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C x P #06 (accès libre)
Le comment du pourquoi : les petits secrets, les curiosités et les iniquités de l’univers des montres (sixième épisode)

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’horlogerie, sans jamais oser le demander : c’est 101 questions, pas une de plus ou de moins, et donc 101 réponses en une grosse quinzaine d’épisodes, histoire de ne pas bronzer idiot et de terminer les vacances avec des neurones plus musclés qu’en partant.


En ouvrant cette page « Le comment du pourquoi », vous avez frappé à la bonne porte si, en matière de montres et d’horlogerie, vous vous demandez pourquoi et si vous cherchez à savoir comment, vous avez de bonnes chances de trouver les bonnes réponses dans cette série estivale « Le comment du pourquoi ». Le « pourquoi » de ce « comment du pourquoi », c’est le plaisir d’apporter 101 réponses aux questions élémentaires – quoiqu’un peu inattendues – que peuvent se poser tous les amateurs de montres, débutants ou même confirmés.

CÉLÉBRITÉS #06

Comment a-t-on tenté de transformer en pionnier de l’horlogerie un pionnier de l’aviation qui n’avait pas besoin de montre ?

Il aurait pu n’être qu’un dandy brésilien venu dépenser à Paris les fabuleux revenus des plantations de café de ses parents, mais Alberto Santos-Dumont (1873-1932) avait une passion : s’élever dans les airs. Il a tâté du ballon gonflé à l’hydrogène, puis du dirigeable « automobile », puis de la passion pour les « machines volantes » dont il va devenir un des pionniers européens : son premier « vol » à bord d’un aéroplane ne dure pourtant que 21 secondes sur 220 mètres et à l’altitude de… deux mètres – ce 12 novembre 1906, c’est le premier record jamais enregistré par la toute nouvelle Fédération aéronautique internationale [sauf qu’il est fort probable que Clément Ader avait, avant lui, « décollé » en 1890 à bord d’un engin volant propulsé par un moteur à vapeur]. Alberto Santos-Dumont tentera de battre d’autres records aériens avant de renoncer définitivement à voler en 1910. Il n’aurait pu n’être qu’un des nombreux pionniers européens du « plus lourd que l’air » si le marketing de la maison Cartier n’avait tenté d’imposer une légende horlogère dont il serait le héros ; À la fin des années 1970, le génial Alain Dominique Perrin, qui venait de redonner à Cartier quelques lettres de noblesse [après des années « noires » où Cartier ne survivait qu’en griffant des briquets], a retrouvé le nom de Santos-Dumont dans les  archives de la marque : en 1978, il va donc « inventer » un fabuleux storytelling autour d’une montre-bracelet autrefois commandée à Louis Cartier par l’aviateur après 1910 – sans doute quand le « pionnier » franco-brésilien avait décidé de redevenir le dandy mondain qu’il était. De là à tenter de nous faire croire que Cartier était l’« inventeur » de la montre-bracelet et que Santos-Dumont était son prophète, il n’y avait qu’un pas, allègrement franchi par Alain Dominique Perrin : les équipes marketing de Cartier ont même essayé de faire gober aux ravis de la crèche horlogère que Santos-Dumont avait carrément « inventé » la montre de pilote. Et donc, pendant des années, les perroquets médiatiques ont répété sans barguigner la fable de cette « première » montre-bracelet réalisée par Cartier vers 1910, alors que le Kaiser prussien en avait commandé un millier pour ses officiers dès 1880 et que tous les musées horlogers présentent des montres-bracelets nettement inférieures à 1910. Pour ce qui est de la fable de la « première » montre de pilote, c’est d’autant plus désopilant que la « montre de Santos-Dumont » que nous présente très officiellement Cartier remonte à la fin années 1910 et que cette montre n’a évidemment pas d’aiguille des secondes : on se demande bien à quoi une telle montre-bracelet aurait-elle pu servir pour un aviateur dont les vols antérieurs à 1910 se comptaient en secondes et qui n’a plus volé à partir de 1910 ? « Plus c’est gros, plus ça passe », comme disait un des plus diaboliques propagandistes politiques de la première moitié du XXe siècle…

EXPRESSIONS #06 

Pourquoi est-ce que ça devrait durer… des « plombes » ?

On se demande parfois ce que sont ces « plombes » qui semblent mettre du plomb dans l’aile du temps qui passe. L’expression remonte au XVIIe siècle, quand le verbe « plomber » s’entendait au sens de « frapper ». Il était alors courant de « frapper » les heures sur une cloche en bronze, à l’aide d’un marteau ou d’un jacquemart (automate tenant un marteau). Les « plombes » sont donc plus ou moins les heures qu’on entendait frapper, « plomber » prenant le sens populaire de « sonner les heures ». Même si elle est devenue légèrement argotique, l’expression est d’autant plus horlogère que les poids qui entraînaient les mécanismes des horloges d’édifice étaient également appelés des « plombs ». Il y aurait donc une conjonction plombière autour des heures qui sonnent. Plutôt que de redouter que « ça dure des plombes », nos cousins québécois préfèrent dire que ça peut « prendre une mèche » – le temps pour la mèche d’une lampe à huile de se consumer jusqu’au bout, ce qui fait pas mal de temps…

ICÔNES #06

Comment les trains suisses peuvent-ils partir à l’heure avec des horloges dont les minutes durent moins d’une minute ?

C’est une des idées les plus géniales depuis la création des premiers objets du temps mécaniques, tout en étant une des idées les plus simples qui soient : pour permettre à l’aiguille des minutes de s’arrêter pendant une seconde et demi sur le « 12 » pour bien marquer qu’elle change de repère sur le cadran et qu’elle entre dans une nouvelle minute, on a tout simplement comprimé en 58,5 secondes la course de l’aiguille des secondes autour du cadran. La fameuse et presque légendaire ponctualité des trains suisses tient à ce blocage du temps : le train part clairement dans la minute prévue par l’indicateur officiel – ni avant, ni après ! L’origine de cette pratique tient à l’ancienne horloge principale de la gare de Zurich, qui ne pouvait envoyer qu’une seule impulsion par minute aux autres horloges des gares suisses [aujourd’hui, ces horloges sont équipées d’un moteur électrique autonome] : il fallait donc, pour ajuster l’affichage horaire dans toutes les gares, une petite pause qui permettait de faire ensemble toutes les horloges ferroviaires pour la même minute. Ces horloges de gare ont été dessinées en 1944 par l’ingénieur des CFF Hans Hilfiker : pour rendre l’aiguille des secondes encore plus visible, ce génial inventeur a créé une « palette » rouge à son extrémité [un possible rappel de la « palette » qui permet au chef de gare de transmettre ses signaux sur un quai]. Son inspiration était celle des normes esthétiques minimalistes du Bauhaus : pas de chiffres, mais des index « bâton », un contraste sans concessions entre le noir des indications et le blanc du cadran, un boîtier rond parce qu’une montre, c’est rond ! 75 ans plus tard, ce design n’a pas vieilli, mais il est devenu si emblématique que la maison Mondaine en a fait des montres [peut-on imaginer au poignet un cadran plus expressif ?] qu’on trouve au MoMA de New York. Apple a cru pouvoir utiliser librement les codes graphiques de cette horloge en 2012 pour les horloges numériques de sa tablette iPad : une négligence qui aura coûté 20 millions de dollars au géant californien, pour le plus grand profit des CFF.

LÉGENDES #06

Pourquoi Maximilian Büsser décadre-t-il systématiquement l’affichage horaire sur les montres MB&F ?

Même quand il pratique le culte de l’héritage traditionnel horloger avec ses Legacy Machine, Maximilian Büsser, le fondateur de MB&F parvient à décadrer à peu près systématiquement l’affichage des heures et à le déporter loin du centre de la montre. Cela tient sans doute à ses premières vraies émotions horlogères : entré très jeune [en 1991, il avait 23 ans et il sortait de l’EPFL] dans une maison aussi conservatrice que Jaeger-LeCoultre, où il a exercé diverses responsabilités, Maximilian Büsser a sans doute souffert du poids de ces traditions. D’où son émerveillement, en 1998, quand un certain Vianney Halter, jeune horloger créatif parrainé par Philippe Dufour, présente sa première collection Antiqua (ci-dessus, en haut de la page) : les heures y sont déstructurées et les fonctions déportées d’une façon qu’on ne qualifiait pas alors de steampunk. Une expérience marque que Maximilian Büsser tentera tant bien que mal d’imposer chez Harry Winston, dont il dirigera la division horlogère de 1998 à 2005, notamment dans la collection Opus, avant de pouvoir pratiquer ce décadrage post-moderne en lançant sa propre marque, MB&F (Maximilian Büsser & Friends) dès 2005. Depuis cette date, les « cadrans » MB&F [ou ce qui en tient lieu] semblent prouver une certaine phobie des heures-minutes au centre : même quand la montre est ronde et axée autour d’un pilier central, comme sa « Méduse » (HM n° 7), les heures sont circulaires. Qui s’en plaindra ?

MARQUES #06

Comment la multiplication d’un Alsacien par un Britannique a-t-elle pu quadrupler le bon vieux tourbillon ?

Les méchaniciens de la nouvelle horlogerie ne sont pas tous de dangereux révolutionnaires. Par exemple, Robert Greubel, qui a les pieds bien ancrés dans sa terre alsacienne, et Stephen Forsey, qui semble drapé dans l’Union Jack, sont les vrais continuateurs des grands méchaniciens du XVIIIe siècle : ils sont persuadés, comme Abraham Louis Breguet, que le « tourbillon » reste un des meilleurs moyens de moyenner une mécanique horlogère en la rendant moins dépendante des effets (autrefois) fâcheux de la gravitation universelle. C’est donc en travaillant autour de ce tourbillon, sans le moins du monde remettre en cause la doxa officielle établie par Breguet, qu’ils ont tenté de quadrupler l’efficacité du dispositif inventé par Breguet, avec un, puis deux, puis quatre tourbillons, qu’ils ont fini par savoir régler aussi pour parvenir à une régularité de marche supérieure à celle d’une mécanique sans tourbillon – ce dont tous les horlogers traditionnels doutaient, mais ce qu’un prix de chronométrie a pu confirmer ! Reliés par un différentiel sphérique qui transmet en permanence la moyenne de marche des quatre tourbillons, ceux-ci voient s’améliorer la performance chronométrique de l’ensemble des organes réglants. Il suffisait ensuite de loger le tout dans un boîtier de style contemporain pour donner un goût de « nouvelle cuisine » à de vieilles recettes de sauces traditionnelles. Au besoin, en ajoutant à ces tourbillons décentrés une représentation sphérique de la Terre, on quadruplait même l’intensité créative d’une des montres les plus étonnantes et les plus emblématiques des vingt premières années de ce siècle…

MÉCANIQUES #06

Pourquoi faut-il pouvoir arrêter l’aiguille des secondes sur une montre « militaire » ?

L’introduction sur une montre mécanique ou électronique d’un système de blocage des secondes (hack watch pour les Anglo-Saxons, « stop secondes » pour les francophones) permet de régler une montre à la seconde près [par exemple avec un signal horaire] ou de synchroniser un groupe de montres à la même seconde : les militaires pouvaient ainsi caler leurs montres à une seconde près, avant une opération ou un assaut, alors qu’ils n’étaient plus en vue les uns des autres. Ce « stop secondes » était aussi utilisé par les navigateurs aériens, militaires ou civils, pour leurs opérations de repérage astronomique et de navigation. Pour bloquer la seconde avec un tel dispositif, il suffit généralement de tirer la couronne de remontage pour régler l’heure : la seconde est freinée dans sa course (généralement par un blocage du balancier) et elle s’arrête, pour reparler dès que la couronne est repoussée. Une affiche célèbre de la manufacture Heuer représente une escouade de soldats suisses [et non allemands, comme le croient les observateurs peu attentifs] en train de régler leurs montres avant une opération (ci-dessous). Ce « stop secondes » reste le meilleur système pour évaluer la précision quotidienne d’une montre mécanique et sa dérive quotidienne entre deux signaux horaires officiels…

ALORS, COMBIEN DE BONNES RÉPONSES, plus ou moins précises et bien argumentées, pour ces six nouvelles questions ? Notez le score de vos bonnes [ou moins bonnes] explications à ces « comment du pourquoi ». Rien n’est ici figé dans le marbre : faites-nous part de vos propres réponses à ces questions et de nos erreurs éventuelles…

LE COMMENT DU POURQUOI

Résumé des précédents épisodes, avec les liens pour les retrouver…

❑❑❑❑ C x P #05  :38 km en 37 minutes à 36 ans,  les heures plus coquines de notre quotidien, une montre de plongée sans plongeurs, l’inventeur caché pendant cent cinquante ans, la montre italienne repompée sur une montre suisse influencée par une montre japonaise, l’amour des champignons chez les horlogers suisses (Business Montres du 3 août)

❑❑❑❑ C x P #04  : la dactylographe dans le coma pour une Rolex, la pendule Berthoud des Tontons flingueurs, l’icône qui se trompait de chromosome, des heures à décompter par dizaines, Baselworld sans invitation, un Belge peut cacher un Suisse (Business Montres du 30 juillet)

❑❑❑❑ C x P #03  : la Swatch de François Hollande, les 155 secondes de Sylvie, Jean-Claude Biver privé de Ferrari, l’horloger de Rolex qui a fait la fortune de Patek Philippe, les Parisiens qui rallongent l’année et le tourbillon de Richard Mille qui rend l’âme (Business Montres du 29 juillet)

❑❑❑❑ C x P #02  : Phileas Fogg privé de Breguet, belle lurette, Jaquet Droz, solaria, la Suze d’Omega et la mise en « lignes » (Business Montres du 26 juillet)

❑❑❑❑ C x P #01  : Breguet, Einstein, Breitling, Swatch, Tudor, Knibb (Business Montres du 23 juillet)


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