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AUTOCHRONIQUE (accès libre)
Maintenant, vous avez compris à quoi sert un média horloger indépendant

Dans les annales de l’horlogerie, on se souviendra de ce mois de février 2020 ! À propos du rôle joué par la médiafacture « Business Montres » pendant la coronapocalypse en cours, paraphrasons ce bon M. de Talleyrand : « Quand je me regarde, je me désole ; quand je me compare, je me console ». Ce que nous avons fait témoigne de l’utilité, pour une communauté professionnelle, d’avoir des médias indépendants de l’officialité. Démonstration : attention à la conclusion, ça pique…


Avec le recul et sans vouloir abuser d’une l’autosatisfaction qui serait ridiculeil n’y aucune raison de ne pas apprécier le travail effectué par Business Montres depuis le début de cette crise du coronavirus, surtout si on le rapporte au comportement général de la presse mainstream, qu’elle soit ou non spécialisée dans l’horlogerie [domaine qui était le seul dont nous avons traité, avec pour seul point de vue l’intérêt général de l’industrie des montres]. Comme l’écrivait M. de Talleyrand, « Quand je me regarde, je me désole ; quand je me compare, je me console »…

• Nous avons été le premier média horloger à signaler ce qui n’était encore qu’un signal faible de danger pour l’horloger suisse (Business Montres du 21 janvier), avec le recul nécessaire et sans vouloir causer trop de panique – encore que le titre de l’information, « La panique du jour », commençait à en dire sur cette amorce d’épidémie qui ressemblait encore au SRAS. La presse mainstream généraliste mettra une bonne semaine à réagir, avec quelques retards supplémentaires pour le médias horlogers…

• Nous avons été les premiers à signaler qu’il y avait un risque pour les salons horlogers (Business Montres du 3 février) : en suivant jour après jour les progrès de la « panique » en question (info quotidienne) à ce sujet, nous avons très vite la gravité de la situation et tout en la nommant de façon très explicite (« coronapocalypse ») et en commençant à analyser les conséquences économiques de la crise en cours (voir le « nouveau fléau des montres suisses » : Business Montres du 27 janvier). « La panique s’installe » : c’était un premier constat pour les horlogers (Business Montres du 3 février). « Faudra-t-il repousser les salons horlogers du printemps ? », interrogions-nous (Business Montres du 3 février), Nick Hayek annulant dans la foulée son rendez-vous Time to Move de Zurich (Business Montres du 3 février). Puis notre « probabilité du jour » a permis de comprendre l’irrésistible basculement des salons dans une logique d’annulation, jusqu’aux décisions finales de la fin février : nos lecteurs étaient prévenus, ils n’ont pas été surpris (« Ça commence quand même à sentir très mauvais pour les salons horlogers » : Business Montres du 26 février).

• Nous avons été les premiers à expliquer clairement que ce coronavirus 2020 avait toutes les chances d’avoir des conséquences beaucoup plus graves que l’épidémie de SRAS qui avait secoué l’horlogerie en 2003 (Business Montres du 27 janvier). « On aurait tort de prendre à la légère cette nouvelle épidémie », écrivions-nous, alors que le discours officiel était alors la thèse du « trou d’air » passager et d’une épidémie infiniment moins grave que la grippe annuelle…

• Nous avons été les premiers à parler d’état d’urgence coronavirale pour l’industrie des montres (Business Montres du 4 février) et à tenter un premier chiffrage réaliste, à 3,5 milliard de francs suisses pour les deux premiers mois de l’année, des ravages de cette coronapocalypse (Business Montres du 13 février). Chiffrage dont plus personne ne doute et qui est sans doute désormais beaucoup trop optimiste : une estimation plus réaliste serait plutôt de l’ordre de quatre milliards pour les deux premiers de l’année. Pendant ce temps, les ravis de la crèche nous taxaient d’alarmisme et de catastrophisme : nos analyses relevaient d’une mystérieuse collapsologie et nos chiffres étaient totalement fantaisistes…

• Nous avons été les premiers à déplorer que les horlogers suisses n’aient pas adressé le moindre message de compassion ou de solidarité morale à leurs meilleurs clients chinois (Business Montres du 5 février). Un peu secouées par cet éditorial, quelques marques auront envoyé des masques de protection, mais uniquement dans leurs filiales, pour « sauver » leur personnel.

• Nous avons été les premiers à anticiper le passage progressif de cette crise coronavirale à une nouvelle révolution horlogère, avec, au fil des jours, des informations en direct du front de la coronapocalypse et la définition d’une quadruple grille de lecture de cette crise : lecture sanitaire, lecture économique, lecture géopolitique et lecture socio-culturelle (Business Montres du 5 février). Peu importe, puisque tout allait bien dès lors que les blogueurs horlogers s’affichaient avec des masques sur le visage pour exhiber leurs poignets…

• Nous avons été les premiers à comprendre que le blocage des usines chinois était un des principaux dangers de cette coronapocalypse, en expliquant que le redémarrage serait impossible à court terme, compte tenu du confinement imposé aux personnels en voyage et des mesures de sécurité sanitaire imposées dans les ateliers (détails techniques : Business Montres du 17 février). On sait aujourd’hui qu’on ne peut pas compter sur une reprise « normale » de la production avant la fin mars, voire pire. Nos lecteurs savent aussi que, plusieurs mois avant cette crise, nous avions dénoncé le catastrophique surstockage des marchés asiatiques à la fin 2019, ce qui donne des exportations en hausse alors que les ventes s’effondraient : qui expliquait cette mécanique mortelle et cet engrenage fatal à ses lecteurs, sinon Business Montres ? Qui a pointé du doigt les 712 millions (valeur) de montres suisses exportées vers l’Asie en janvier, contre 205 millions (valeur) sur le marché américain ? La faute stratégique est affolante et elle mériterait que les responsables soient immédiatement débarqués (Business Montres du 20 février) – mais ils sont toujours aux commandes…

• Nous avons été les premiers à cadrer l’aspect explosif de cette crise épidémique pour ce qui concerne les rapports industriels et commerciaux de l’horlogerie avec la Chine (« Quand la Chine attrape la grippe, c’est toute l’horlogerie suisse qui file aux urgences » : Business Montres du 17 février). Les premiers à tenter de mesurer à quel point le groupe Richemont et le Swatch Group allaient être déstabilisés – ce que la Bourse a confirmé au cours de ces dernières semaines (Business Montres du 24 février). Les premiers à publier des images des malls commerciaux désertés (Business Montres du 19 février) pour expliquer que l’horlogerie était attaquée de tous les côtés, dans son amont industriel comme dans son aval commercial, ce qui rendait cette crise bien plus tragique économiquement que sanitairement. Très vite, il nous est apparu que le problème était chinois [à commencer par la perte de confiance entre le pouvoir central et sa population confinée], puis ultra-chinois, avec l’aberrante sinodépendance de l’horlogerie suisse de la mamelle chinoise (Business Montres du 22 février) et enfin existentiel, avec la nécessité de reconstruire l’horlogerie sur de nouvelles bases qui ne soient pas sinocentrées (Business Montres du 24 février). C’est ce que nous avons appelé la nouvelle « conquête de l’Ouest » (Business Montres du 25 février)…

• Nous avons été les premiers à dénoncer l’ahurissant et scandaleux commentaire de Jean-Daniel Pasche, le président de la FH suisse, sur le « très bon début d’année » pour l’horlogerie suisse (Business Montres du 20 février). Ce qui n’était pas factuellement faux [c’était même statistiquement exact], mais juste obscène et indécent dans le contexte de coronapocalypse où se trouvait plongée l’horlogerie suisse. Ce n’était même pas malicieux ou désinformateur, mais juste stupide et en tout cas révélateur du miroir déformant que la FH tend tous les mois à l’industrie des montres…

• Nous avons été les premiers à constater que le Swiss Made – du moins ce que les comptables suisses baptisent « Swiss Made » et qui n’en a que le nom, pas le goût du terroir – allait être la première victime de cette coronapocalypse (accès libre Business Montres du 21 février). La liste des victimes suivantes ne pouvait dès lors que compiler les salons horlogers annulés (Zurich, Davos, Genève, Bâle et quelques autres), les marques fauchées en plein vol pas toujours par le virus (De Grisogono, RJ Watches), les directions sur siège éjectable, les valeurs horlogères en chute libre à la Bourse, etc…

• Comme il ne fallait surtout pas se prendre au sérieux, nous avons également publié plus d’une cinquantaine de dessins sur la diffusion horlogère de coronapocalypse, en détournant des images pour mieux faire comprendre les enjeux de la révolution horlogère en cours : un peu de légèreté dans une actualité de brutes. En analysant la date de parution de ces détournements, on constatera qu'ils ont toujours plus ou moins anticipé les avancées de l'actualité. Chronologiquement, chaque dessin a scandé un peu plus précisément la montée de la pression coronavirale, jusqu’à cette annulation finale des salons suisses, qui a fait basculer l’année horlogère 2020 dans une autre dimension…

• Une autocritique dans cette autochronique ? Bien sûr ! Après ces six semaines d'interventions éditoriales quasiment en temps réel et de traitement de l'actualité à bout touchant [dans un grand moment de solitude éditoriale, à peine partagé avec de très rares médias, dont Forumamontres en France, et de rares éditorialistes, comme Olivier Müller en Suisse], nous avons le vif sentiment d'avoir toujours été trop... optimistes ! Pour ne pas noircir trop le tableau et pas trop désespérer la communauté des montres, nous sommes restés volontairement en deçà de la réalité, qui est beaucoup plus dramatique qu'elle n'apparaît [en Chine, sur les marchés, en Suisse, dans les vallées], qu'on parle de l'économie horlogère ou de la géopolitique commerciale dans le grand frisson de démondialisation qui s'annonce. Nous n'avons pas été assez alarmistes pour rendre compte de la révolution qui ébranle l'horlogerie de façon beaucoup plus grave, beaucoup plus brutale et beaucoup plus existentielle que la grande crise du quartz [déclenchée par la perte d'une bataille commerciale contre les Japonais, alors que l'horlogerie n'a pas pu su livrer bataille contre les smartwatches et qu'elle a été hachée menu sans pouvoir réagir dans l'embuscade coronavirale en cours]. Nous avons échoué à mobiliser plus radicalement l'opinion publique horlogère et à stimuler ses défenses naturelles– même s'il est vrai qu'on en est aujourd'hui au stade de la chirurgie lourde, et non plus des soins ambulatoires...

Et ainsi de suite, on pourrait continuer longtemps cette liste d'interventions éditoriales qui suivait de près l’augmentation régulière du nombre des victimes : c’était la litanie quotidienne de la « coronapocalypse du jour » ! Nous avons tenté le premier bilan d’étape de la coronapocalypse, pile un mois après nos premières articles (accès libre Business Montres du 21 février) : toutes les ruptures et les fractures d’un naufrage de la « mondialisation heureuse », avec les lignes de force d’une future dé-globalisation horlogère recentrée sur ses publics occidentaux traditionnels. Nous avons cherché en vain le plan B : il n’y en avait pas (Business Montres du 26 février) – l’horlogerie était abandonnée à son triste sort ! Ses grands salons de printemps annulés, ses comptes dans le rouge, ses milliards envolés et ses élites déboussolées, l’horlogerie était à genoux : fin février, la crise coronavirale de la mi-janvier s’était muée en crise économique gravissime, avant de déclencher une forme de « révolution » au moins aussi dangereuse que la grande crise du quartz des années 1970 et capable d’enfoncer l’industrie des montres dans plusieurs années de galères, de misères et de destructions…

C’est là qu’on se demande – nous le demandons à nos lecteurs comme à ceux qui le deviendront – où sont passés et ce qu’ont pu raconter, pendant ces deux mois de tension, les médias du mainstream horloger, les épiciers des « sites de référence » et les influenceurs subventionnés. Quelle a été leur utilité et leur valeur ajoutée dans l’amorce de cette crise ? En quoi ont-ils renseigné et éclairé le choix des acteurs de l’horlogerie pendant cette coronapocalypse (le simple compte-rendu complaisant sur les nouveautés du moment a semblé pour le moins décalé en pleine tempête) ? Quelle est à présent la crédibilité de ces blogueurs et de tous ceux qui roulaient des mécaniques, par exemple à Dubaï, pendant la Watch Week LVMH ? En quoi ont-ils informé qui que ce soit de quoi que ce soit d’un tant soit peu décisif ? À part essayer de deviner ce que Rolex allait bien pouvoir ne pas présenter pendant un Baselworld qui n'aurait pas lieu, à quoi jouaient-ils ? Que vont-ils devenir maintenant que les marques sabrent dans leurs budgets promotionnels et que la marée basse horlogère va les aligner, sur le sable de la plage abandonnée, comme autant d'inutiles rebuts d’une bulle horlogère dégonflée pour longtemps [on verra bien s’ils aimaient les montres ou s’ils aimaient seulement l’argent des montres] ?

C’est peut-être dans ces circonstances difficiles, quand il s’agit d’éclairer, de décoder, d’analyser et d’anticiper, en toute liberté, avec le risque de se tromper, en toute indépendance, mais avec le poignant sentiment de n'en faire pas assez compte tenu des urgences de la situation, c'est là qu’on peut mieux comprendre l’intérêt pour une profession de disposer de médias indépendants comme notre « médiafacture 100 % liberté, 0 % publicité ». C’est là qu’il est utile de disposer de journalistes capables de faire leur métier, sans la moindre complaisance vis-à-vis des puissances d’argent qui tiennent les cordons de la bourse publicitaire, sans l’obligation de relayer les messages lénifiants et temporisateurs d’une oligarchie horlogère désorientée par la soudaineté de son infortune. C’est dans ces moments de crise qu’une communauté professionnelle peut décompter le nombre de ses vrais soutiens et qu’elle peut vérifier, au jour le jour, l’apport décisif de ces médias libres à la meilleure intelligence de la situation : c’est pourquoi le soutien de nos lecteurs nous est indispensable, de même que le relais de nos informations auprès de ceux qui ne nous lisent pas encore. Plus que jamais, une médiafacture horlogère indépendante comme Business Montres a besoin d’abonnements [c’est le meilleur appui possible à notre liberté d’informer] comme des revenus de la vente de ses articles à ceux qui ne souhaitent pas s’abonner. C’est justement en pleine coronapocalypse que nous avons un besoin vital de votre appui. Maintenant, grâce à tout ce que nous avons pu produire au cours de ces deux derniers mois, vous comprenez mieux à quoi sert une médiafacture horlogère indépendante : on vous laisse réfléchir là-dessus…

❑❑❑❑ CETTE AUTOCHRONIQUE  est une reprise partielle de l’information parue ce week-end dans notre Baromontres de février (Business Montres du 29 février), précisément au sujet de nos interventions tout au long des six premières semaines de la coronapocalypse…


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