette année 2022 ? » (première partie, avec MM. Aeschlimann, Hayek, Babin, Baillod, Belamich, Rosillo, Cerrato, Dufour, Eggen et notre In memoriam 2022 – Business Montres du 12 décembre / deuxième partie, avec Mmes Lemonnier et Lupo, ainsi que MM. El Kadiri, Emch, Furlan, Léger et McDonnell – Business Montres du 13 décembre / troisième partie, avec MM. Müller, Renaud, Tixier, Rexhepi, Rohr, Salanitro, Savary, Terreni et Tornare – Business Montres du 14 décembre)
❑❑❑❑ SANS OUBLIER : « Les douze marques qui ont marqué l’année 2022 » – première partie (Business Montres du 9 décembre) et seconde partie (Business Montres du 11 décembre)…