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SANS FILTRE #17 (accès libre)
« Quinze salons horlogers pour le début de l’année : il faudrait peut-être arrêter de faire n’importe quoi ! »

Oui, c’est le bon compte qui ne fait pas les bons amis : pour le début 2020, la communauté horlogère n’organisera pas moins de quinze salons professionnels pour présenter ses nouveautés ou reprendre contact avec ses réseaux de distribution. On marche sur la tête ! Et c’est d’autant plus grave que la montre sort lentement mais sûrement du paysage mental de ses publics traditionnels : au lieu de frapper fort, on, se disperse, on ventile, on éparpille façon puzzle... La maison brûle, mais on en est encore à se chamailler doctement pour choisir la couleur du casque des pompiers…


Concernant les traditionnels salons horlogers du début de l’année, il y a deux évidences sur lesquelles tout le monde, sans exception, est absolument d’accord, à tous les étages de la hiérarchie de toutes les marques : il faut impérativement tenir en Suisse un grand salon généraliste et fédérateur et il faut que ce salon professionnel ait lieu dans les premières semaines de l’année. Moyennant quoi, pendant les cinq premiers mois de l’année 2020, on va décompter treize convocations à divers salons horlogers et une seule initiative franchement horlogère en janvier – très exclusive puisque réservée au groupe LVMH, loin de la Suisse (Dubaï) et pour seulement quatre marques, soit 0,7 % de l’horlogerie helvétique. On est donc très loin du compte : chacun a préféré mitonner sa petite recette sur son petit fourneau dans sa petite cuisine et le résultat s’annonce déjà très médiocre pour la notoriété de toute l’industrie et pour le message que pourraient porter les montres traditionnelles…

• Avez-vous remarqué comme on a globalement plus parlé, dans les médias non captifs, de l’événement LVMH lui-même (la Watch Week de Dubaï, son concept, ses invités) que des produits qui étaient présentés par les marques ? Le médium a oblitéré le message : du grand classique selon Marshall McLuhan (La Galaxie Gutenberg, 1967). On voit tout de suite les limites de l’exercice.

• Avez-vous bien noté tous les rendez-vous de ces premiers mois de l’année ? En vrac et sans ambition exhaustive : LVMH Watch Week à Dubaï la semaine passée ; Vicenzaoro en Italie avec de nombreux nouveaux exposants horlogers et joailliers (17-22 janvier) ; les Journées d’achat parisiennes (19-20 janvier, sur des péniches ancrées le long de la Seine) ; la réunion annuelle des distributeurs du groupe ILG à Dubaï, au Marriott Marquis Hotel, du 9 au 13 février ; plus de 1 000 exposants, dont un nombre renforcé d’horlogers à Inhorgenta (Munich, 14-17 février) ; Time to Move (les marques de prestige du Swatch Group, à Zurich, dans la première semaine de mars) ; la convention  Grand Seiko de Tokyo (Japon) du 15 au 20 mars ; le groupe Movado et son Summit de Davos (Suisse) du 14 au 18 mars ; le groupe Festina qui se pose à Capri le dernier week-end d’avril ; Watches & Wonders (ex-SIHH) qui investit Genève du 26 au 29 avril ; le traditionnel WPHH du groupe Franck Muller à Genthod pendant la Wonder Week genevoise ; Raymond Weil qui fait salon à part à Genève pendant la dernière semaine d’avril ; une probable reconduction de l’espace genevois Barton 7 en parallèle à Watches & Wonders, en plus de quelques initiatives « parasites » dans les palaces du bord du lac ; Baselworld qui clôt provisoirement la saison à Bâle du 30 avril au 5 mai, avec, là encore, des opérations « corsaires » aux abords du salon (notamment le Swiss Creative Lab de l’Hyperion). On en a forcément oublié ici ou là, pour ne pas parler des mini-salons tenus ici et là par les dissidents des grands salons (Greubel-Forsey, Richard Mille, Audemars Piguet, etc.)…

• Avez-vous compris que les grands networks de télévision et les grands médias internationaux n’ont pas de temps à perdre dans de nombreux allers-retours entre des événements souvent trop distants et trop corporate pour leur audience généraliste ? On comptait très peu de ces journalistes non spécialisés à Dubaï pour le grand raout LVMH. Si les groupes qui pratiquent l’autisme et l’entre-soi peuvent se passer de ce haut-parleur éditorial, tant mieux pour eux, mais les intérêts généraux de la communauté horlogère sont une mobilisation minimale, au moins une fois par an, de ces indispensables relais médiatiques…

Là où l’horlogerie suisse devrait parler fort, d’une seule voix, à l’ombre puissante de ses plus grandes et de ses plus célèbres marques, et alors qu’elle devrait « cogner » [médiatiquement parlant] encore plus fort pour convaincre l’opinion publique qu’elle a toujours un avenir face à l’invasion des montres connectées, elle s’éparpille « façon puzzle », elle bégaye, elle s’atomise, elle se nébulise et, du coup, elle se néantise. C’est d’autant plus dangereux que les montres traditionnelles, qui n’ont rien vu venir de ce tsunami numérique, sont en train de « décrocher » et de quitter lentement mais sûrement l’horizon mental et socio-culturel de leurs meilleurs clients, qui se convertissent massivement à la montre connectée [on trouve plus de seniors que de milléniaux qui portent des Apple Watch]. Le pré carré horloger se réduit d’année en année, même sur les réseaux sociaux. Quinze salons, c’est peut-être quatorze de trop et c’est complètement crétin en termes d’image comme de message : ce n’est pas de la polyphonie, mais de la cacophonie, vite rendue inaudible, insupportable et contre-stratégique ! Qui pourrait prendre au sérieux ces professionnels incapables de fédérer leur parole et de surmonter leurs querelles de préséance. Plutôt que de marcher sur la tête, les horlogers feraient mieux de la faire marcher !

Comme il est difficile de faire confiance aux institutions de la branche pour prendre le problème à bras le corps et unifier toutes ces initiatives centrifuges, il devient urgent pour la Confédération de créer, sur le modèle de certaines de ses institutions fédérales, une « Commission horlogère » capable de coiffer, d’harmoniser et d’ordonner la dynamique d’une industrie trop confite en dévotions égoïstes pour se réformer d’elle-même. Il ne s’agit pas de créer une énième structure bureaucratique qui viendrait se superposer aux organisations déjà existantes, mais de mettre en place une autorité responsable auprès de l’administration fédérale pour prendre en compte, de façon stratégiquement opérationnelle et unifiée, les intérêts de tous les acteurs de l’horlogerie. Il est évident que le haut-commissaire en charge de cette mission ne saurait être en rien dépendant d’une marque ou d’un groupe, mais qu’il devrait être un fin connaisseur de tous les maillons de la chaîne de création de valeur, de l’amont industriel vers l’aval commercial.

Ce « haut-commissaire » – dont on aurait tort de faire trop vite un « Monsieur Horlogerie » – verrait son indépendance affirmée par un budget assis sur une sorte de taxe parafiscale comparée à celle qui existe en France (taxe affectée d’environ 0,2 % sur toute vente de montre) et pourrait, pour se faire respecter, caler son pouvoir d’intervention sur la création de cette « gendarmerie du Swiss Made » qui reste à inventer, puisque des institutions comme la FH sont bien incapables d’aller contre les intérêts des grandes marques qui « trichent » allègrement. Avec un « haut-commissaire » intelligent, on aurait évité à l’horlogerie une décision aussi aberrante que celle que vient de prendre la Comco, en dépit de tout bon sens. Avec un « haut-commissaire » bon tacticien, on réunifierait les salons horlogers pour les repenser et les refonder en une seule manifestation communautaire, « mammifère » et relationnelle. « Un pour tous, tous pour un », comme disaient les Trois Mousquetaires. On vous laisse réfléchir là-dessus…

NOS CHRONIQUES PRÉCÉDENTES

Des pages pour parler encore plus cash et pour se dire les vérités qui fâchent, entre quatre z’yeux – parce que ça ne sortira pas d’ici et parce qu’il faut bien se dire les choses comme elles sont (les liens pour les dix premières séquences sont à retrouver dans l’épisode #10 ci-dessous)…

❑❑❑❑  SANS FILTRE #16 : « Des racines et des brêles » (Business Montres du 5 décembre)

❑❑❑❑  SANS FILTRE #15 : « La fatale malédiction qui frappe les marques nées il y a trop longtemps – avant 1900 » (Business Montres du 27 novembre)

❑❑❑❑  SANS FILTRE #14 : « Je n’ai rien contre le connard laquais, rien de personnel » (Business Montres 18 novembre)

❑❑❑❑  SANS FILTRE #13 : « Peut-on encore créer de bonnes montres dans une ambiance de… merde ? » (Business Montres du 23 septembre)

❑❑❑❑  SANS FILTRE #12 : « Une étrange défaite : contribution à un soixante-cinquième anniversaire qui intéresse la montre » (Business Montres du 7 mai)

❑❑❑❑  SANS FILTRE #11 : « Mais oui, il y a bien des “gilets jaunes” dans l’horlogerie – et on devrait y faire attention » (Business Montres du 6 mars)

❑❑❑❑  SANS FILTRE #10 : Et si c’était ça, la réalité vraie et vécue de l'horlogerie suisse ? (Business Montres 18 novembre)


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